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7.août.20207.8.2020 // Les Crises

Bountygate : Pourquoi Haspel n’a-t-elle pas exigé une réunion du Bureau ovale ?

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Source : Consortium News, Joe Lauria
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

[Le terme Bountygate est utilisé en analogie avec le scandale des primes des Saints de La Nouvelle-Orléans, surnommé « Bountygate », incident au cours duquel des membres de l’équipe des Saints de la National Football League ont été accusés de toucher des primes, ou « bounties », pour avoir blessé des joueurs de l’équipe adverse, NdT]

La sécurité des soldats américains en Afghanistan ne semble pas être le motif des fuites des agences de renseignement dans les médias concernant les prétendues « primes » russes, déclare Joe Lauria.

Le Los Angeles Times a rapporté jeudi soir qu’un retrait complet des troupes américaines d’Afghanistan, que Donald Trump avait exigé, a été reporté au-delà de l’élection présidentielle américaine de novembre.

Le maintien d’intérêts impériaux en Afghanistan semble être l’une des principales raisons du « scandale » non confirmé jusqu’à présent et peut-être même inventé, connu aujourd’hui sous le nom de Bountygate.

Les autres motifs semblent être les deux mêmes qui étaient au cœur du Russiagate : premièrement, des agents de renseignement anonymes se mêlent de la politique intérieure américaine, cette fois pour saper la campagne de réélection de Trump ; et deuxièmement, pour diaboliser encore plus la Russie et faire pression sur elle.

Le public a été soumis à des bribes quotidiennes d’histoires prétendument réelles destinées à approfondir l’intrigue. Le premier article a été mis en ligne le 26 juin, le New York Times ayant fait un premier reportage sur les propos d' »agents des services de renseignement américains ».

Cela semblait être une nouvelle tentative de blanchiment de désinformation par les grands médias, rendant ainsi l’histoire plus crédible que si elle provenait directement des services de sécurité. Un lecteur averti, cependant, désire plus que la parole d’une bande d’espions qui gagnent leur vie en pratiquant la tromperie.

La « preuve » de l’histoire selon laquelle la Russie a payé les talibans pour tuer des soldats américains provient des interrogatoires de détenus afghans. Si les interrogatoires ont été « poussés », cette preuve est encore moins fiable.

Pour mémoire, Consortium News ne soutient aucun candidat et a fortement critiqué Trump. Mais nous considérons que l’ingérence des agences de renseignement dans la politique intérieure est une plus grande menace que même huit ans sous Trump pour le précédent créé. Comme les espions aiment à le dire, « les administrations vont et viennent. Et nous sommes toujours là. »

Se mêler à nouveau de politique

Briefing dans le Bureau ovale, septembre 2017. (Photo officielle de la Maison Blanche de Shealah Craighead)

L’objectif principal de cette histoire racontée dans le Times a été clairement expliqué dans le paragraphe suivant, et c’est le thème constant depuis, repris par les détracteurs de Trump allant du Lincoln Project au candidat démocrate Joe Biden :

« La découverte des services de renseignement a été communiquée au président Trump, et le Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche a discuté du problème lors d’une réunion inter-agences fin mars, ont déclaré les agents. Les fonctionnaires ont élaboré un éventail d’options envisageables – à commencer par le dépôt d’une plainte diplomatique contre Moscou et une demande d’arrêt, ainsi qu’une série de sanctions croissantes et d’autres réponses possibles, mais la Maison Blanche n’a encore autorisé aucune mesure, ont déclaré les agents ». [C’est nous qui soulignons].

Il a été conclu que Trump était au courant depuis des mois et n’a rien fait, évidemment parce qu’il est un agent du Kremlin.

Trump a dit qu’il n’était pas au courant du « renseignement ». John Ratcliffe, le directeur du renseignement national, a publié une déclaration le 27 juin indiquant que Trump n’avait pas été mis au courant.

Mais le Times de ce jour-là a cité un « agent du renseignement américain » (un autre ou le même ?) tenant les propos suivants :

« …le « President’s Daily Brief », un document écrit qui reprend les informations collectées par les espions pour faire des prédictions analytiques sur des adversaires de longue date, recensait des complots en cours et des crises émergentes dans le monde entier. Le document d’information est remis au président pour lecture et sert de base aux briefings oraux qui lui sont adressés plusieurs fois par semaine. »

Le Times n’a pas dit que Trump en avait été informé oralement. Je soupçonne la CIA de ne lui avoir donné qu’un exemplaire imprimé, et sachant que Trump ne lit pas entièrement ses briefings écrits quotidiens, ne le lui a pas dit oralement, le faisant passer pour un menteur en divulguant cette information.

Mais cela a soulevé la première question qui se pose : S’il s’agissait d’une question si urgente que Trump avait ignorée pendant plus de trois mois, pourquoi la directrice de la CIA, Gina Haspel, n’avait-elle pas exigé, pendant tout ce temps, une réunion immédiate du Bureau ovale avec Trump pour l’inciter à agir ? Après tout, le travail de la CIA ne consiste-t-il pas à protéger les Américains ?

« Si cette histoire était si près d’être confirmée, Haspel aurait fait un briefing direct étant donné la sensibilité du sujet », m’a dit par e-mail Scott Ritter, un ancien agent antiterroriste américain. Haspel, prenant ses distances par rapport à la controverse, a publié une déclaration condamnant les fuites au Times, en disant qu’elles « compromett[ai]ent et perturb[ai]ent le travail critique inter-agences visant à recueillir des informations sur la responsabilité, à l’évaluer et à l’attribuer ».

Il est clair que le but de cette fuite n’était pas de protéger la vie des soldats américains.

Des démentis de toutes parts

Trump parle aux membres du Conseil de sécurité nationale lors d’une réunion au Pentagone en 2017 (photo du DoD par le sergent de l’armée Amber I. Smith)

L’histoire est émaillée de petites fuites tous les jours malgré les démentis des talibans, de Moscou et les déclarations du Conseil de sécurité nationale, de l’Agence de sécurité nationale, du Pentagone et du directeur du renseignement national qui sapent sa crédibilité. Les responsables du Conseil de sécurité nationale ont déclaré que les informations n’avaient pas été suffisamment corroborées pour être portées à l’attention de M. Trump.

« Parce que les accusations contenues dans les récents articles de presse n’ont pas été vérifiées ou confirmées par la communauté du renseignement, le président Trump n’a pas été informé de ces éléments », a déclaré Robert O’Brien, le conseiller à la sécurité nationale.

« Nous enquêtons toujours sur la prétendue interférence mentionnée dans les reportages des médias et nous informerons le président et les dirigeants du Congrès en temps voulu », a déclaré John Ratcliffe, directeur du renseignement national.

Le porte-parole du Pentagone, Jonathan Hoffman, a déclaré dans un communiqué : « Le département de la défense continue d’évaluer les renseignements selon lesquels des agents russes du GRU se seraient livrés à des activités malveillantes contre les États-Unis et les forces de la coalition en Afghanistan. À ce jour, le département de la défense n’a aucune preuve convaincante pour valider les récentes accusations contenues dans les rapports de source ouverte ».

Ray McGovern, l’ancien analyste de la CIA, a déclaré : « J’ai participé à la préparation du President’s Daily Brief pour les présidents Nixon, Ford et Reagan, et j’ai personnellement dirigé les briefings matinaux individuels dans le Bureau ovale de 1981 à 1985. À l’époque, nous faisions de notre mieux pour étayer les rapports – en particulier sur les questions très sensibles – et nous n’essayions pas de couvrir nos arrières en alertant le président et ses principaux collaborateurs sur des rapports très douteux, aussi attrayants étaient-ils ».

Le Wall Street Journal a rapporté que la NSA était « fortement en désaccord » avec l’évaluation des primes, citant « des personnes connaissant bien la question ».

Même l’anti-Poutine Moscow Times ne croit pas à cette histoire.

Le goutte-à-goutte des nouvelles fuites

L’histoire initiale a été suivie de nouvelles fuites quasi quotidiennes. Le Times nous a d’abord parlé d’un virement électronique d’un compte bancaire contrôlé par le GRU, le service de renseignement militaire russe, adressé aux talibans. On ne nous a pas dit à quoi servait cet argent. Y avait-il une ligne de crédit « tuer des soldats américains » ? Voici ce que rapporte le Times :

« Bien que les États-Unis aient déjà accusé la Russie de fournir un soutien général aux talibans, les analystes ont conclu, à partir d’autres renseignements, que les virements faisaient très probablement partie d’un programme de primes que les détenus ont décrit lors des interrogatoires. » [C’est nous qui soulignons].

L’information selon laquelle »d’autres renseignements » qui ne sont pas cités indiquent « très probablement » que les virements faisaient partie du « programme » de primes n’est guère convaincante.

Quiconque s’y connaît en matière d’opérations de renseignement sait que ces paiements seraient effectués en espèces sur le terrain en Afghanistan et non en laissant une trace écrite visible. L’argent viendrait d’agents russes en Afghanistan et ne serait pas versé sur un compte appartenant aux talibans. C’est le même portrait que celui d’un service de renseignement russe maladroit et non professionnel qui aurait laissé des lettres cyrilliques et le nom du premier chef de la police secrète soviétique dans les métadonnées de ses piratages présumés du DNC [Comité national démocrate, NdT]. En même temps, nous sommes censés avoir une peur bleue de ces amateurs. [En français dans le texte, NdT]

L’argent prétendument envoyé par virement bancaire aurait été remis en espèces sur le champ de bataille par un « modeste trafiquant de drogue » qui a rendu ses voisins perplexes parce qu’il conduisait tout à coup une voiture de luxe. Mais attendez, Rahmatullah Azizi, selon le Times, a reçu l’argent en Russie :

« Les rapports des services de renseignement américains ont désigné M. Azizi comme un intermédiaire clé entre le G.R.U. et les militants liés aux talibans qui ont perpétré les attaques. Il faisait partie de ceux qui ont récupéré l’argent en Russie, ce que les fichiers de renseignement décrivent comme des paiements multiples de « centaines de milliers de dollars » ». [C’est nous qui soulignons.]

Cela contredit l’histoire précédente du Times selon laquelle l’argent a été transféré électroniquement. Maintenant, l’argent a été récupéré en Russie. Les associés d’Azizi ont été arrêtés et un demi-million de dollars ont été trouvés dans sa maison. Le Times, cependant, ne dit pas de quoi ils ont été accusés.

« On ne sait pas exactement comment l’argent a été distribué aux militants menant des attaques pour les talibans, ni à quel niveau la coordination a eu lieu », rapporte le Times. En effet. À une époque antérieure du journalisme, un rédacteur en chef aurait balancé : « Ne parlez pas de cette histoire avant d’avoir découvert la vérité ».

Mission accomplie

Les trois objectifs des fuites sont atteints :

Trump fait l’objet d’un acharnement incessant. Des histoires réfutées concernant le Russiagate selon lesquelles il serait un outil du Kremlin ont été relancées.

La Russie est encore un peu plus diabolisée, non seulement comme destructrice de la démocratie américaine, mais aussi comme destructrice de vies américaines.

Les troupes restent en Afghanistan malgré les objections de Trump.

Selon le Los Angeles Times, la décision d’y maintenir un peu plus de 4 000 soldats a été prise « à la fin du mois dernier », à peu près au moment où le New York Times a publié son article.

« Ce plan, élaboré lors d’une réunion entre des fonctionnaires du Pentagone et de la Maison Blanche à la fin du mois dernier, représenterait un volte-face pour le président Trump. Il a fait pression pour un retrait complet des 8 600 soldats actuellement en Afghanistan d’ici l’élection, considérant ce retrait comme une réalisation indispensable en matière de politique étrangère étant donné que ses perspectives de réélection se sont détériorées. Trump a récemment déclaré à ses conseillers qu’un retrait complet et rapide pourrait apaiser la controverse sur les rapports des services de renseignement selon lesquels la Russie aurait payé des militants pour tuer des membres des services américains », a déclaré un fonctionnaire.

Joe Lauria est rédacteur en chef de Consortium News et ancien correspondant du Wall Street Journal, du Boston Globe, du Sunday Times de Londres et de nombreux autres journaux. Il a commencé sa carrière professionnelle en tant que pigiste pour le New York Times. Il est joignable à l’adresse joelauria@consortiumnews.com et peut être suivi sur Twitter @unjoe.

Source : Consortium News, Joe Lauria
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Commentaire recommandé

Jean-Do // 07.08.2020 à 08h43

On peut, en effet, détester Trump et détester que l’on fasse de la désinformation pour s’en débarrasser.

Ce qui est amusant c’est de voir que les USA qui avaient soutenu les « fous de dieu » d’Al Quaida et leur avait fourni des armes pour tuer les Russes en Afghanistan, s’affolent à l’idée qu’on puisse leur rendre la pareille. C’est aussi qu’ils espionnent les communications de tout le monde, y compris via les portes dérobées des Cisco, mais poussent des cris d’orfraie dès qu’ils imaginent que la Chine en ferait autant ou plus probablement refuserait de leur donner les moyens de continuer. C’est enfin qu’ils manipulent les élections et les opinions de qui ils veulent et brament à l’idée qu’on puisse leur rendre la pareille.

J’ai déjà vu des gens avoir la mémoire courte et sélective mais à ce point, c’est rare tout de même. Il faudra le leur rappeler quand (et si) ils dégagent le gros nul de la Maison Blanche.

3 réactions et commentaires

  • LibEgaFra // 07.08.2020 à 07h46

    « le New York Times ayant fait un premier reportage sur les propos d’ »agents des services de renseignement américains ». »

    Ou quand la propagande remplace l’information. Bien sûr, il faut protéger la « source » – si seulement elle existe.

    Les yankees ont l’habitude d’accuser les autres de ce qu’ils font eux-mêmes.

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  • Jean-Do // 07.08.2020 à 08h43

    On peut, en effet, détester Trump et détester que l’on fasse de la désinformation pour s’en débarrasser.

    Ce qui est amusant c’est de voir que les USA qui avaient soutenu les « fous de dieu » d’Al Quaida et leur avait fourni des armes pour tuer les Russes en Afghanistan, s’affolent à l’idée qu’on puisse leur rendre la pareille. C’est aussi qu’ils espionnent les communications de tout le monde, y compris via les portes dérobées des Cisco, mais poussent des cris d’orfraie dès qu’ils imaginent que la Chine en ferait autant ou plus probablement refuserait de leur donner les moyens de continuer. C’est enfin qu’ils manipulent les élections et les opinions de qui ils veulent et brament à l’idée qu’on puisse leur rendre la pareille.

    J’ai déjà vu des gens avoir la mémoire courte et sélective mais à ce point, c’est rare tout de même. Il faudra le leur rappeler quand (et si) ils dégagent le gros nul de la Maison Blanche.

      +30

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  • Anthony // 07.08.2020 à 19h56

    Bountygate,
    c’est pas plutôt le nom de ce que la cia, entre autre, achète et transporte en provenance d’Afghanistan ?
    Pourquoi quitter cet eldorado…ceci plus le vol du pétrole en Syrie…une affaire qui roule.
    Anthony

      +5

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