Nous avons dans ce billet que les États-Unis remettaient au (dé)goût du jour la détention illimitée sans procès.
Faut-il s’étonner qu’ils valident également l’assassinat de leurs citoyens ?
« Le comité Nobel norvégien a décidé d’attribuer le prix Nobel de la Paix pour 2009 au président Barack Obama pour ses efforts extraordinaires visant à renforcer la diplomatie internationale et la coopération entre les peuples. […] Les droits de l’Homme et la démocratie vont être renforcés. » [Communiqué de presse du Comité Nobel, 9 octobre 2009]
Traduction par Valérie pour ce blog de 2 articles du New York Times
Un mémo des services secrets américains à l’origine du cadre légal permettant d’assassiner un citoyen américain
Publié le 8 octobre 2011 par Charlie Savage, © New York Times
WASHINGTON – Un mémorandum juridique top secret de l’administration Obama, porte d’entrée de l’assassinat d’Anwar al-Awlaki, citoyen américain, religieux musulman radical caché au Yémen, a permis de parvenir à la conclusion qu’il serait légitime de le tuer s’il n’était pas possible de le prendre en vie, selon les personnes ayant lu le document.
Le mémo, qui a été écrit l’année dernière après des mois de longues délibérations inter-agences gouvernementales, offre un aperçu du débat juridique qui a conduit à l’une des décisions les plus importantes prises par le président Obama – le débat portant sur la justification du meurtre, sans procès, d’un citoyen américain.
Ce document secret a fourni la justification pour statuer en dépit d’un décret interdisant les assassinats, d’une loi fédérale contre le meurtre, des protections de la Charte des Droits et de différentes restrictions des lois internationales de la guerre, selon certains analystes. Le mémo, cependant, a été étroitement circonscrit aux spécificités du cas de M. Awlaki et n’a pas vocation à établir un éventail de nouvelles doctrines juridiques pour permettre l’assassinat ciblé de tout Américain considéré comme représentant une menace terroriste.
L’administration Obama a refusé de reconnaître ou de discuter de son rôle dans l’attaque du drone qui a tué M. Awlaki le mois dernier et qui reste techniquement une opération secrète. Le gouvernement a également résisté aux demandes de plus en plus pressantes (source 1, 2, 3) des universitaires, militants des droits de l’homme et d’autres pour qu’il fournisse une explication détaillée des raisons pour lesquelles des responsables publics ont jugé licite de tuer un citoyen américain, créant ainsi un précédent qui a suscité des inquiétudes au sujet de la primauté du droit et des libertés civiles.
Mais le document qui exposait la justification de l’administration – un protocole d’environ 50 pages du bureau du Conseiller juridique du ministère de la Justice, achevé aux alentours de juin 2010 – a été décrit sous couvert d’anonymat par les personnes qui l’ont lu.
L’analyse juridique, en substance, a conclu que M. Awlaki pouvait être légalement tué, s’il n’était pas possible de le capturer, car les agences de renseignement ont déclaré qu’il prenait part à la guerre entre les États-Unis et Al-Qaïda, qu’il était donc une menace importante pour les Américains, et aussi parce que les autorités yéménites ont été incapables ou réticentes à l’arrêter.
Le mémorandum, qui a été écrit plus d’un an avant que M. Awlaki n’ait été tué, ne fait pas de façon indépendante l’analyse de la qualité des preuves contre lui.
L’administration n’a pas répondu aux demandes de commentaires sur cet article.
Les délibérations autour de la conception du mémo ont eu lieu lors de réunions dans la Situation Room de la Maison Blanche mobilisant les meilleurs avocats du Pentagone, du Département d’Etat, du Conseil national de sécurité et de renseignement.
Il a été principalement rédigé par David Barron et Martin Lederman, qui étaient tous deux avocats du Bureau du Conseiller juridique à ce moment-là, et a été signé par M. Barron. Le bureau du Conseiller juridique peut avoir donné son approbation orale à un attentat contre M. Awlaki avant d’achever son mémorandum détaillé. Plusieurs bulletins d’informations datant d’avant Juin 2010 et citant des responsables anonymes du contre-terrorisme disaient que M. Awlaki avait été placé sur la liste des personnes « à mettre à mort ou à capturer » au moment de la tentative d’attentat sur un avion à destination de Détroit le 25 décembre 2009. M. Awlaki a été accusé d’avoir aidé à recruter les pirates pour cette opération.
M. Awlaki, qui est né au Nouveau-Mexique, a également été accusé d’avoir joué un rôle dans un complot ayant échoué, et qui visait à bombarder deux avions cargo l’an dernier, d’avoir été partie prenante d’un réseau découvert par les responsables antiterroristes, et d’avoir évolué du simple statut de propagandiste – prononçant des sermons justifiant la violence des musulmans contre les États-Unis – pour jouer un rôle opérationnel dans les efforts continus d’Al-Qaïda Péninsule arabique pour mener des attaques terroristes.
D’autres allégations concernant M. Awlaki spécifiaient qu’il était le leader d’un groupe, devenu «cobelligérant » avec Al-Qaïda, qu’il aurait forcé ce groupe à se concentrer sur de nouvelles tentatives d’attaques des États-Unis. Les avocats ont également déclaré que le capturer vivant, au milieu de ses alliés armés, pourrait ne pas être réalisable, s’il était trouvé et au moment où il le serait.
Se basant sur ces prémisses, le ministère de la Justice a conclu que M. Awlaki était présumé coupable de par la loi relative à l’autorisation d’utiliser la force militaire contre Al-Qaïda que le Congrès a adoptée peu après les attentats terroristes du 11 septembre 2001 – ce qui signifie qu’il était une cible légitime dans le conflit armé à moins qu’une autre interdiction légale l’emporte sur cette autorité.
Le ministère de la Justice a ensuite examiné les obstacles possibles et les a rejetés tour à tour.
Parmi eux se trouvait un décret qui interdit les assassinats.
Ce décret, constataient les avocats, condamnait les homicides illégaux de dirigeants politiques en dehors des guerres, mais pas le meurtre d’une cible légitime dans un conflit armé.
De même, une loi fédérale qui interdit aux Américains de tuer d’autres Américains à l’étranger, ont écrit les avocats, ne s’applique pas non plus, parce que ce n’est pas «assassiner» que de tuer un ennemi en temps de guerre en conformité avec la loi de la guerre.
Mais cela soulève une autre question sensible : serait-il toujours conforme au droit de la guerre si l’opérateur du drone qui a tiré le missile était un fonctionnaire de la CIA, qui, lui, contrairement à un soldat, ne portait pas l’uniforme ? Le mémorandum a conclu qu’une telle affaire ne serait pas un crime de guerre, bien que le pilote puisse être en danger théorique d’être poursuivi devant un tribunal yéménite pour avoir violé les lois nationales du Yémen contre les assassinats, une possibilité très improbable.
Puis il y a eu l’exemple de la Bill of Right, la Déclaration des droits : Le Quatrième amendement de la Constitution garantit qu’une « personne » ne peut pas être poursuivie par le gouvernement de manière déraisonnable et le Cinquième amendement, qui stipule le gouvernement ne peut pas priver une personne de sa vie « sans procédure légale régulière ».
Le mémo, ainsi que la procédure qui a suivi, a conclu que ce qui était raisonnable était différent pour M. Awlaki de ce qui était raisonnable pour un criminel ordinaire. Il citait les affaires judiciaires où des citoyens américains, qui avaient rejoint les forces ennemies, avaient été détenus ou poursuivis devant un tribunal militaire de la même façon que les ennemis non citoyens.
Il a également cité plusieurs autres affaires jugées par la Cour suprême, comme un cas de prise en chasse à grande vitesse en 2007 et le cas du meurtre d’un suspect en fuite en 1985, estimant qu’il était constitutionnel pour la police de prendre des mesures qui menacent de mort un suspect afin de parer à une menace imminente pour les personnes innocentes.
Les auteurs du document ont fait valoir qu’une menace « imminente » pourrait inclure celle d’un chef ennemi qui a, autant que possible, pour précepte d’attaquer les États-Unis, même s’il n’est pas en train de lancer une attaque au moment précis où il est repéré.
Il restait, cependant, la question de savoir si – quand la cible est un citoyen – il était permis de le tuer alors que le capturer aurait plutôt été un moyen réaliste de supprimer la menace.
Tué lors de l’attaque aux côtés de M. Awlaki, un autre citoyen américain, Samir Khan, qui avait produit un magazine pour promouvoir le terrorisme d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique.
Il n’était apparemment pas sur la liste de personnes ciblées, faisant de sa mort un dommage collatéral. Sa famille a publié un communiqué citant le cinquième amendement et demandant s’il était nécessaire pour le gouvernement d’avoir « assassiné deux de ses citoyens. »
«Ce type d’exécution était-il la seule solution?», se demandait la famille Khan dans sa déclaration. «Pourquoi ne pouvait- il pas y avoir eu capture et procès ? »
Le mois dernier, le haut conseiller du président Obama pour la lutte contre le terrorisme, John O. Brennan, a prononcé un discours dans lequel il a fermement démenti l’accusation selon laquelle l’administration avait parfois choisi de tuer des militants alors que leur capture était possible, arguant du fait que la préférence politique vise à les interroger pour obtenir des renseignements.
Le mémorandum est réputé professer que, dans le cas d’un citoyen, la capture d’un combattant est une obligation légale, si elle est possible – ce qui soulève une question : la capture de M. Awlaki, était-elle en réalité possible ?
Il se peut que les officiels aient décidé le mois dernier qu’il n’était pas possible de tenter de le capturer en raison de certains facteurs ; notamment le risque que cela pourrait représenter pour les commandos américains et les problèmes diplomatiques qui pourraient découler de la présence de forces américaines au sol en terre yéménite. Pourtant, le raid contre l’enceinte d’Oussama ben Laden au Pakistan montre que les officiels ont jugé ces opérations réalisables par moments.
L’année dernière, des commandos yéménites ont encerclé un village dans lequel M. Awlaki était soupçonné de se cacher, mais il a réussi à s’enfuir.
L’administration avait déjà publiquement fait part de querelles sur des questions de droit international abordées par le mémo, dans un discours prononcé en mars 2010 par Harold Hongju Koh, l’avocat du département d’État.
Le mémorandum a étudié le fait de savoir s’il était significatif que M. Awlaki soit physiquement au Yémen, loin de l’Afghanistan. Elle a conclu que la distance géographique entre M. Awlaki et le champ de bataille que l’on appelle « chaude », ne l’excluait pas du conflit armé; compte tenu de sa condition présumée (de terroriste), les États-Unis avaient encore le droit d’utiliser la force pour se défendre contre lui.
S’agissant de savoir si ce serait violer la souveraineté du Yémen que de tirer un missile sur quelqu’un sur le sol yéménite, le président du Yémen en avait secrètement accordé la permission aux États-Unis, comme les câbles diplomatiques secrets obtenus par Wikileaks l’ont révélé.
Le mémorandum a fait valoir que d’autres limitations sur l’usage de la force, en vertu des lois de la guerre, – comme d’éviter l’utilisation d’une force disproportionnée qui augmenterait la possibilité de morts parmi les civils -, limiteraient toute opération contre M. Awlaki.
Cela a apparemment limité l’attaque quand enfin elle arriva. Des détails sur la localisation de M. Awlaki ont fait surface il y a un mois environ, ont rapporté les officiels américains, mais les chasseurs ont retardé la frappe jusqu’à ce qu’il quitte un village et se trouve sur une route loin des zones peuplées.
Source : The New York Times
Justification de l’assassinat d’un citoyen américain
Éditorial publié le 11 octobre 2011, © New York Times
L’administration Obama a apparemment passé des mois à examiner les implications légales du ciblage d’Anwar al-Awlaki, le citoyen américain tué au Yémen le mois dernier après avoir été accusé d’être un cadre terroriste. Elle a préparé un mémorandum détaillé et prudent pour justifier sa décision – un agréable changement comparé à la façon de penser des juristes de l’administration Bush, qui ont rationalisé la torture, revendiqué des pouvoirs présidentiels illimités et conduit le pays dans une lutte hors-normes contre les terroristes.
Mais le mémo, tel que rapporté par Charlie Savage dans The Times, constitue un fondement insuffisant pour que le gouvernement prenne une décision capitale telle que celle d’assassiner un de ses propres citoyens, peu importe le degré estimé de dangerosité de cette menace. Pour une part, l’administration a refusé de la rendre publique ou même de reconnaître son existence. Elle a été décrite à M. Savage par des fonctionnaires anonymes, et l’administration n’a pas parlé ouvertement de ses directives, même les plus élémentaires telles que le choix des personnes ciblées pour assassinat.
La décision de tuer M. Awlaki a été entièrement prise au sein de l’exécutif. Le mémo n’a pas été partagé avec le Congrès, et aucun juge indépendant ou panel de juges n’a émis des appréciations ou un jugement. L’administration mis de côté les droits fondamentaux de M. Awlaki à bénéficier d’une procédure régulière.
Le président Obama a déclaré que M. Awlaki, un clerc musulman radical, avait pris « le rôle principal dans la planification et la direction de tentatives d’assassinat d’Américains innocents. »
L’administration dit qu’il est à l’origine de la planification de plusieurs attaques terroristes, y compris la tentative de faire sauter un avion de ligne à destination de Détroit le 25 décembre 2009. (Les témoignages dans le procès du kamikaze ont débuté mardi.) Les fonctionnaires ont dit que le rôle de M. Awlaki est allé au-delà de l’inspiration dans la planification opérationnelle des attaques, bien qu’elle n’en ait pas fourni la preuve. Si la Maison-Blanche avait communiqué les preuves qu’elle a pour étayer ces allégations, elle aurait une meilleure chance de justifier la mort du clerc.
Le mémo, préparé par deux avocats du bureau du conseiller juridique du ministère de la Justice, stipule que M. Awlaki pourrait être tué parce qu’il prenait part à la guerre entre les États-Unis et Al-Qaïda et qu’il était une menace importante pour les Américains, mais arrête là l’analyse de la qualité des preuves. Il est dit que se joindre à une force ennemie a privé M. Awlaki de son droit de citoyen à une procédure régulière, le mémo citant plusieurs décisions de la Cour suprême ayant placé la protection de vies innocentes au-dessus du risque de mort possible d’un suspect.
M. Awlaki n’a pas eu droit à une protection juridique complète – un procès par contumace aurait été une perte de temps et peu pratique – mais en tant qu’Américain, il avait certains droits. Le mémo relate que M. Awlaki devait être capturé « si possible » – un important principe – même si le gouvernement ne pensait pas pouvoir placer sans risque des commandos au Yémen pour le capturer.
Une procédure régulière signifie plus qu’une analyse des risques militaires. Elle exige des directives claires et publiques sur la façon dont les États-Unis suivront le droit fédéral et international pour approuver des assassinats ciblés, en particulier d’Américains. Et cela exige de prendre la décision au-delà de la chambre de l’exécutif. Nous avons fait valoir que le contrôle judiciaire est nécessaire, peut-être même au procès à huis clos similaire à la Foreign Intelligence Surveillance Court (tribunal des services du renseignement étranger) avant que quiconque, et surtout un citoyen, ne soit placé sur une liste d’assassinats programmés.
L’administration Obama semble savoir que les opérations antiterroristes n’échappent pas aux règles d’un État de Droit. Ses arguments seraient beaucoup plus percutants si elle le disait, à haute voix.
Source : The New York Times
« Il n’y avait plus personne… »
Je trouve depuis longtemps frappant de voir l’absence d’indignation contre les « assassinats ciblés » (arf !) de l’armée israélienne.
Il ne s’agit évidemment pas de défendre ces terroristes, mais il est simplement effrayant de voir des gouvernements assassiner des personnes en nous disant « on a des preuves, mais désolé, on ne peut pas vous les montrer » – surtout quand c’est le même gouvernement qui est venu affirmer à l’ONU qu’il avait des preuves concernant des armes de destruction massive en Irak…
La « mésaventure » du frère de Chico (cofondateur des Gipsy King), Ahmed Bouchiki, devrait nous faire réfléchir… (lire ici)
Quoiqu’il en soit, cette résistible maladie s’est donc propagée aux États-Unis.
Où s’arrêtera-t-elle ?
« Quand ils sont venus chercher les communistes, je n’ai pas protesté parce que je ne suis pas communiste.
Quand ils sont venus chercher les Juifs, je n’ai pas protesté parce que je ne suis pas juif.
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai pas protesté parce que je ne suis pas syndicaliste.
Quand ils sont venus chercher les catholiques, je n’ai pas protesté parce que je ne suis pas catholique.
Et lorsqu’ils sont venus me chercher, il n’y avait plus personne pour protester. » [Martin Niemöller (1892-1984), pasteur protestant arrêté en 1937 et envoyé au camp de concentration de Sachsenhausen. Il fut ensuite transféré en 1941 au camp de concentration de Dachau, avant d’être libéré par la chute du régime nazi, en 1945]
2 réactions et commentaires
Comme tout est bien résumé par les dessins !
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AlerterIl semble que même des citoyens des Etats-Unis ne soient pas à l’abri de leur propre gouvernement.
Est-ce une doctrine partagée par d’autres membres de l’OTAN?
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AlerterLes commentaires sont fermés.