Source : Futura Science, Julien Hernandez
La chloroquine, ce traitement antipaludique, suscite moult débats sur les réseaux sociaux même parmi les scientifiques. Que faut-il penser de cette substance dans la lutte contre le Covid-19 ?
L’article qui suit ne juge pas la pratique médicale sur le terrain en temps de crise sanitaire. Il faut être conscient de la difficulté et de la nécessité de faire preuve de pragmatisme contre cette épidémie. De même, lorsqu’on navigue dans l’inconnu au sein d’une situation inédite, les mesures prises sont forcément inédites. MAIS. Parce que oui, il y a un « mais ».
Pour introduire l’objectif de cet article, citons Gandhi : « L’erreur ne devient pas vérité parce qu’elle se propage et se multiplie ; la vérité ne devient pas erreur parce que nul ne la voit. » Si cette célèbre et élégante allocution peut être utilisée pour justifier tout et son contraire, nous allons tenter de lui faire honneur ici.
Le but sera alors d’identifier et d’évaluer le faisceau de preuves dont nous disposons à l’heure où l’article est rédigé afin de savoir si la chloroquine est (ou n’est pas, il faut savoir mettre son espoir de côté) un traitement adéquat (c’est-à-dire possédant un effet propre supérieur à un placebo et une balance bénéfices-risques positive) contre la nouvelle maladie Covid-19 induite par l’infection au SARS-CoV-2.
Bref retour sur la chloroquine
La chloroquine est un antipaludique préventif et curatif. Elle est aussi utilisée contre des maladies auto-immunes telles que le lupus. La plupart du temps, c’est son dérivé chimique qui est prescrit : l’hydroxychloroquine (c’est-à-dire, avec un groupement alcool OH en plus sur la molécule). Quant au médicament, il porte le nom commercial de Plaquenil pour l’hydroxychloroquine et de Nivaquinepour la chloroquine.
Suite à l’emballement médiatique concernant cette molécule dont nous allons parler ci-dessous, un commentaire a été publié dans la littérature scientifique par deux chercheurs (Franck Touret et Xavier de Lamballerie) de l’Unité des Virus Émergents de l’université d’Aix-Marseille. Voici ce qu’on peut y apprendre au sujet de la chloroquine et de son historique dans le traitement des maladies virales respiratoires :
- Des expériences in vitro (sur des cellules, donc) suggèrent que la chloroquine inhibe la réplication du SARS-CoV-2.
- Par le passé, la chloroquine a montré son potentiel in vitro contre beaucoup de virus différents mais a toujours échoué lors des tests in vivo (sur des organismes vivants, donc) sur des modèles animaux.
- Souvent, la chloroquine a été proposée dans la prise en charge de maladie virale respiratoire humaine. Sans succès.
- Le consensus chinois, qui atteste de son efficacité ne mentionne aucune données brutes. Or, le processus de relecture par les pairs, des évaluations indépendantes sur la méthode et les résultats, ainsi que des réplications d’études sont indispensables pour juger des bénéfices potentiels (mais aussi des risques) pour les patients.
Voilà un commentaire mesuré, nuancé, à jour des données connues actuellement. Malheureusement, tous les chercheurs ne font pas preuve d’autant de prudence.
De l’emballement médiatique
Avec de telles affaires, les médias s’en donnent à cœur joie. Dans ces moments, on ne peut que regretter la méconnaissance générale de ce qu’est la méthode scientifique. Néanmoins, ils ne sont pas les seuls. En effet, Didier Raoult, infectiologue et professeur de microbiologie à l’Institut-hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée de l’hôpital de la Timone à Marseille fait beaucoup parler de lui en ce moment. Ce grand professeur (dont nous ne faisons pas le procès dans cet article, nous ne jugeons ni l’Homme ni sa grande carrière mais bien des données) semble à l’origine de cet emballement, avec une vidéo publiée le 25 février 2020, intitulée initialement « Coronavirus : fin de partie ! » (sur la base du consensus d’experts chinois déjà cité) puis renommée quelque temps plus tard « Coronavirus : vers une sortie de crise ? ». Depuis, il intervient beaucoup dans les médias, avec peu de précaution, pour parler de la chloroquine. Il est particulièrement actif sur la plateforme de vidéos YouTube également, ce qui est assez curieux pour un scientifique, surtout lorsque c’est pour faire la présentation de travaux non relus par ses pairs.
S’il n’est pas question de juger un médecin sur le terrain, surtout en temps de crise, on peut se demander où est passée la prudence dans la communication des résultats, qualité essentielle du scientifique ? Avant qu’un traitement soit accepté et homologué cela prend normalement beaucoup de temps. Un temps que nous n’avons pas forcément à l’heure actuelle, dans la pratique médicale. Soit. Cela se comprend aisément. En revanche, cela demande aussi de la rigueur. Cette rigueur est essentielle si nous voulons apprendre quelque chose. Sans quoi, nous n’apprenons, stricto sensu, rien.
Par ailleurs, le rôle du journaliste scientifique n’a, lui, pas changé. Pour reprendre les mots d’un confrère, Florian Gouthière – qui vient d’écrire un article très éclairant sur le sujet – sur son blog curiologie.fr, le rôle d’un journaliste scientifique serait plutôt « d’informer sur l’incertain, dans un monde incertain. Pour ce faire, il nous faut faire comprendre au grand public que l’incertitude est consubstantielle de la progression des savoirs scientifiques, et qu’une annonce publique – aussi enthousiasmante soit-elle – doit tout de même passer l’épreuve du temps. »
Dès lors, on comprend que l’emballement médiatique peut être néfaste. Attention, si vous êtes hospitalisé, faites confiance à votre médecin.
Simplement, à l’instar de la science dont le journaliste scientifique rend compte, il informe sur le descriptif. Le normatif appartient ensuite à chacun. Informer sur le descriptif revient alors, comme précisé initialement, à s’emparer du large faisceau de preuves disponibles et de juger plus ou moins vraisemblable une hypothèse ou une affirmation donnée. Celui-ci peut évoluer avec le temps et nous donner raison – ou tort. Quoi qu’il arrive, un journaliste scientifique intègre se rangera du côté des données rigoureuses. Mais avant que le temps passe et que des essais cliniques de qualité soient effectués, impossible de savoir. Ni nous, ni d’éminents professeurs, ne possédons la capacité de prédire l’avenir.
L’autorité n’est pas un argument
Dans cette histoire, il est important de revenir sur ce principe de base de la démarche sceptique. L’autorité, le diplôme ou la célébrité d’une personne ne sont pas des arguments. Bien sûr, nos heuristiques de jugement nous poussent à croire notre médecin lorsqu’il nous parle de médecine. Et c’est légitime. Néanmoins, notre médecin n’en reste pas moins un être humain biaiséqui peut faire des erreurs, surtout s’il s’emballe, comme cela a été le cas du Professeur Raoult, lorsqu’il a intitulé sa vidéo « Coronavirus : fin de partie ! » sur la seule base d’un consensus d’experts sans données brutes. La partie est, malheureusement, bien loin d’être finie. Il suffit pour cela, de regarder les courbes de contamination actuelle dont l’évolution est exponentielle. Aussi, le nombre de personnes décédées s’accroît (celui de personnes guéries aussi, heureusement).
De plus, ce professeur s’illustre par ses nombreuses publications, ce qui lui donne encore plus d’aplomb dans son domaine. Néanmoins, lorsqu’on creuse légèrement, on se rend compte qu’un certain nombre (pas toutes, bien évidemment) sont publiées dans des journaux où les éditeurs font parfois partie de son équipe de recherche. Certaines sont également acceptées avec une rapidité folle qui ne laisse aucun temps pour le processus de relecture par les pairs. C’est ni plus ni moins un court-circuit sporadique de la démarche scientifique.
Malheureusement, ce genre de pratique est de plus en plus courante et peut s’expliquer en partie par le climat dans lequel évolue le monde de la science et de la recherche actuellement. L’objectif est de faire parler de soi, de publier beaucoup de recherches innovantes, se faire un nom, en somme. Tout cela afin d’obtenir des financements qui manquent cruellement. Parfois, cela passe par une amputation nette des règles de l’art scientifique.
L’étude du Professeur Raoult : un nid à « biaisctéries »
Pour qu’une hypothèse soit validée scientifiquement, il faut beaucoup d’études rigoureuses, reproduites de façon similaire un peu partout dans le monde et de façon indépendante. Des études sont en cours pour évaluer celle dont nous parlons aujourd’hui, à savoir : « la chloroquine est-elle efficace dans le traitement du Covid-19 ? ». L’étude du Professeur Raoultvient d’être envoyée, acceptée et publiée en un temps record (ce qui n’est pas bon signe.) Que peut-on tirer comme conclusion de cette étude pour valider ou infirmer l’hypothèse de départ ? Eh bien pas grand-chose ! Listons point par point les biais méthodologiques de ce papier (pour encore plus de détails, vous pouvez consulter la page PubPeer dédiée à cette étude, où les critiques et les questions fusent de la part de la communauté scientifique).
- L’étude est réalisée en open-label, c’est-à-dire sans procédure d’aveuglement (le patient et le médecin savent qui est dans quel groupe, ce qui expose à des biais majeurs) et sans randomisation (ce qui veut dire que les potentiels facteurs de confusion ne sont probablement pas exclus).
- Les objectifs de l’étude sont beaucoup plus modérés que les interventions du Professeur Raoult dans les médias. On peut alors y lire « nous évaluons le rôle de l’hydroxychloroquine sur les charges virales respiratoires », le but étant de les abaisser. Pourtant, un article paru dans le journal Nature concernant l’étude de maladies respiratoires telles que celles induites par le SARS-CoV-1 ou le MERS-CoV concluait, en 2016, que les formes les plus graves étaient associées à une baisse de la virémie. Cela pousse à redoubler de prudence lorsqu’on entend le Professeur Raoult s’exclamer sur YouTube « si vous n’avez plus le virus, vous êtes sauvé », alors même que, nous le verrons plus bas, l’état clinique des patients n’est pas décrit dans son essai.
- L’équipe s’était fixée comme objectif secondaire de suivre l’évolution de paramètres comme l’apyrexie, la normalisation de la fréquence respiratoire, la durée moyenne d’hospitalisation et la mortalité. Ces données fantômes sont totalement absentes du papier.
- Les patients ont été traités soit par de l’hydroxychloroquine seule, soit par un antibiotique(l’azithromycine) avec de l’hydroxychloroquine, soit ils n’ont pas été traités (groupe témoin). Pas de traitement contre placebo, donc. D’emblée, on sait que tout ce qu’on pourra tirer de cette expérience, c’est une comparaison entre deux traitements et un non-traitement, pas entre un traitement et un simulacre, ce qui est pourtant essentiel pour connaître l’effet propre de ce qu’on pense être un « médicament ». De plus, le groupe témoin ne se trouvait pas sur le même site que le groupe traité.
- L’échantillon est petit avec 26 patients initialement (seulement 20 à la fin de l’étude), ce qui est trop faible pour obtenir des résultats robustes contrairement à ce qu’affirme le Professeur Raoult. Les lois des probabilités ne changent pas, même en temps de pandémie.
- On ne connaît ni l’état clinique ni la charge virale initiale des patients. L’état clinique reste aussi inconnu à la fin de l’étude. De plus, les tests de charge virale donnent des résultats variables selon les jours (un coup positif, un coup négatif puis de nouveau positif). On peut donc légitimement remettre en question la fiabilité actuelle de ces tests.
- Le suivi devait durer 14 jours, mais les résultats présentés ne vont que jusqu’au 6e jour, ce qui n’est clairement pas normal.
- Certains critères d’exclusion (comme ne pas intégrer d’enfants de moins de 12 ans) ne sont pas respectés.
- Certains patients ont été considérés comme « perdus de vue ». Cela arrive habituellement, mais ici ce sont les auteurs qui ont fait le choix de les exclure. On découvre alors que tous ces patients faisaient partie du groupe chloroquine. Trois ont été transférés en réanimation, un est décédé, un patient n’était, finalement, peut-être pas malade, et un patient a souhaité interrompre son traitement en raison de la survenue d’effets secondaires. On s’étonne que les trois patients en réanimation n’aient pas été suivis.
- Son papier ne respecte pas les bases éthiques d’une publication scientifique. L’étude est publiée dans un journal où l’éditeur en chef travaille sous les ordres du Professeur Raoult, dans le même institut. Aussi, précisons que le document a été reçu le 16 mars, accepté le 17 mars et publiée le 20 mars.
L’École de médecine de l’université du Zhejiang (Chine) vient également de publier un manuel de prévention et de traitement du Covid-19 où l’on peut lire, page 40, que les données concernant la chloroquine sont insuffisantes pour la considérer comme un traitement et où l’association d’hydroxychloroquine et d’azithromycine est fortement déconseillée. L’organisation mondiale de la santé (OMS) a aussi pris la parole hier et énonce ceci « De petites études observationnelles et non randomisées ne nous donneront pas les réponses dont nous avons besoin. L’utilisation de pilule non testée sans les preuves adéquates pourrait susciter de faux espoirs et même faire plus de mal que de bien et entraîner une pénurie de pilule essentielle, nécessaire pour traiter d’autres maladies ».
Une nouvelle étude chinoise (avec un protocole également imparfait mais tout de même un peu plus sérieux que celui de l’étude Marseillaise) a récemment conclu à l’inefficacité de l’hydroxychloroquine seule comparé à aucun traitement sur un échantillon faible. Sa conclusion est celle-ci : « Le pronostic des patients COVID-19 courants est bon. Une étude de plus grande taille d’échantillon est nécessaire pour étudier les effets de l’hydroxychloroquine dans le traitement du COVID-19. Les recherches ultérieures devraient déterminer un meilleur critère d’évaluation et tenir pleinement compte de la faisabilité d’expériences telles que la taille de l’échantillon. » Mais une seule étude ne prouve rien. Il nous faut, comme le conclut cette étude, plus de recherches.
Enfin, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a répondu à des questions au sujet de la chloroquine et de l’étude du Professeur Raoult, en ne manquant pas de tempérance concernant les résultats obtenus.
La deuxième étude de l’équipe marseillaise : 100 % « sciensationnelle »
Disons-le avec fermeté : la seconde étude publiée sur le site de l’IHU Méditerranée Infection par le Professeur Raoult et son équipe, c’est de la mauvaise science. De la très mauvaise science. Il ne faut pas voir dans ces propos un jugement moral subjectif. Pas du tout. Cela fait écho à des critères objectifs qui doivent être respectés dans une expérience scientifique qui souhaite nous apprendre quelque chose. Nous sommes brièvement revenus sur ces critères dans un live au sujet de la chloroquine. Apparemment, l’équipe de Marseille ne s’ennuie pas avec cela, car elle semble déjà savoir. Une attitude qu’on pourrait presque qualifier de dogmatique.
Passons outre le fait que le papier soit publié en express (il est prépublié et non relu) sur le site même de l’IHU et concentrons-nous sur l’étude en elle-même. Premier constat effarant : il n’y a aucun groupe contrôle dans cette étude. Pour comprendre l’importance du groupe contrôle en sciences, la rédaction vous conseille cette vidéo. Tout y est dit mais pour faire très simple : sans groupe contrôle, autrement dit, sans référence de base, nous n’apprenons rien car nous ne pouvons rien comparer. Pourtant, en 2015, dans une correspondance publiée dans le journal Clinical Infectious Disease, Didier Raoult lui-même écrit ceci : « Les études sur les syndromes infectieux ne devraient plus être exploitées sans utiliser systématiquement des témoins négatifs pour évaluer la valeur prédictive positive d’un résultat positif et il poursuit le fait que ce concept soit lent à s’imposer est démontré dans des recherches récentes dans lesquelles aucun contrôle négatif n’a été testé ». On peut aussi voir que le comité éthique qui a accepté l’étude est le comité éthique de l’IHU.
L’expérience est une étude interventionnelle ouverte, non randomisée, et, nous l’avons vu, non contrôlée. Elle porte sur 80 patients d’un âge médian de 52 ans. Il y a autant d’hommes que de femmes et un peu plus de la moitié des participants souffrent de maladies chroniques. Les participants ont tous reçu un traitement à base d’hydroxychloroquine et d’azythromycine. L’étude nous montre qu’en l’espace de 14 jours, la charge virale des patients devient nulle. Nous n’avons pas de groupe contrôle pour comparer ce qu’il se passe sans traitement. Mais nous avons d’autres données plus larges qui nous disent qu’en moyenne, la charge virale devient nulle sans traitement entre 12 et… 14 jours. Aucunement besoin de vous faire un dessin pour que vous compreniez. Il est de nouveau impossible de savoir si ce traitement est bien la cause efficiente de la baisse de la charge virale des patients. Par exemple, dans un article publié dans le New England Journal of Medicine (qui n’est donc pas une étude) pour un faible échantillon de patients (qui pousse à la prudence d’interprétation des résultats), la charge virale des patients devient indétectable après 12 jours sans traitement.
Dans cette étude, notons que le traitement a été administré à quatre personnes asymptomatiques. Rappelons que, selon l’Imperial College de Londres, qui se base sur les données européennes publiées dans la littérature scientifique, 86 % des patients atteints se remettent du Covid-19 sans traitement ni hospitalisation et que 10 % ne font qu’être observés à l’hôpital sans être admis dans un service de réanimation. Il est intéressant de constater que dans l’échantillon de la seconde étude marseillaise, on constate les mêmes tendances statistiques alors qu’ils reçoivent tous un traitement censé être « efficace ». Car c’est bien la conclusion hurluberluesque des auteurs : « En conclusion, nous confirmons l’efficacité de l’hydroxychloroquine associée à l’azithromycine dans le traitement du Covid-19 et son efficacité potentielle dans la diminution précoce de la contagiosité. » Il est impossible de conclure cela après une étude sans groupe témoin.
Concernant les données statistiques présentées dans cette étude, nous avons fait appel à une analyste de données qui a souhaité rester anonyme, que vous pouvez néanmoins retrouver sur Twitter sous le pseudo MmeBlackSheep. Elle nous explique que « le coefficient de détermination est suspect car il devrait être négatif ». De plus, elle précise qu’« aucune justification n’est donnée sur la question du pourquoi les auteurs ont choisi d’utiliser une régression polynomiale, qui au passage, ressemble plus à une régression logarithmique inversée, pour rendre compte de leurs données ». Enfin, elle conclut que « les données présentées sont vraiment absconses, peu compréhensibles, ce qui n’est pas bon signe ». En effet, rappelons que pour qu’un travail soit jugé et évalué par les pairs, il doit être le plus détaillé possible pour permettre les critiques pertinentes et les éventuelles réplications.
Enfin, précisions que l’urgence n’est pas un argument. Faire un groupe contrôle ne prend pas plus de temps. Mettre en place une méthodologie rigoureuse non plus. Si cela avait été fait, nous posséderions déjà des résultats exploitables qui nous auraient appris quelque chose. Pour l’instant, il nous faut attendre les résultats de l’essai Discovery, freiné par l’engouement autour de la chloroquine car une majorité des patients ne réclament que ce traitement, selon un article de Libération.
De l’importance d’informer avec nuance
Cet article souhaite, en plus de vous informer sur l’intérêt (ou le non-intérêt) connu actuellement de la chloroquine dans le traitement du Covid-19, vous faire comprendre l’importance de l’information nuancée. L’emballement médiatique ne sert aucune cause légitime sinon dans le meilleur des cas rassurer la population pour des raisons qui s’avéreront bonnes, dans le pire lui donner de faux espoirs. De même, si ce traitement est effectif, nous aurons, certes, perdu un peu de temps pour sauver des vies. En revanche, s’il s’avère qu’il ne marche pas, voire qu’il aggrave la situation, nous en aurons sauvé. Traiter n’est pas toujours mieux que ne rien faire. Par exemple, à ces débuts, l’homéopathie (qui n’est rien d’autre qu’un placebo) était plus bénéfique aux patients que des saignées. Ne rien faire était la meilleure solution pour sauver des vies. Il faut garder cela à l’esprit.
De plus, les conséquences de ce type de communication sont difficilement prévisibles, sauf peut-être pour ceux qui connaissent bien le comportement humain. De l’autre côté de l’Atlantique, Donald Trump s’est emparé de ces résultats avec le même engouement que le Professeur Raoult. Il fait actuellement pression sur la Food and Drug Administration (FDA) pour que la chloroquine soit expressément autorisée. Chez nous, les pharmacies font actuellement face à une demande inhabituelle de chloroquine. Notons bien que le Professeur Raoult n’a jamais parlé ni conseillé d’automédication.
Tout argument autre que des données rigoureuses et documentées n’est pas un argument. Ils peuvent « servir » sur le plan médiatique ou politique, mais lorsque l’on cherche à faire comprendre (et non à imposer) un fait à un auditoire ou à un lectorat, il faut forcément en passer par une argumentation béton. Or, nous l’avons vu, pour l’instant, le faisceau de preuves concernant l’affirmation « la chloroquine est efficace dans le traitement du Covid-19 » est trop mince pour la juger comme vraisemblable. Il y a une différence entre ce que les médecins font en situation de crise et la construction et la diffusion de ce que nous appelons communément une connaissance.
Actuellement, les médecins se battent pour sauver des vies. La chloroquine fait partie du dernier arsenal thérapeutique (à cause de son niveau de preuve faible) recommandée par différentes sociétés savantes (deux molécules, le Remdesivir et l’association Lopinavir/ritonavir sont proposées en premier lieu) dans la prise en charge des patients en réanimation infectés par le SARS-CoV-2. Les discours diffamatoires qui supposent qu’au sein des hôpitaux, on ne traite pas parce que l’on ne donne pas de chloroquine est un mensonge et un manque de respect pour les équipes soignantes.
Le ministre de la Santé a précisé que des études étaient en cours à plus large échelle. Des essais cliniques de grandes ampleurs viennent d’être lancés pour évaluer plusieurs traitements potentiels (dont l’hydroxychloroquine) dont la part française sera effectuée par l’Institut national de la science et de la recherche médicale (Inserm). Il nous faudra attendre les résultats de ces expériences pour pouvoir actualiser nos propos. Enfin, comme tout le monde, nous espérons fortement que le temps donne tort à notre prudence épistémique, pour faire face à cette nouvelle maladie.
Des conséquences déjà visibles
Deux jours après la rédaction de cet article, cet emballement médiatico-scientifique montre déjà ses conséquences nuisibles. Selon le Banner Health Hospital aux États-Unis, un homme de 60 ans est mort (et sa femme est dans un état préoccupant) après avoir ingéré de trop fortes doses de phosphate de chloroquine. En France, des pénuries sont constatées selon un article du Parisien et les malades du Lupus, pour qui le traitement est nécessaire, ont du mal à en trouver. Le groupe Sanofi, acteur majeur de l’industrie pharmaceutique, assure que les stocks arrivent.
À cause de ce capharnaüm, l’Agence nationale de la sécurité du médicament (ANSM) demande expressément dans un communiqué ce jeudi 26 mars « aux pharmaciens d’officine de ne délivrer ces médicaments (hydroxychloroquine et lopinavir/ritonavir) que sur prescription médicale dans leurs indications habituelles, ceci afin de sécuriser leur accès aux patients qui en bénéficient pour leur traitement chronique ». L’agence « appelle à la responsabilité de chaque acteur de la chaîne de soins afin de garantir l’approvisionnement des traitements permettant la prise en charge des patients qui en ont ou en auront besoin. »
Le 29 mars, un communiqué de l’Agence régionale de Santé (ARS) Nouvelle-Aquitaine informe que des cas d’automédication au Plaquenil ont été recensés entraînant parfois un séjour en réanimation.
À noter :
Pour compléter cet article, la rédaction vous conseille l’excellente et brève analyse de Nicolas Martin sur France Culture concernant la chloroquine ainsi que l’article très complet de Florian Gouthière sur le même sujet : « Covid-19 & chloroquine : à propos d’une étude très fragile, et d’un dangereux emballement médiatique et politique ».
CE QU’IL FAUT RETENIR
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La chloroquine a montré des effets in vitro par le passé mais a toujours échoué à apporter des bénéfices thérapeutiques chez des modèles animaux et chez l’Homme pour les infections virales respiratoires.
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La récente étude du Professeur Raoult est truffée de biais. Elle ne nous apprend pas grand-chose. D’autres études sont en cours avec, nous l’espérons, une meilleure méthodologie. Elles nous permettront de statuer sur l’efficacité (ou l’inefficacité) de la chloroquine dans le traitement du Covid-19.
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Il est très important de combattre l’emballement médiatique et ses conséquences. Informer avec nuance et faire comprendre la méthode scientifique à la population est un enjeu essentiel.
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Et n’oubliez pas : restez chez vous !
Source : Futura Science, Julien Hernandez
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