Source : The Intercept, le 10/010/2016
Glenn Greenwald
Le 10 octobre 2016
Depuis le début de l’affreuse campagne de bombardement saoudienne contre le Yémen il y a 18 mois, deux pays ont joué un rôle actif et vital rendant possible le carnage : les États-Unis et le Royaume-Uni. Les atrocités commises par les Saoudiens auraient été impossibles sans leur soutien indéfectible et agressif.
L’administration Obama « a vendu pour 115 milliards de dollars d’armes à l’Arabie saoudite au cours de ses huit années à la Maison-Blanche, plus que toute administration antérieure aux E.-U., » comme le rapporte le Guardian cette semaine, et lui fournit sa meilleure technologie en matière de surveillance. Comme le précisait The Intercept en avril, « au cours de ses cinq premières années comme président, Obama a vendu pour 30 milliards de dollars d’armes de plus que le Président Bush pendant toute la durée de ses huit années à la tête de l’État. »
Plus important encore, selon le ministre des Affaires étrangères saoudien, bien que les Saoudiens aient en dernier recours autorité pour choisir leurs cibles, « des responsables de l’armée britanniques et américains sont au centre de contrôle et de commande pour les attaques aériennes saoudiennes sur le Yémen, » et « ont accès aux listes de cibles. » En somme, alors que la campagne de bombardement est invariablement décrite dans les médias occidentaux comme « menée par les Saoudiens », les E.-U. et le R.-U. sont tous deux des acteurs centraux et indispensables. Tandis que le New York Times titrait en août : « Les États-Unis sont complices de ce carnage, » le Guardian soutenait que « la Grande-Bretagne porte une lourde responsabilité dans ces souffrances. »
Depuis le début, les Saoudiens, soutenus par les E.-U. comme le R.-U. ont aveuglément et parfois délibérément bombardé des civils, tuant des milliers de personnes innocentes. Depuis le Yémen, Iona Craig et Alex Potter ont documenté en détail pour The Intercept l’étendue des meurtres de civils causés par cette campagne de bombardement. Alors que les Saoudiens continuent de bombarder des civils inconsciemment ou intentionnellement, les armes américaines et britanniques ont continué d’affluer à Riyad, assurant la poursuite des massacres de civils. De temps en temps, quand une tuerie particulièrement horrible a fait son chemin jusqu’aux infos, Obama et divers responsables britanniques émettent une incontournable déclaration exprimant leur « inquiétude », puis retournent alimenter les attaques.
Ce week-end, alors que l’attention de l’Amérique était presque exclusivement tournée vers Donald Trump, un massacre des plus révoltants a eu lieu. Samedi, des avions de guerre ont attaqué une cérémonie d’enterrement à Sanaa, bombardant de manière répétée la salle où elle avait lieu, tuant plus de 100 personnes et blessant plus de 500 autres (voir la photo ci-dessus). La vidéo ne montre qu’une partie de la destruction et du carnage.
La vidéo montre l’attaque saoudienne en deux passes dans la salle de l’enterrement, à Sanaa, Yémen, aujourd’hui. Des centaines de tués ou blessés. Les Saoudiens nient, pas un mot des États-Unis.
Les responsables saoudiens ont d’abord menti en essayant d’imputer le massacre à « d’autres causes » mais ont fait marche arrière depuis. La prochaine fois que quelqu’un qui s’identifie au monde musulman attaque des citoyens américains ou britanniques, et que les dirigeants politiques de ces pays-là répondent à la question : « pourquoi, oh pourquoi nous détestent-ils ? » en assurant à tout le monde qu' »ils nous détestent pour nos libertés » il serait instructif de regarder cette vidéo.
Le cabinet d’Obama, par l’intermédiaire de son porte-parole Ned Price, a condamné ce qu’il appelle « la dérangeante série d’attaques frappant les civils yéménites » – attaques qu’il avait soutenues à plusieurs reprises mais cela il ne l’a pas fait remarquer – et a averti sans conviction que « la coopération entre les États-Unis et l’Arabie saoudite en matière de sécurité n’était pas un chèque en blanc. » Voilà exactement ce que c’est. Les 18 mois de bombardements soutenus par les E.-U. et le R.-U. ont, comme l’a noté le NYT ce matin, « été en grande partie un échec, tandis que les recensements de civils tués sont devenus monnaie-courante, et que le pays soit au bord de la famine. »
Il était connu depuis le début que la campagne de bombardement saoudienne s’était faite aveuglément et imprudemment, et cependant Obama et le gouvernement du R.-U. ont continué à jouer des rôles de premier plan. Un rapport de l’ONU obtenu en janvier par le Guardian « a découvert des attaques « diffuses et systématiques » sur des cibles civiles en violation du droit humanitaire international » ; le rapport a conclu que « la coalition avait conduit des frappes aériennes ciblant des civils et des biens civils, en violation du droit humanitaire international, incluant des personnes déplacées à l’intérieur du pays et des réfugiés ; des réunions de civils, incluant des mariages ; des véhicules civils, incluant des bus ; des zones résidentielles civiles ; des équipements médicaux ; des écoles ; des mosquées ; des marchés ; des usines, un entrepôt de stockage de nourriture ; et d’autres infrastructures civiles essentielles. »
Mais ce qu’on ignorait, jusqu’à un excellent rapport de l’agence Reuters par Warren Strobel et Jonathan Landay, paru ce matin, c’est qu’Obama était explicitement averti non seulement que les Saoudiens étaient en train de commettre des crimes de guerre, mais que les E.-U. eux-mêmes pouvaient légalement être considérés comme leur complice :
Selon les documents du gouvernement et les comptes-rendus d’anciens et d’actuels responsables, l’administration Obama a conclu la vente d’1,3 milliards de dollars d’armement à l’Arabie saoudite l’année dernière en dépit des avertissements de certains responsables selon lesquels les États-Unis pourraient être impliqués dans des crimes de guerre pour soutien à la campagne aérienne menée par les Saoudiens au Yémen, laquelle a tué des milliers de civils.
En privé, des responsables du département d’État restent sceptiques quant à la capacité de l’armée saoudienne de cibler les rebelles houthis sans provoquer de pertes civiles et sans détruire des bâtiments vitaux pour le Yémen, d’après des e-mails et des enregistrements obtenus par Reuters, et des interviews auprès d’une douzaine de responsables ayant connaissance de ces discussions.
En d’autres termes, on a indiqué explicitement au lauréat du prix Nobel de la paix 2009 qu’il pourrait être un collaborateur de crimes de guerre en armant une campagne qui vise délibérément des civils, et en continuant à fournir des quantités record d’armes pour aider leur poursuite. Rien de tout cela ne devrait surprendre : il serait difficile pour Obama de condamner les frappes « double-tap », comme les Saoudiens viennent de le faire [NdT. : Les “double-tap” strikes consistent à envoyer une première vague de bombardiers sur un objectif, à attendre (10 ou 20 minutes), puis à envoyer une deuxième vague, qui frappe donc les secouristes et les proches des victimes venues sur place. Cf ce rapport]— où les premiers sauveteurs et les personnes pleurant les victimes sont visés — étant donné qu’il a lui-même utilisé cette tactique, communément décrite comme une caractéristique du terrorisme. Pour leur part, les britanniques ont bloqué les enquêtes de l’UE cherchant à déterminer si des crimes de guerre ont été commis au Yémen, alors que des députés clés ont bloqué des rapports prouvant l’utilisation d’armes britanniques dans la perpétration de crimes de guerre et le ciblage délibéré de civils.
Les États-Unis et le Royaume-Uni sont les deux principaux pays qui exploitent cyniquement les droits de l’homme et les lois de la guerre pour leurs intérêts afin d’attaquer leurs adversaires. Ces derniers ainsi que leurs principaux chroniqueurs savent faire de beaux discours bien-pensants et dire comment les autres nations – ces primitifs, ces méchants là-bas – ciblent des civils et commettent des crimes de guerre. Et pourtant ils restent tous deux à se tenir fermement derrière l’un des régimes les plus brutaux et les plus répressifs au monde, l’armant jusqu’aux dents avec la pleine et irréfutable connaissance qu’ils lui permettent de faire des massacres irresponsables qui, dans de nombreux cas, visent délibérément des civils.
Et ces 18 mois d’atrocités ont à peine été mentionnés durant l’élection américaine, en dépit du rôle-clé que la candidate favorite, Hillary Clinton, a joué dans l’armement des Saoudiens, sans parler des millions de dollars que sa fondation familiale a reçus du régime saoudien. (Son opposant, Donald Trump, n’en a pas dit grand-chose, et il a lui-même reçu des millions de contributions de divers oligarques saoudiens.)
Une des raisons pour lesquelles les élites politiques et médiatiques américaines et britanniques rivalisent d’éloquence en condamnant la brutalité des ennemis de leur gouvernement est qu’elles soulignent les finalités tribales et nationalistes : c’est une stratégie visant à affaiblir leurs adversaires tout en renforçant leurs propres gouvernements. Mais le motif au moins aussi important de ces condamnations est de détourner l’attention de leurs propres crimes et massacres de guerre, ceux qu’ils rendent possibles en les soutenant.
Il y a quelques nations sur la planète qui sont crédibles lorsqu’elles condamnent des crimes de guerre et le fait de viser délibérément des civils. Les deux pays qui ont passé près de deux ans à armer l’Arabie saoudite dans ce massacre actuel de civils yéménites n’en font certainement pas partie.
Source : The Intercept, le 10/010/2016
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
Commentaire recommandé
La vidéo montre deux explosions de bombes aériennes saoudiennes
C’est plus vicieux. Je dirai (cf. infra les explications) :
La vidéo montre l’attaque saoudienne en deux passes
« Video shows double tap Saudi airstrike »
difficile pour Obama de condamner les frappes « double-tap »,
« It would be difficult for Obama to condemn “double-tap” strikes »
Les “double-tap” strikes consistent à envoyer une première vague de bombardiers sur un objectif, à attendre (10 ou 20 minutes), puis à envoyer une deuxième vague, qui frappe donc les secouristes et les proches des victimes venues sur place.
Un rapport conjoint (de 2012) de l’Université de New York et de la Faculté de Droit de Stanford sur ces sortes d’attaques est évoqué ici
= http://www.independent.co.uk/news/world/americas/outrage-at-cias-deadly-double-tap-drone-attacks-8174771.html =
=============================
le lauréat du prix Nobel de la paix 2009 a indiqué explicitement qu’il pourrait être un collaborateur de crimes de guerre
C’est le contraire, on lui a fait savoir explicitement (« was explicitly advised ») qu’il qu’il pourrait être un collaborateur de crimes de guerre.
13 réactions et commentaires
La vidéo montre deux explosions de bombes aériennes saoudiennes
C’est plus vicieux. Je dirai (cf. infra les explications) :
La vidéo montre l’attaque saoudienne en deux passes
« Video shows double tap Saudi airstrike »
difficile pour Obama de condamner les frappes « double-tap »,
« It would be difficult for Obama to condemn “double-tap” strikes »
Les “double-tap” strikes consistent à envoyer une première vague de bombardiers sur un objectif, à attendre (10 ou 20 minutes), puis à envoyer une deuxième vague, qui frappe donc les secouristes et les proches des victimes venues sur place.
Un rapport conjoint (de 2012) de l’Université de New York et de la Faculté de Droit de Stanford sur ces sortes d’attaques est évoqué ici
= http://www.independent.co.uk/news/world/americas/outrage-at-cias-deadly-double-tap-drone-attacks-8174771.html =
=============================
le lauréat du prix Nobel de la paix 2009 a indiqué explicitement qu’il pourrait être un collaborateur de crimes de guerre
C’est le contraire, on lui a fait savoir explicitement (« was explicitly advised ») qu’il qu’il pourrait être un collaborateur de crimes de guerre.
+33
AlerterL’administration Obama a vendu pour 115 milliards de dollars d’armes à l’Arabie saoudite —
Et ce type est toujours prix Nobel de la paix ? Qu’est-ce qu’on attend pour le radier ?
Au moins, le New York Times et le Guardian ont dénoncé la complicité de leurs pays respectifs dans cette guerre infâme. Rien de tel chez nous, à ma connaissance ; mais il est vrai que je ne lis plus Le Monde, Le Figaro ou Libération. Et puis, la presse des pays dirigeants peut se permettre des audaces interdites aux caniches de l’Empire.
Et surtout, en France, nous sommes tellement intelligents… Aboyer contre Bachar et Poutine, c’est classe…
Aboyer de concert avec le ministre Fabius ou Zayrault, c’est courageux…
+26
AlerterVous croyez que le prix Nobel de la paix est décerné en dehors de toute influence étatsunienne?
Pour le reste, en effet, nous avons la pire presse du monde occidental.
+8
AlerterLa pire presse du monde occidental. En dehors de l’Europe, le Brésil peut enlever le palmarès à la France.
+0
Alerter1. Toujours la même complicité criminelle.
2. Toujours le même détournement du regard.
3. Toujours le même silence assourdissant des médias.
4. Toujours la même question absurde: “pourquoi, oh pourquoi nous détestent-ils ?” .
5. Toujours notre même indifférence coupable et révoltante.de cynisme.
6. Toujours reprocher aux autres de commettre des crimes semblables aux nôtres.
7. Toujours porter le masque de l’innocence, de la vertu et du bon droit.
Toujours, mon écœurement devant cette abolition programmée et consentie de l’Homme.
+30
AlerterLes bombardements, les « tapis de bombes » selon la terminologie américaine est ce qui a de pire a vivre car il n’y a aucun moyen d’y échapper pas de « ligne de front » à l’arrière pour se reposer. Gaza en sait quelque choses, les civils ayant régulièrement dans leurs cieux ces engins de morts que sont les avions :http://strabic.fr/Sven-Lindqvist_Histoire-du-bombardement. Pour revenir à l’Irak et Syrie ne pas oublier que c’est venu avec le PNAC et le voeux des néoconservateurs de remodeler le grand moyen orient élargi à l’Afrique du Nord au Pakistan !
Voici l’avis d’un spécialiste (un énième) de cette « guerre contre les peuples » et non comme le prétends Bush et Obama la « guerre au terrorisme » : http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2016/10/28/31002-20161028ARTFIG00387-renaud-girard-apres-daech-comment-sauver-le-moyen-orient.php Obama l’homme a qui ont a offert le prix Nobel de la Paix sera le plus hait après la fin de son mandat…Mais qu’il se rassure nous n’oublierons pas les « autres » comparses européens.
+26
AlerterAllégrement serait plus exact qu’activement…Hopitaux,prisons(!),immeubles d’habitation,et même cérémonies funéraires….sans parler de la destruction systématique des réseaux d’adduction d’eau,et du blocus alimentaire et médical.Nos grands esprits humanitaires droitsdel’hommiste,s,si prompts à s’émouvoir de ce qui se passe en Syrie,ont perdu leur langue,dis donc. Néanmoins,il faut regarder un peu du côté du Liban,où un président soutenu par le hezbollah(chiite) le courant du futur(plutôt sunnite) et bien entendu une bonne partie des chrétiens à travers les Forces libanaises devrait être élu aujourd’hui…un président chrétien maronite…çà n’ l’air de rien ,mais c’est un signe encore ténu,mais réel de l’échec des tristes manoeuvres « occidentalo-golfiques » pour faire exploser définitivement la région…la portée de cette élection est donc au moins régionale.ET ce dans un pays dont un habitant sur quatre est un « réfugié »! Comme si il y avait en France 17 millions de réfugiés,en fait…Bravo le Liban!
+11
AlerterRappellez vous quand meme que dans lanpolitique libanaise le premier ministre DOIT etre sunnite le president de la republique DOIT etre chretien maronite (et il me semble le president de l assemblée chiite). Donc la religion de ces personnages n est pas importante car ces accord s sobt toujours respectés. Ce qui est umportant c est quel sunnite ou quel chrétien. Il existe des chretiens pro saoudiens et américains a mettre a la présidence. Aoun est allie au hezbollah et a la syrie (c edt un ancien ennemi de la syrie). Ce qui a change c est l accptation de aoun et de la syrue par harriri fils (pro saoud).
+9
AlerterHé ho molo , il y a aussi les AMX 56 Leclerc des UEA dans cette guerre. La France est quand même le 4eme vendeur d’Armes au monde , nous aussi on aide les musulmans à se tuer entre eux 🙂
Ce commentaire chauvin vous a été offet par : GIAT Industrie.
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AlerterC’est un gros foutoir ou les ventes d’armes n’ont strictement rien à voir avec l’éthique ou autre bonne morale ni parti pris avec telle ou telle puissance fusse-elle terroriste, victime ou que sais-je…ne mélangeons pas les sujets, les états sont « pragmatiques » – les vendeurs d’armes sont « sans foi ni lois »…et « nous » plein de naîveté …Il n’y a rien d’autre à comprendre, c’est simple en fait. La messe est dite.
+2
Alerteret nous à leur faire des ronds de jambes politiques…ses sourires hypocrites le bon de commande à la main. Bref quand je vous dis que les états sont pragmatiques ? et rien d’autre. Désolé …Bonsoir
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AlerterToutes ces infos ne démontre qu’une seule et unique chose: ce ne sont pas les politiques que ce soit Obama ou n’importe quel autre chef d’état qui gouvernent mais bel et bien les militaires, les multinationales dont le seul et unique intérêt est de faire des profits, en tuant pourquoi pas mais qu’importe puisque cela a rapporté 115 milliards … Le fric se respecte la vie humaine NON !!!!
En outre ils osent taxer les russes et Bachar de criminels de guerre, ils ne manquent pas d’air …. ils sont pires parce qu’ils sont censés libérer démocratiser et pacifier … visiblement à coup de canon et de massacres ça ne marche pas ….
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AlerterMais enfin, vous n’y pensez pas, imaginez un monde en paix et équitable, que deviendraient les riches et les militaires ? Hein ?
Non, sérieux, il faut un bac à sable pour nos chers prédateurs. Bon, ils débordent un peu les chenapans. C’est des prédateurs, il ne faut pas leur en vouloir ils sont comme ça. On se met où nous ? On cherche un coin peinard si vous connaissez.
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