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3.avril.20123.4.2012
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Comprendre la dette publique américaine

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Ce billet fait suite à celui-ci, sur la dette privée aux États-Unis

Il n’est pas aisé de comprendre la dette publique américaine, dont la réalité est fortement masquée, comme nous allons le voir.

Quand on cherche quelques informations sur la dette publique des États-Unis, on tombe rapidement sur ça (par exemple via la Fed) :

Dette fédérale de marché des USA depuis 1790

On observe donc :

  • la richesse des statistiques américaines, qui remontent sur deux siècles ;
  • l’incroyable pic de la seconde guerre mondiale, à près de 110 % du PIB ;
  • la dette du pays se situe à 52 % fin 2010, avec 9 020 Md$ de dette, loin des 110 % mais second pic historique (et encore, ce niveau va augmenter, il est déjà attendu à 63 % fin 2011).

On a donc envie de conclure que :

  • la situation est sérieuse, mais qu’elle est loin du record historique – et les États-Unis ont bien surmonté leur problème en 1945 ;
  • que le pays reste loin de 80 % du PIB de la France ou l’Allemagne selon les critères de Maastricht.

C’est malheureusement totalement faux, et ce, pour deux raisons, qui tiennent dans l’intitulé.

La première, liée au mot « fédérale« , fait qu’il ne s’agit ici que de la dette du gouvernement fédéral. Il manque la dette des États fédérés et celle des communes, que nous nommerons Collectivités locales par analogie avec la France (où leur dette est bien logée dans le niveau des critères de Maastricht).

Pour la seconde, vous vous êtes peut-être posé la question : la dette précédente (dette de marché), était de 9 800 Md$ fin 2011 ; or, le débat en 2011 a tourné autour du relèvement du plafond qui était de 14 294 Md$. 2 quoi correspondent la différence de 4 000 Md$ de dette – soit près de 200 % du PIB de la France !

Tout d’abord, qu’est-ce que la « dette de marché » ? Il s’agit tout simplement de la dette liée à des bons du Trésor américains, émis à destination du grand public, et négociables sur le marché. Bref, à un bon du Trésor classique, comme on peut l’imaginer.

Mais y a-t-il d’autres dettes alors ? La réponse est oui, et on s’intéressera à cette seconde, propre aux États-Unis, et nommée « dette intragouvernementale » (Intragovernmental Debt Holdings), et logée dans des actifs particuliers (Government Account Series). Ceci est présenté comme de la dette du gouvernement envers le gouvernement – ce qui laisse à penser que ce serait de la fausse dette. Évidemment, comme cette dette permet au gouvernement de fonctionner en achetant des biens réels, il n’en est rien, et ceci correspond à de la bonne et tangible dette.

Si on prend bien en compte les deux dettes supplémentaires, on est proche d’une définition « Maastricht » (il manque quand même les dettes parapubliques et celle de la sécurité sociale, mais nous y reviendrons), et on obtient :

Dette fédérale de marché des USA depuis 1790

Dette fédérale de marché des USA depuis 1790

Cela change énormément les choses ! La dette publique américaine totale est donc actuellement d’environ 120 % du PIB, ce qui est très élevé, et laisse peu d’espoir pour une issue « pacifique ». D’abord, rien ne permet de conforter les analyses très optimistes du budget américain – comment imaginer une stabilisation de la dette au vu des difficultés non soldées de la Crise de 2008, et je ne parle même pas du fait que nous soyons dans la décennie du pic pétrolier…

Les États-Unis montrent en effet depuis 30 ans leur totale incapacité à maîtriser leur dette. Une triste illustration est la comédie permanente concernant le plafond de leur dette fédérale. Pour empêcher des dérives, le Congrès américain a plafonné le niveau de la dette fédérale en dollars – c’est un peu l’équivalent d’une règle constitutionnelle pour la limiter. Or, régulièrement, il arrive ce qui doit arriver : la dette atteint le plafond, et le Congrès doit augmenter le plafond (non sans de terribles échanges entre les partis politiques faisant croire qu’ils agissent, coupant simplement des sommes ridiculement faibles) – sans changer la tendance de la croissance de la dette…

Plafond de la dette fédérale des USA

Plafond de la dette fédérale des USA

Le Congrès a donc relevé le plafond en août 2011, puis, comme cela était prévu, en janvier 2012 (pour aller au delà de la présidentielle). Ce processus de plafonnement de la dette est donc d’une efficacité remarquable… 😕

En conclusion, nous verrons qu’en fait, la situation réelle de la dette publique est encore pire – rendez-vous pour le prochain billet, un peu plus technique que d’habitude, consacré à cette énorme dette dite intragouvernementale, et souvent passée sous silence…


Dessin Cartoon plafond de dette USA

Dessin Cartoon plafond de dette USA

Dessin Cartoon plafond de dette USA

Dessin Cartoon plafond de dette USA

Dessin Cartoon plafond de dette USA

12 réactions et commentaires

  • dany // 03.04.2012 à 09h52

    Passionnant;merci…Et que pensez-vous des propos de JP Chevalier ?
    … confirmant, évidemment, ce que j’en ai écrit : les fondamentaux américains ont été rétablis, les marchés y fonctionnent normalement, ce qui n’est pas le cas dans la vieille Europe antilibérale (et en France en particulier) grandement handicapée de surcroit par cette monnaie unique contre nature.
    Avant 1980, la croissance en France était supérieure à celles des Etats-Unis qui sombraient eux aussi dans des dérives gauchisantes qui ont culminé sous la présidence de Carter.
    L’arrivée au pouvoir des monétaristes avec Ronald Reagan a permis d’opérer un redressement salvateur sans grandes turbulences, grâce aussi à la politique monétaire très libérale menée par ce bon vieux Greenspan.
    Tout est simple, sauf pour les idiots nuisibles, terme consacré qui était utilisé par les Reaganomics pour désigner les adversaires du libéralisme (au sens français) qui refusaient de reconnaitre ces évidences.
    Les Américains ont su gagner la bataille des idées pendant un quart de siècle. Après quelques années Obabamesques catastrophiques, surtout pour l’endettement public, ils pourraient se redresser davantage encore alors que la vieille Europe continentale s’enfonce irrémédiablement dans ses errements économiques et financiers qui peuvent avoir des conséquences très graves.

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    • step // 03.04.2012 à 10h57

      ouah la vache. Ben je pense qu’il dirait qu’un fondamental rétabli a grand coup de dette publique , n’est pas franchement rétabli ? Il suffit de lire son post je pense pour comprendre ce qu’il pense. L’augmentation du PIB américain est elle liée à une reprise de l’endettement ou de l’activité de production. Dans les deux cas, on a une hausse, elle ne veut pas forcément dire la même chose…

       

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      • dany // 03.04.2012 à 13h02

        En fait, je me demandais comment Chevallier et Olivier qui analysent si minutieusement les chiffres arrivent à des interprétations si divergentes…

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        • step // 03.04.2012 à 14h07

          je pense que les chiffres ne peuvent pas tout dire. Augmentation du pib, pourquoi pas :  comment et pour quoi  faire ? Ces deux questions essentielles ne sont pas dans les chiffres et peuvent justifier la position : c’est la reprise de la production industrielle, c’est la reprise de la consommation à credit suite à la planche a billet… Après il faut bien voir qu’il y a bien des blogueurs qui veulent faire coller leur réalité à la réalité et montrent ce qui les arrangent. L’honneteté intellectuelle n’est pas garantie sur le web. A titre personnel, je trouve que la quantité de haine qui déborde du blog de Mr Chevalier n’est pas bon signe sur l’honneté de l’analyse.

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          • Deres // 04.04.2012 à 14h24

            Les analyses n’ont rien à voir. Mr. Chevallier analyse l’état économique global du pays en s’intéressant à ses masses monétaires. Cet article s’intéresse à la dette publique aux USA. La grosse différence au niveau monétaire est qu’aux Etats-Unis, la masse monétaire est fortement orientée vers les investissement long terme(M3-M2) alors qu’en Europe, elle est fortement liquide (M1). L’explication donnée par Mr.Chevallier est que cela signifie que le dollar est « sain » aux USA et que l’Euro a un grave déséquilibre venant de la redistribution massive par les Etats vers les particuliers effectuée en s’endettant. Sa conclusion est donc que la dette américaine est au final investit dans l’économie productive donc acceptable alors que la dette européenne sert aux dépenses de la vie courante. On a donc une fourmi fortement endettée possédant des usines et une cigale fortement endetté ayant bien mangé, ce qui est fort différent. Enfin, c’est ce que j’en ai compris …

            Nota : les gens qui veulent vous arnaquez sont généralement très gentils avec vous et plein de miel. Cela ne préjuge donc pas du tout de l’honnêteté des propos d’un blog …  

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  • Patrick Luder // 03.04.2012 à 13h34

    Jolis dessin, ils imagent bien ce plafond qui est relevé au fur et à mesure. Le plafond devrait plutôt s’appaler limite supérieure à durée courte = pas de limite …

    Un frein à l’endettement serait plus efficace pour autant que les Américains visent la perrenité de leur monnaie et du commerce mondial, là on sent plutôt un vaste Jeux de l’avion, mais le jeux est déjà trop avancé, il n’y a plus de gagnants possibles …

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  • Patrick Luder // 03.04.2012 à 13h48

    Et toute le monde crie croissance, croissance … car oui, seule une croissance de l’économie pourrait encore éviter un crash … mais croissance de la consommation il n’y aura pas, parce qu’il n’y a plus de consommateurs ! Toute la production de biens de consommation à été mécanisée, automatisée, informatisée, il n’y a plus de places de travail pour Monsieur et Madame tout le monde. En plus, tout ce consumérisme et déjà hypothéqué, endetté => le monde vit déjà très au dela de ses moyens …

    Dans le future, il faudra passer d’un mode « consumérisme » à un mode plus supportable …

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    • Christophe Vieren // 03.04.2012 à 14h47

      Il n’y aura plus de croissance en effet (et cela n’est pas nouveau, relire l’article en 4 parties de Jean Gadrey sur la baisse tendancielle du taux de croissance) non seulement parce que les ressources naturelles sont limitées ou épuisées, non seulement parce qu’il y a des limites à l’automatisation (une fois les caisses des grandes surfaces automatisées, les produits en vrac dans les rayons, où peut-on encore gagner de la productivité ? … ). mais aussi parce qu’au fur et à mesure que le confort matériel est atteint, les « consommateurs » accroissent leur consommation de services plutôt que celle de biens. Et comment obtenir des gains de productivité chez un enseignant, un soignant, un chauffeur ou réparateur de transports en commun, un cinéaste, …. ? Les remplacer par des automates ? Peut-être ! 

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      • Patrick Luder // 03.04.2012 à 17h41

         » les “consommateurs” accroissent leur consommation de services plutôt que celle de biens »

        et les consommations de services ne sont commercialement que des échanges … comme si on s’échangeait des coquillages contre des cailloux … simplifié, cela donne : je te donne un peu de mon salaire d’enseigement contre un psychothérapie et de me donne un peu de ton salaire pour la formation de tes enfants

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        • Christophe Vieren // 03.04.2012 à 19h59

          Désolé Patrick mais tu te trompes lourdement. D’un point de vue économique, les services sont des échanges au même titre les biens. Echanger un yaourt contre une roue de bicyclette n’est pas moins un « échange » qu’une séance d’enseignement contre une séance de psychothérapie ou . . . contre une roue de bicyclette. La distinction entre activité de biens et activité de services (la frontière entre les deux peut-être d’ailleurs très floue) n’a aucun intérêt dans la plupart des discussions qui nous animent ici. Si j’ai fais la distinction, c’est juste parce que les gains de productivité que l’on peut espérer obtenir ne sont pas du même ordre. Et donc la croissance induite. On peut espérer automatiser totalement une chaine de montage de voiture ou de production de yaourts. Il faudra en revanche toujours le service de transporteurs, de développeur, d’informaticiens, d’enseignants , …. 

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  • Christophe Vieren // 03.04.2012 à 14h38

    Euh, question con , c’est qui ce Chevalier ? Serait-il possible de savoir a minima ce qu’il dit via un hyperlien par exemple ? 
    En tout cas, j’voudrais pas cafter mais il me semble que de manière encore plus visible qu’en France, ce soit le parti le plus à droite (UMP/Républicain) qui ait créé le plus de dettes publiques sur la période 1980-2008. Etrange non ? Mais pas bien grave, tant qu’il n’y a pas de risque de restructuration (= défaut partiel), les créanciers continuent à se gaver. Et les principaux créanciers c’est qui ?

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  • Tycer // 03.04.2012 à 18h00

    Voici un lien pour le site de chevalier:
    http://chevallier.biz/

    C’est un blog assez technique avec des analyses pro-US et assez opinions assez libérale.

    Pour ma part je suis mille fois de l’avis d’Olivier.
    Les US ont vécu a crédit sur les autres nations et surtout en pillant les ressources planétaires (sans parler de pollution).
    On arrive a la fin d’une époque.

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