Source : Check News, Cédric Mathiot, Pauline Moullot, Fabien Leboucq, 23-03-2020
Convaincu de détenir le remède miracle, le médecin marseillais a annoncé lundi qu’il traiterait tous ses patients atteints du Covid-19 avec l’hydroxychloroquine. Un empressement qui tranche avec la prudence des autorités sanitaires françaises.
Dimanche soir, le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, a confirmé qu’un vaste essai clinique permettrait d’étudier ces prochaines semaines plusieurs traitements du Covid-19, dont l’hydroxychloroquine. Dans la journée, Didier Raoult, directeur de l’IHU-Méditerrannée et fervent défenseur du traitement depuis des semaines, a annoncé qu’il n’attendrait pas les résultats pour l’administrer massivement à ses patients atteints du Covid-19. «Je m’en fiche», a-t-il déclaré au Parisien. S’appuyant sur les résultats d’une étude menée par ses services auprès d’un petit nombre de patients, il a déclaré : «Comme n’importe quel docteur, à partir du moment où l’on a montré qu’un traitement était efficace, je trouve immoral de ne pas l’administrer. C’est aussi simple que ça.»
Alors que la France a atteint lundi soir les 674 morts du Covid-19, l’IHU-Méditerrannée a ainsi annoncé par communiqué que serait proposé «un traitement par l’association hydroxychloroquine + azithromycine pour tous les patients infectés au plus tôt de la maladie, dès le diagnostic». Au passage, Raoult aussi prend le contrepied de la doctrine nationale en matière de tests, en assurant dans son communiqué sa volonté de tester chaque «malade fébrile»venant toquer à la porte de son établissement. Depuis le début de la crise, le professeur marseillais critique vertement la stratégie française en matière de dépistage : «On a pris une stratégie qui n’est pas la stratégie du reste du monde technologique. Qui est très basse. Qui est de très peu tester», déplorait-il le 16 mars. Lui se targue, fort de la capacité de tests inégalée en France de l’IHU Méditerranée (qui fait 1 500 dépistages par jour, là où le total national atteint environ 4 000 tests), de dépister plus de monde, et pas seulement les cas graves. Son modèle ? Séoul plus que Paris, expliquait-il : «Les Coréens ont réussi à maîtriser l’épidémie, en faisant ça : dépistage, traitement.» Ce qu’il promet à partir d’aujourd’hui. Dès ce matin, une foule se pressait devant l’hôpital marseillais.
Raoult : «Je suis convaincu qu’à la fin tout le monde utilisera ce traitement»
Rien n’empêche Raoult, ou tout autre médecin, d’administrer le traitement avant qu’il ne soit validé par les autorités sanitaires. «Chaque médecin a ses convictions médicales, scientifiques, personnelles», explique un médecin d’un hôpital parisien. «Aujourd’hui tous les médecins sont habilités à prescrire du plaquenil [nom sous lequel est commercialisée l’hydroxychloroquine, ndlr], nous confirme la direction générale de la santé. Il faut qu’ils précisent que c’est hors autorisation de mise sur le marché. Mais le médecin prend donc toute la responsabilité s’il y a un souci.»
Mais c’est peu dire que l’empressement de Raoult contraste avec les réserves émises ces derniers jours par les autorités sanitaires. Pressé de questions sur l’efficacité de l’hydroxychloroquine, Jérôme Salomon et Olivier Véran n’ont eu de cesse de répéter qu’il était trop tôt pour passer à la voie thérapeutique. «Je serais le plus heureux des ministres si je pouvais vous annoncer demain qu’on a un traitement qui a fait montre de son efficacité, déclarait Olivier Véran samedi, mettant garde contre les faux espoirs. Mais encore une fois, l’histoire des maladies infectieuses, des maladies virales, est peuplée de fausses bonnes nouvelles, de déceptions, et parfois de prises de risques inconsidérées.» A CheckNews, le cabinet d’Olivier Véran répétait lundi soir : «Il faut attendre la fin du protocole pour savoir si l’hydroxychloroquine fonctionne. On ne veut pas l’autoriser à grande échelle pour ensuite réaliser qu’il y a des effets secondaires néfastes.» Didier Raoult, lui, est déjà persuadé d’avoir trouvé le remède : «Avec mon équipe, nous estimons avoir trouvé un traitement. Je suis convaincu qu’à la fin tout le monde utilisera ce traitement.»
La controverse autour de l’hydroxychloroquine débute en février, alors que la France ne connaît encore que quelques cas isolés de Covid-19. Dans une «lettre» publiée par le journal BioScience Trends, deux chercheurs de l’université de Qingdao en Chine recommandent d’utiliser la molécule contre le nouveau coronavirus. Ils s’appuient sur un autre article, affirmant que des tests in vitro ont montré l’efficacité de l’hydroxychloroquine contre l’infection. La nouvelle est relayée en France par le professeur Didier Raoult, qui fait alors la tournée des médias. A l’AFP, le directeur de l’Institut Méditerranée Infection à Marseille explique : «Finalement, cette infection est peut-être la plus simple et la moins chère à soigner de toutes les infections virales.»
«Un médecin doit être un saint Thomas»
Mais le 26 février, le ministère de la Santé vient tempérer une première fois ces espoirs, et indique «qu’aucune étude rigoureuse, publiée dans une revue internationale à comité de lecture indépendant, ne démontre l’efficacité de la chloroquine pour lutter contre l’infection au coronavirus chez l’être humain». Après une première séquence médiatique enthousiaste, la température baisse de plusieurs crans. De remède miracle, le traitement à l’hydroxychloroquine (souvent appelée du nom d’un autre antipaludique proche, la chloroquine) vire à la fake news dans les médias. Dans un article sur la recherche d’un remède contre le Covid-19, Libération cite le professeur Xavier Lescure, spécialiste des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Bichat à Paris : «Un médecin doit être un saint Thomas. Il doit s’appuyer sur des faits et là, je n’en vois pas la couleur. Par expérience, j’observe que, quand des chercheurs démontrent l’efficacité d’un traitement, ils publient leurs résultats bruts, pas de simples recommandations de traitement, comme c’est le cas. J’attends des preuves.»
Auprès de CheckNews, le docteur Alexandre Bleibtreu, infectiologue à la Pitié-Salpêtrière, explique lui aussi ses réserves, fin février: «Ce que l’on peut dire à l’heure actuelle, c’est que la molécule est active sur le virus in vitro. Mais il n’y a aucune donnée scientifiquement prouvée soutenant l’usage de la chloroquine chez les malades.» Sur le fait que les études n’aient pas fourni de données précises étayant leurs découvertes, un porte-parole de l’IHU Méditerranée explique alors à CheckNews : «On est dans une certaine urgence aujourd’hui. On commence à avoir des cas en France, donc il faut trouver des solutions pour les traiter. On n’a pas le temps long nécessaire aux publications scientifiques et aux études cliniques.» Le 5 mars, le projet de recherche de Raoult est accepté par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM): 24 malades seront traités à l’hydroxychloroquine à l’hôpital de la Timone à Marseille.
Dix jours plus tard, le 16 mars, c’est un Didier Raoult triomphant qui prend la parole pour présenter ses premiers résultats. Deux groupes de patients ont été testés, explique-t-il : des patients n’ayant pas reçu de traitement à Avignon et Nice, et 24 patients, donc, ayant été traités au plaquenil. Au bout de six jours, 90% des patients de Nice et Avignon étaient encore porteurs du SARS-CoV-2, contre 25% des patients traités au plaquenil. Ce qui signifie, assure l’équipe de Raoult, que 75% des patients étaient guéris au bout de six jours. L’essai clinique mené par l’équipe marseillaise est très vivement critiqué par une partie du monde scientifique, pour la manière dont ils ont été publiés, ou encore (et surtout) parce que l’essai ne portait que sur un nombre réduit de patients.
Molécule «largement débattue»
N’empêche, alors que l’épidémie se répand, les positions bougent. Alexandre Bleibtreu, de la Pitié Salpêtrière, fait une spectaculaire volte-face dans une série de tweets : «Chers tous, pour être transparent, j’ai dit il y a deux semaines que les données dispo sur chloroquine étaient « bullshit ». A l’époque c’était vrai. De nouvelles données venant de Marseille contredisent ce que j’ai dit et ce que je pensais.» Et d’annoncer le début du traitement par plaquenil à la Pitié-Salpêtrière. «J’adore l’humour et critiquer les dogmes. Je me l’applique donc à moi-même. Je pense avoir eu suffisamment tort pour devenir chloroquiniste ascendant raoultien.» A CheckNews, il explique alors que la molécule est désormais utilisée sur presque tous les patients hospitalisés dans son service (une cinquantaine), sauf ceux qui refusent ou ont des contre-indications.
A en croire un autre infectiologue d’un hôpital français, d’autres médecins ont également recours au traitement, sans en faire grande publicité, et sans forcément avoir attendu les travaux du professeur marseillais : «L’activité antivirale de l’hydroxychloroquine est connue depuis des décennies. Des collègues cliniciens, en France et dans le monde, l’utilisent dans la prise en charge du Covid-19, dans l’attente des résultats des essais cliniques, compte tenu de la gravité de la situation. Mais cette approche au cas par cas est différente de la communication au grand public d’informations qui semblent définitives, alors qu’elles ne le sont pas.»
De fait, les essais cliniques sur la chloroquine, molécule «largement débattue» étaient déjà cités dès le 9 mars, avant donc les résultats des études du professeur marseillais, dans les recommandations d’experts sur la prise en charge des patients atteints de Covid-19. On y lit : «Plus de 10 essais cliniques ont été ou sont en cours pour cette molécule antipaludique. Les effets secondaires sont déjà bien connus. Il n’existe à ce jour aucun consensus pour une large utilisation dans l’infection à Sars-CoV 2.»
«Existence d’effets secondaires de la chloroquine»
Côté autorités, les premiers résultats de Raoult sont accueillis avec mesure. Le 17 mars, la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, tempère : «Le ministère a souhaité étendre ces essais cliniques, qui seront dupliqués sur un plus grand nombre de patients. Pour autant, nous n’avons pas de preuve scientifique que ce traitement fonctionne.» Sur le fond, les résultats de Marseille n’ont rien changé : le traitement n’est toujours pas considéré comme une piste prioritaire. Comme Checknews l’écrit alors, l’hydroxychloroquine ne figure pas parmi les traitements destinés à être étudiés dans le cadre du vaste essai clinique européen Discovery qui vient alors d’être mis sur pied en urgence, comprenant 3 200 patients, dont 800 en France. Le professeur Yazdan Yazdanpanah, directeur du consortium REACTing, qui a choisi les projets, se justifie au Monde en invoquant «le problème d’interactions médicamenteuses avec d’autres traitements chez des patients en réanimation, et l’existence d’effets secondaires de la chloroquine, qui rendent prudent quant à son utilisation».
Mais en quelques jours, la pression médiatique et l’engouement pour la promesse («Même Donald Trump a tweeté sur les résultats de nos essais», plastronne Raoult) ont visiblement changé la donne. Samedi, les Echosannoncent que l’hydroxychloroquine se glissera finalement dans l’essai clinique géant Discovery, au prix d’un amendement en urgence du protocole.
«Cet essai de grande ampleur est nécessaire pour produire des résultats suffisamment solides afin de déterminer si l’on peut traiter des patients avec l’hydroxychloroquine», estime le praticien hospitalier spécialiste des maladies infectieuses Jade Ghosn à l’hôpital Bichat, à Paris, qui va prendre part à cette étude à venir. «En temps normal, un protocole de ce type peut prendre des semaines à des mois, souffle-t-on à la direction générale de la santé. Mais en l’occurrence tout le monde est sur le pont pour faire au plus vite.» Précision du médecin Jade Ghosn : «Il y aura une analyse intermédiaire des résultats, qui permettra d’écarter dans le cadre du protocole des médicaments qui ne fonctionnent pas, ou à l’inverse de privilégier ceux qui fonctionnent le mieux.»
Vague d’emballement
Si l’essai devait valider l’efficacité antivirale de l’hydroxychloroquine, l’intérêt des résultats serait alors aussi de préciser les indications d’un tel traitement, note un infectiologue d’un hôpital français : «En prévention, pour traiter tous les cas et leurs contacts en sortie de confinement et empêcher la reprise de la transmission ? En prévention d’une infection grave chez les personnes à risque d’en développer, sous réserve de définir cette population ? En traitement de la maladie grave ?» Un enjeu essentiel, «car ces drogues sont actuellement en quantités limitées», explique la même source, qui sur ce point critique vertement la communication du professeur marseillais : «Dire à tous par YouTube et Twitter interposés et dans la presse grand public qu’il faut absolument prendre ce traitement miracle semble dangereux car cela risque engendrer une pénurie qui pourrait avoir un impact sur les patients qui en auraient le plus besoin.» Et de fait, comme nous vous l’expliquions dans un précédent article, les stocks de plaquenil ont fondu comme neige au soleil, à la fois dans certains hôpitaux et dans des pharmacies, depuis l’annonce des résultats de Didier Raoult.
Suite à cette nouvelle vague d’emballement, de nombreux internautes ont cru voir dans l’hydroxychloroquine un remède miracle. Allant jusqu’à imaginer un complot dans le fait qu’elle soit classée sur la liste II des substances vénéneuses, ou souhaitant s’automédicamenter, pratique contre laquelle préviennent tous les médecins en raison des effets secondaires et du manque de recul sur la molécule. Alexandre Bleibtreu tempère sur la panique ambiante: «C’est difficile à entendre à l’heure actuelle: les gens ont envie qu’on leur dise « oui, on va tous vous guérir » ou « non ça ne marche pas. » Mais les résultats seront probablement entre deux, c’est comme ça la médecine».
Source : Check News, Cédric Mathiot, Pauline Moullot, Fabien Leboucq, 23-03-2020
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