La décision de la Haute Cour anglaise ouvrant la voie à l’extradition compliquera encore plus la tâche des journalistes qui souhaitent demander des comptes aux États-Unis.
Source : Middle East Eye, Jonathan Cook
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Vendredi, la Haute Cour anglaise a ouvert la voie à l’extradition du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, vers les États-Unis et à son procès pour la publication de centaines de milliers de documents, dont certains contenaient des preuves de crimes de guerre commis par les États-Unis et la Grande-Bretagne en Irak et en Afghanistan.
La décision a annulé un jugement rendu en janvier par une juridiction inférieure qui avait bloqué l’extradition, mais uniquement pour des raisons humanitaires : Assange courrait un risque grave de suicide en raison des conditions oppressives de sa détention aux États-Unis.
L’Australien de 50 ans risque une peine pouvant aller jusqu’à 175 ans d’emprisonnement s’il est reconnu coupable.
Amnesty International a qualifié cette décision de « parodie de justice », tandis que Rebecca Vincent, de Reporters sans frontières, a déclaré sur Twitter qu’il s’agissait d’une décision « épouvantable » qui « marque un moment sombre pour les journalistes et le journalisme dans le monde. »
Les avocats d’Assange ont déclaré qu’ils feraient appel de la décision devant la Cour suprême. Mais la lutte pour la libération d’Assange, même si elle est finalement couronnée de succès, risque de durer encore de nombreuses années.
Le fondateur de WikiLeaks a déjà passé plus d’une décennie sous diverses formes d’incarcération : assignation à résidence, asile politique et, depuis début 2019, isolement dans la prison de haute sécurité de Belmarsh à Londres.
Le préjudice de cette détention est énorme, selon Nils Melzer, professeur de droit et expert des Nations Unies sur la torture. Il a averti à plusieurs reprises qu’Assange souffrait des effets d’une « exposition prolongée à la torture psychologique. »
Sa famille et ses amis l’avertissent qu’il est régulièrement désorienté par des faits élémentaires. Lors d’une audience, il a même visiblement eu du mal à se rappeler son nom et son âge.
Crimes de guerre
Les raisons de la détention d’Assange ont changé plusieurs fois au fil des ans : d’une enquête initiale sur des crimes sexuels présumés en Suède, à une violation de la liberté sous caution au Royaume-Uni, et plus récemment à l’espionnage.
Mais la présence de la sécurité nationale américaine n’a jamais été très loin. Les partisans d’Assange affirment que Washington a discrètement influencé les événements, ne montrant sa main directement que lorsqu’il a lancé la demande d’extradition en 2019.
Il était clair dès le départ que les arguments avancés par les États-Unis pourraient avoir d’énormes implications pour l’avenir du journalisme et sa capacité à demander des comptes aux États puissants. Et pourtant, les audiences n’ont fait l’objet que d’une couverture superficielle, notamment de la part des médias britanniques.
La demande d’extradition repose sur l’affirmation des États-Unis selon laquelle Assange s’est livré à des actes d’espionnage en publiant des centaines de milliers de documents ayant fait l’objet de fuites en 2010 et 2011 avec des partenaires très en vue tels que le New York Times, le Washington Post, le Guardian, El Pais et Der Spiegel. Dénommées archives de guerre en Irak et en Afghanistan, ces documents montrent que l’armée américaine a commis des crimes de guerre dans ces pays, tué des non-combattants et pratiqué la torture.
Les États-Unis voulaient clairement s’assurer qu’une telle fuite ne se reproduirait pas.
Le problème est le suivant : si Assange peut être emprisonné pour avoir fait du journalisme, pourquoi pas aussi les rédacteurs en chef des journaux dans lesquels il publie ? Enfermer les dirigeants du New York Times, du Guardian et de Der Spiegel n’aurait jamais été une bonne idée.
C’est précisément cette difficulté qui a retenu l’attention des responsables de l’administration de Barack Obama. Ils se sentaient acculés par le Premier amendement.
Mais sous Donald Trump, les réticences ont été rapidement levées. Les fonctionnaires de son ministère de la Justice ont fait valoir qu’Assange était un pirate informatique, pas un journaliste.
Partant de ce principe, ils se sont sentis libres de redéfinir comme de « l’espionnage » le nouveau journalisme de sécurité nationale basé sur le numérique dont Assange et WikiLeaks sont les pionniers.
Pour ce faire, ils se sont tournés vers la loi sur l’espionnage de 1917, un texte draconien de la Première Guerre mondiale qui donnait au gouvernement le pouvoir d’emprisonner les critiques.
C’était une décision lourde de conséquences. Les responsables de la justice de Trump revendiquaient en fait un nouveau type de compétence universelle : le droit de juger Assange, même s’il n’est pas citoyen américain et n’est pas accusé d’avoir commis les actes en question sur le sol américain.
Les tribunaux anglais se sont maintenant attiré la rancœur en semblant donner leur assentiment à la persécution politique. Les critiques craignent que ce précédent signifie que n’importe quel journaliste du Royaume-Uni pourrait désormais être traîné aux États-Unis pour y être poursuivi s’il cause suffisamment d’embarras à Washington.
Susciter des soupçons
Assange et ses partisans affirment que les arguments juridiques de la procédure d’extradition n’ont jamais été qu’une façade. Selon eux, de nombreux indices montrent que les États-Unis cherchent à se venger d’Assange et non à obtenir justice.
Il y a dix ans, bien avant que les États-Unis ne se battent ouvertement pour mettre la main sur Assange, celui-ci était confronté à une autre bataille d’extradition – cette fois avec un procureur suédois – dans le cadre d’une enquête sur des allégations d’agression sexuelle. C’est à cette époque qu’Assange s’est réfugié à l’ambassade de l’Équateur à Londres pour demander l’asile politique.
La disparition de chaînes d’e-mails entre le Crown Prosecution Service (CPS) [Service des poursuites de la couronne,, NdT] britannique et la Suède à cette époque a fait naître des soupçons selon lesquels tout n’était pas ce qu’il semblait être.
Quelques-unes ont subsisté, et suggèrent qu’une pression supplémentaire était exercée.
Un procureur du CPS a écrit à son homologue suédois en 2011 : « S’il vous plaît, ne pensez pas que cette affaire est traitée comme une autre extradition. » L’année suivante, alors que la Suède semblait se préparer à abandonner l’enquête contre Assange, le même avocat britannique a répondu : « Ne vous avisez pas de vous dégonfler ! »
Des mesures ont été prises contre Assange aux États-Unis aussi. En 2011, un grand jury a été réuni à huis clos dans le district Est de la Virginie pour rédiger un acte d’accusation. L’endroit n’était pas un hasard. Ce district de Virginie est celui où la plupart des agences de renseignement américaines ont leur siège.
Poursuivi par Washington
Mais les gants sont vraiment tombés après l’arrivée de Trump à la Maison Blanche. La CIA est entrée dans la mêlée, son directeur de l’époque, Mike Pompeo, qualifiant WikiLeaks de « service de renseignement hostile non étatique. »
En fait, en 2017, la CIA a lancé une « guerre secrète » contre Assange, selon une enquête de Yahoo News publiée en septembre. L’agence a diversement comploté pour empoisonner Assange et le kidnapper alors qu’il se terrait dans l’ambassade équatorienne. Selon le rapport, la CIA a proposé de s’emparer de l’Australien et de le faire passer clandestinement aux États-Unis, en écho aux programmes de « restitution extraordinaire » utilisés par l’agence dans la « guerre contre le terrorisme. »
L’opération de rapt aurait comporté des dispositions pour une éventuelle fusillade dans les rues de Londres.
Par ailleurs, il a été rapporté que la CIA avait également mis l’ambassade sur écoute pendant le séjour d’Assange par l’intermédiaire d’une société espagnole engagée par l’Équateur pour assurer sa sécurité. Cela aurait été fait à l’insu de l’Équateur.
Une telle opération violait la souveraineté territoriale de l’Équateur. Mais pire encore, en écoutant les entretiens confidentiels d’Assange avec ses avocats, alors qu’il se préparait à livrer la bataille d’extradition hautement politisée qu’il savait à venir, la CIA a souillé la légalité de ce processus même.
En fait, on peut affirmer avec force que les tribunaux britanniques auraient dû rejeter l’affaire d’extradition pour ces seuls motifs.
Et pourtant, en dépit de tout ça, la Haute Cour anglaise a statué vendredi en se déclarant satisfaite des « assurances » relatives au bien-être d’Assange qui serait protégé s’il était extradé vers les États-Unis.
Il se peut que les juges britanniques soient convaincus par ces assurances. Mais ce n’est certainement pas le cas pour beaucoup d’autres, dont Assange.
Source : Middle East Eye, Jonathan Cook – 10-12-2021
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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1 réactions et commentaires
NON, cette sinistre affaire sera vite oubliée, encore plus vite que les révélations sur les crimes ignobles commis en toute connaissance de cause par les autorités US.
Et pour ce faire, nos « grands journalistes » nous inonderont de reportages sur les chiens écrasés (pauvres bêtes) ou des « reportages chocs » sur l’abominable poutine mangeur d’enfants.
Ce qui se traduira par une amnésie généralisée de l’ensemble de la population lobotomisée pour le plus grand profit des oligarques qui dirigent sournoisement les états.
Leur plus grande frayeur concerne simplement le fait qu’un jour un VRAI journaliste vraiment indépendant (façon Assange) parvienne à publier des informations incontestables, documentées et sourcées qui mettraient l’ensemble de la population en mode « Ah ça ira, ça ira, ça ira, les ploutocrates à la guillotine ! ».
Donc ils se débrouillent, avec la complicité des dirigeants (« élus » ou non – les « hauts fonctionnaires ») de laminer tous ceux qui souhaiteraient dévoiler la vérité afin de terroriser tous ceux qui pourraient ensuite avoir des idées « incongrues ».
Ils sont parvenus, avec l’aide de TOUS les gouvernants d’états centralisés, même les plus « à gauche », à se débarrasser des anarchistes empêcheurs de se goinfrer tranquilles et ils ne souhaitent surtout pas que la population ait connaissance de l’hypocrisie des démocrassies et bascule à nouveau, mais dans son intégralité cette fois, dans un anarchisme qui ne leur laisserait aucune porte de sortie sinon la mort.
Le contrôle de l’information est bel et bien le moteur des régimes dictatoriaux actuels.
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