L’administration Biden a proposé une nouvelle norme de protection contre la chaleur, dont on a désespérément besoin pour protéger les travailleurs contre les températures caniculaires. Il faut s’attendre à ce que les groupes d’entreprises s’y opposent.
Source : Jacobin, Alex N. Press
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Un nouvel été, une nouvelle vague de chaleur record. Le service météorologique national a émis des avertissements de chaleur excessive pour la Californie, invitant les habitants à rester à l’abri du soleil, à boire et à prendre des nouvelles de leurs voisins tout au long de la semaine. Les météorologues ont les yeux rivés sur le parc national de la Vallée de la mort, où a été enregistrée de manière fiable la température la plus élevée sur Terre : 54,4° Celsius, en 2020 puis en 2021, pour voir si la vague de chaleur de cette semaine permettra d’établir un nouveau record. Le mois dernier, une vague de chaleur sur la côte Est a battu des dizaines de records locaux.
Le changement climatique se traduit par une augmentation de la fréquence des épisodes de canicule. Il s’agit d’une évolution dangereuse, car ces phénomènes météorologiques sont les plus meurtriers aux États-Unis, causant plus de décès que les inondations, les ouragans et les tornades réunis. L’année dernière a été la plus chaude de l’histoire, et elle a tué au moins 2 300 personnes, le chiffre réel étant probablement beaucoup plus élevé puisque les chaleurs extrêmes exacerbent d’autres problèmes de santé qui sont souvent cités comme cause du décès d’une personne.
Pourtant, même si les températures extrêmes obligent les gens à se ménager, les horaires de travail de nombreux travailleurs se poursuivent normalement. Les travailleurs ont peu de recours face à une telle mise en danger par l’employeur, et les résultats sont mortels. De plus en plus souvent, des travailleurs meurent sur leur lieu de travail pendant les journées chaudes. Quel que soit l’âge ou la santé d’une personne, la chaleur extrême tue, et la prévisibilité de ces décès les rend d’autant plus condamnables.
En réponse à la crise croissante des décès liés à la chaleur sur le lieu de travail, le président Joe Biden a proposé la toute première norme fédérale en matière de chaleur. Cette nouvelle réglementation de l’Occupational Safety and Health Administration (OSHA), attendue depuis longtemps, imposerait une série de changements aux employeurs : « Identifier les risques liés à la chaleur, élaborer des plans de lutte contre les maladies liées à la chaleur et des plans d’intervention d’urgence, former les employés et les superviseurs, et mettre en œuvre des normes de pratiques de travail – y compris des pauses, l’accès à l’ombre et à l’eau, et l’acclimatation à la chaleur pour les nouveaux employés. »
« Dans tout le pays, des travailleurs s’évanouissent, souffrent d’un coup de chaleur et meurent d’une exposition à la chaleur simplement en faisant leur travail, et il faut faire quelque chose pour les protéger », a déclaré Douglas L. Parker, secrétaire adjoint au travail chargé de la sécurité et de la santé au travail, à propos de la nouvelle norme. La proposition d’aujourd’hui constitue une étape importante dans le processus de consultation du public en vue de l’élaboration d’une règle finale « gagnant-gagnant » qui protège les travailleurs tout en étant pratique et réalisable pour les employeurs.
Si elle est mise en œuvre, la règle établira un indice de chaleur de 26,7° C comme seuil de déclenchement. Lorsque le lieu de travail atteindra cette température, les employeurs seront tenus de respecter les nouvelles normes en matière de pratiques de travail, telles que l’eau potable et les pauses. Si un lieu de travail atteint un indice de chaleur de 32 degrés Celsius, les employeurs devront accorder aux travailleurs une pause rémunérée d’au moins quinze minutes toutes les deux heures. La règle leur impose également de prendre des mesures immédiates pour aider un travailleur présentant les signes et symptômes d’une situation d’urgence due à la chaleur. Un haut fonctionnaire de l’administration a déclaré au New York Times que les employeurs qui ne respectent pas la norme s’exposent à des amendes de plus de 16 000 dollars en fonction de l’infraction commise.
Selon la Maison Blanche, cette règle concernerait quelque trente-six millions de travailleurs, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. S’il est clair depuis longtemps que les travailleurs en extérieur, comme ceux qui travaillent dans l’agriculture, l’aménagement paysager ou la construction, sont vulnérables aux conditions météorologiques extrêmes, les travailleurs en intérieur se sont organisés ces dernières années pour attirer l’attention sur les risques auxquels ils sont également confrontés.
Les travailleurs d’Amazon en particulier, jusqu’à récemment abandonnés par les élus et les syndicats, ont pris les choses en main dans des entrepôts tentaculaires où la température peut dépasser celle de l’extérieur. Amazonians United, un syndicat minoritaire qui opère dans une poignée d’entrepôts de l’entreprise, a forcé cette dernière à mettre plus d’eau à la disposition des travailleurs des entrepôts, une victoire qui a rapidement conduit l’entreprise à renforcer son approvisionnement en eau à l’échelle nationale. Une enquête menée l’année dernière par Inland Empire Amazon Workers United a révélé que les travailleurs souhaitaient un meilleur accès à l’eau potable, un endroit frais pour se reposer et un temps de récupération pendant les vagues de chaleur.
Amazon n’est pas un cas isolé. Un récent rapport d’Oxfam montre que chez Walmart, le plus grand employeur privé du pays avec quelque 1,6 million de salariés, les problèmes liés à la chaleur sont pires. Alors que 41 % des travailleurs d’Amazon interrogés par l’organisation ont déclaré avoir souffert d’un certain degré de déshydratation au cours des trois derniers mois, 91 % des travailleurs de Walmart ont été victimes de déshydratation, ce qui est choquant.
Sur la côte ouest, les travailleurs de la restauration rapide ont organisé des grèves limitées en réponse aux conditions de travail torrides. Le mois dernier, les employés d’un Taco Bell de San Jose ont quitté le travail en raison de ce qu’ils considéraient comme des conditions dangereuses, alléguant que les températures dans leur établissement pouvaient dépasser 32 degrés Celsius et que leur patron n’avait pas réparé le climatiseur défectueux du magasin. Les travailleurs de Starbucks, récemment stimulés par leur campagne de syndicalisation à l’échelle nationale, ont eux aussi fait grève pour cause de climatisation défectueuse lors des récentes vagues de chaleur.
La minorité de travailleurs syndiqués a également fait de la protection contre la chaleur une priorité. Les 340 000 Teamsters qui travaillent chez UPS ont récemment contraint le géant de la logistique à équiper sa flotte de véhicules bruns de la climatisation, une demande de longue date rendue d’autant plus pressante que plusieurs travailleurs d’UPS sont morts au travail alors qu’ils livraient des colis par temps chaud.
La division californienne de la sécurité et de la santé au travail (Cal/OSHA) oblige les employeurs à respecter une norme thermique pour protéger leurs employés travaillant à l’extérieur contre les maladies dues à la chaleur, mais cette norme exempte les employés travaillant à l’intérieur (la Californie est l’un des cinq États à disposer de telles protections, bien que New York, le New Jersey et le Massachusetts envisagent de mettre en place leurs propres normes). La semaine dernière, Cal/OSHA a adopté une norme qui inclut ces travailleurs, bien qu’elle n’ait pas encore été mise en œuvre. Cette nouvelle norme exempte notamment les travailleurs des prisons de toute protection, une exclusion susceptible d’être reprise dans d’autres réglementations, y compris au niveau fédéral.
Et ce, si elle est mise en œuvre telle qu’elle a été proposée. Mais la règle proposée va maintenant faire l’objet d’une période de commentaires et d’examen, ce qui ne manquera pas d’entraîner des contestations de la part de groupes d’entreprises qui soutiennent que la règle proposée est trop coûteuse et trop lourde. Comme c’est souvent le cas lorsque l’État prend des mesures, aussi minimes soient-elles, pour protéger les travailleurs, le capital se battra bec et ongles pour faire échouer le projet.
Comme le note le New York Times, des groupes industriels « ont indiqué qu’ils avaient l’intention de contester la légalité de la règle dès sa mise en œuvre, peut-être à la fin de l’année ». (En ce qui concerne l’attitude des employeurs, le journal cite Marc Freedman, vice-président de la Chambre de commerce des États-Unis, le plus grand groupe de pression du pays, qui a écrit : « Il est extraordinairement difficile [pour les employeurs] de déterminer quand la chaleur présente un danger parce que chaque employé ressent la chaleur différemment. ») Le Congrès devrait codifier les nouvelles protections dans la loi, mais avec autant de législateurs prisonniers des intérêts des entreprises, les chances d’une telle démarche sont minces.
Cela ne signifie pas que la norme proposée ne sera pas mise en œuvre telle quelle, mais que les travailleurs ne doivent pas se contenter d’espérer que l’OSHA, qui manque cruellement de fonds, assurera leur sécurité. Dans une grande partie du pays, les lieux de travail sont brûlants. Ce n’est qu’en se serrant les coudes, en refusant les conditions de travail dangereuses et en obtenant des protections écrites à la table des négociations que nous pourrons nous assurer de ne pas perdre davantage de nos semblables à cause de la chaleur.
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« Il est extraordinairement difficile [pour les employeurs] de déterminer quand la chaleur présente un danger » on retrouve dans ce propos toute la substantifique moelle de ce capitalisme prédateur qui met le dieu dollars au dessus de l’être humain. La réponse à cet argument pourrait être fournie par un enfant de 10 ans: fixer une limite pour tous avec une obligation de vigilance de l’employeur aux températures plus basses.
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