Allocution de S.E. M. Frank-Walter Steinmeier, Ministre des affaires étrangères de l’Allemagne, lors du Débat général de la 70e session de l’Assemblée générale
Monsieur le Président, Excellence, Mesdames et Messieurs, mes chers collègues,
Il y a soixante-dix ans, la lumière revenait dans la nuit du XXème Siècle avec la création des Nations Unies, cela a été un moment clef dans le monde. Mais cela ne s’est pas passé dans un paysage où le soleil éblouissant se levait sur de verts pâturages. Cela s’est fait sur les ruines de la deuxième Guerre Mondiale, sur plus de cinquante millions de tombes, alors que l’hiver de la Guerre Froide jetait son souffle glacé. C’est à ce moment-là que les mères et pères des Nations Unies ont forgé les fondations du nouvel ordre. Un ordre qui n’est pas parfait, mais qui a assez souvent protégé d’une récidive, et de retomber dans la vieille barbarie.
Aujourd’hui, soixante-dix ans après, il est clair que nous vivons en période de turbulences. Des millions de personnes sont durement touchées par la guerre et la violence, plus de soixante millions de personnes ont fui leur maison, plus qu’on n’en a jamais connu depuis la fin de la deuxième Guerre Mondiale.
Les fondements des Nations Unies sont toujours forts mais l’ordre mondial qui s’est construit dessus n’y est plus amarré solidement.
L’ancien équilibre du pouvoir est remis en question. De nouveaux acteurs très importants apparaissent sur la scène mondiale, et surtout, ce sont de plus en plus des acteurs non étatiques qui se rendent responsables de la guerre et de la violence ; une guerre et une violence qui ne connaissent aucune règle, pas même les normes minimum qui sont celles du Droit International de la Guerre.
Nous devons de tout urgence créer des contreforts et des piliers de façon à ce que l’ordre qui s’appuie sur les Nations Unies puissent essuyer les tempêtes de notre époque. Quelles formes doivent revêtir ces nouveaux piliers ? A quoi ressemblera l’ordre du monde de demain ? Je ne pense pas qu’il existe une réponse théorique à cette question. La seule réponse est une réponse pratique. Tout comme la charte des Nations Unies a été adoptée pour répondre de façon audacieuse à la guerre et aux souffrances, aujourd’hui, nous devons construire de nouveaux piliers si nous voulons que les états assument leurs responsabilités et, ensemble, recherchent des réponses concrètes aux crises d’aujourd’hui : celles de la pauvreté du sous-développement, des réfugiés de la migration, de la dévastation de la guerre civile en Syrie, et des états faillis sur tout l’arc des crises, l’arc qui va de la Libye à l’Afghanistan, l’extrémisme religieux, le terrorisme et les atrocités commises par ceux qui se sont baptisés « Etat Islamique ».
Toutefois, Mesdames et Messieurs, il existe une différence fondamentale entre maintenant et la situation qui prévalait il y a soixante-dix ans : le monde d’aujourd’hui n’a jamais été aussi interconnecté. Les frontières deviennent floues. A l’ère de la mondialisation, on entend dire ici et là que le monde est un village.
Mes chers collègues, si tel est le cas, alors nous sommes tous voisins, auquel cas je voudrais nous conseiller d’agir comme des bons voisins. Nos horizons sont très différents, nos traditions religieuses, nos valeurs et nos visions du monde sont différentes. Cette diversité, il faut la respecter. Il n’y a aucune vision du monde qui vaut mieux que les autres. Mais je ne connais aucune culture dont les peuples ne sachent pas ce que veut dire être un bon voisin, où les gens n’apprécient pas de vivre en bons voisins. Personne n’investit [autant] d’espoir dans ces relations de bon voisinage à l’heure actuelle que les millions de femmes, d’enfants et d’hommes qui ont fui leur foyer.
Mon pays a assumé ses responsabilités ses derniers mois. Depuis le début de l’année, nous avons accueilli six cent mille réfugiés. Actuellement, il y en a dix mille qui arrivent chaque jour. Ces chiffres montrent bien que même nous, nous ne pouvons pas être tous seuls à la hauteur de la tâche sur le long terme et nous avons besoin d’une solution européenne. Une solution en outre qui exploite la coopération étroite avec nos voisins autour de la Méditerranée, surtout la Turquie. Deuxièmement, les agences d’aides des Nations Unies, le HCR, le programme alimentaire mondial, (inaudible à 5’32), tous aident ceux qui sont dans le besoin, sur place sans intermédiaire, et il est scandaleux que ces organisations soient tellement sous financées qu’elles aient dû réduire leurs rations alimentaires et médicales.
J’ai donc rencontrés les organisations du G7 et les autres partenaires avant-hier et j’ai le plaisir de vous annoncer que ensemble, nous avons réussi à collecter 1,8 milliards de dollars supplémentaires, dont plus de deux cent millions ont été offerts par l’Allemagne aux agences d’aide aux nations Unies. Cela devrait également soulager la charge pour les pays voisins vers lesquels s’acheminent l’écrasante majorité des réfugiés. Je pense plus particulièrement à la Turquie, au Liban et à la Jordanie. Eux aussi ont besoin de notre aide de façon à ce qu’un exode n’en déclenche pas un autre.
Mais les relations de bon voisinage, ce n’est pas juste, Monsieur le Président, l’humanité et la compassion. Cela présuppose que nous nous entendions sur des règles communes, auxquelles nous nous obligeons à obéir. Cela comprend le respect des frontières mutuelles et de la souveraineté des autres. Cette norme fondamentale est toujours violée, même en Europe.
En tant qu’Union Européenne, nous avons condamné à l’unanimité l’annexion de la Crimée par la Russie ainsi que les opérations dans l’est de l’Ukraine. Et nous avons répondu, et pas seulement en condamnant et en isolant, mais en lançant également un processus politique pour atténuer le conflit. L’OSCE a joué un rôle indispensable dès le départ dans ce processus.
Nous souhaitons renforcer l’OSCE en tant qu’institution de la sécurité commune lorsque l’année prochaine, l’Allemagne va en assumer la présidence.
Et Monsieur le Président, cela aussi, cet acte de responsabilité politique active fait partie des relations de bon voisinage. Un quartier dans lequel personne ne regarde au-delà du portail de son jardin ne vaut pas la peine qu’on y vive, ou ce ne sera pas vivable pendant longtemps. Il faut que les gens regardent car il y a beaucoup de conflits qui ne peuvent être résolus que ensemble par la diplomatie multilatérale. Il faut pour cela du temps et de la persévérance, mais cela marche.
L’été dernier, les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité plus l’Allemagne ont conclu un accord avec l’Iran. Après plus de dix années de négociation, non seulement nous avons réussi à une situation où l’Iran ne sera jamais dotée d’une bombe atomique, quelque chose que nous pourrons vérifier, mais les négociations ont également amené à la table des négociations notamment la Russie et les Etats-Unis. Ces négociations ont donc fait la preuve que des voisins peuvent ne pas s’aimer, mais peuvent quand même trouver des solutions. Ils doivent le faire sinon, il devient insupportable pour les deux de vivre côte à côte.
Cet accord, donc, a créé un terrain commun sur lequel il sera possible de bâtir la sécurité au Moyen Orient, et cela sera possible si nous continuons d’y œuvrer.
Toutefois, Monsieur le Président, les réalités sont légèrement différentes. En Syrie, le carnage semble ne pas connaître de fin et nous n’y mettrons un terme que si nous agissons ensemble. Nous devons mettre un terme à la brutalité de la dictature d’Assad, on l’a vu avec l’utilisation qu’il a faite des barils explosifs et de la torture. Nous devons casser le contrôle de l’Etat Islamique et nous devons faire taire les armes en Syrie et enfin permettre l’accès humanitaire aux populations qui y vivent.
Mais nous avons également des objectifs communs, celui de préserver l’intégrité territoriale de la Syrie, de ramener des conditions permettant à tous les groupes ethniques et religieux de vivre en paix les uns avec les autres et avec les pays qui sont leurs voisins. Voilà des objectifs dans lesquels croient tous les acteurs, quelles que soient les différences entre les Etats-Unis et la Russie, entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, etc. et autres acteurs de la région.
Nous disposons d’ores et déjà d’une base commune d’actions pour atteindre ces objectifs, ici même, à l’ONU. J’ai nommé la résolution 21-39 du Conseil de Sécurité. Nous devons maintenant l’appliquer ensemble et avec toutes les parties prenantes pour atténuer ce conflit.
J’en appelle aux parties prenantes en Syrie, dans les pays voisins de la Syrie, mais pas seulement. Nous avons des décisions qui ont été prises unilatéralement par la Russie récemment qui a engagé des opérations militaires en Syrie, mais maintenant, nous avons besoin que la Russie prenne des mesures politiques et promeuve une transition en Syrie. Cela contribuerait d’une façon importante de sortir de l’impasse, une impasse qui est meurtrière puisque chaque jour, des gens perdent la vie.
C’est amusant, il y a un génocide au Congo, et tout le monde s’en moque à l’évidence… L’Occident vit désormais au rythme de la Syrie.
Au risque de me répéter, je voudrais souligner que, s’agissant d’une catastrophe humanitaire de l’ampleur de celle de la Syrie, nous sommes tous voisins. C’est ce que nous devons toujours rappeler à nous, et c’est ce qui doit sortir de nos démarches diplomatiques. Il n’y aura pas de solution militaire. Aucune soi-disant vérité éternelle, ou soi-disant intérêts nationaux ne doivent faire obstruction et entrave à l’effort de faire le premier pas pour atténuer le conflit en Syrie.
En ces périodes troublées, mes chers collègues, l’idée de bonnes relations de voisinage dans le monde ne serait qu’un rêve s’il n’y avait pas un toit sous lequel, pendant des décennies, nous avons pratiqué les relations de bon voisinage. Aujourd’hui, nous avons plus besoin que jamais de l’Organisation des Nations Unies. Nous avons besoin qu’elle soit légitime et réactive. C’est la raison pour laquelle l’Allemagne fait campagne pour la réforme de l’organisation et du Conseil de Sécurité. C’est la raison pour laquelle nous travaillons avec d’autres à de grands projets mondiaux. Nous avons travaillé aux objectifs du développement durable très ambitieux contenu dans le programme à l’horizon 2030 qui vient d’être adopté et nous avons également travaillé à un objectif encore plus ambitieux, celui de la lutte contre les changements climatiques, que nous espérons bien adopter ensemble à Paris au mois de décembre.
L’ONU est un cadre, un toit qui abrite nos efforts mondiaux, mais il y a bien des niveaux selon lesquels le travail doit se faire. Nous, Allemands, nous pensons que nous devons avancer dans la coopération régionale au sein de l’Union Européenne et de l’OSCE et en coopération avec d’autres organisations régionales, par exemple, la (inaudible 13’20) de l’Union Africaine et d’autres. Deuxièmement, nous souhaitons rétablir et stabiliser les structures de l’Etat sur l’arc des crises qui va de la Libye à l’Afghanistan en passant par l’Irak et troisièmement, et surtout que nous présidons le Conseil des Droits de l’Homme, nous nous faisons les champions des Droits de l’Homme car aucun ordre politique ne peut durer si les droits ne sont pas assurés.
Pour conclure, mes chers collègues, Monsieur le Président, je voudrais revenir à la création des Nations Unies il y a soixante-dix ans. Ce fut un moment magnifique, certes, mais il doit également nous inspirer l’humilité, à moi en tant qu’Allemand, car la charte des Nations Unies, partiellement, était la réaction de l’humanité à la guerre, à l’inhumanité qui était partie de mon pays. Tout au long des sept décennies qui se sont écoulées depuis, fort heureusement l’Allemagne, progressivement, est sortie de cette situation et petit à petit est rentrée dans le cœur des nations, et nous en sommes reconnaissants, nous, Allemands. Mais nous sommes conscients de la responsabilité que cela implique pour nous. Lorsque Willy Brandt en 1969 est devenu chancelier fédéral de l’Allemagne, il a dit : « Nous, Allemands, nous voulons être un peuple de bons voisins ». A cette époque, l’Allemagne était encore divisée, et ces paroles avaient été conçues comme un geste de réconciliation à l’attention de la Pologne, de la France et des autres voisins européens qui avaient tant souffert du fait des Allemands.
Aujourd’hui, Mesdames et Monsieur, lorsqu’une famille syrienne à Berlin me décrit ce qu’elle a vécu, la guerre, l’expulsion, ces paroles de Willy Brandt revêtent une nouvelle signification. Aujourd’hui le monde est plus petit mais les crises ne sont pas moins nombreuses et le moment est venu pour nous de redire encore une fois que nous, Allemands, nous voulons être un peuple de bons voisins pour ceux qui sont proches et lointains.
Je vous remercie.
Source : ONU 07/2015, transcrit par les lecteurs du blog www.les-crises.fr
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« En tant qu’union européenne », il parle de son pays ? C’est impressionnant, le ministre de l’Allemagne des Affaires Etrangère qui parle de de son Union, Reich, ca aurait fait mauvais effet, trop connoté.
4 réactions et commentaires
Il est vraiment intéressant d’avoir accès à tous ces discours de ministres qui, tous, sous couvert de bonnes intentions essaient de distiller de la désinformation sous toute les formes.
Il serait très amusant de composer un discours qui requiert l’accord de tous les pays … je peux m’avancer sans peine dans l’essai d’un résultat final : « Mesdames et Messieurs, l’ONU ouvre sa 70e session. Merci de votre attention. » (quoique je ne suis pas sûr du dernier mot ;o)
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Alerter« En tant qu’union européenne », il parle de son pays ? C’est impressionnant, le ministre de l’Allemagne des Affaires Etrangère qui parle de de son Union, Reich, ca aurait fait mauvais effet, trop connoté.
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AlerterSon Excellence Frank-Walter Steinmeier?
Posez donc la question au sujet de cette excellence à Murat Kurnaz qui a été interné sans accusation de janvier 2002 à août 2006 à Guantanamo Bay. Selon les autorités étatsuniennes, Kurnaz aurait pu être libéré au cours de l’année 2002 (les allégations d’appartenance à la mouvance terroriste ayant été infirmées). Les autorités allemandes n’ont jamais demandé la libération du citoyen turc Kurnaz (né à Brême, il y a toujours résidé). Sa potentielle libération aurait été activement empêchée par l’excellent chantre des Droits de l’Homme Walter-Frank Steinmeier qui était en fonction de Chef de la Chancellerie fédérale allemande du gouvernement Schröder (le Richelieu de Schröder, si l’on veut bien essayer d’évaluer son influence aussi bien sur le Chancelier que sur l’administration fédérale et certainement aussi sur celle des Länder).
Pour ceux qui pratiquent l’Allemand: https://de.wikipedia.org/wiki/Murat_Kurnaz (saine lecture)
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Alerterencore un qui n’aborde pas le problème palestino-israëlien et toutes les décisions de l’ONU bafouées, et de plus en plus actuellement.
Il n’y a pas à chercher les problèmes si loin que ça. Pétrole et palestiniens.
Mais il est vrai que c’est un peu difficile pour lui d’intervenir là-dessus.
Hollande le signale au passage dans une simple petite phrase neutre.
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