Après l’élection du fils du dictateur Marcos aux Philippines, Washington va-il continuer les livraisons d’armes ?

Washington pense gagner un partenaire contre la Chine, mais le nouveau président s’est engagé à poursuivre le règne cruel de Duterte. Le jeu en vaut-il la chandelle ?

Source : Responsible Statecraft, Nick Clevelant-Stout
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Photo d’archive : Le candidat à la présidence des Philippines Ferdinand « Bongbong » Marcos Jr, fils du défunt dictateur Ferdinand Marcos, prononce un discours lors d’un meeting de campagne à Lipa, dans la province de Batangas, aux Philippines, le 20 avril 2022. Eloisa Lopez//Photo d’archive

Lors d’une élection historique, Ferdinand Marcos Jr, plus connu sous le surnom « Bongbong », a été élu pour un mandat de six ans à la présidence des Philippines.

Il ne fait aucun doute que le retrait de l’actuel président Rodrigo Duterte, qui a souvent causé des maux de tête à la Maison-Blanche, sera accueilli avec un certain soulagement à Washington. Toutefois, il y a peu de raisons de croire que le successeur de Duterte sera le « rempart démocratique » souhaité par Biden. La politique de Washington envers les Philippines était contre-productive sous Duterte et le restera probablement sous Bongbong Marcos, à moins que Biden ne change de braquet.

Le nom de famille de Marcos vous est peut-être familier : son père, Ferdinand Marcos, était le célèbre ancien dictateur des Philippines, connu pour son régime brutal qui a torturé au moins 34 000 personnes et commis au moins 3 200 exécutions extrajudiciaires, tout en obtenant le record mondial du « plus grand vol commis par un gouvernement » pour avoir détourné jusqu’à 10 milliards de dollars des Philippines. Lorsqu’il a finalement été renversé par un soulèvement populaire, il a trouvé refuge à Hawaï.

Lorsque Duterte a été élu en 2016, beaucoup ont établi des comparaisons entre lui et Marcos Sr. La politique emblématique de Duterte, la guerre contre la drogue, présente une certaine ressemblance avec la loi martiale sous Marcos Sr, faisant jusqu’à 30 000 morts, les propres données du gouvernement estimant à plus de 6 190 le nombre de personnes tuées dans des opérations de police entre 2016 et 2021. La campagne anti-insurrectionnelle de la terre brûlée de Duterte sur l’île de Mindanao a également entraîné le déplacement interne de près d’un demi-million de personnes.

Même si Duterte n’a pas officiellement soutenu de candidat, il a contribué à ouvrir la voie à l’ascension de Bongbong Marcos. Ce dernier a été soutenu par le parti de Duterte, le PDP-Laban, et a même cherché à faire de Duterte son colistier avant de nommer sa fille, Sarah Duterte Carpio, à la place. Bongbong Marcos s’est engagé à poursuivre la guerre de Duterte contre la drogue – en mettant toutefois davantage l’accent sur la prévention – et à protéger Duterte contre d’éventuelles poursuites de la Cour pénale internationale.

Le soutien de Marcos à la continuité est particulièrement pertinent car même si les États-Unis ont critiqué la violence aux Philippines, l’Oncle Sam l’a financée. Souvent au nom de la lutte contre le terrorisme, Washington a accordé au gouvernement philippin une aide à la sécurité de 440 millions de dollars, qui ne fait qu’alimenter l’instabilité. L’aide à la sécurité des Philippines s’est tellement normalisée qu’en 2018, le département d’État a admis avoir perdu la trace des transactions pour 76 des 77 ventes d’armes réalisées dans le cadre d’accords bilatéraux avec Manille.

Cela s’ajoute aux grandes ventes d’armes. Les expéditions vers les Philippines ont augmenté chaque année depuis 2018, et les États-Unis sont le seul pays à avoir exporté des armes vers les Philippines chaque année depuis l’entrée en fonction de Duterte. La crème de la crème est arrivée en juin 2021, lorsque le département d’État a approuvé trois ventes d’armes majeures d’avions de chasse, de missiles antinavires et de missiles tactiques pour des contrats d’une valeur totale d’environ 2,5 milliards de dollars, soit plus de la moitié du budget militaire philippin pour 2022.

La raison pour laquelle le gouvernement philippin est inondé de nouvelles armes et de nouveaux avions de chasse est claire : la Chine. L’opinion dominante à Washington est que les Philippines sont essentielles pour contrer la Chine dans la région indo-pacifique. En traitant avec Duterte, l’administration Biden a adopté une politique de patience stratégique, approuvant les ventes d’armes au gouvernement philippin en espérant qu’il adopterait une attitude plus agressive à l’égard de la Chine.

Plutôt que d’essayer d’amadouer le nouveau gouvernement philippin pour qu’il adopte une position anti-chinoise avec de nouveaux jouets clinquants, Biden devrait profiter de l’élection de Marcos pour revenir sur cette politique malavisée de priorité militaire envers Manille. Cette approche risque d’intensifier la confrontation avec la Chine et ne fait qu’enhardir les autocrates en puissance. Ou, dans ce cas, le fils d’un autocrate.

En soutenant implicitement la guerre philippine contre la drogue, Washington dit aux dictateurs du monde entier que tant que vous achetez américain – Lockheed Martin, Raytheon, Northrop Grumman – nous fermerons les yeux. Cette attitude nuit également à d’autres initiatives de politique étrangère, comme le Sommet de Biden pour la démocratie, en ouvrant la porte à des accusations d’hypocrisie lorsque l’inclusion des Philippines fait sourciller.

Bongbong Marcos n’est pas un candidat du changement. Il est façonné par les expériences de Duterte et de son père. Même si nous n’aurons pas un aperçu de la présidence de Marcos avant son entrée en fonction le 30 juin, le président Biden ne devrait pas retenir son souffle trop longtemps en attendant des changements radicaux. L’administration devrait plutôt repenser ses ventes d’armes aux Philippines. Une politique chinoise malavisée ne vaut pas la peine de soutenir un gouvernement brutal qui agit à l’encontre des intérêts américains en alimentant l’instabilité interne.

Mais si Biden n’agit pas, le Congrès peut encore affirmer son rôle. Une loi existante qui pourrait être invoquée est la loi Leahy – du nom du sénateur Patrick Leahy (D-Vt.) – qui stipule que les États-Unis ne peuvent pas envoyer de fonds d’aide aux unités de police ou militaires soupçonnées de « violations flagrantes des droits humains. » Une autre proposition, la loi sur les droits humains aux Philippines, suspendrait l’aide à la sécurité accordée à l’armée et à la police philippines.

Dans un pays où les États-Unis ont déjà un héritage déplorable du 20e siècle, Washington devrait chercher à corriger sa politique du 21e siècle. Marcos Sr. a reçu un soutien militaire américain considérable. Marcos Jr. ne devrait pas en bénéficier.

Source : Responsible Statecraft, Nick Clevelant-Stout, 11-05-2022

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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