Les manifestations au Pérou qui ont suivi la destitution de Pedro Castillo ne montrent aucun signe d’essoufflement. Face à une répression meurtrière, les manifestants ne réclament plus seulement des élections mais la démission de la présidente Dina Boluarte et une nouvelle constitution.
Source : Jacobin Mag, Oscar Apaza
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Le 7 décembre il était prévu que le Congrès péruvien vote la destitution du président Pedro Castillo.
Ce n’était pas la première fois. C’était le troisième essai de destitution, un des nombreux mécanismes employé par le Congrès, les élites et la presse pour délégitimer Castillo et l’évincer du pouvoir. Ce même jour, Castillo avait choqué le pays avec sa réponse : un message à la Nation annonçant la dissolution du Congrès.
La manœuvre désespérée de Castillo n’a pas été soutenue par les institutions. La police fédérale et les forces armées ont tourné le dos à Castillo, l’ont arrêté et remis au procureur de la République pendant que le Congrès se dépêchait d’accélérer la destitution et de faire prêter serment à sa vice-présidente Dina Boluarte. Cette dernière avait déjà rompu les liens avec Castillo quelques semaines auparavant. En quittant le Congrès – l’institution la plus méprisée – et en ignorant ceux qui se rassemblaient déjà dans les rues, elle annonçait que son gouvernement dirigerait jusqu’à son terme en 2026.
Dans les jours qui suivirent, Boluarte s’accorda avec l’opposition à Castillo, comprenant ceux qui n’avaient jamais accepté la victoire du précédent président. Face au déroulé rapide des évènements, le peuple réagit rapidement. Il a organisé des manifestations dans la plupart des régions du pays, rejetant Boluarte, appelant à des élections immédiates, à la fermeture du Congrès, et en demandant même une nouvelle Constitution. Le gouvernement réagit en militarisant les rues. L’état d’urgence fut déclaré, amenant l’armée dans plusieurs régions même si elle n’était pas préparée à contrôler des protestations civiles avec modération.
Des appels inutiles pour la paix
Bien que le Congrès ait approuvé l’organisation d’élections en 2024, cette date reste loin de la demande d’élections immédiates et la vague de protestation grandit encore. La réaction de la police et du gouvernement fut disproportionnée et violente. Le 21 décembre, le nombre de morts atteignait 27, nombre d’entre eux résultant de tirs à la tête ou dans le corps.
Malgré ce niveau de violence, Boluarte décida de nommer Alberto Otárola Premier ministre, alors qu’il avait d’abord été ministre de la Défense, chargé des forces armées et responsable des morts civils qu’ils causèrent. Dans ces conditions défavorables, les manifestants, sans renoncer à leurs revendications, ont temporairement suspendu les protestations pour les fêtes de fin d’année, afin d’honorer leurs morts et permettre une reprise de l’activité économique dans leurs villes.
Mais les opérations de police ne se limitèrent pas aux manifestations. Des leaders sociaux et des membres de l’opposition devinrent la cible de harcèlement policier, avec des raids dans différents locaux entraînant des arrestations en l’absence d »un représentant du procureur de district. La police a même effectué une visite menaçante au domicile d’un membre du Congrès.
Le gouvernement de Boluarte aujourd’hui considéré par beaucoup comme un régime civico-militaire, a en même temps essayé de délégitimer les manifestants, un projet relayé par les grands médias, propriétés des élites péruviennes. Dans ses déclarations elle a affirmé que les manifestants étaient dirigés par des terroristes ou par des criminels pour défendre leurs affaires illégales.
Malgré ces accusations et le meurtre de manifestants, l’armée et la police – les institutions responsables de ces morts – ont appelé à des contre-manifestations « pour la paix » afin de renforcer leur récit sur un ennemie violent. Ce concept absurde de paix mis en avant par le gouvernement a été massivement interprété comme une posture vide de sens.
Au fil des jours, des preuves photographiées et filmées ont impliqué les forces de l’ordre qui avaient fabriqué des preuves contre les manifestants et infiltré les manifestations pour les pousser à la violence. Tout ceci a affaibli la légitimité de la police et de Boluarte qui n’a pas condamné la violence policière malgré les preuves accablantes qui circulaient.
Le massacre de Puna
En 2023, mercredi 4 janvier, les manifestations reprirent dans la capitale et dans d’autres régions, avec une large participation, des arrêts de travail, et des barricades érigées sur les routes. Les revendications sont restées fermes, demandant la démission de Boluarte et avec un message fort : les citoyens descendus dans la rue ne reconnaissent pas la légitimité d’un gouvernement entaché de sang, qui les accuse d’être des terroristes et qui préfère envoyer des soldats tirer dans les villes et villages plutôt que d’envoyer des représentants du gouvernement leur parler.
Puis, lundi, la tragédie a frappé une fois de plus. La violente répression des manifestations à Puno, dans le sud-ouest du Péru, a fait 18 morts. Parmi les victimes, un médecin qui ne participait même pas aux manifestations. Des vidéos confirment la violence de la réponse policière dans ce qui est devenu le deuxième massacre – après celui d’Ayacucho, qui fit 10 morts en une seule journée – perpétré par l’actuel gouvernement.
Pas de fin en vue
On ne voit pas la fin ce cette révolte commencée en décembre, et qui a fait 47 morts et plus de 500 blessés, malgré les efforts du gouvernement pour présenter la suspension temporaire des manifestations pendant les fêtes comme un « retour au calme, » fruit de ses actions.
Le gouvernement civico-militaire de Boluarte s’est allié avec les parties de la population qui ont perdu les élections de 2021. Leurs représentants au gouvernement ont discrédité les médias élitistes en faisant des appels à la paix qui sonnent aussi cyniques que creux. La « paix » évoquée par Boluarte consiste en une amnistie de son gouvernement, malgré ses abus et ses meurtres, et un retour à une stabilité qui n’a jamais profité à la majorité.
Boluarte semble ignorer le fait que la douleur de ceux qui ont été tués – et le désir de justice qu’elle engendre – est devenu une nouvelle raison de mobilisation. Les manifestations n’ont plus uniquement pour but de demander des élections mais exigent sa démission immédiate et une nouvelle Constitution péruvienne. La situation au Pérou semble crier, pour paraphrase Emiliano Zapata, que si le peuple n’obtient pas justice, le gouvernement Boluarte n’aura pas la paix qu’il demande.
Contributeurs
Oscar Apaza est architecte et activiste urbain péruvien.
Alex Caring-Lobel est éditeur adjoint à Jacobin.
Source : Jacobin Mag, Oscar Apaza, 15-01-2023
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Nous vous proposons cet article afin d'élargir votre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s'arrête aux propos que nous reportons ici. [Lire plus]Nous ne sommes nullement engagés par les propos que l'auteur aurait pu tenir par ailleurs - et encore moins par ceux qu'il pourrait tenir dans le futur. Merci cependant de nous signaler par le formulaire de contact toute information concernant l'auteur qui pourrait nuire à sa réputation.
Commentaire recommandé
Dieu Merci, BHL est sur tous les plateaux pour dénoncer cette boucherie et exiger une intervention militaire au nom des droits de l’homme, relayé par tous les éditorialistes et chiots des médias.
Je n’ose imaginer si le dixième de ça avait eu lieu au Venezuela…
16 réactions et commentaires
Dieu Merci, BHL est sur tous les plateaux pour dénoncer cette boucherie et exiger une intervention militaire au nom des droits de l’homme, relayé par tous les éditorialistes et chiots des médias.
Je n’ose imaginer si le dixième de ça avait eu lieu au Venezuela…
+48
AlerterSon propre etat a toujours ete le plus grand risque pour un citoyen. C’est pour cela que les peres fondateurs de la constitution americaine ont redige le second amendement qui donne le droit de detenir des armes de guerre aux citoyens americains.
+10
AlerterCe qui en fait un pays si doux, avec un taux de homicide par arme à feu tout à fait incroyable.
+3
AlerterEncore un énième avatar du colonialisme espagnol dans un pays où les membres de l’ « élite » sont descendants des ignobles conquistadores. Pauvre Amérique-du-Sud.
+7
AlerterSi, parmis leurs ancêtres du XVIe siècle il y avait des conquistadores, et si on extrait la consanguinité possible, ça nous fait 32767 autres ancêtres….
Dans des pays où le taux d’indigenisme et de métissage
est de plus de 95%, ça leur fait aussi beaucoup de sang local. Pour mémoire, en terme d’oppresseurs, les Incas n’étaient pas mal non plus.
Et les « ignobles conquistadores » espagnols n’étaient pas pire que les affreux exterminateurs puritains anglais ou calvinistes hollandais( de grands spécialistes ceux la), ou aventuriers français, portugais.
Et l’Espagne était alors un empire et leurs conquistadores comptaient donc beaucoup d’Allemands, d’Italiens, de Flamands.
+11
AlerterEn parlant d’ignobles colonisateurs, il est communément admis que la plus sordide et effroyable aventure coloniale fut celle du Congo par la Belgique au XIXe siècle. Un monument de monstruosité et commis par des gens qui n’avaient même pas « l’excuse » d’être de simples et communs soudards propres à une époque particulièrement sanguinaire de l’histoire européenne.
Ce qu’étaient, à la base, les conquistadores.
+4
Alerter@Le Belge
Les réponses de « Danton » rappellent la monstruosité de l’esprit de conquête qui a écrit l’Histoire et qui continue à régner au sein même de l’Europe, toute l’industrie de la soi-disant « défense » étant en réalité subventionnée pour entretenir l’expansion des économies « nationales », profitable aux « élites » qui ne sont que des bandits.
Bref, la « loi du Marché » n’est pas moins nuisible et sanguinaire que « la loi de la jungle », ce n’est pas une question d’époque mais d’avidité, d’indignité et d’imbécillité humaines qui perdurent et perdureront en dépit des malheurs, des souffrances, des douleurs qu’elles causent, aussi longtemps que les hommes accepteront l’idée de tuer leurs semblables.
+5
AlerterA lire également sur le sujet :
https://lareleveetlapeste.fr/au-perou-le-peuple-se-revolte-depuis-2-mois-contre-la-toute-puissance-de-loligarchie-et-des-multinationales/
+4
AlerterMerci, cet article est très complet et écrit par un spécialiste reconnu et bien implanté : Romain Migus.
+1
AlerterComme quoi , l’entrisme des fois ça USaid , ha merde ça s’écrit pas comme ça : ça NED 🙂
Enfin, j’ai toujours du mal à comprendre cette necessité impérieuse pour les dirigeants peu légitime d’aller cogner sur leur peuple. Moins ils sont légit : plus ils cognent. Une façon forte étrange de suiciter l’adhésion politique à mon humble avis , mais qui suis-je pour en juger ?
+4
AlerterEn cherchant 5 mn sur le lithium et le Pérou (au hasard bien sûr), j’ai trouvé ceci..
https://www.rfi.fr/fr/ameriques/20180718-le-plus-gros-gisement-lithium-uranium-monde-decouvert-perou
https://americanlithiumcorp.com/falchani-lithium-project/
PS: Comme novlangue du second lien, un bel exemple de bien-pensance investisseuse et verdâtre.
« …un modèle d’entreprise hautement durable dans une juridiction géopolitiquement « amie ».
+3
AlerterLe plus grand gisement de lithium vient d’être découvert en Suède (Bergby) et le lithium n’est pas un matériel rare…
Cesz émeutes sont un affrontement entre les autorités en place et l’ex Président (qui a été démis de ses fonctions en suivant la constitution locale…).
+2
AlerterEn 73, le cuivre non plus n’était pas une matière rare. Ça n’a pas empêché le coup d’état au Chili.
Quant à la constitution locale, il se trouve que, comme dans chaque révolution colorée, elle est un peu trafiquée.
+6
AlerterBonjour bob et Danton
Bien d’accord avec vous, et le soutien de l’ambassadrice des USA, Lisa Kenna, au gouvernement péruvien va bien dans ce sens.
https://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-25-12-2022/
+0
AlerterLes commentaires sont fermés.