Source : Rue89.nouvelobs, Vinvin, 22-11-2015
Voilà, nous sommes en guerre. Et depuis le 13 novembre, tout le monde a l’air d’accord. Le blogueur Vinvin est tétanisé par l’union sacrée. Il voudrait que l’on doute, un peu.
En étudiant l’histoire, à l’école puis à la fac, je me suis toujours demandé comment il était possible d’entrer en guerre. J’ai toujours été effondré par l’idée que des gens sympas, normaux avec des vies distraites et une bonne convivialité, pouvaient soudainement se placer dans la guerre, s’armer et bombarder, exterminer des civils, des gens sympas, normaux, avec des vies distraites eux aussi et une bonne convivialité la plupart du temps.
J’ai été marqué par le conflit en Yougoslavie, m’interrogeant sur ces massacres entre soi, de tous ces gens qui vivaient si proches les uns des autres la minute d’avant, et se violaient, s’exterminaient la minute d’après, alors qu’ils avaient la modernité, la technologie, des championnats de foot et des popcorns au cinéma. Ça n’allait pas ensemble, ce confort, ces distractions familiales et ces tueries.
Globalement je déteste la guerre, comme Miss France. Et je sais que vous aussi, vous détestez la guerre. Tout le monde déteste la guerre, c’est normal, ça pique et ça tue ; sans parler du fait que ce n’est pas très moral, et bien souvent inutile. « Quel gâchis ! » entend-on souvent si l’on tend l’oreille, ou encore « tout ça pour ça… » ou « quelle absurdité ! ».
Et pourtant, il a suffi d’un soir, d’un massacre d’innocents comme nous, d’un seul coup et avec des méthodes dignes des pires cauchemars, pour lancer la France dans la guerre.
En deux jours
J’ai compris donc pour la première fois comment les choses arrivaient dans l’Histoire. J’ai compris que le progrès, les Lumières, l’expérience du passé, l’humanisme revendiqué, l’esprit des anciens, na valaient pas tripette face au consensus sanguinaire. Le besoin de vengeance, animal, est bien plus fort que tous les raisonnements. Il est reptilien, immédiat, naturel. L’exigence de sécurité et le besoin de vengeance sont des instincts primaires, on ne peut pas lutter. Le temps court pulvérise le temps long. L’émotion désintègre la raison. Nous avons eu notre Pearl Harbour…
J’ai critiqué le congrès de Versailles pendant qu’il se tenait. J’ai détesté cette séquence. Tout mon corps, toute mon âme, savaient que nous allions plonger dans la guerre d’un seul tenant, avec des grands mots et des airs obscurs. C’est arrivé. Ils en ont appelé à l’union sacrée. Si tu critiques, tu es un traître. Si tu doutes, tu es un hippie. L’union sacrée, c’est l’expression massue, imposée par ceux qui pour la deuxième fois de leur mandat peuvent espérer une ébauche d’unité. Je ne dis pas qu’ils se réjouissent, ne soyons pas cynique, mais en tout cas ça tombe bien.
Et soudain je me souviens de cette expression que disait mon grand-père pour s’amuser, « ce qu’il nous faudrait c’est une bonne guerre ! ». Une « bonne » guerre, c’est un élan collectif, un ennemi commun, des usines qui tournent, une énergie nouvelle qui remet du baume au cœur… Mais embaume les corps. Parce que merde à la fin ! On parle quand même d’aller exercer la peine de mort à grande échelle. C’est ça la guerre. (Notons donc au passage que plein de gens que je connais sont contre la peine de mort, mais pour la guerre. C’est savoureux… Mais bon, je sais, c’est pas pareil, c’est reptilien…)
Affiche de mobilisation générale en France du 2 août 1914 – Wikimedia Commons
Un ami m’a dit « Tu ferais moins le philosophe si cela avait été ta femme, ou ta fille, au Bataclan ! ». C’est exact. Je pense que si cela avait été ma femme ou ma fille je serais déjà en guerre partout en train de combattre avec plus de kalachnikovs sur moi que dans tout le Moyen-Orient. Mais c’est pour protéger l’humanité de cela que nous avons créé un tas d’institutions, des lois, des protections collectives. Pour nous éviter ces pulsions de mort, cet instinct animal de vengeance. Nous protéger de nous-mêmes.
Prendre du recul est possible, non ?
Alors quand soudain je vois qu’en moins de deux jours tombent toutes les barrières, je m’effraie. Quand je vois que seulement six députés ont voté contre la loi sur l’état d’urgence, je suis tétanisé. Je ne dis pas qu’il ne fallait pas la signer, mais s’interroger n’est pas un crime. Prendre du recul est possible. Mais là : non. L’esprit de meute est bien là, le sang au bout des crocs est unanime, et quiconque s’y opposera se prendra une fatwa républicaine.
Depuis tout petit je me méfie des groupes et des consensus ; on me l’a souvent reproché, de rester dans mon coin. Je n’y peux rien, c’est plus fort que moi. Le consensus m’angoisse, surtout quand il est spontané, soudain et trempé dans l’émotion et le sang. (Et cerise sur le gâteau, savoir que Balkany chante la Marseillaise dans un grand élan d’union nationale a tout pour m’émouvoir, c’est vrai. Pardon. Non mais c’est bien que des soldats français risquent leur vie pendant qu’il bronze dans son riad payé par le contribuable. Tout va bien. Mais je m’égare. Union sacrée, pardonnez-moi.)
« OK donc t’es contre l’état d’urgence et la fermeté ? »
Alors voilà, nous sommes en guerre. C’est ainsi. Là-bas, à côté des barbares dans les camps poussiéreux, des enfants, des femmes et d’autres innocents s’en prennent plein la gueule (les bombes choisissent mal leurs cibles), nourrissant souffrances et esprit de vengeance pour des décennies. Echec général de l’humain, de la raison et de l’Histoire. Le massacre continue, à la violence on rajoute la violence. C’est acté, c’est signé, c’est populaire. Et cette guerre là-bas, loin, dans le désert, porte le même nom que cette guerre ici, là, dans les cités, mais aussi dans nos libertés. Un seul mot pour tout compter, tout justifier. Du Rafale qui bombarde en Syrie, à la loi de renseignement qui surveille ici, il en reste un petit peu je vous le mets quand même ? Tu prends tout, tu fermes ta gueule et tu serres les fesses, c’est l’union sacrée mec…
« OK donc t’es contre l’état d’urgence et la fermeté ? » (on me l’a dit)
Pas du tout. Je rappelle au passage que j’ai fait mon service dans l’Infanterie de marine, que j’ai adoré cette période de ma vie, que j’y ai brassé la France, et que je pense que la suppression du service militaire a été la plus belle connerie de ces dernières décennies. J’ai d’autre part toujours été sensible à la notion de défense et de self-défense, que je pratique d’ailleurs toujours aujourd’hui. Je crois aussi qu’il fallait effectivement mener cette gigantesque campagne d’arrestations et de perquisitions qui se continue aujourd’hui (il y a huit mois ça aurait été bien mais bon, un truc m’échappe.)…
Mais je ne crois pas qu’il fallait foncer tête baissée dans la guerre là-bas, en le clamant, tel un croisé, l’œil ému et le bras tremblant. Cette croisade en Syrie est un autre dossier, un merdier capitalistico-pétroléo-stratégico-mafieux de grande envergure, qui n’a pas grand chose à voir avec notre unité nationale. Le combat ici, oui, plus fort, plus intelligent, concentré, financé, argumenté, accompagné, expliqué. La guerre là-bas ? Au minimum un débat. Une concertation du peuple. Un temps de recul avant de se la jouer Bush. N’a-t-on donc rien retenu des vingt dernières années ?
Et l’amour ?
Et puis j’aurais rêvé que cette campagne ici se fasse au service d’un message plus puissant que simplement « la guerre ». J’aurais rêvé que cette contre-offensive soit le bras armé et imparable de « l’amour ». C’est possible. On aurait pu agir de la même façon sans employer les mots qui fâchent tout de suite. On aurait pu envoyer les mêmes troupes dans les cités sans exacerber cette pulsion de vocabulaire sanguinaire. On aurait pu renouveler notre amour, notre tolérance et notre dignité, comme l’avait fait le ministre danois en son temps. On aurait pu évoquer l’idée de remettre en cause nos accords commerciaux avec des pays chelous (l’Allemagne vient de le faire, avant nous bien sûr), clairement, sans ambiguïté. On aurait pu s’exprimer main dans la main avec des musulmans de France, comme cette vieille dame l’a dit, donnant l’espace d’un instant un sourire à tout le monde. On aurait dû remettre l’éducation, l’intégration, le partage, les investissements pour l’avenir, en priorité, pour ensuite, dans un deuxième temps, parler de forces de police, d’engagement militaire, etc. Dans cet ordre, le discours aurait tout changé. On serait passé d’un pays qui pense et agit ensuite, à un pays qui dégaine et finit par regretter, façon Bush.
Nous avons perdu notre sang-froid et avons foncé dans l’Histoire des guerres avec si peu de recul que j’en suis terrifié. Je vous invite à ne pas m’insulter si vous n’êtes pas d’accord : c’est là tout l’enjeu de ce texte.
Source : Rue89.nouvelobs, Vinvin, 22-11-2015
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Commentaire recommandé
Une dame âgée m’a dit, du temps du Maidan, qu’elle sentait (re)venir la guerre, c’est le ton de propagande qu’avaient pris les journaux qui l’inquiétaient et ce depuis la Libye.
Et je partageais ses inquiétudes. J’ai même constaté que le seul à refuser à rentrer, ouvertement, dans les provocations était Vladimir V Poutine…
Elle me citait Jaurès : « Le capitalisme porte la guerre en lui comme la nuée l’orage ».
Or nous sommes en plein marasme économique.
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L’Heure est Grave
Le 16 novembre 2015, le Président de la République déclarait : « J’estime en conscience que nous devons faire évoluer notre Constitution pour permettre aux pouvoirs publics d’agir conformément à l’Etat de droit contre le terrorisme de guerre ». Il annonçait ainsi charger le Premier ministre de préparer une révision de la Constitution.
Qu’est-ce que la Constitution ? Il s’agit du texte fondateur de l’Etat français actuel datant du 4 octobre 1958 qui instaure la Vème République depuis son adoption par référendum le 28 septembre 1958. La Constitution organise la répartition entre les différents pouvoirs politiques (législatif/Parlement, exécutif/Chef de l’Etat-Gouvernement, judiciaire) et reconnaît des droits et libertés aux citoyens français. Elle est la norme de référence tant pour l’Etat ainsi créé que pour les citoyens vivant sur son territoire. L’Etat de droit est, par conséquent, un Etat soumis au droit, il doit agir conformément aux règles juridiques, dont la Constitution qui est la norme suprême de l’Etat.
→ Pour consulter ladite Constitution, voir notamment http://www.assemblee-nationale.fr/connaissance/constitution.asp
Qu’est-ce qu’une révision de la Constitution ? Il s’agit d’apporter des modifications à ce texte fondamental, soit en supprimant soit en ajoutant des règles afin de faire évoluer le fonctionnement de l’Etat. Cela est possible en vertu des dispositions de l’article 89 de la Constitution qui instaurent une procédure spéciale permettant de la réviser.
→ Article 89 de la Constitution :
« L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement.
Le projet ou la proposition de révision doit être examiné dans les conditions de délai fixées au troisième alinéa de l’article 42 et voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum.
Toutefois, le projet de révision n’est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce cas, le projet de révision n’est approuvé que s’il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le Bureau du Congrès est celui de l’Assemblée nationale.
Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire.
La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision. »
Existe-t-il des limites à la révision de la Constitution ? Pour éviter toute modification abusive de la Constitution, celle-ci prévoit en effet des garde-fous ou limites. On trouve notamment à l’avant-dernier alinéa de l’article 89 de la Constitution qu’« Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire ».
→ Pour approfondir, lire notamment http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/la-constitution/la-constitution-de-1958-en-20-questions/la-constitution-en-20-questions-question-n-20.25811.html
Or, depuis le 14 novembre 2015, l’état d’urgence a été décrété par le Président de la République suite aux attentats survenus à Paris la veille. D’une durée initiale de douze jours, il a été prolongé de trois mois par la loi du 20 novembre 2015. L’état d’urgence est la manifestation d’une atteinte à l’intégrité du territoire français.
Ainsi, peu importe le contenu du projet de révision, dès lors que l’intégrité du territoire français est atteint, il est expressément interdit de procéder à toute modification de la Constitution.
Au-delà, il est envisagé de modifier notamment les dispositions de l’article 16 de la Constitution qui confèrent au Président de la République les pleins pouvoirs en circonstances exceptionnelles.
→ Article 16 de la Constitution :
« Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des Présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel.
Il en informe la Nation par un message.
Ces mesures doivent être inspirées par la volonté d’assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d’accomplir leur mission. Le Conseil constitutionnel est consulté à leur sujet.
Le Parlement se réunit de plein droit.
L’Assemblée nationale ne peut être dissoute pendant l’exercice des pouvoirs exceptionnels.
Après trente jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel peut être saisi par le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs, aux fins d’examiner si les conditions énoncées au premier alinéa demeurent réunies. Il se prononce dans les délais les plus brefs par un avis public. Il procède de plein droit à cet examen et se prononce dans les mêmes conditions au terme de soixante jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels et à tout moment au-delà de cette durée. »
Cette révision envisagée qui appelle naturellement la mise en œuvre à venir des pleins pouvoirs présidentiels est, d’une part, une confirmation de l’atteinte à l’intégrité du territoire et, d’autre part, impossible juridiquement à adopter sauf à ne pas se conformer à l’Etat de droit ainsi qu’au principe démocratique qui a permis l’adoption de cette Constitution. Est-il nécessaire de rappeler que « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum » aux termes de l’article 3 de la Constitution et que le droit de résistance à l’oppression fait partie « des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme » selon les dispositions de l’article II de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qui figure dans le préambule de la Constitution ?
C’est dire ce qui attend les citoyens français, un Etat soumis au droit qu’il aura moulé à l’envie au préalable…
Citoyens avertis
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