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6.décembre.20186.12.2018 // Les Crises

La technologie de reconnaissance de l’accent d’Amazon pourrait dire au gouvernement d’où vous venez

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Source : The Intercept, Belle Lin, 15-11-2018

Illustration : Erik Blad pour The Intercept

DÉBUT octobre, Amazon a reçu discrètement un brevet qui permettrait à son assistante virtuelle Alexa de déchiffrer les caractéristiques physiques et l’état émotionnel d’un utilisateur à partir de sa voix. Les caractéristiques, ou « caractéristiques vocales », comme l’accent de la langue, l’origine ethnique, les émotions, le sexe, l’âge et le bruit de fond, seraient immédiatement extraits et signalés dans le fichier de données de l’utilisateur pour aider à diffuser une publicité plus ciblée.

L’algorithme tiendrait également compte de l’emplacement physique d’un client – en fonction de son adresse IP, de son adresse de livraison principale et des paramètres de son navigateur – pour aider à déterminer son accent. Si le brevet d’Amazon devenait une réalité, ou si la détection de l’accent était déjà possible, cela introduirait des questions de surveillance et de violation de la vie privée, ainsi que d’éventuelles publicités discriminatoires, selon les experts.

Les questions de droits civils soulevées par le brevet sont semblables à celles qui entourent la reconnaissance faciale, une autre technologie qu’Amazon a utilisée comme point d’ancrage de sa stratégie d’intelligence artificielle et qu’elle a commercialisée auprès des services de police donnant lieu à une controverse. Tout comme la reconnaissance faciale, l’analyse de la voix souligne à quel point les lois existantes et les mesures de protection de la vie privée ne sont tout simplement pas en mesure de protéger les utilisateurs contre de nouvelles catégories de collecte de données – ou d’espionnage gouvernemental, d’ailleurs. Contrairement à la reconnaissance faciale, l’analyse de la voix ne repose pas sur des caméras dans les espaces publics, mais sur des microphones à l’intérieur de haut-parleurs intelligents dans nos maisons. Elle soulève également ses propres questions épineuses concernant la publicité qui cible ou exclut certains groupes de personnes sur la base de caractéristiques dérivées comme la nationalité, la langue maternelle, etc (le genre de controverse dans lequel Facebook est tombé encore et encore).

D’après le brevet d’Amazon, illustration d’un processus permettant de déterminer les caractéristiques physiques et émotionnelles à partir de la voix d’une personne, ce qui donne un contenu audio sur mesure, comme des publicités. Document : Bureau des brevets et des marques des États-Unis d’Amérique

Pourquoi le gouvernement pourrait-il s’intéresser à l’accent ?

Si la détection vocale de l’accent peut déterminer l’origine ethnique d’une personne, elle ouvre une nouvelle catégorie d’information qui est incroyablement intéressante pour le gouvernement, a déclaré Jennifer King, directrice de la protection de la vie privée des consommateurs au Center for Internet and Society de la Stanford Law School.

« Si vous êtes une entreprise et que vous créez de nouvelles classifications de données, et que le gouvernement s’y intéresse, vous seriez naïve de penser que les forces de l’ordre ne vont pas s’en mêler », a-t-elle dit.

Elle a décrit un scénario dans lequel, connaissant l’historique des achats d’un utilisateur, les données démographiques existantes et le fait qu’il parle arabe ou anglais, Amazon pourrait identifier l’utilisateur comme appartenant à un groupe religieux ou ethnique. King a dit qu’il est plausible que le FBI obligerait Amazon à produire de telles données si cela pouvait aider à déterminer l’appartenance d’un utilisateur à un groupe terroriste. Les demandes de données axées sur le terrorisme sont plus difficiles à refuser pour les entreprises, a-t-elle dit, par opposition à celles qui sont vagues ou par ailleurs trop larges, qu’elles ont repoussées.

Andrew Crocker, avocat de l’Electronic Frontier Foundation, a déclaré que la Foreign Intelligence Surveillance Act, ou FISA, permet au gouvernement d’exiger secrètement de telles données. La FISA régit l’espionnage électronique visant à acquérir de l’information sur des pouvoirs étrangers, permettant une telle surveillance sans mandat dans certaines circonstances et dans d’autres en vertu de mandats délivrés par un tribunal fermé au public, où seul le gouvernement est représenté. Les communications des citoyens et résidents américains sont couramment acquises conformément à la loi, dans de nombreux cas de façon fortuite, mais même les communications recueillies de façon fortuite peuvent être utilisées plus tard contre les Américains dans les enquêtes du FBI. En vertu de la FISA , le gouvernement pourrait « obtenir de l’information secrètement plus facilement, et il existe des capacités de surveillance de masse ou de grande ampleur qui n’existent pas en droit national », a déclaré M. Crocker. « Cela pourrait certainement se faire secrètement avec moins de surveillance judiciaire. »

« Il serait naïf de penser que les forces de l’ordre ne vont pas s’en mêler. »

Jennifer Granick, avocate spécialisée dans la surveillance et la cybersécurité au sein de l’American Civil Liberties Union’s Speech, Privacy, and Technology Project, a suggéré que les données sur l’accent d’Amazon pourraient également fournir au gouvernement des renseignements dans le cadre du contrôle de l’immigration.

« Supposons que l’ICE [Immigration and Customs Enforcement, Service des douanes et de l’immigration américaines, NdT] s’adresse à l’un de ces fournisseurs et dise : « Donnez-nous toutes les informations sur les abonnements des personnes qui ont un accent espagnol »… afin d’identifier les personnes d’une race particulière ou qui pourraient théoriquement avoir des parents sans papiers », a-t-elle dit. « Donc vous pouvez voir que ce type d’information peut être utilisé à mauvais escient. »

Bien qu’elle n’ait pas vu de preuves de ce genre de demandes de la part du gouvernement, King a été témoin de « choses semblables qui se produisent dans d’autres contextes ». Il est également possible que si le FBI envoyait à Amazon un courrier de sécurité nationale, une ordonnance bâillon empêcherait l’entreprise de divulguer beaucoup de choses, y compris le nombre exact de lettres qu’elle a reçues. Les courriers de sécurité nationale obligent les entreprises de télécommunication à divulguer certains types de renseignements, comme le ferait une assignation à comparaître, mais souvent sous le sceau du secret. Les courriers exigent que les entreprises remettent certaines données, comme le nom du propriétaire d’un compte et l’ancienneté du compte, mais le FBI en demande régulièrement d’autres, y compris les en-têtes de courriel et l’historique de navigation Internet.

Par rapport à d’autres géants de la technologie, cependant, Amazon donne moins de détails dans ses divulgations sur les courriers de sécurité nationale [NSL : National Security Letters, NdT] qu’elle reçoit et sur les demandes de données en général. Par exemple, dans ses rapports sur les demandes d’information, il ne divulgue pas le nombre de NSL qu’il a reçues ni le nombre de comptes touchés par les demandes de sécurité nationale, comme le font Apple et Google. Ces informations plus spécifiques provenant d’autres sociétés montrent une tendance : entre la mi-2016 et le premier semestre de 2017, les demandes liées à la sécurité nationale envoyées à Apple, Facebook et Google ont considérablement augmenté.

Mais même si le gouvernement n’a pas encore fait de telles demandes à Amazon, nous savons qu’il prête attention à la technologie vocale depuis un certain temps. En janvier, The Intercept a signalé que l’Agence de sécurité nationale avait mis au point une technologie permettant non seulement d’enregistrer et de transcrire des conversations privées, mais aussi d’identifier automatiquement les intervenants. L’« empreinte vocale » d’une personne qui a été créée pourrait être comparée à des millions d’appels téléphoniques, vidéo et Internet interceptés et enregistrés.

Ce que les documents gouvernementaux n’indiquent pas explicitement, c’est que pour créer l’« empreinte vocale » d’un citoyen américain, les experts ont déclaré que la NSA n’aurait qu’à exploiter les données vocales existantes d’Amazon ou de Google.

Au cours de l’année écoulée, les relations d’Amazon avec le gouvernement sont devenues de plus en plus intimes. BuzzFeed a récemment révélé des détails sur la façon dont la police d’Orlando testait Rekognition, la technologie de reconnaissance faciale d’Amazon, pour identifier les « personnes dignes d’intérêt ». Quelques mois plus tôt, Amazon avait été démasqué par l’ACLU [American Civil Liberties Union, Union américaine pour les libertés civiles, NdT] pour « commercialisation de Rekognition pour la surveillance gouvernementale ». Pendant ce temps, en juin, l’entreprise s’affairait à présenter sa technologie aux services des douanes et de l’immigration.

Bien que ces révélations ont déclenché la sonnette d’alarme, y compris parmi les employés d’Amazon, les experts ont déclaré que la reconnaissance vocale soulève des problèmes similaires qui sont tout aussi urgents voire plus urgents. Le brevet de traitement de la voix d’Amazon date de mars de l’année dernière. En réponse aux questions de The Intercept, la société a qualifié le brevet d’exploratoire et s’est engagée à respecter sa politique de confidentialité lors de la collecte et de l’utilisation des données.

La loi sur la protection de la vie privée se fait distancer par la technologie

La faiblesse des lois sur la protection de la vie privée aux États-Unis est l’une des raisons pour lesquelles les consommateurs sont vulnérables lorsque les entreprises de technologie commencent à recueillir de nouveaux types de données à leur sujet. Il n’y a rien dans la loi qui protège les données recueillies sur l’humeur ou l’accent d’une personne, a déclaré Granick.

En l’absence de protections juridiques solides, les consommateurs sont forcés de prendre leurs propres décisions concernant les compromis à faire entre leur vie privée et la commodité des assistants virtuels. « Être capable d’utiliser une commande vocale vraiment robuste serait formidable si cela signifiait que vous n’étiez pas incorporé dans un algorithme d’IA géant et manipulé pour encourager votre engouement pour de nouveaux produits, en particulier lorsque vous payez pour ces systèmes », dit King.

La Loi sur la protection des renseignements personnels ou ECPA [Electronic Communications Privacy Act, NdT] dans le secteur des communications électroniques, adoptée pour la première fois en 1986, constituait à l’époque un grand pas en avant en matière de protection des renseignements personnels. Mais aujourd’hui, plus de 30 ans plus tard, elle n’a toujours pas rattrapé le rythme de l’innovation technologique. En général, en vertu de l’ECPA, les organismes gouvernementaux ont besoin d’une assignation à comparaître, d’une ordonnance d’un tribunal ou d’un mandat de perquisition pour obliger les entreprises à divulguer les renseignements protégés des utilisateurs. Contrairement aux ordonnances des tribunaux et aux mandats de perquisition, les assignations à comparaître n’exigent pas nécessairement un contrôle judiciaire.

Le dernier rapport de demande d’informations d’Amazon, qui couvre le premier semestre de cette année, révèle que l’entreprise a reçu 1 736 assignations à comparaître pendant cette période. Les informations demandées ont été transmises pour 1283 d’entre elles en partie ou en totalité. Depuis qu’Amazon a commencé à publier ces rapports il y a trois ans, le nombre de demandes de données qu’elle reçoit n’a cessé d’augmenter, avec un bond considérable entre 2015 et 2016. Echo, son haut-parleur domestique Alexa, a été lancé en 2015, et Amazon n’a pas dit si l’augmentation est liée à la popularité croissante de son haut-parleur.

Alors que l’ECPA protège les données associées à nos conversations numériques, Granick dit que son application à l’information recueillie par des fournisseurs comme Amazon est « anémique ». « Le gouvernement pourrait dire : « Donnez-nous une liste de toutes les personnes que vous pensez être chinoises, latino-américaines » et le fournisseur doit expliquer pourquoi il ne devrait pas le faire. Ce genre de données concluantes n’est pas protégé par l’ECPA, et cela signifie que le gouvernement peut exiger leur divulgation au moyen d’une assignation à comparaître », a-t-elle dit.

« Le gouvernement pourrait dire : « Donnez-nous une liste de tous ceux que vous pensez être chinois, Latino. » »

Comme l’ECPA n’est pas explicite, la question juridique est de savoir si Amazon pourrait volontairement livrer les conversations que ses utilisateurs ont avec Alexa. M. Granick a déclaré qu’Amazon pourrait soutenir que ces données constituent une communication électronique protégée en vertu de l’ECPA – et exiger que le gouvernement obtienne un mandat pour y accéder – mais qu’en tant que partie à la communication, Amazon a également le droit de les divulguer. Il n’y a pas eu d’affaires judiciaires sur cette question jusqu’à présent, a-t-elle dit.

Crocker, de l’EFF [Electronic Frontier Foundation est une ONGI de protection des libertés sur Internet basée à San Francisco, NdT] a fait valoir que les communications avec Alexa – les recherches et les commandes vocales, par exemple – sont protégées par l’ECPA, mais il a convenu que le gouvernement pourrait obtenir les données au moyen d’un mandat ou d’un autre processus juridique.

Il a ajouté que la façon dont Amazon stocke l’information sur l’accent pourrait avoir un impact sur la capacité du gouvernement à y accéder. Si Amazon le conserve à long terme dans les profils de ses clients dans le cloud, ces profils sont plus faciles à obtenir que les communications vocales en temps réel, dont l’interception invoque les protections prévues par la Wiretap Act, une loi fédérale régissant l’interception et la divulgation des communications. (L’ECPA a modifié la Loi sur l’écoute téléphonique pour y inclure les communications électroniques.) Et si l’information est stockée dans des métadonnées associées aux recherches vocales Alexa, le gouvernement les a obtenues dans des cas antérieurs et pourrait y avoir accès de cette façon.

En 2016, un meurtre dans un jacuzzi en Arkansas a mis en lumière l’Echo de l’accusé. La police a saisi l’appareil et a tenté d’obtenir ses enregistrements, ce qui a incité Amazon à soutenir que toute communication avec Alexa et ses réponses étaient protégées comme une forme de liberté d’expression en vertu du premier amendement. Amazon a fini par remettre les dossiers après que l’accusé lui a donné la permission de le faire. La semaine dernière, un juge du New Hampshire a ordonné à Amazon de remettre les enregistrements d’Echo dans une nouvelle affaire de meurtre, dans l’espoir qu’elle puisse fournir des preuves criminelles.

Annonces dynamiques, ciblées et discriminatoires

Au-delà de la surveillance gouvernementale, les experts se sont également inquiétés du fait que la nouvelle classification des données d’Amazon augmente la probabilité d’une publicité discriminatoire. Lorsque le profilage démographique – la base de la publicité traditionnelle – est recouvert d’informations supplémentaires, évaluées algorithmiquement par Alexa, les publicités peuvent rapidement devenir envahissantes ou offensantes.

Granick a dit que si Amazon « donnait une série de publicités [de logement] à des gens qui avaient des accents chinois et une série différente de publicités à des gens qui ont un accent finlandais… mettant en évidence principalement des quartiers chinois pour l’un et des voisins européens pour un autre », ce serait une discrimination fondée sur l’origine nationale ou raciale.

Selon King, Amazon s’expose également à des accusations de discrimination par les prix, et même de racisme, si elle permet aux annonceurs de montrer et de cacher des publicités de certains groupes ethniques ou genres. « Si vous vivez dans l’O.C. [comté d’Orange à Los Angeles, NdT], que vous avez un accent chinois et que vous êtes de la classe moyenne supérieure, cela pourrait vous montrer des choses qui sont plus chères.[Alexa] pourrait dire, « Je vais vous envoyer des sacs Louis Vuitton à partir de ces choses-là » », dit-elle.

La vente de produits basés sur les émotions offre également aux annonceurs l’occasion de manipuler les consommateurs. « Si vous êtes une femme dans un certain groupe démographique et que vous êtes déprimée, nous savons que le binge shopping [achat compulsif NdT] est quelque chose que vous faites… sachant que vous êtes dans un état vulnérable, il n’y a aucun règlement qui les empêche de faire quelque chose comme ça », a dit King.

Un exemple tiré du brevet envisage la commercialisation auprès de locuteurs chinois, quoique dans un contexte plus inoffensif, décrivant comment les publicités pourraient cibler les « utilisateurs d’âge moyen qui parlent mandarin ou ont un accent chinois et qui vivent aux États-Unis ». Si l’utilisateur demande, « Alexa, quelles sont les nouvelles aujourd’hui ? » Alexa pourrait répondre : « Avant votre bulletin d’information, vous pourriez être intéressé par le boîtier TV Xiaomi, qui vous permet de regarder plus de 1 000 chaînes de télévision chinoises en temps réel pour seulement 49,99 $. Voulez-vous l’acheter ? »

Selon le brevet, les annonces peuvent être présentées en réponse à la voix de l’utilisateur, mais peuvent également être « présentées à tout moment ». Elles peuvent même être injectées dans des flux audio existants, telles qu’une conférence de presse ou une lecture de morceaux de musiques à partir d’une playlist.

Andrew DeVore, vice-président et avocat général associé d’Amazon.com Inc, à droite, écoute Len Cali, vice-président principal de la politique publique mondiale chez AT&T Inc. lors d’une audience du Senate Commerce Committee sur la protection des données des consommateurs à Washington, le 26 septembre 2018. Photo : Andrew Harrer/Bloomberg via Getty Images

Nouvelles règles pour la confidentialité des données

Dans la foulée du scandale de Cambridge Analytica sur Facebook, les législateurs sont devenus de plus en plus méfiants à l’égard des entreprises de technologie et de leurs pratiques en matière de protection de la vie privée. Fin septembre, le comité sénatorial du commerce a tenu une nouvelle série d’auditions avec des cadres techniques sur la question – leur donnant également l’occasion d’expliquer comment ils abordent les nouvelles lois strictes sur la protection des données dans l’Union européenne et en Californie.

La réglementation de la Californie, qui a été adoptée en juin et qui entrera en vigueur en 2020, établit un nouveau précédent pour la loi sur la protection de la vie privée des consommateurs dans le pays. Elle élargit la définition des renseignements personnels et donne aux résidents de l’État un plus grand contrôle sur le partage et la vente de leurs données à des tiers.

Comme on pouvait s’y attendre, Amazon et d’autres grandes entreprises de technologie ont repoussé avec vigueur les nouvelles réformes, invoquant des pénalités excessives, des coûts de conformité et des restrictions en matière de collecte de données, et chacune a dépensé près de 200 000 $ pour les faire échouer. Lors de l’audition au Sénat, Andrew DeVore, vice-président et avocat général adjoint d’Amazon, a demandé au comité d’examiner les « conséquences involontaires » de la loi californienne, qu’il a qualifiée de « confuse et difficile à respecter ».

Maintenant que les élections de mi-mandat sont passées, les défenseurs de la vie privée espèrent que l’intérêt du Congrès pour les questions de protection de la vie privée se transformera en action législative ; jusqu’à présent, ce n’est pas le cas. La Federal Trade Commission [Commission fédérale du commerce, équivalent américain de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, NdT] envisage également de mettre à jour ses priorités en matière de protection des consommateurs. En septembre, elle a lancé une série d’auditions sur l’impact des « nouvelles technologies » et d’autres changements économiques.

Les partisans de la protection de la vie privée espèrent que l’intérêt du Congrès pour les questions de protection de la vie privée se transformera en action législative, ce qui n’est pas le cas jusqu’à maintenant.

Granick a dit que la Californie pourrait servir de modèle pour le reste du pays, alors que les États s’efforcent de protéger les consommateurs là où le gouvernement fédéral ne l’a pas fait. En août, la Californie est également devenue le premier État à adopter une loi sur la cybersécurité sur Internet, exigeant que les fabricants ajoutent un « dispositif de sécurité raisonnable » pour protéger les renseignements qu’ils recueillent contre tout accès, modification ou divulgation non autorisés.

En 2008, l’Illinois est devenu le premier État à adopter une loi réglementant les données biométriques, imposant des restrictions sur la collecte et le stockage des données de numérisation de l’iris, des empreintes digitales, des empreintes vocales et manuelles et de la géométrie du visage. (Granick dit qu’il n’est pas clair si les données sur l’accent sont couvertes par la loi.) Étant le premier État à adopter une loi historique, l’Illinois constitue un avertissement pour la Californie. Bien que son projet de loi ait déjà été considéré comme une loi type, seuls deux autres États – le Texas et Washington – ont adopté des lois biométriques sur la protection de la vie privée au cours des dix dernières années. Des efforts similaires ailleurs ont été largement anéantis par le lobbying des entreprises.

Un problème mondial qui prend de l’ampleur

Les militants se sont tournés vers d’autres pays pour trouver des exemples de ce qui pourrait mal tourner si les entreprises de technologie et les organismes gouvernementaux devenaient trop proches et si les données sur l’accent vocal étaient mal utilisées.

Human Rights Watch a rapporté l’année dernière que le gouvernement chinois était en train de créer une base de données biométriques vocale nationale en utilisant les données de la société de technologie chinoise iFlyTek, qui fournit gratuitement ses applications de reconnaissance vocale aux consommateurs et affirme que son système peut prendre en charge 22 dialectes chinois. Sur son site Web en anglais, iFlyTek a déclaré que sa technologie avait été « contrôlée et vantée » par « beaucoup de dirigeants de partis et d’États », dont le président Xi Jinping et le premier ministre Li Keqiang.

L’entreprise est également le fournisseur de systèmes de collecte de profils vocaux utilisés par les bureaux de police régionaux et dirige un laboratoire qui développe une technologie de surveillance vocale pour le ministère de la Sécurité publique. Sa technologie a « aidé à résoudre des affaires » pour les forces de l’ordre dans l’Anhui, le Gansu, le Tibet et le Xinjiang, selon un rapport de presse de l’État cité par Human Rights Watch. Les militants préviennent que l’une des utilisations possibles de la base de données vocale du gouvernement, qui pourrait contenir des données vocales riches en dialectes et en accents provenant de groupes minoritaires, est la surveillance des Tibétains et des Ouïghours.

L’année dernière, Die Welt [un des trois plus grands quotidiens allemands, NdT] a indiqué que le gouvernement allemand testait un logiciel d’analyse vocale pour aider à vérifier d’où viennent ses réfugiés. Ils espéraient qu’il déterminerait les dialectes des demandeurs d’asile en Allemagne, que les agents d’immigration utiliseraient comme l’un des nombreux « indicateurs » lors de l’examen des demandes. Le test a été accueilli avec scepticisme, car les experts du langage ont remis en question la capacité du logiciel à prendre une décision aussi complexe.

La quantité d’informations que les gens donnent volontairement aux entreprises de technologie par l’intermédiaire d’enceintes intelligentes augmente, de même que les achats que les utilisateurs sont autorisés à faire. Un sondage Gallup mené l’an dernier a révélé que 22 % des Américains utilisent actuellement des assistants personnels à domicile intelligents comme Echo – les plaçant dans les salons, les cuisines et autres espaces intimes. Et selon une étude de la Consumer Technology Association, 44 % des internautes adultes américains envisagent d’en acheter un.

L’arrivée d’Amazon dans les maisons avec des capacités vocales plus sophistiquées pour Alexa s’est fait attendre. En 2016, l’entreprise discutait déjà de la détection des émotions comme moyen de garder une longueur d’avance sur ses concurrents Google et Apple. La même année, elle dépose une demande de brevet pour un « real-time language accent translator » [système audio capable de détecter l’accent d’un locuteur et de le traduire dans l’accent de l’auditeur en temps réel NdT] – un mélange de technologies de détection d’accent et de traduction. Lorsque son brevet sur les émotions et l’accent a été délivré le mois dernier, la capacité potentielle d’Alexa à lire les émotions et à détecter si les clients sont malades a été qualifiée d’effrayante.

Amazon fait face à la « lacune de l’accent ».

Les capacités actuelles d’Amazon en matière de gestion de l’accent sont peu reluisantes. En juillet, le Washington Post a accusé Amazon et Google d’avoir créé une « lacune de l’accent », laissant les anglophones non natifs derrière eux dans la révolution technologique à commande vocale. Alexa et Google Assistant ont eu le plus de difficultés à comprendre l’anglais parlé par les personnes d’origine chinoise et espagnole.

Depuis l’avènement de la technologie de la reconnaissance vocale, la détection des dialectes, des troubles de la parole et des accents a été un défi constant. Si la technologie du brevet d’Amazon était disponible aujourd’hui, les experts en traitement du langage naturel ont dit que l’accent et la détection des émotions ne seraient pas en mesure de permettre de tirer des conclusions précises. Les données d’apprentissage qui instruisent l’intelligence artificielle manquent de diversité en premier lieu, et parce que la langue elle-même est en constante évolution, toute IA aurait du mal à suivre.

Bien que le nouveau brevet d’Amazon soit un signe qu’elle accorde de l’attention à la « lacune de l’accent », il se peut qu’elle le fasse pour de mauvaises raisons. L’amélioration de la détection de l’accent linguistique rend la technologie vocale plus équitable et plus accessible, mais elle a un coût.

En matière de brevets

Les brevets ne sont pas un reflet sûr de ce que les entreprises technologiques ont construit, ou même de ce qu’il leur est possible de construire. Les entreprises technologiques, en particulier, déposent un nombre vertigineux de demandes de brevets.

Dans un communiqué électronique, Amazon a déclaré qu’elle avait déposé « un certain nombre de demandes de brevets de prospectives qui explorent toutes les possibilités des nouvelles technologies ». Les brevets prennent plusieurs années à être reçus et ne reflètent pas nécessairement les développements actuels des produits et services ». La société a également déclaré qu’elle « recueillera et utilisera les données uniquement en conformité avec notre politique de confidentialité » et n’a pas donné de détails sur d’autres utilisations de sa technologie ou de ses données.

Mais King, qui a également examiné de nombreux brevets de Facebook, a dit qu’ils peuvent être utilisés pour déduire la direction que prend une entreprise.

« Vous voyez un avenir où les interactions avec les gens et leurs espaces intérieurs deviennent beaucoup plus agressives », dit-elle. « C’est la prochaine frontière pour les entreprises. Pas seulement suivre votre comportement, où vous êtes allé, ce qu’ils pensent que vous pourriez acheter. Maintenant, c’est ce que cous pensez, ce que vous ressentez, et c’est ce qui met les gens très mal à l’aise. »

Pour l’instant, les personnes qui veulent préserver leur vie privée et minimiser les risques de surveillance ne devraient pas acheter un haut-parleur du tout, a recommandé Granick. « En gros, vous installez un microphone pour que le gouvernement puisse vous écouter chez vous », déclare-t-elle.

Source : The Intercept, Belle Lin, 15-11-2018

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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Commentaire recommandé

Charles Michael // 06.12.2018 à 07h08

Je lis ces trucs en diagonales
ma position de principe est claire:
non participation, minimum de trace électronique
maximum de paiement en cash.

tant pis pour les geeks et branchouillards divers

12 réactions et commentaires

  • Charles Michael // 06.12.2018 à 07h08

    Je lis ces trucs en diagonales
    ma position de principe est claire:
    non participation, minimum de trace électronique
    maximum de paiement en cash.

    tant pis pour les geeks et branchouillards divers

      +22

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  • LBSSO // 06.12.2018 à 07h45

    « Chéri(e), dis-moi tout »

    La reconnaissance de la voix, son traitement ont pour enjeux de supprimer le plus possible cette interface tactile et visuel opportunément nommé « l’écran ».
    Se joue alors la relation que nous nouons avec un objet. Par la voix, celle-ci se fait plus intime. Devenue familière et naturelle, elle peut alors être plus intrusive.
    Pour aller plus loin, cet outil fabriqué nous fabrique tout autant. En particulier, il modifie nos rapports aux désirs .(satisfaits plus rapidement avec la suppression de l’écran) et à la solitude (conversation facilitée pour plus de données capturées).
    Plus pompeusement : la relation interactive (*) avec un objet , permise par la voix ,fait que l’utilisateur prête à celui-ci des capacités émotionnelles et cognitives humaines.

    Fabrique du consentement. Fabrique de l’intime.

    (*) l’objet est de plus en plus source de propositions ,de solutions et pas seulement un exécutant.

      +4

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    • Vladimir K // 06.12.2018 à 15h32

      ça fait penser un peu à HAL, dans 2001, l’Odyssée de l’espace, non ?

        +4

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  • RGT // 06.12.2018 à 08h41

    Je suis sans doute anachronique mais je n’utilise aucun dispositif dont je ne peux pas maîtriser le comportement ni les futures évolutions.
    C’est épidermique.

    Quand il y a eu la « grande révolution » des réseaux sociaux j’ai immédiatement pensé que c’était un piège à c… et je ne me suis pas engagé das la mouvement moutonnier.
    Et j’avais tout à fait raison, du moins en fonction de mon propre ressenti.

    Au boulot, ils nous ont AUSSI installé un « réseau social » que je boycotte sans m’en cacher.
    J’ai eu droit à quelques remarques de la part de ma hiérarchie (ce qui prouve qu’ils surveillent de près les logs de connexion), remarques auxquelles j’ai répondu en précisant que j’avais des choses bien plus « productives » à faire que d’aller perdre un temps précieux dans un « service » qui n’apportait strictement rien à ma « performance » professionnelle.

    Et il en va de même pour ma vie privée. Autant je m’intéresse de très près aux évolutions scientifiques et techniques, autant je fais le tri et je regarde en premier lieu les implications futures de ces « technologies » (souvent pas de toute première fraîcheur d’ailleurs) dans ma vie personnelle.

    Donc je néglige tous ces « gadgets » et je me concentre sur des objectifs plus en rapport avec mes besoins présents et futurs.

    En ce moment, je me penche sur des dispositifs qui me permettraient de transformer de l’énergie (pas de « créer », seuls les idiots sont convaincus qu’on peut faire de l’énergie à partir de rien) et de la stocker de manière fiable, avec un rendement optimal et sans dommages pour l’environnement.
    Pour l’instant, j’ai la certitude (calculs à l’appui) que le meilleur moyen par exemple de stocker l’énergie éolienne consiste à remonter de l’eau (de pluie) dans un réservoir puis de récupérer de l’électricité avec des turbines quand on en a besoin. Avec des éoliennes directement raccordées au pompes pour éviter les pertes de transformation d’énergie.
    inconvénient : Il faut à la fois un emplacement venteux ET une pente naturelle d’au moins 100 mètres. J’ai de la chance, c’est exactement la configuration de l’ancienne ferme que j’ai acheté ne montagne. Franciliens s’abstenir.

    Il ne me reste plus qu’à trouver les matériaux (de récupération pour l’impact écologique) afin de réaliser une maquette de faisabilité pour faire des tests réels.
    C’est autre chose que ces gadgets à la con qui consomment inutilement de l’énergie pour « faire tourner le commerce » et qui permettent de nous espionner avec notre consentement béat.

      +11

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    • Charles Michael // 06.12.2018 à 10h18

      j’approuve totalement,
      et si et quand votre système fonctionne distribuez photos et plans … sur le web
      qui a là toute son utilité.

        +2

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    • Bouddha Vert // 06.12.2018 à 22h53

      Bonjour, pour info:
      Dans une conduite forcée, avec 100m de chute et d’excellentes turbines (rendement total de 80%), il vous faudra, à peut prêt 4,5 tonnes d’eau pour disposer de 1 KWH!!!!!!!!!!!!!! d’énergie électrique.
      Pour l’éclairage se sera royal mais pour le reste!

      Sans parler de la pompe à mettre en place et les 2 bassins.

      C’est l’application du calcul de l’énergie cinétique E= 1/2 x M x V2 (la vitesse au carré).
      Sinon une super vidéo à propos de l’hydroélectricité:
      https://www.youtube.com/watch?v=71EopUDDJ04

        +1

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  • Kokoba // 06.12.2018 à 08h46

    Le plus dingue, c’est que cette demande de brevet ait été accepté.

    Quand on lit le brevet, il dit juste :
    1) On écoute les gens parler
    2) On en déduit vaguement une appartenance

    Comment peut-on accepter un brevet sur quelque chose d’aussi stupide et vague ?

      +4

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    • Arnaud // 06.12.2018 à 13h16

      Kokoba,
      C’est la société de con-sommation « New age »!
      De l’inutile au dévoyé.
      Certains, en plus des mouchards habituels(carte bleue, portable, FAI…) en veulent plus ! Au nom du High Tech, c’est tendance.
      A la dernière question, un parallèle peut être établi avec les introductions d’entreprise en bourse. Comment peut-on acheter des actions d’une entreprise ne faisant que cramer du cash pour aucun bénéfice (Tesla cars)?
      Quelle époque !

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  • Jean // 06.12.2018 à 09h10

    => Pour l’instant, les personnes qui veulent préserver leur vie privée et minimiser les risques de surveillance ne devraient pas acheter un haut-parleur du tout, a recommandé Granick. « En gros, vous installez un microphone pour que le gouvernement puisse vous écouter chez vous », déclare-t-elle.

    Le haut-parleur le plus répandue dans la population étant le smartphone, dont le microphone n’est pas uniquement utilisé par les gouvernements. Avec le Big Data et les technologies de data mining cette entité invisible et omniprésente finira par vous connaitre plus intimement que vos plus proches amis. Il n’est pas nécessaire de concrétiser le mythe de l’IA pour donner naissance au Dieu des matérialistes.

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  • Olposoch // 06.12.2018 à 10h42

    « Le casque sans fil QuietComfort 35 II est optimisé pour Amazon Alexa et l’Assistant Google. Vous pouvez donc vous divertir, rechercher des informations et gérer votre journée, le tout par commande vocale. Quel que soit votre choix, nous avons forcément la solution qu’il vous faut. Maintenez simplement la touche Action enfoncée pour obtenir de l’aide. Le casque offre toujours notre technologie de réduction de bruit hors pair, capable de bloquer les bruits et de vous laisser vous plonger au cœur de votre musique. »

    Le truc promet de vous couper du monde extérieur pour vous « plonger au cœur » avec votre « assistant » qui a « forcément la solution »…
    Prochaine étape, les capteurs directement sur l’arceau du casque?

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  • Laurent K // 06.12.2018 à 15h53

    et avec la dernière freebox qui inclue un système Alexa, nous avons droit à une nouvelle campagne de pub pour acheter des micro espions chez nous.

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  • Myrkur34 // 06.12.2018 à 20h46

    Coté accent, j’ai tellement bougé que j’ai perdu celui du Tarn alors je me suis mis à imiter le « Père Ducrasse » des Inconnus depuis un an pour attraper l’accent provençal et çà marche ! :o)
    Donc reconnaître la provenance d’une personne grâce à son accent, facilement contrable peuchère.

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