Source : Consortium News, Scott Ritter
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
[Le terme Bountygate est utilisé en analogie avec le scandale des primes des Saints de La Nouvelle-Orléans, surnommé « Bountygate », incident au cours duquel des membres de l’équipe des Saints de la National Football League ont été accusés de toucher des primes, ou « bounties », pour avoir blessé des joueurs de l’équipe adverse, NdT]
L’histoire du prétendu « programme de primes » s’est développée dans le contexte où les hauts gradés américains ont accusé la Russie d’être responsable de la défaite de l’Amérique en Afghanistan, explique Scott Ritter.
Le matin du 27 février, Beth Sanner, directrice adjointe du renseignement national pour l’intégration des missions, est arrivée à la Maison Blanche avec une copie du Presidential Daily Brief (PDB), un document qui, sous une forme ou une autre, a été mis à la disposition de chaque président des États-Unis depuis que Harry Truman a reçu pour la première fois ce qu’on appelait alors le « Daily Summary » en février 1946.
La nature sensible du PDB est incontestable ; l’ancien porte-parole de la Maison Blanche, Ari Fleischer, l’a un jour qualifié de « document classifié le plus confidentiel du gouvernement », tandis que l’ancien vice-président Dick Cheney l’appelait « les bijoux de famille ».
Le contenu du PDB est rarement communiqué au public, non seulement en raison de la nature hautement confidentielle des informations qu’il contient, mais aussi en raison de l’intimité qu’il révèle sur la relation entre le chef de l’exécutif de la nation et la communauté du renseignement.
« Il est important que les rédacteurs du PDB soient rassurés sur le fait que les documents ne seront jamais politisés et/ou inutilement dévoilés au public », a fait remarquer l’ancien président George W. Bush après avoir quitté ses fonctions, donnant ainsi raison à un jugement plus direct de son vice-président, qui a averti que les auteurs d’un PDB diffusé publiquement « passeraient plus de temps à s’inquiéter de la façon dont le rapport se présenterait en une du Washington Post ».
Le travail de Sanner consistait à faire la même chose que ceux qui s’étaient acquittés de cette tâche sous les présidences précédentes : trouver un moyen d’éveiller l’intérêt d’un homme politique pour des détails fastidieux, et souvent contradictoires, contenus dans de nombreux documents de renseignement qu’il ne serait peut-être pas naturellement enclin à analyser. C’était particulièrement vrai pour Donald J. Trump, dont on dit qu’il méprise les rapports écrits détaillés, préférant les briefings oraux étayés par des graphiques.
Le résultat final fut un processus de briefing en deux phases, où Sanner cherchait à distiller oralement des éléments critiques au président, laissant à ses conseillers principaux la tâche de choisir les détails figurant dans le produit écrit. Cette approche a été approuvée au préalable par le directeur du renseignement national, le directeur de la CIA et le conseiller du président en matière de sécurité nationale.
Sanner, une ancienne analyste de la CIA qui dirigeait auparavant le bureau chargé de préparer le PDB, a été la principale conseillère du directeur du renseignement national (DNI) « sur tous les aspects du renseignement », chargée d’établir »une vision cohérente et exhaustive du renseignement, de la collecte à l’analyse » et de garantir « la fourniture de renseignements opportuns, objectifs, précis et pertinents. »
S’il y avait quelqu’un dans la communauté du renseignement capable de séparer le bon grain de l’ivraie lorsqu’il s’agissait de déterminer quelles informations devaient être présentées verbalement au président, c’était bien Sanner.
Aucune copie du PDB du 27 février n’a été mise à la disposition du public pour examen, et il est probable qu’il n’y en aura jamais.
Cependant, sur la base d’informations glanées dans les médias à partir de fuites anonymes, une image émerge d’au moins un des éléments contenus dans le document d’information, à savoir le proverbial « point zéro » de la crise actuelle entourant les allégations selon lesquelles la Russie a payé des primes en espèces à des personnes affiliées aux talibans dans le but de tuer le personnel militaire américain et de la coalition en Afghanistan.
Liens entre les comptes
Début janvier 2020, une force combinée d’opérateurs spéciaux américains et de commandos du Service national de renseignement afghan (NDS) a effectué un raid dans les bureaux de plusieurs hommes d’affaires dans la ville de Konduz, au nord de l’Afghanistan, et dans la capitale Kaboul, selon un rapport du New York Times. Les hommes d’affaires étaient impliqués dans l’ancienne pratique du « Hawala ». Il s’agit d’un système traditionnel de transfert d’argent dans les cultures islamiques, qui consiste à verser de l’argent à un agent qui donne ensuite instruction à un associé distant de payer le destinataire final.
Les responsables afghans de la sécurité affirment que le raid n’avait rien à voir avec de la « contrebande d’argent par les Russes », mais qu’il s’agissait plutôt d’une réponse à la pression du Groupe d’action financière (GAFI), un organisme international créé en 1989 dont la mission consiste, entre autres choses, à établir des normes et à promouvoir la mise en œuvre efficace de mesures juridiques, réglementaires et opérationnelles pour lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
« S’il y avait quelqu’un dans la communauté du renseignement capable de séparer le bon grain de l’ivraie lorsqu’il s’agissait de déterminer quelles informations devaient être présentées verbalement au président, c’était bien Sanner. »
Cette explication semble toutefois relever plus de la poudre aux yeux que des faits, ne serait-ce que parce que le GAFI a officiellement reconnu, en juin 2017, que l’Afghanistan avait mis en place « le cadre juridique et réglementaire nécessaire pour respecter les engagements pris dans son plan d’action », notant que l’Afghanistan « n’était donc plus soumis au processus de surveillance du GAFI. »
Le raid conjoint américano-afghan, selon le Times, n’était pas un démantèlement du système Hawala en Afghanistan – une tâche pratiquement impossible – mais plutôt d’un réseau Hawala particulier dirigé par Rahmatullah Azizi, un ancien petit trafiquant de drogue afghan devenu un homme d’affaires très en vue, avec un collègue nommé Habib Muradi.
Le Times présume, en citant un « ami », que M. Azizi a notamment été entrepreneur dans le cadre de programmes de reconstruction américains, géré des relations d’affaires indéterminées en Russie qui, selon des sources du renseignement américain anonymes et citées par le Times, auraient inclus des réunions en personne avec des officiers du service de renseignement militaire russe (GRU), et servi de collecteur de fonds dans le cadre d’un projet secret de blanchiment d’argent mêlant les talibans et la Russie.
Treize personnes, dont des membres de la famille élargie d’Azizi et des associés proches, ont été arrêtées lors de ces raids. Azizi et Muradi ont cependant échappé à la capture, les responsables afghans de la sécurité pensant qu’ils avaient fui en Russie.
En se basant en grande partie sur les informations tirées de l’interrogatoire des détenus qui a suivi, les analystes des services de renseignement américains ont brossé un tableau de l’entreprise de Hawala d’Azizi, décrite comme « stratifiée et complexe », avec des transferts d’argent « souvent découpés en petites sommes qui passaient par plusieurs pays de la région avant d’arriver en Afghanistan ».
Ce qui a rendu ces transactions encore plus intéressantes du point de vue du renseignement, ce sont les liens établis par les analystes américains entre le système Hawala d’Azizi, un virement électronique, un compte lié aux talibans et un compte russe que certains croyaient lié à l’unité 29155 (une activité secrète du GRU que l’on croit impliqué, entre autres, dans des assassinats). Les transactions avaient été détectées par l’Agence de sécurité nationale (NSA), l’agence de renseignement américaine chargée de surveiller les communications et les données électroniques dans le monde entier.
La découverte de quelque 500 000 dollars en espèces par des opérateurs spéciaux américains dans la luxueuse villa d’Azizi à Kaboul a été la cerise sur le gâteau – le dernier « point » d’un jeu complexe et alambiqué consistant à « relier les points » qui comprenait l’évaluation par la communauté du renseignement américain de la prétendue connexion entre la Russie (le GRU), les talibans et Azizi.
La tâche suivante des analystes des services de renseignement américains consistait à voir où la connexion entre la Russie (le GRU), les talibans et Azizi les menait. En utilisant les informations recueillies lors des débriefings des détenus, les analystes ont décomposé l’argent qu’Azizi a reçu par son canal de Hawala en « paquets », certains comprenant des centaines de milliers de dollars, qui ont été distribués à des entités affiliées aux talibans ou sympathisantes de ceux-ci.
Selon les responsables afghans de la sécurité cités par le Times, au moins une partie de ces paiements était spécifiquement destinée à tuer des soldats américains, ce qui représente un prix d’environ 100 000 dollars par Américain mort.
Le jeu consistant à « relier les points » s’est poursuivi alors que les analystes du renseignement américain ont relié cet argent des « primes » à des réseaux criminels dans la province de Parwan, où se trouve la base aérienne de Bagram – la plus grande installation militaire américaine en Afghanistan. Selon les responsables afghans de la sécurité, des réseaux criminels locaux avaient déjà mené des attaques pour le compte des talibans dans le passé en échange d’argent. Ce lien a incité les analystes du renseignement américain à jeter un nouveau regard sur l’attentat à la voiture piégée du 9 avril 2019 à l’extérieur de la base aérienne de Bagram, qui a tué trois Marines américains.
Cette information était contenue dans le PDB qui a été remis à Trump le 27 février. Selon la procédure standard, elle aurait été examinée par au moins trois agences de renseignement : la CIA, le Centre national de lutte contre le terrorisme (NCC) et la NSA. La CIA et le NCC avaient tous deux conclu que le GRU avait offert des primes aux talibans avec une « confiance limitée », ce qui, dans le jargon utilisé dans le renseignement, signifie que l’information est interprétée de différentes manières, qu’il existe d’autres points de vue, ou que l’information est crédible et plausible mais pas suffisamment corroborée pour justifier un niveau de confiance plus élevé.
La NSA a toutefois évalué les informations avec un « faible degré de confiance », ce qui signifie qu’elle les a considérées comme peu nombreuses, douteuses ou très fragmentées, qu’il était difficile de faire des déductions analytiques solides et que les sources d’information utilisées suscitaient des préoccupations ou des problèmes importants.
Qu’est-ce qui flotte dans le saladier ?
Toutes ces informations étaient contenues dans le PDB transmis à la Maison Blanche par Sanner. Le problème pour Sanner était le contexte et la pertinence des informations qu’il contenait. Cinq jours auparavant, le 22 février, les États-Unis et les talibans avaient convenu d’un cessez-le-feu partiel de sept jours, en prélude à la conclusion d’un accord de paix qui devait être signé deux jours après la remise du PDB, le 29 février.
Le représentant américain pour l’Afghanistan, Zalmay Khalilzad, était à Doha, au Qatar, où il mettait la dernière main à l’accord avec ses homologues talibans. Le secrétaire d’État Mike Pompeo s’apprêtait à quitter les États-Unis pour Doha, où il assisterait à la cérémonie de signature. L’information que Sanner apportait avec le PDB était l’étron habituel dans le saladier de punch.
Le problème était que l’évaluation des renseignements sur les prétendues « primes » du GRU russe ne contenait aucune information confirmée. Il s’agissait de renseignements bruts (qualifiés par un fonctionnaire informé de « rapport de collecte de renseignements »), et il y a eu de sérieux désaccords entre les différentes communautés d’analyse, en particulier la NSA, qui a pris ombrage de ce qu’elle considérait comme une mauvaise interprétation de ses interceptions et une confiance excessive dans les informations non confirmées tirées des comptes rendus des détenus.
De plus, aucun des renseignements reliant le GRU aux talibans n’a permis de savoir jusqu’à quel point la chaîne de commandement russe avait connaissance des « primes » et si quelqu’un au Kremlin – a fortiori le président Vladimir Poutine – était au courant.
Aucune des informations contenues dans le PDB n’était « exploitable ». Le président ne pouvait pas vraiment prendre le téléphone pour se plaindre à Poutine sur la base d’une affaire découlant uniquement d’informations non vérifiées, et dans certains cas non vérifiables.
Informer le président d’une évaluation qui, si elle était prise au pied de la lettre, pourrait faire échouer un accord de paix qui représentait un engagement fondamental du président envers son assise politique intérieure – ramener les troupes américaines au pays après d’interminables guerres à l’étranger – était l’exemple même de la politisation du renseignement, surtout lorsqu’il n’y a pas de consensus au sein du renseignement américain sur le bien-fondé de cette évaluation.
C’est une question qui pourrait être et serait traitée par les conseillers du président en matière de sécurité nationale. Sanner n’informerait pas le président en personne de ce rapport, une décision que le conseiller à la sécurité nationale de Trump Robert O’Brien a approuvée.
Accuser la Russie
Mettre fin à la mésaventure de près de 19 ans de l’Amérique en Afghanistan a toujours été un objectif du président Trump. Comme les deux présidents qui l’ont précédé, sous le mandat desquels des militaires américains sont morts dans ce pays dur, lointain et inhospitalier, Trump s’est retrouvé face à un establishment militaire et de sécurité nationale convaincu que la « victoire » pouvait être acquise si seulement des ressources suffisantes, garanties par un leadership décisif, étaient consacrées au problème.
En choisissant au poste de secrétaire à la défense James « chien fou » Mattis, un ancien général des Marines à la retraite qui dirigeait le Commandement central (le commandement territorial de combat responsable, entre autres, de l’Afghanistan), Trump a créé les conditions propices à l’envoi de davantage de soldats et de matériel, ainsi qu’à une plus grande liberté pour affronter l’ennemi.
À l’automne 2017, Trump a finalement accepté l’envoi de quelque 3 000 soldats supplémentaires en Afghanistan, ainsi que de nouvelles règles d’engagement, qui permettaient une plus grande flexibilité et des temps de réponse plus rapides pour l’emploi des frappes aériennes américaines contre les forces hostiles en Afghanistan.
Il n’a fallu qu’un peu plus d’un an au président pour se rendre compte d’une réalité qui allait se refléter dans les conclusions de l’inspecteur général spécial pour la reconstruction de l’Afghanistan, John Sopko, selon lesquelles il y avait eu « des efforts explicites et soutenus de la part du gouvernement américain pour tromper délibérément le public… pour déformer les statistiques afin de faire croire que les États-Unis étaient en train de gagner la guerre alors que ce n’était pas le cas. »
En novembre 2018, Trump a tancé « chien fou », disant à l’ancien général des Marines : « Je t’ai donné ce que tu demandais. Une autorité illimitée, aucune restriction. Tu es en train de perdre. Tu te fais botter le cul. Tu as échoué. »
C’est probablement le jugement le plus honnête de la guerre en Afghanistan qu’un président américain ait jamais fait à son secrétaire à la défense en exercice. En décembre 2018, Mattis était hors jeu, ayant démissionné en raison de la décision de Trump de réduire les pertes américaines non seulement en Afghanistan, mais aussi en Syrie et en Irak.
Le même mois, le diplomate américain Khalilizad a entamé le processus de pourparlers de paix directs avec les talibans qui a abouti à l’accord de paix du 29 février. C’est un différend sur les pourparlers de paix avec les Afghans qui a conduit au licenciement du conseiller à la sécurité nationale John Bolton. En septembre 2019, Trump voulait inviter les dirigeants talibans à Camp David pour une cérémonie de signature, ce que Bolton a contribué à faire échouer. Trump a annulé le « sommet » en invoquant une attaque des talibans qui a coûté la vie à un militaire américain, mais Bolton n’était plus là.
Faire face à l’échec
On ne peut pas se permettre deux décennies d’investissement systématique dans un échec militaire qui est devenu ancré dans la mentalité et la structure de l’establishment militaire américain, on ne congédie pas un secrétaire à la défense populaire, et on ne fait pas suivre cet acte par le licenciement de l’un des plus vindicatifs des lutteurs internes bureaucratiques de la filière sans accumuler les ennemis.
Washington a toujours été un milieu politique plein de commérages, de secrets et d’entourloupes où aucune action ne reste impunie. Tous les présidents sont confrontés à cette réalité, mais le cas de Trump est bien différent : jamais dans l’histoire de l’Amérique une personnalité semant autant la discorde n’est arrivée à la Maison Blanche. Le programme anti-establishment de Trump a aliéné les gens de tous les bords politiques, souvent pour de bonnes raisons. Mais il est également entré en fonction avec une marque infamante qu’aucun de ses prédécesseurs n’a eu à affronter : le scandale d’une « élection volée » remportée uniquement grâce à l’aide des services secrets russes.
Le mantra de l' »ingérence russe » était omniprésent, cité par des légions d’anti-Trump soudainement imprégnés d’une appréciation de la géopolitique mondiale datant de l’époque de la guerre froide, voyant l’ours russe derrière chaque barrage routier rencontré, ne s’arrêtant jamais une seule fois pour considérer que le problème pourrait en fait résider plus près de chez eux, dans l’establishment militaire même que Trump a cherché à défier.
L’Afghanistan n’est pas différent. Avant de démissionner de son poste de commandant des forces américaines en Afghanistan en septembre 2018, le général de l’armée John Nicholson a cherché à rejeter ses responsabilités du fait que, malgré l’obtention des renforts et de la liberté d’action demandés, ses forces étaient en train de perdre le combat en Afghanistan.
Incapable ou peu désireux d’assumer ses responsabilités, Nicholson a plutôt choisi l’échappatoire sûre : il a accusé la Russie.
À la recherche d’un bouc émissaire
« Nous savons que la Russie tente de minimiser nos gains militaires et nos années de progrès militaire en Afghanistan, et d’amener nos partenaires à remettre en question la stabilité de l’Afghanistan », a écrit Nicholson dans un courriel adressé aux journalistes, apparemment inconscients de ces échecs et des mensonges documentés à ce moment-là par Sopko.
En mars 2018, Nicholson avait accusé les Russes d' »agir pour saper » les intérêts américains en Afghanistan, accusant les Russes d’armer les talibans. Mais l’exemple le plus révélateur de ces accusations formulées par le général à l’encontre de la Russie est survenu en février 2017, peu après l’investiture du président Trump. Lors de sa comparution devant la commission sénatoriale des services armés, Nicholson a été confronté au sénateur Bill Nelson, un démocrate de Floride et ardent défenseur de l’intervention américaine en Afghanistan.
« Si la Russie s’acoquine avec les talibans – et c’est un mot gentil – si elle leur donne du matériel dont nous avons la preuve que les talibans reçoivent… et d’autres choses que nous ne pouvons pas mentionner dans ce cadre non classifié… Et les talibans sont également associés à Al-Qaïda ? Donc la Russie aide indirectement Al-Qaïda en Afghanistan ? » a demandé Nelson.
« Votre logique est tout à fait rationnelle, monsieur », a répondu Nicholson.
Sauf que ce n’était pas le cas.
La Russie a une histoire longue et compliquée avec l’Afghanistan. L’Union soviétique a envahi l’Afghanistan en 1979 et, au cours de la décennie suivante, a mené une guerre longue et coûteuse avec les tribus afghanes, soutenues par l’argent et les armes des Américains et une légion de djihadistes arabes qui se sont transformés par la suite en ce même Al-Qaïda auquel le sénateur Nelson a fait allusion dans sa question au général Nicholson.
En 1989, l’empire soviétique se désintégrait, et avec lui la désastreuse guerre d’Afghanistan. Dans la décennie qui a suivi, la Russie s’est trouvée en désaccord avec le gouvernement des talibans, né des cendres de la guerre civile afghane qui a suivi le retrait des forces soviétiques.
Moscou a apporté son soutien aux forces plus modérées de la soi-disant Alliance du Nord et, après les attaques terroristes d’Al-Qaïda contre les États-Unis le 11 septembre 2001, a soutenu l’intervention menée par les États-Unis pour vaincre les talibans et apporter la stabilité à une nation qui borde les républiques d’Asie centrale de l’ex-Union soviétique, que la Russie considérait comme particulièrement sensibles pour sa propre sécurité nationale.
Ils ont réalisé que les États-Unis perdaient la guerre
Quatorze ans plus tard, en septembre 2015, la Russie a été confrontée à la réalité que les États-Unis n’avaient aucune stratégie pour parvenir à la victoire en Afghanistan et que, livré à lui-même, l’Afghanistan était condamné à s’effondrer dans un bourbier ingouvernable d’intérêts tribaux, ethniques et religieux qui allait engendrer un extrémisme capable de migrer au-delà de la frontière, dans les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale et en Russie même.
« On ne peut pas se permettre deux décennies d’investissement systématique dans un échec militaire qui est devenu ancré dans la mentalité et la structure de l’establishment militaire américain, on ne congédie pas un secrétaire à la défense populaire, et on ne fait pas suivre cet acte par le licenciement de l’un des plus vindicatifs des lutteurs internes bureaucratiques de la filière sans accumuler les ennemis. »
Les préoccupations de la Russie étaient partagées par des pays de la région tels que le Pakistan et la Chine, tous deux confrontés à de graves menaces sous la forme d’un extrémisme islamiste local.
La prise de la ville de Konduz, au nord de l’Afghanistan, suivie par la montée d’un groupe islamiste encore plus militant en Afghanistan, connu sous le nom d’État islamique du Khorassan (IS-K), toutes deux survenues en septembre 2015, ont amené les Russes à conclure que les États-Unis perdaient leur guerre en Afghanistan, et que le meilleur espoir de la Russie était de travailler avec le camp dominant – les talibans – afin de vaincre la menace de l’IS-K et de créer les conditions d’un règlement de paix négocié en Afghanistan.
Ni le général Nicholson ni le sénateur Nelson n’ont mentionné cette histoire. Au lieu de cela, Nicholson a cherché à qualifier de « malveillante » l’implication de la Russie en Afghanistan, déclarant dans un briefing du 16 décembre 2016 que :
« La Russie a ouvertement accordé une légitimité aux talibans. Et leur récit se présente comme suit : ce sont les talibans qui combattent l’État islamique, et non le gouvernement afghan. Et bien sûr… ce sont le gouvernement afghan et l’effort américain de lutte contre le terrorisme qui produisent le plus d’effets contre l’État islamique. Ainsi, cette légitimité publique que la Russie prête aux talibans n’est pas basée sur des faits, mais elle est utilisée comme un moyen de saper essentiellement le gouvernement afghan et l’effort de l’OTAN, et de soutenir les belligérants ».
Les commentaires de Nicholson ne donnent aucune appréciation sur la création de l’IS-K et sur son impact sur les talibans dans leur ensemble.
La formation de l’IS-K peut présenter un lien de causalité avec le désordre qui s’est produit dans les rangs internes des talibans à la suite de la mort du mollah Omar, fondateur et inspirateur moral de l’organisation. La lutte pour choisir un successeur à Omar a révélé que les talibans étaient divisés en trois factions.
L’une d’elles, représentant la principale faction des talibans la plus étroitement liée au mollah Omar, souhaitait poursuivre et étendre la lutte existante contre le gouvernement afghan et la coalition dirigée par les États-Unis, qui l’ont appuyée et soutenue dans un effort visant à rétablir l’émirat qui régnait avant d’être expulsée du pouvoir dans les mois qui ont suivi les attaques terroristes du 11 septembre.
Une autre, enracinée dans les rangs des talibans pakistanais, souhaitait une approche plus radicale visant à établir un émirat régional au-delà des frontières de l’Afghanistan.
Une troisième faction s’était lassée de plusieurs années de combat et considérait le décès du mollah Omar comme une occasion de négocier un accord de paix avec le gouvernement afghan. L’IS-K est sorti des rangs du deuxième groupe et représentait une réelle menace pour la viabilité des talibans s’il pouvait convaincre un grand nombre des combattants les plus fanatiques des talibans de quitter les rangs des talibans traditionnels.
Pour les Russes, qui ont vu la puissance croissante des talibans se manifester lors de la prise éphémère de Konduz, le plus grand danger auquel ils étaient confrontés n’était pas une victoire des talibans sur le gouvernement afghan dominé par les États-Unis, mais plutôt l’émergence d’un mouvement extrémiste islamiste à vocation régionale qui pourrait servir de modèle et d’inspiration pour les hommes musulmans en âge de combattre et permettre à l’instabilité violente de s’envenimer localement et de s’étendre à la région pour les décennies à venir. Les talibans traditionnels n’étaient plus considérés comme une force à affronter, mais plutôt comme une force à contenir par la cooptation.
Dans une déclaration devant les troupes américaines en décembre 2016, le président de l’époque Barack Obama a ouvertement avoué que « les États-Unis ne peuvent pas éliminer les talibans ou mettre fin à la violence dans ce pays [l’Afghanistan] ». La Russie était parvenue à cette conclusion plus d’un an auparavant, après la prise de Konduz par les talibans.
Un an avant qu’Obama ne fasse cette annonce, Zamir Kabulov, le représentant spécial de la Russie en Afghanistan, a noté que « les intérêts des talibans coïncident objectivement avec les nôtres » lorsqu’il s’agit de limiter la propagation de l’État islamique en Afghanistan, et a reconnu que la Russie avait « ouvert des canaux de communication avec les talibans pour échanger des informations ».
Pour leur part, les talibans ont d’abord été réticents à l’idée de coopérer avec les Russes. Un porte-parole a déclaré qu’ils « ne voient pas la nécessité de recevoir de l’aide de qui que ce soit concernant le dénommé Daesh [État islamique], et nous n’avons ni contacté ni parlé avec quiconque de cette question. »
De nombreux dirigeants talibans ont lutté contre les Soviétiques dans les années 1980 et n’ont pas voulu être considérés comme des personnes travaillant avec leurs anciens ennemis. La montée de l’IS-K en Afghanistan, cependant, a créé une menace commune qui a contribué à panser de vieilles blessures, et alors que les talibans rejetaient toute relation ouverte, les Russes ont entamé un processus d’engagement diplomatique discret en coulisses. (L’histoire des négociations de Kaboulov avec les talibans remonte au milieu des années 1990).
En novembre 2018, ces efforts ont abouti à ce que l’on a appelé le « format de Moscou », un processus d’engagement diplomatique entre la Russie et les voisins de l’Afghanistan qui a conduit au tout premier envoi d’une délégation talibane à Moscou dans le but de discuter des conditions nécessaires à la tenue de pourparlers de paix visant à mettre fin au conflit en Afghanistan.
« Les talibans traditionnels n’étaient plus considérés comme une force à affronter, mais plutôt à contenir par la cooptation. »
Lorsque le président Trump a mis fin aux négociations de paix entre les États-Unis et les talibans en septembre 2019, c’est le « format de Moscou » qui a maintenu le processus de paix en vigueur, la Russie accueillant une délégation des talibans pour discuter de l’avenir du processus de paix.
La participation russe a contribué à maintenir ouverte la fenêtre des négociations avec les talibans, aidant à faciliter le retour éventuel des États-Unis à la table des négociations en février dernier, et n’a pas joué un mince rôle dans l’aboutissement de l’accord de paix du 27 février 2020 – un fait que personne aux États-Unis n’était prêt à reconnaître publiquement.
Un mauvais renseignement
Le rapport sur la collecte de renseignements qui s’est retrouvé dans le PDB du 27 février n’est pas apparu par hasard. La mise en évidence du réseau Hawala dirigé par Rahmatullah Azizi était la manifestation d’une animosité anti-russe plus large qui existait dans les priorités en matière de collecte de renseignements de l’armée américaine, de la CIA et de la Direction nationale de la sécurité afghane (NDS) depuis 2015.
Cet animosité peut être attribuée à la partialité qui existait tant au sein du Commandement central américain que de la CIA contre tout ce qui est russe, et à l’impact de cette partialité sur le fonctionnement du renseignement tel qu’il s’applique à l’Afghanistan.
L’existence de ce type de parti pris sonne le glas de tout effort de renseignement professionnel, car il anéantit l’objectivité nécessaire pour produire une analyse efficace.
Sherman Kent, le doyen de l’analyse du renseignement américain (le Centre d’analyse du renseignement de la CIA porte son nom), a mis en garde contre ce danger, faisant remarquer que s’il n’y avait aucune excuse pour les partis pris sur le plan de la politique ou des politiques menées, l’existence de partis pris analytiques ou cognitifs était ancrée dans la condition humaine, ce qui exigeait un effort continu de la part des personnes chargées de superviser les tâches analytiques pour les limiter.
Kent a exhorté les analystes à « résister à la tendance à voir ce qu’ils s’attendent à voir dans les renseignements », et a « exhorté à une prudence particulière lorsqu’une équipe entière d’analystes s’accorde immédiatement sur une interprétation de l’évolution d’hier ou une prédiction sur celle de demain ».
Une partie de la litanie des défaillances du renseignement
Le lien entre la théorie et la réalité a rarement, voire jamais, été réalisé au sein de la communauté du renseignement américain. Des estimations exagérées pendant la guerre froide sur la capacité militaire soviétique (les lacunes en matière de « bombardiers » et de « missiles ») ; la sous-estimation de la capacité militaire du Viêt-Cong et du Nord-Vietnam ; l’incapacité à prévoir avec précision la nécessité et l’impact des politiques de réforme de Gorbatchev en Union soviétique ; la débâcle concernant les armes de destruction massive irakiennes ; une mauvaise interprétation similaire de la capacité et des intentions nucléaires de l’Iran ; et l’échec de deux décennies qu’a été (et qu’est toujours) l’expérience des États-Unis en Afghanistan. La communauté du renseignement américain a l’habitude d’imprégner ses analyses de préjugés politiques et cognitifs, et de se tromper lourdement sur tellement de points.
L’histoire du système des primes russes ne fait pas exception. Elle représente le lien entre deux courants analytiques distincts, tous deux largement imprégnés de partialité politique : le premier, représentant la colère de l’Amérique de ne pas pouvoir contrôler le sort de la Russie au lendemain de l’effondrement de l’Union soviétique, et le second, la totale méconnaissance par l’Amérique de la réalité de l’Afghanistan (et des talibans) en relation avec la guerre mondiale contre le terrorisme (GWOT).
Pendant la première décennie environ, ces courants ont vécu séparément mais de manière identique, composés d’équipes d’analyse dont les travaux se croisaient rarement (en effet, à vrai dire, la « maison » russe/eurasienne a souvent été dépouillée de ses meilleurs talents pour nourrir l’appétit insatiable d’une « analyse » plus abondante et de meilleure qualité menée par l’entreprise GWOT).
L’élection de Barack Obama a cependant changé le paysage du renseignement et, ce faisant, a initié des processus qui permettent à ces deux courants de renseignement jusqu’alors disparates de dériver ensemble.
Sous le président Obama, les États-Unis ont « envoyé » quelque 17 000 soldats supplémentaires en Afghanistan pour tenter de renverser la vapeur. En septembre 2012, ces troupes avaient été retirées ; la « poussée » était terminée, sans autre résultat que 1 300 soldats américains supplémentaires tués et des dizaines de milliers d’autres blessés. La « poussée » avait échoué, mais comme tout échec lié à la politique présidentielle, elle a été vendue comme un succès.
Cette même année, l’administration Obama a subi un autre échec politique d’une ampleur similaire. En 2008, le président russe Vladimir Poutine a échangé sa place avec le premier ministre Dmitri Medvedev, et lorsque Obama est entré en fonction, son équipe d’experts de la Russie, dirigée par un professeur de Stanford nommé Michael McFaul, l’a convaincu du concept de « réinitialisation » des relations américano-russes, qui s’étaient détériorées sous la présidence de Bush pendant huit ans.
Mais la « réinitialisation » a été résolument unilatérale – elle a fait porter à Poutine toute la responsabilité du désaccord entre les deux nations, et aucune à deux administrations présidentielles successives de huit ans, dirigées par Bill Clinton et George W. Bush, sous lesquelles les États-Unis ont étendu l’alliance de l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie, abandonné les accords fondamentaux de contrôle des armements et se sont comportés fondamentalement comme si la Russie était un ennemi vaincu dont la seule attitude acceptable était celle de l’acquiescement et de la soumission.
Le premier président de la Russie, Boris Eltsine, ne semblait que trop heureux de jouer à ce jeu. Mais le successeur qu’il a choisi, Vladimir Poutine, pas du tout.
Avec l’installation de Medvedev à la présidence, McFaul a cherché à lui donner du pouvoir politique – en fait, à lui donner le traitement « Eltsine » – dans l’espoir qu’un Medvedev renforcé pourrait être capable de mettre Poutine hors jeu.
Pour un certain nombre de raisons (la plus importante étant peut-être le fait que Poutine n’avait pas l’intention de se laisser contraindre et que Medvedev n’a jamais été enclin à le faire), la « réinitialisation » russe a échoué. Poutine a été réélu à la présidence en mars 2012. Le stratagème de McFaul avait échoué, et à partir de ce moment, les relations américano-russes sont devenues un « jeu à somme nulle » pour les États-Unis – tout succès russe était considéré comme un échec américain, et vice versa.
En 2014, après avoir assisté au renversement d’un président ukrainien pro-russe dûment élu, Viktor Yanukovych, par un soulèvement populaire qui, s’il n’était pas fomenté par les États-Unis, était soutenu par ces derniers, Poutine a réagi en annexant la péninsule de Crimée majoritairement russe et en soutenant les sécessionnistes pro-russes dans la région séparatiste du Donbass en Ukraine.
Cette action a créé un fossé entre la Russie et les États-Unis et l’Europe, entraînant la mise en œuvre de sanctions économiques contre la Russie par les deux entités, et l’émergence d’une nouvelle relation de type guerre froide entre la Russie et l’OTAN.
En 2015, suite à son action en Ukraine, la Russie a envoyé ses militaires en Syrie où, à l’invitation du gouvernement syrien, elle a contribué à inverser la tendance sur le champ de bataille en faveur du président syrien en difficulté, Bachar al-Assad, contre un ensemble de groupes djihadistes.
Du jour au lendemain, les services de renseignement obscurs qui s’occupaient jusque-là des affaires russes et européennes ont soudainement été propulsés sur la scène mondiale, ainsi qu’au cœur de la politique américaine. L’école McFaul de la phobie de Poutine est soudainement devenue un dogme, et tout universitaire ayant publié un livre ou un article critique à l’égard du président russe a été élevé en statut et en stature, allant même jusqu’à occuper un siège à la table des cercles de décision les plus élevés de la communauté du renseignement américain.
Les Russes ont soudainement été dotés de capacités quasi surhumaines, allant jusqu’à la capacité de truquer une élection présidentielle américaine.
Après l’échec de la poussée d’Obama en Afghanistan, et le retrait d’Irak fin 2011 de toutes les troupes de combat américaines, l’état d’esprit dans toute la zone d’opérations du Commandement central était la « stabilité ». C’était la ligne directrice du commandement et il fallait plaindre l’analyste du renseignement qui tentait de donner l’alerte ou d’injecter un minimum de réalité dans l’entreprise de renseignement dont la mission était de maintenir ce sentiment de stabilité.
En effet, lorsque l’État islamique est sorti des déserts occidentaux de l’Irak pour s’établir à l’est de la Syrie, des dizaines d’analystes du renseignement du CENTCOM (Commandement central) se sont officiellement plaints que leur direction manipulait délibérément le résultat des analyses produites par le CENTCOM pour dresser un tableau « idyllique » délibérément trompeur de la vérité sur le terrain, par crainte de mettre en colère le Commandant général et son état-major.
Pour quiconque a passé un certain temps dans l’armée, on ne saurait trop insister sur l’importance des directives de commandement, qu’elles soient écrites ou verbales, lorsqu’il s’agit d’établir à la fois les priorités et l’approche. En bref, ce que le général veut, le général l’obtient ; malheur à l’officier subalterne ou à l’analyste qui n’a pas compris les consignes.
Les Russes ont soudainement été dotés de capacités quasi surhumaines, allant jusqu’à la capacité de truquer une élection présidentielle américaine.
En 2016, le commandant des forces américaines en Afghanistan, le général Nicholson, voulait voir les Russes saper les objectifs de la politique américaine en Afghanistan. La culture toxique qui existait au sein de l’entreprise de renseignement de CENTCOM n’était que trop heureuse de s’y conformer.
La corruption des services de renseignement au « point zéro » a fini par corrompre l’ensemble de la communauté américaine du renseignement, en particulier lorsqu’il y avait une volonté systématique de rejeter la responsabilité de l’échec de la politique américaine en Afghanistan ailleurs qu’à sa place, c’est-à-dire sur les épaules des décideurs politiques américains et des militaires qui ont exécuté leurs ordres.
Et il existait un dispositif de renseignements renforcé entre la Russie et l’Eurasie qui cherchait des occasions de rejeter la faute sur la Russie. Accuser la Russie de faire échouer la politique américaine en Afghanistan est devenu la loi du pays.
Les conséquences de ce parti pris politique et cognitif sont subtiles, mais apparentes pour ceux qui savent ce qu’il faut chercher, et qui sont prêts à prendre le temps de chercher.
Suite à la fuite dans le New York Times concernant les renseignements sur les « primes » russes, les membres du Congrès ont exigé des réponses concernant l’affirmation de la Maison Blanche selon laquelle les informations publiées par le Times (imité par d’autres grands médias) étaient « non vérifiées ».
Le représentant Jim Banks, qui siège à la Commission des forces armées en tant que l’un des huit législateurs républicains informés par la Maison Blanche du contenu des renseignements concernant les prétendues « primes » russes, a posté le tweet suivant peu après la fin de la réunion : « Ayant servi en Afghanistan pendant la période où les prétendues primes ont été versées, personne n’est plus en colère que moi à ce sujet ».
Il est indiqué dans la biographie de Banks ce qui suit : « En 2014 et 2015, il a pris un congé du Sénat de l’État de l’Indiana pour se rendre en Afghanistan pendant les opérations Enduring Freedom et Freedom’s Sentinel ».
La chronologie de Banks reflète celle proposée par un ancien haut dirigeant taliban, le mollah Manan Niazi, qui a déclaré aux journalistes américains qui l’ont interrogé après que l’histoire des « primes » russes ait éclaté que « les talibans ont été payés par les services secrets russes pour mener des attaques contre les forces américaines et les forces de l’État islamique en Afghanistan de 2014 à aujourd’hui ».
Des responsables, s’adressant anonymement aux médias, ont déclaré que « l’histoire de la chasse aux primes était « bien connue » de la communauté du renseignement en Afghanistan, y compris du chef de la station de la CIA et d’autres hauts responsables, comme les commandos militaires qui chassent les talibans. L’information a été diffusée dans des rapports de renseignements et mise en évidence dans certains d’entre eux ».
Si ceci est vrai, et qu’une partie de cette information s’est retrouvée dans le rapport de renseignement mentionné par le représentant Banks, alors le renseignement américain a vendu l’idée de primes russes concernant les troupes américaines depuis au moins 2015 – ce qui coïncide avec le moment même où la Russie a commencé à se ranger du côté des talibans contre l’IS-K.
Vu sous cet angle, les affirmations selon lesquelles Bolton aurait informé le président Trump sur la question des « primes » en mars 2019 – presque une année entière avant que le PDB sur ce sujet ne soit remis à la Maison Blanche – ne semblent pas trop tirées par les cheveux, à l’exception d’un petit détail : quelle était la base du briefing de Bolton ? Quels renseignements avaient été obtenus à l’époque et étaient-ils suffisamment crédibles pour justifier le fait que le président des États-Unis en soit informé par son conseiller à la sécurité nationale ?
La réponse est, bien sûr, non. Il n’y avait rien ; si c’était le cas, nous lirions une information suffisamment vérifiée pour garantir un démenti de la Maison Blanche. Tout ce que nous avons, c’est une histoire, une rumeur, une spéculation, une « légende » promue par des traîtres talibans financés par la CIA qui s’est suffisamment infiltrée dans le folklore afghan pour être assimilée par d’autres Afghans qui, une fois détenus et interrogés par la NDS et la CIA, ont répété la « légende » avec suffisamment d’ardeur pour qu’elle soit incluse, sans poser de questions, dans le rapport de collecte de renseignements qui a effectivement fait l’objet d’un PDB le 27 février 2020.
« Accuser la Russie de faire échouer la politique américaine en Afghanistan est devenu la loi du pays. »
Il y a un autre aspect de ce récit qui est complètement mis en échec, à savoir la compréhension de base de ce que constitue exactement une « prime ».
« Les responsables afghans ont déclaré que des primes allant jusqu’à 100 000 dollars par soldat tué étaient offertes pour des cibles américaines et de la coalition », a rapporté le Times. Et pourtant, lorsque Rukmini Callimachi, membre de l’équipe de reportage qui a révélé l’histoire, est apparue sur MSNBC pour en dire plus, elle a fait remarquer que « les fonds étaient envoyés de Russie, que les talibans aient tué des soldats ou non. Aucun rapport n’a été transmis au GRU sur les pertes humaines. L’argent a continué à être envoyé. »
Il y a juste un problème : ce n’est pas comme ça que les primes fonctionnent. Les primes sont la quintessence de l’arrangement avec contrepartie, une récompense pour un service rendu. Faites le travail, récoltez la récompense. Si vous échouez, pas de récompense. L’idée que le GRU russe ait mis en place un circuit d’argent liquide pour les talibans qui n’était pas, en fait, subordonné au meurtre des troupes américaines et de la coalition, est l’antithèse d’un système de primes. Cela ressemble plus à une aide financière, ce qui était le cas, et ça l’est toujours. Toute évaluation dans laquelle cette observation est manquante est simplement le produit d’un mauvais renseignement.
Le calendrier
La personne qui a divulgué l’histoire des « primes » russes au New York Times savait qu’avec le temps, les fondements de l’histoire ne résisteraient pas à un examen minutieux – il y avait simplement trop de lacunes dans la logique sous-jacente, et une fois la totalité des renseignements divulgués (ce qui, dès vendredi, semblait être le cas), la Maison Blanche prendrait le contrôle du récit.
Le moment où la fuite a eu lieu laisse entrevoir son véritable objectif. L’idée principale de l’histoire était que le président avait été informé d’une menace pour les forces américaines sous la forme de « primes » russes, payables aux talibans, et avait pourtant choisi de ne rien faire. Cette histoire allait finir par s’éteindre d’elle-même.
Le 18 juin, les États-Unis ont rempli leur obligation en vertu de l’accord de paix de réduire le nombre de soldats en Afghanistan à 8 600 d’ici juillet 2020. Le 26 juin, l’administration Trump était sur le point de finaliser la décision de retirer plus de 4 000 soldats d’Afghanistan d’ici l’automne, une mesure qui réduirait le nombre de soldats de 8 600 à 4 500 et ouvrirait ainsi la voie au retrait complet des forces américaines d’Afghanistan d’ici la mi-2021.
Ces deux mesures n’étaient pas bien accueillies par un establishment militaire qui se berçait d’illusions depuis deux décennies sur sa capacité à s’imposer dans le conflit afghan. De plus, une fois le nombre de soldats tombé à 4 500, il n’y aurait pas de retour en arrière – le retrait total de toutes les forces était inévitable, car à ce niveau, les États-Unis seraient incapables de se défendre, et encore moins de mener une quelconque opération de combat significative pour soutenir le gouvernement afghan.
C’est à ce moment que le divulgateur a choisi de communiquer ses informations au New York Times, au moment idéal pour créer une fureur politique destinée non seulement à embarrasser le président, mais aussi, et surtout, à mobiliser le Congrès contre le retrait des Afghans.
Jeudi, la Commission des forces armées de la Chambre des représentants a voté un amendement à la loi d’autorisation de la défense nationale qui exige que l’administration Trump délivre plusieurs certifications avant que les forces américaines puissent être réduites davantage en Afghanistan, dont une évaluation pour savoir si « des acteurs étatiques ont fourni des incitations aux talibans, à leurs filiales ou à d’autres organisations terroristes étrangères pour mener des attaques contre les forces de sécurité ou les civils américains, de la coalition ou des afghans en Afghanistan au cours des deux dernières années, y compris les détails de toute attaque supposée être liée à ces incitations » – une référence directe à la fuite sur les « primes » russes.
L’amendement a été adopté avec 45 voix contre 11.
Cela semble avoir été, plus que toute autre chose, l’objectif de la fuite. L’ironie de l’adoption par le Congrès d’une loi destinée à prolonger la guerre américaine en Afghanistan au nom de la protection des troupes américaines déployées dans ce pays devrait sauter aux yeux de tout le monde.
Le fait que ce ne soit pas le cas en dit long sur le degré de folie politique que ce pays a atteint. En ce week-end où l’Amérique célèbre collectivement la naissance de la nation, cette célébration sera marquée par le fait que des représentants élus ont voté pour soutenir une guerre dont tout le monde sait qu’elle a déjà été perdue. Le fait qu’ils aient pris cette décision sur la base de renseignements erronés divulgués dans le but de déclencher un tel vote ne fait qu’aggraver les choses.
Scott Ritter est un ancien agent de renseignement du Corps des Marines qui a servi dans l’ex-Union soviétique pour mettre en œuvre les traités de contrôle des armements, dans le golfe Persique pendant l’opération Tempête du désert, et en Irak pour superviser le désarmement des armes de destruction massive.
Source : Consortium News, Scott Ritter
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Commentaire recommandé
« moment ou l’urss occupait l’afghanistan et les us soutenaient les « islamistes » resistants »
L’URSS est intervenue à reculons à la demande expresse du gouvernement afghan pour aider ce dernier à se défendre contre les fouteurs de merde envoyés par les USA et les pétromonarchies.
Avant ce bordel (initié par Brzezinski sous Carter pour que l’URSS ait aussi son « Vietnam ») l’Afghanistan était un pays moderne dans lequel les femmes avaient des droits étendus et n’étaient pas du simple bétail comme aujourd’hui.
Par contre, horreur pour les USA, ce gouvernement était « communiste » donc faisant partie du camp du mal absolu.
Qui a foutu le bordel ?
Sûrement pas l’URSS qui ne souhaitait qu’une seule chose : Que les pays à ses frontières soient stables et en paix pour éviter que les conflits ne débordent sur leur propre territoire.
Par contre, les USA ne se gênent pas pour foutre le bordel sur toute la planète tout en ayant à leurs frontières des états croupions (Canada et Mexique) sur lesquels ils ont un contrôle encore plus absolu que ne l’avait l’URSS sur les anciens pays de l’est de l’Europe.
Et l’invasion de l’Afghanistan par les troupes US n’a pas été intriguée en coulisses par la « Russie de Poutine » mais bien par les intérêts de certains groupes privés qui s’en sont pris au gouvernement que les USA avaient eux-mêmes mis en place quelques années plus tôt.
Ensuite, les USA viennent pleurer en prétendant que ce sont « les russes » (ou les chinois, voire les iraniens) qui sont à l’origine de tous leurs malheurs.
Et le peuple US paye la facture avec ses impôts et son sang.
10 réactions et commentaires
Merci de cette mise au point.
« les hauts gradés américains ont accusé la Russie d’être responsable de la défaite de l’Amérique en Afghanistan »
Toujours accuser l’ennemi de ce qu’on fait soi-même.
Exemple:
« Si la Russie s’acoquine avec les talibans – et c’est un mot gentil – si elle leur donne du matériel dont nous avons la preuve que les talibans reçoivent… et d’autres choses que nous ne pouvons pas mentionner dans ce cadre non classifié… Et les talibans sont également associés à Al-Qaïda ? Donc la Russie aide indirectement Al-Qaïda en Afghanistan ? »
Quoi! La Russie aide une base créée par les USA… Mais c’est le monde à l’envers!
+9
Alerter(Extrait)
« Kent a exhorté les analystes à « résister à la tendance à voir ce qu’ils s’attendent à voir dans les renseignements », et a « exhorté à une prudence particulière lorsqu’une équipe entière d’analystes s’accorde immédiatement sur une interprétation de l’évolution d’hier ou une prédiction sur celle de demain. »
Sage rappel de base pour un service d’analystes.
Mais avec 17 services de renseignements agissant sur le territoire américain, forcément, même par la loi des probabilités, il y a bien une analyse qui va s’accorder avec les objectifs du donneur d’ordre. Et comme chaque donneur d’ordre a ses propres objectifs (dans le monde réel), vous imaginez la suite et les circonvolutions diverses et variées…
Moralité(si je puis m’exprimer ainsi), à chaque « fuite » savamment orchestrée ne correspond qu’un objectif d’un de ces acteurs de l’ombre.
Et 20, ou 30 ans plus tard, vous tombez sur un documentaire qui vous montre que les infos en direct de l’époque étaient fausses, édulcorées, approximatives (histoire d’instaurer la fameuse petite musique de fond).
+4
Alerteril y a toujours un point de bascule subtil dans le « grand jeu » ou on passe, lors de la lutte pour le controle d’un pays entre des « resistants » et le pouvoir en place, du moment ou soutenir la resistance coute peu cher et rapporte beaucoup ( moment ou l’urss occupait l’afghanistan et les us soutenaient les « islamistes » resistants) au moment ou ces resistants, souvent non majoritaires ou representatifs d’une minorite plus ou moins importante, prennent le pouvoir. A ce moment la,le soutien a leur apporter pour leur permettre de se maintenir au pouvoir devient de plus en plus couteux et la rentabilite de ce soutien decroit jusqu’a devenir un fardeau pour la puissance etrangere intervenante.
evidemment,la situation du pays ou la lutte entre puissances etrangeres ou zones d’influence se joue s’ameliore peu ou prou, a moins qu’un des camps dispose d’un chef competent ( Massoud par exemple,assassine en 2001) ou d’un soutien reel de la majorite de la population locale.
bref,un chaos durable dans un pays peut etre un equilibre satisfaisant pour une puissance exterieure intervenante qui ne veut pas trop claquer de pognon dans cette intervention…
+2
Alerter« moment ou l’urss occupait l’afghanistan et les us soutenaient les « islamistes » resistants »
L’URSS est intervenue à reculons à la demande expresse du gouvernement afghan pour aider ce dernier à se défendre contre les fouteurs de merde envoyés par les USA et les pétromonarchies.
Avant ce bordel (initié par Brzezinski sous Carter pour que l’URSS ait aussi son « Vietnam ») l’Afghanistan était un pays moderne dans lequel les femmes avaient des droits étendus et n’étaient pas du simple bétail comme aujourd’hui.
Par contre, horreur pour les USA, ce gouvernement était « communiste » donc faisant partie du camp du mal absolu.
Qui a foutu le bordel ?
Sûrement pas l’URSS qui ne souhaitait qu’une seule chose : Que les pays à ses frontières soient stables et en paix pour éviter que les conflits ne débordent sur leur propre territoire.
Par contre, les USA ne se gênent pas pour foutre le bordel sur toute la planète tout en ayant à leurs frontières des états croupions (Canada et Mexique) sur lesquels ils ont un contrôle encore plus absolu que ne l’avait l’URSS sur les anciens pays de l’est de l’Europe.
Et l’invasion de l’Afghanistan par les troupes US n’a pas été intriguée en coulisses par la « Russie de Poutine » mais bien par les intérêts de certains groupes privés qui s’en sont pris au gouvernement que les USA avaient eux-mêmes mis en place quelques années plus tôt.
Ensuite, les USA viennent pleurer en prétendant que ce sont « les russes » (ou les chinois, voire les iraniens) qui sont à l’origine de tous leurs malheurs.
Et le peuple US paye la facture avec ses impôts et son sang.
+18
AlerterHi from DC ❤ ✌ 💙. Thx a lot. Very interesting. Basically, maybe President Trump is not ‘ the mad warrior ‘ he was supposed to be: he could even be the President of the US getting sincerely moved and totally exhausted by the thousands ‘boys’ unusefully killed (‘for nothing’ ) abroad. For the record : Afghans defeated all the Occidental armies sent to this complicated country, geographically, politically, religiously .Vietnam war’s ghosts are not dead …
+3
AlerterUn lecteur comprenant cet article en français peut s’exprimer dans cette langue.
D’autre part, sur la charte de commentaires est écrit ceci :
« Seront ainsi systématiquement supprimés […] ceux qui n’apportent presque rien à la collectivité, […] parce qu’ils sont inintelligibles… »
Un texte écrit en anglais n’est intelligible que par une minorité de lecteurs des crises et entre donc dans cette catégorie. Pourquoi donc Louis de constance peut-il s’exprimer depuis longtemps ainsi ?
+10
AlerterVous partez sur la supposition « comprenant cet article en français », rien ne dit que ce soit le cas.
Etant donné qu’un grand nombre d’article de ce site sont traduits de l’anglais, on peut supposer que ce lecteur les lis dans leurs versions originales, dont les sources sont données systématiquement.
+0
Alerteron ne parlera pas ici plus qu’ailleurs de la culture de l’opium qui a augmenté en flêche depuis le début de la guerre en 2001…
https://ichef.bbci.co.uk/news/410/cpsprodpb/136E5/production/_106598597_afghan_opium_chart-nc.png
+2
AlerterEn résumé :
– mensonges et incompétence d’un côté (Usa)… et ne parlons pas des centaines de crimes de guerre.
– pragmatisme et juste analyse de la situation de l’autre (Russie).
Une preuve de plus que si le 20ème aura été le siècle américain, le 21ème ne le sera pas. L’Oncle Sam sombre à toute vitesse, cela en est même assez stupéfiant. Si en plus les Chinois leur ôtent le privilège exorbitant du Dollar comme monnaie de réserve mondiale, la dégringolade risque d’être encore plus rapide.
Et le monde s’en portera mieux? Je le crois.
+3
AlerterOn peut dire que le « complotisme » est devenu la règle du Renseignement US: d’une multitude de points, il s’arrange pour y voir un dragon. 🙂
https://www.google.com/search?q=conspiracy+theory+data+jpg&client=firefox-b-d&source=lnms&tbm=isch&sa=X&ved=2ahUKEwi3ppHI7qfrAhW5IDQIHdMnC18Q_AUoAXoECAsQAw&biw=1536&bih=858&dpr=1.25#imgrc=sfZ2W5G3OOlv8M
+2
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