Source : The Intercept, Glenn Greenwald, 31-08-2018
Glenn Greenwald
31 août 2018
L’élection présidentielle du 7 octobre au Brésil approche à grands pas, et son aspect le plus remarquable est peut-être le manque total de clarté quant au résultat prévisible. Le cinquième pays le plus peuplé du monde est embourbé dans tant de crises durables et enracinées – économiques, politiques, judiciaires, culturelles et des affaires de corruption sans fin – que toutes les règles antérieures pour comprendre la dynamique politique semblent obsolètes. C’est pour cette raison, et pour plusieurs autres, que la dynamique de la course présidentielle brésilienne revêt une importance internationale : elle illustre le chaos et l’extrémisme qui peuvent s’ensuivre lorsqu’une grande partie de la population, pour des raisons valables, perd toute confiance dans les institutions du pouvoir et dans la classe politique.
Mêlée à toutes ces crises, il y a une colère persistante et des regrets croissants : en 2016, la présidente élue de centre-gauche Dilma Rousseff a été destituée en faveur d’une coalition de centre-droit qui s’est avérée être criminellement corrompue, dirigée par un président en place Michel Temer (photo ci-dessus). Celui-ci a été surpris dans un enregistrement en train d’ordonner des pots-de-vin pour réduire des témoins au silence, mais il a été protégé de poursuites par le même congrès qui a destitué Dilma au motif de combattre la corruption. Temer est maintenant, de très loin, le président le plus impopulaire de l’histoire du Brésil.
Le chef du parti de centre-droit qui a été soutenu par l’establishment lors des élections de 2014 et a presque battu Dilma, le sénateur Aécio Neves, a depuis été pris en flagrant délit de corruption et a même suggéré des violences contre des témoins. Déshonoré, même au sein de son propre parti, Neves se présente pour un siège à la Chambre basse juste pour ne pas être emprisonné (les législateurs fédéraux au Brésil sont immunisés contre les poursuites pénales pendant leur mandat), et a récemment lancé cette campagne désespérée devant une foule de 20 personnes. Pendant ce temps, par une cruelle ironie, Dilma se présente pour le siège sénatorial qu’Aécio a été forcé de quitter, et les sondages montrent qu’elle est susceptible de gagner (à condition que sa candidature ne soit pas interdite par la justice).
Ajoutez à cela le fait curieux que le candidat clairement en tête des sondages – Lula, l’ancien président à deux mandats du pays – est pratiquement certain de voir sa candidature judiciairement interdite parce qu’il est actuellement en prison après une condamnation pour corruption criminelle : le résultat d’un processus judiciaire que même plusieurs de ses critiques qui le croient corrompu, considèrent comme un procès en appel très vicié et à motivation politique. Si Lula se présentait, il est presque certain qu’il gagnerait.
Tentant de tirer parti de cette popularité, le Parti du travail de Lula (PT) continue de prétendre qu’il sera leur candidat, espérant qu’une fois qu’il sera interdit par les tribunaux, comme tout le monde le sait, il pourra utiliser sa colère pour oindre l’ancien maire de São Paulo Fernando Haddad, maintenant officiellement le candidat à la vice-présidence de Lula. Mais il y a de forts doutes quant à savoir si Lula aura le pouvoir – à partir d’une cellule de la prison de Curitiba, où il ne peut donner d’interviews à la presse – de transférer sans problème ses votes au candidat choisi qui ne jouit ni du charisme unique de Lula ni de la notoriété nationale de son nom.
Toute cette confusion et cette incertitude ont créé une énorme opportunité pour un membre fasciste du Congrès, l’ancien capitaine de l’armée Jair Bolsonaro, que les médias occidentaux appellent souvent « le Trump du Brésil » mais qui est, en fait, bien plus proche du président des Philippines Rodrigo Duterte ou même de Abdel el-Sisi en Égypte, pour son amour du régime militaire, sa violence sans discrimination, sa torture et ses exécutions sommaires. L’opinion générale est que les 20 % des voix de Bolsonaro suffiront à l’amener au second tour, mais que ses taux de désapprobation élevés lui feront perdre contre tous ceux qui l’accompagneront (un peu comme la dynamique de Marine Le Pen en France). À l’époque de Trump et du Brexit, cette confiance est mal placée, mais même si Bolsonaro n’entre pas au Palais présidentiel cette année, il exercera une influence significative avec son soutien de 20% et ses trois fils tout aussi fascistes dans des postes officiels, dont l’un est actuellement au Congrès et l’autre en route pour le Sénat fédéral cette année.
On s’attend généralement à ce que Bolsonaro parvienne au second tour (le seul candidat qui puisse l’arrêter – le gouverneur de centre droit, entaché de corruption, soutenu par les institutions et sans charisme, Geraldo Alckmin, a stagné pendant toute une année malgré tous ses avantages institutionnels). La vraie course est donc pour la deuxième place : tout le monde désire être l’alternative à Bolsonaro, derrière lequel tous les non-extrémistes vont vraisemblablement se rassembler.
L’un des principaux candidats à cette deuxième place est Ciro Gomes du Parti démocratique du travail (PDT), un homme politique assez à gauche qui insiste, pour des raisons stratégiques, pour être désigné comme « centre-gauche ». Gomes est un paradoxe remarquable à bien des égards. D’une part, il a été aux plus hauts niveaux de la politique brésilienne pendant des décennies – en tant que maire, gouverneur du Ceará, un État vaste et pauvre du nord-est, ministre sous deux administrations présidentielles précédentes, dont le premier mandat réussi de Lula – mais il a le comportement et est largement perçu comme un outsider et un peu comme un rebelle. Il est aussi extrêmement érudit et instruit, professeur de droit constitutionnel qui a étudié à Harvard, tout en se présentant comme un « homme du peuple » qui parle franchement et qui est devenu célèbre dans les médias conservateurs du Brésil pour son comportement et son tempérament « non présidentiel ».
Malgré tout ce chaos, les sondages ont été remarquablement stables au cours des derniers mois. Sans Lula, Bolsonaro est le leader incontesté avec environ 20 à 22% des voix, tandis que la deuxième place (de l’ordre de 8 à 10%) a été occupée conjointement par Gomes et Marina Silva (photo ci-dessous), difficile à positionner idéologiquement, cette écologiste évangélique noire de l’Amazonie dont l’histoire personnelle est remarquable (elle a grandi dans la grande pauvreté), elle était analphabète jusqu’à l’âge de 16 ans, puis est devenue une professeure d’université très efficace et experte en politique qui a œuvré comme ministre de l’Environnement sous Lula mais, après son élimination avant le second tour des élections présidentielles en 2014, a donné son aval à Aécio au lieu de Dilma). Gomes et Silva se sont déjà présentés deux fois à la présidence.
Au cours du week-end à São Paulo, je me suis assis avec Gomes pour une vaste interview sur la dynamique politique du Brésil, ses différentes crises, la situation avec Lula et l’enquête sur la corruption, et d’autres questions sociales controversées comme la décriminalisation de la drogue, les inégalités de genre et le fait de sensibiliser les enfants dans les écoles publiques à l’homophobie et l’égalité LGBT. Nous avons également discuté des similitudes entre le climat politique du Brésil et son évolution croissante vers l’extrême droite avec ceux de l’Europe et des États-Unis.
Nous avons monté l’interview sous-titrée en anglais dans une vidéo de 15 minutes qui présente les discussions les plus pertinentes pour un public international, précisément parce que l’élection du Brésil – en plus d’être intrinsèquement importante en raison de la taille même du pays – offre un aperçu des défis des démocraties occidentales. Nous ferons de même pour les autres interviews des candidats brésiliens à la présidence, y compris celle que j’ai faite précédemment avec le candidat socialiste de gauche Guilherme Boulos du parti PSOL.
Quoi que l’on puisse penser de lui, Gomes est un penseur très perspicace et lucide, et ses réponses offrent un aperçu non seulement des élections brésiliennes mais aussi des défis du libéralisme et de la démocratie en général dans le monde occidental :
Source : The Intercept, Glenn Greenwald, 31-08-2018
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Commentaire recommandé
Les élections truquées ne sont pas un monopole brésilien, on ne doit pas oublier qu’en 2017 les « affaires » ayant émergé -comme par hasard- au bon moment ont favorisé l’élection de Macron.
Le responsable n’a jamais été nommé, même si on nous répète à l’envi que la parquet est indépendant, chacun sait que ce dernier est aux ordres de l’exécutif, n’est ce pas Mr Hollande ?
2 réactions et commentaires
Les élections truquées ne sont pas un monopole brésilien, on ne doit pas oublier qu’en 2017 les « affaires » ayant émergé -comme par hasard- au bon moment ont favorisé l’élection de Macron.
Le responsable n’a jamais été nommé, même si on nous répète à l’envi que la parquet est indépendant, chacun sait que ce dernier est aux ordres de l’exécutif, n’est ce pas Mr Hollande ?
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Alerterle Brésil donc…pays devenu strictement mafieux. Aux mains d’une camarilla sans foi,ni loi…une violence au quotidien qui passe l’imagination. Des milices privées comme s’il en pleuvait. Une prostitution « ordinaire » qui dégouterait le plus endurci..les hommes politiques d’origine libanaise,comme moi,n’y sont pas pour rien..les Temer,les Haddad et les Maalouf et j’en passe. ces gens là représentent ce qu’il y a eu de pire dans l’émigration libanaise…beurk.
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