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19.juin.201919.6.2019 // Les Crises

Au lieu d’attaquer Wikileaks, il faut corriger ce que l’organisation a révélé

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Source : Le Grand Soir, Ann Wright, 29-05-2019

Ann Wright

Note du traducteur : Cet article présente deux intérêts. 1) Il a été publié par le magazine de l’armée US. 2) Il date de 2011.

L’ancien ministre de la Défense Robert Gates avait raison lorsqu’il a dit que les révélations de Wikileaks étaient « embarrassantes » et « gênantes ». Une telle évaluation – comme pour tant d’autres représentants du gouvernement – résulte de l’ampleur du non-dit.

Car ces révélations ne sont pas seulement embarrassantes. Elles contiennent aussi des preuves d’actions et de politiques gouvernementales qui constituent un abus de pouvoir et qui violent les normes internationales en matière de droits de la personne auxquelles nous, Américains, sommes attachés.

Par exemple, grâce aux informations provenant des documents de WikiLeaks, le public est maintenant au courant de « FRAGO 242 » – un ordre officiel de ne pas signaler les preuves d’abus de prisonniers par les forces de sécurité irakiennes. Cette politique viole la Convention des Nations Unies contre la torture, ratifiée par le Congrès en 1994. Le traité exige explicitement que les allégations de traitements cruels ou inhumains fassent l’objet d’une enquête et d’actions pour les faire cesser.

Ces derniers jours, WikiLeaks a publié des câbles qui montrent que des responsables gouvernementaux ont aidé à dissimuler l’exécution odieuse de membres de la famille de combattants présumés en Irak. Le lieu des meurtres – dont l’exécution de deux enfants et de trois nourrissons – fut pulvérisé plus tard par une attaque aérienne de la coalition.

Pris dans leur ensemble, les documents montrent une tendance à dissimuler les abus commis tant par les forces US que par les forces de la coalition. L’information révélée par WikiLeaks est donc un outil d’une importance cruciale pour ceux qui cherchent à faire respecter les normes fondamentales des droits de l’homme et la conduite professionnelle des forces militaires US.

Ces révélations remettent également en cause notre système de classification. Bien que le soldat Bradley Manning n’ait pas encore été traduit en justice, le président Barack Obama a déclaré publiquement que l’ancien analyste du renseignement de l’armée américaine avait « enfreint la loi » en envoyant ces informations confidentielles à WikiLeaks.

De nombreux civils – et un nombre surprenant de militaires – ignorent que ce système de classification n’est fondé sur aucune loi adoptée par le Congrès. En fait, tout l’édifice qui permet l’utilisation de la classification repose uniquement sur des décrets qui ont été renouvelés et modifiés par différents présidents. La capacité de restreindre l’accès du public à l’information est essentiellement une affirmation du pouvoir exécutif qui n’est pas soumise à un contrôle.

Cependant, selon la politique de classification des documents gouvernementaux de M. Obama (décret 13526), il existe plusieurs situations dans lesquelles l’information gouvernementale ne doit jamais être classifiée. Le gouvernement ne peut pas utiliser les procédures de classification « pour dissimuler des violations de la loi, des inefficacités ou des erreurs administratives ; pour éviter d’embarrasser une personne, une organisation ou un organisme… ou pour empêcher ou retarder la divulgation de renseignements qui ne nécessitent pas une protection dans l’intérêt de la sécurité nationale ».

Les responsables de l’administration n’ont fourni aucune preuve que ces révélations de WikiLeaks ont porté atteinte à notre sécurité nationale. Ils ont toutefois reconnu que certains documents sont personnellement et professionnellement embarrassants.

Mais ils continuent d’agir comme s’il n’existait aucune preuve d’un comportement illégal ou contraire à l’éthique.

Si les conversations en ligne attribuées à Manning sont exactes, il semble que le « tournant » qu’il a lui-même décrit est survenu lorsque son propre commandant a refusé de reconnaître clairement la preuve d’un abus de pouvoir. D’après ces conversations, Manning dit qu’on lui a demandé d’enquêter sur 15 universitaires irakiens qui avaient été interrogés par les forces de sécurité irakiennes, pour le crime d’avoir prétendument imprimé de la « littérature anti-irakienne ».

Après avoir fait traduire les documents, Manning s’est rendu compte qu’il s’agissait en fait d’un article intitulé « Où est passé l’argent ? » qui dénonçait la corruption au sein du cabinet du Premier ministre Nouri al-Maliki. Le commandant de Manning aurait dit à Manning de « la fermer » et de trouver comment faire entrer plus de prisonniers. Le message était clair : il ne pouvait pas se fier à la chaîne de commandement pour traiter les preuves d’actes répréhensibles.

Cet incident serait cohérent avec d’autres révélations qui ont depuis émergé des câbles diplomatiques de WikiLeaks. Plusieurs câbles diplomatiques s’inquiètent de la politisation des forces de sécurité d’al-Maliki, qu’il utilise pour réprimer ses opposants politiques.

En juillet, la Croix-Rouge et un groupe de parlementaires irakiens ont demandé qu’une enquête soit ouverte sur un présumé centre de torture dirigé par l’une des unités d’élite d’al-Maliki dans la zone verte de Bagdad. Le même mois, l’Inspecteur général spécial pour la reconstruction de l’Iraq a publié un rapport dans lequel il signalait la disparition de plus de 17 milliards de dollars de fonds.

L’habitude d’ignorer ou de dissimuler des preuves évidentes d’abus est devenue si courante que, pour beaucoup, cela semble maintenant normal. Mais prétendre que les problèmes n’existent pas ne les fera pas disparaître.

Un récent rapport du Conseil de l’Europe, qui réunit la Commission européenne des droits de l’homme, a déclaré que le  » manque de transparence  » actuel des institutions occidentales de sécurité et de renseignement ne laisse d’autre choix au public que de compter sur les lanceurs d’alerte pour tenir les gouvernements responsables.

Au lieu de punir et de faire taire des lanceurs d’alerte présumés comme Manning pour avoir révélé des vérités qui dérangent, nous devrions saluer leur courage pour défendre ce qui est juste.

C’est tout ce qu’on devrait demander à n’importe quel Américain.

Ann Wright

Ann Wright a pris sa retraite en tant que colonel de réserve de l’armée américaine après 29 ans de service et a ensuite servi en tant que diplomate US dans neuf pays et ambassadeur adjoint dans quatre ambassades des États-Unis. Elle est membre du conseil consultatif du Bradley Manning Support Network. En 2003 elle a démissionné du Département d’Etat des Etats-Unis par opposition à la guerre en Irak

Traduction « ne tirez pas sur le messager » par VD pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles

Source : Le Grand Soir, Ann Wright, 29-05-2019


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Commentaire recommandé

Fritz // 19.06.2019 à 07h40

Voici la version originale de l’article, parue dans Stars and Stripes (« Étoiles et bandes ») :
https://www.stripes.com/instead-of-attacking-wikileaks-fix-what-it-exposed-1.155086

Dans une république digne de ce nom, le « Secret Défense » ne devrait même pas exister, sauf pour le mouvement des troupes en temps de guerre sur le sol national. Toutes ces procédures de classement aux noms pompeux sont illégitimes et révèlent notre mollesse, celle de la presse comme celle des citoyens, face à l’arbitraire du pouvoir exécutif.

Libérez Assange !

11 réactions et commentaires

  • Fritz // 19.06.2019 à 07h40

    Voici la version originale de l’article, parue dans Stars and Stripes (« Étoiles et bandes ») :
    https://www.stripes.com/instead-of-attacking-wikileaks-fix-what-it-exposed-1.155086

    Dans une république digne de ce nom, le « Secret Défense » ne devrait même pas exister, sauf pour le mouvement des troupes en temps de guerre sur le sol national. Toutes ces procédures de classement aux noms pompeux sont illégitimes et révèlent notre mollesse, celle de la presse comme celle des citoyens, face à l’arbitraire du pouvoir exécutif.

    Libérez Assange !

      +53

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    • Amours désamours // 19.06.2019 à 08h11

      Je rejoins tout à fait votre point de vue. Merci pour le lien que j’ai partagé !

        +7

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    • shal // 19.06.2019 à 13h06

      Donc la position des sous-marins doit être aussi connue ?
      Les codes nucléaire doivent être publiés au journal officiel ?

      Normalement une donnée est classifiée « Secret Défense » si on considère que la divulgation à un ennemi cela pose un problème direct de souveraineté.
      Même dans une démocratie parfaite ce genre de donnée existe

        +1

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      • Lo // 19.06.2019 à 14h02

        L’emplacement des sous-marins de dissuasion nucléaire correspond à une partie de la carte des troupes dans un conflit potentiel en préparation permanente (c’est le principe de la dissuasion).
        Donc la non divulgation de l’emplacement des sous-marins ne contredit que très peu les préconisations de Fritz.
        Merci de ne pas caricaturer.

          +9

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      • Fritz // 19.06.2019 à 19h55

        Songez aussi à tous ces politiciens qui invoquent le « secret défense » pour protéger leur impunité lorsque les juges font mine de les inquiéter, ou lorsque les commissions parlementaires font mine d’enquêter.

          +6

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  • RGT // 19.06.2019 à 08h32

     » Le gouvernement ne peut pas utiliser les procédures de classification “pour dissimuler des violations de la loi, des inefficacités ou des erreurs administratives ; pour éviter d’embarrasser une personne, une organisation ou un organisme… ou pour empêcher ou retarder la divulgation de renseignements qui ne nécessitent pas une protection dans l’intérêt de la sécurité nationale”. »

    C’est sûr, ils vont se gêner !!!

    Connaissez-vous UN SEUL CAS d’une personne ayant « autorité » qui ne tenterait pas par tous les moyens de glisser sous le tapis un scandale « croustillant » qui pourrait les mettre dans l’embarras ?
    Moi pas.
    Et pas seulement au niveau des services sévices des états.
    Chaque fois qu’un avantage (pouvoir, économie, etc…) est en jeu les pires entorses aux règles les plus simples de la « morale » (applicable seulement aux « moins que rien qui devraient traverser la rue pour trouver un boulot) sont de loin le meilleur moyen de parvenir à ses fins en économisant son énergie.

      +7

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  • Chris // 19.06.2019 à 13h16

    Tuer le messager quand il apporte des nouvelles dérangeantes est hélas une méthode fort ancienne.

      +5

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  • Sourire // 19.06.2019 à 21h41

    LIBEREZ JULIAN ASSANGE CE HÉROS
    Les journalistes soutenez votre collègue un jour ce sera peut être vous les acheté sans .honneur .lâche

      +3

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  • Haricophile // 20.06.2019 à 16h39

    « Au lieu d’attaquer Wikileaks, il faut corriger ce que l’organisation a révélé »

    C’est bien le cœur du problème. QUI attaque wikileaks déjà ? Sinon précisément ceux là même qui ont tout a cacher ?

    La question n’est certainement pas « AU LIEU DE attaquer » mais bien « COMMENT DÉFENDRE » Wikileaks et au passage nos libertés, c’est totalement lié.

      +4

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    • Yannis // 20.06.2019 à 19h53

      Absolument, et concernant la défense d’Assange, la position des autoproclamées « grandes démocraties » est claire : silence assourdissant de la part de la France et de l’Allemagne (qui a quand même, moindre mal, inauguré 3 sculptures-hommages à Assance, Snowden et Meaning à Berlin, pour les selfies des touristes), de UK et pays nordiques pour rester en Europe.

      Snowden est des trois le seul réfugié politique en Russie, curieuse inversion de l’histoire…

        +3

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    • Lonewolf // 22.06.2019 à 10h49

      Je suis tout à fait d’accord ! il est même scandaleux que des structures comme Wikileaks ou des personnes comme Assange ou Snowden, dont les intentions sont claires et connues (dénoncer ce que les officiels ne dénoncent pas), ne soient pas protégées par le Droit International et (au moins) par les nations occidentales. Ces gens là sont la nouvelle génération de Résistants et de Partisans qui sont nos héros et dont les noms sont portés sur des plaques commémoratives.

        +1

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