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9.février.20169.2.2016 // Les Crises

Chris Hedges et Sheldon Wolin à propos du totalitarisme inversé comme menace pour la démocratie

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Source : Naked Capitalism, le 29/10/2014

Sheldon Wolin

Ici Yves [Smith]. Nous vous présentons ce que nous considérons comme des passages remarquables d’une série importante de vidéos de Real News Network. Une discussion approfondie entre Chris Hedges et Sheldon Wolin sur le capitalisme et la démocratie. Aujourd’hui nous nous intéressons à ce que Wolin appelle le « totalitarisme inversé, » ou comment les grandes entreprises et le gouvernement travaillent ensemble pour garder le grand public en esclavage. Wolin traite de la façon dont la propagande et la suppression de l’esprit critique servent à promouvoir une idéologie pro-croissance, pro-entreprises, qui juge la démocratie superflue et potentiellement un obstacle à ce qu’ils considèrent être le progrès. Ils discutent aussi de la façon dont l’Amérique est gouvernée par deux partis en faveur des sociétés et comment le candidat du non, « populaire » comme dans populiste, est piétiné lourdement.

Chris Hedges

Chris Hedges, journaliste lauréat du prix Pulitzer : Bienvenue pour la quatrième partie de notre interview avec le professeur Sheldon Wolin, qui a enseigné la politique de nombreuses années à Berkeley et ensuite à Princeton. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages fondamentaux sur la philosophie politique, dont Politics and Vision et Democracy Incorporated.

J’ai voulu simplement parcourir vos deux livres, Politics and Vision et Democracy Incorporated, et j’ai pris des notes sur les caractéristiques de ce que vous appelez le totalitarisme inversé, que vous utilisez pour décrire le système politique sous lequel nous vivons actuellement. Vous avez déclaré que ce n’était qu’en partie un phénomène centré sur l’État. Que voulez-vous dire par là ?

Sheldon Wolin, professeur émérite en sciences politiques à Princeton : Eh bien ce que je veux dire par cela, c’est que l’une des caractéristiques frappantes de notre ère est que l’on peut constater à quel point ce qu’on appelle les institutions privées, les médias par exemple, sont capables de travailler pour tendre vers le même objectif de contrôle, d’apaisement, que ce qui intéresse le gouvernement, que l’idée d’une opposition sincère est généralement considérée comme subversive, et donc que la critique est maintenant une catégorie que nous devrions vraiment regarder et examiner, et voir si elle équivaut réellement à un peu plus qu’un léger reproche au mieux, et, au pire, à une manière de fournir une sorte de confirmation au présent système en montrant son ouverture d’esprit à l’autocritique.

Hedges : Et vous avez dit qu’il y a une sorte de fusion aujourd’hui, et vous parlez beaucoup des dynamiques internes des entreprises elles-mêmes, de la façon dont elles sont complètement hiérarchiques, même dans quelle mesure ceux qui sont à l’intérieur de ces structures institutionnelles sont poussés à s’identifier à une entreprise sur un plan presque personnel. Je parle en tant qu’ancien journaliste au New York Times, même nous, nous recevions des notes à propos de la famille du New York Times, ce qui est évidemment ridicule. Et vous parlez de la manière dont cet ensemble de valeurs ou cette structure du pouvoir, associé à ce type de propagande, vient tout juste d’être transféré à l’État, que l’État fonctionne désormais exactement de la même façon, de la même façon hiérarchisée, qu’il utilise les mêmes formes de propagande pour que le peuple abandonne d’un coup ses droits politiques mais s’identifie aussi à travers le nationalisme, le patriotisme et la convoitise de la superpuissance elle-même, que nous voyons maintenant dans tout le paysage politique.

Wolin : Oui. Non, je pense que c’est un élément très fort, en fait un élément décisif de notre situation actuelle. Il y a une sorte de conjoncture entre la manière dont les institutions sociales et éducatives ont façonné une certaines forme de mentalité parmi les étudiants, à l’intérieur de l’université, et ainsi de suite, et les médias eux-mêmes qui marchent mécaniquement du même pas dans la direction exigée par l’ordre politico-économique que nous avons actuellement, et le fait que la question fondamentale, je pense, était que nous avons vu ce même genre d’absorption de la politique et de l’ordre politique dans tellement de domaines apolitiques, économie, sociologie, religion même, que nous avons en quelque sorte perdu, il me semble, tout le caractère unique des institutions politiques, qui est qu’elles sont supposées incarner les espoirs substantiels des gens ordinaires, en termes du type de présent et d’avenir qu’ils souhaitent. Et c’est ce dont est censée s’occuper la démocratie.

Mais à la place nous l’avons maintenant subordonnée aux soi-disant demandes de la croissance économique, les soi-disant demandes d’une classe économique qui est chez elle avec les avancées scientifiques et technologiques qui sont appliquées par l’industrie, ce qui conduit l’élément politique du groupe dirigeant à être maintenant façonné et, en grande partie je pense, incorporé dans une idéologie fondamentalement apolitique, ou politique d’une manière antipolitique. Ce que je veux dire par là : c’est une combinaison de forces qui veulent vraiment exploiter la politique sans rechercher ni à la renforcer, ni à la réformer dans une forme significative, ni à la régénérer. Elle voit la structure politique comme une opportunité. Et plus elle sera perméable, mieux ce sera, parce que les groupes dominants ont aujourd’hui tellement d’instruments sous leur contrôle pour réaliser cette exploitation, la radio, la télévision, la presse papier, et autres, que c’est le meilleur des mondes pour eux.

Hedges : De fait, vous citez Nietzsche, en disant le degré de prescience de Nietzsche. Je crois que vous avez dit qu’il était meilleur prophète que Marx, je crois, si je me souviens bien, dans Politics and Vision, mais dans la façon dont Nietzsche a compris la désintégration de la démocratie libérale et de la classe libérale, et également compris la montée du fondamentalisme religieux en plein âge de la laïcité et la dangerosité de ce phénomène.

Wolin : Oui. Je pense que – de toute évidence, je pense que c’est vrai en ce qui le concerne, et je pense qu’il a été très perspicace en la matière. Il n’était pas, bien sûr, favorable à une telle évolution, mais il n’était pas non plus un partisan banal des élites historiques ou même des élites contemporaines, qu’elles fussent capitalistes ou nationalistes, comme c’était le cas en Allemagne.

Nietzsche essayait véritablement de faire émerger une notion de la valeur, de la valeur intrinsèque, de la vie politique. Et il y est parvenu, quoiqu’elle ne fût intelligible à ses yeux qu’en termes d’une sorte de dichotomie séparant l’élite de la masse. Et cela a été, je pense, l’échec de Nietzsche, parce qu’il a perçu tant sur les tendances au sein de notre société et de notre culture qui nous menaient à la ruine en tant que démocratie et qui devaient être corrigées, mais corrigées dans le but de promouvoir la démocratie ; Nietzsche, en revanche, tentait d’en faire des vecteurs de célébration ou d’encouragement de nouvelles élites. Et il ne pouvait tout simplement pas concevoir de société valable dans laquelle les élites n’auraient pas reçu le rôle premier et dirigeant. Il ne pouvait tout simplement pas le concevoir. Il restait dans la notion hégélienne du XIXe siècle, selon laquelle les masses sont ignorantes, intolérantes, réactionnaires, et ainsi de suite. A l’instar de tant d’excellents auteurs du XIXe siècle, il ne savait tout simplement pas quoi faire du « peuple, » entre guillemets.

Hedges : Marx inclus.

Wolin : Non, non, tout à fait. Ils ont soit tenté de neutraliser le peuple, soit de l’enrôler, mais jamais ils n’ont vraiment essayé de le comprendre.

Je pense que le meilleur – le meilleur courant politique, je pense, qui ait vraiment essayé de le comprendre a été, assez étrangement, le courant progressiste américain, qui était très enraciné dans l’histoire américaine, dans les institutions américaines ; mais il a vu assez clairement les dangers dans lesquels il se précipitait et la nécessité pour les éviter, de réformes politiques en profondeur, par des moyens démocratiques, non élitistes, et qui par-dessus tout exigeaient de l’Amérique qu’elle réfléchisse très sérieusement à son rôle dans les relations internationales, parce qu’il a vu qu’il y avait là un piège, tout comme un rôle agressif et dominant dans les relations économiques était un piège parce que ce qu’il exigeait, ce qu’il exigeait de la population en termes de façon de penser, d’éducation, de culture, et de ce qu’il exigeait en termes d’élites à même de diriger cette sorte d’éducation.

Et je pense que c’est pour cette raison que c’était un pessimiste au sens littéral sur ce qui pouvait advenir, et il n’avait rien vers quoi se tourner. Il n’avait pas grande confiance dans le peuple, et il en était venu à se méfier des élites. Je pense qu’en fin de compte il a adopté le point de vue selon lequel les élites devraient se replier et préserver la culture, la préserver dans ses manifestations les plus variées : la littérature, la philosophie, la poésie, et ainsi de suite.

Hedges : Mais il avait certainement compris ce qui était arrivé lorsque l’État s’est séparé de l’autorité religieuse –

Wolin : Oh, que oui.

Hedges : – que l’on verrait la montée de mouvements religieux s’opposer violemment à l’État laïque, primo ; et secundo que l’on assisterait à un effort effréné de l’État pour se faire sacraliser.

Wolin : Oui. Oui, ça c’est vrai. Il a essayé de le faire. Il l’a fait plutôt – beaucoup moins aux Etats-Unis, mais certainement il l’a fait en Allemagne, et à un certain degré en Italie, mais pas complètement.

Oui, je crois jusqu’à un certain point que le problème auquel s’est heurté Nietzsche est une exagération d’une position qui supposait une sorte de religiosité soutenue de la part des gens ordinaires dont je pense qu’elle n’est tout simplement pas vraie. Je ne veux pas dire qu’ils sont devenus sceptiques ou agnostiques ou quoi que ce soit d’autre de ce genre, mais je pense effectivement qu’il y a eu un relâchement et une diminution des engagements religieux et une sorte de marginalisation des groupes mystiques et –

Hedges : Faites-vous référence à la fin de la monarchie ?

Wolin : Non, la fin, vraiment, du rôle significatif de la religion dans la constitution de l’État moderne.

Hedges : Laquelle fin aurait été celle de la monarchie, n’est-ce pas ?

Wolin : C’aurait été la fin de la monarchie, sauf que celle-ci aurait gardé une sorte de rôle symbolique. Oui, elle aurait signifié la fin de la monarchie. Je pense que la monarchie demandera probablement toujours une sorte d’élément sacré. Certainement, les vestiges qu’il en reste dans des pays comme l’Espagne et la Grèce le montrent. Mais, non, la fin du rôle de la religion a sapé la monarchie. Il n’y a pas de discussion là-dessus. La plupart des évolutions contemporaines l’ont déstabilisée, et les rois ont principalement été des objets d’exhibition et guère plus.

Hedges : Vous dites également que le totalitarisme inversé est non seulement un signe de la démobilisation des citoyens, mais également qu’il ne s’exprime jamais en tant que concept idéologique, ou en tant qu’objet de débat public. Qu’entendez-vous par là ?

Wolin : Eh bien, ce que je veux dire, c’est qu’il n’a pas été cristallisé uniquement dans ces deux mots, qu’il est tout un processus opérationnel. Son fonctionnement est une combinaison d’éléments dont l’intrication et la cohérence n’ont jamais été proprement appréhendées ni débattues publiquement de manière durable. Et je pense que cela lui confère une sorte de qualité insidieuse, qui devient de plus en plus importante à mesure que les besoins d’une économie et d’un système éducatif modernes se manifestent, mais il n’a jamais suscité le genre de crise qui conduirait à une remise en question radicale. Il y a eu des critiques, il y a eu des récriminations et ainsi de suite, mais l’opposition ne s’est jamais concentrée sur cette cible de manière à présenter une véritable menace.

Hedges : Parce qu’il n’est jamais nommé explicitement.

Wolin : Il n’est jamais nommé.

Hedges : Il ne se présente jamais sous son nom.

Wolin : Non, non. Vous ne pouvez pas vous servir de ce nom. Je veux dire, c’est simple. Vous ne pouvez pas utiliser le terme capitalisme pour jeter l’opprobre sur lui.

Hedges : Vous avez déclaré que le totalitarisme inversé est alimenté par ceux qui détiennent le pouvoir ainsi que par les citoyens qui semblent tous bien souvent ignorants des conséquences en profondeur de leur action ou de leur inaction. Ce qui m’intéresse dans cette affirmation, c’est que vous dites que même ceux qui détiennent le pouvoir ne savent pas ce qu’ils font.

Wolin : Effectivement, je ne pense pas qu’ils le sachent. Je pense que c’est plus – je pense que cela se voit non seulement chez les membres du gouvernement, ceux que l’on appelle les conservateurs, mais également chez les libéraux. Et je pense que la cause n’est pas à chercher très loin. Les exigences du processus de prise de décision contemporain, c’est-à-dire, avoir réellement à décider d’actes législatifs ou exécutifs dans une société aussi politiquement et économiquement compliquée que la nôtre, dans une société politiquement et économiquement aussi compliquée que peut l’être le monde, demande une réflexion difficile. Extrêmement difficile. Et tout le monde est pris par les exigences immédiates, et c’est compréhensible. C’est une sorte de jeu où l’on essaie de maintenir les choses en l’état, de maintenir le bateau à flot, mais où l’on ne cherche pas sérieusement à changer de cap, sauf peut-être de manière rhétorique.

Je pense que les exigences du monde sont maintenant telles, et si dangereuses, avec toutes ces sortes d’armes et de moyens à la disposition de n’importe quel cinglé dans le monde, qu’il est extrêmement difficile pour un gouvernement de se détendre un moment pour penser à l’ordre social et au bien-être des citoyens d’une façon qui soit séparée des problèmes en puissance de sécurité de la société.

Hedges : Nous avons montré plus tôt comment, puisque des forces privées ont essentiellement pris le contrôle des systèmes non seulement médiatiques mais aussi éducatifs, elles ont effectivement détruit la capacité d’esprit critique à l’intérieur de ces institutions. Et ce qu’elles ont fait c’est éduquer une génération, probablement deux maintenant, de gestionnaires de systèmes, des gens dont l’expertise technique vise à garder le système tel qu’il a été construit, viable et à flot, pour que lorsqu’il y a une – en 2008, la crise financière mondiale, ils pillent immédiatement le Trésor américain pour réinsuffler vie au système grâce à un montant ahurissant de 17 000 milliards de dollars. Et quelles sont les conséquences ? Nous avons expliqué plus tôt comment même ceux au pouvoir ne comprennent pas souvent où ils vont. Quelles sont les conséquences aujourd’hui de ce manque de capacité à critiquer le système ou même à le comprendre ? Quelles sont les conséquences environnementales, économiques, démocratiques même, de nourrir et soutenir ce système de capitalisme institutionnel ou totalitarisme inversé ?

Wolin : Je pense que la seule question serait de quel intervalle de temps vous parlez. L’érosion de ces institutions que vous mentionnez est pour moi si continue que cela ne prendra pas longtemps avant que leur substance soit complètement vidée, et tout ce qu’il vous restera ce sont des organismes qui ne joueront plus le rôle qui était prévu, que ce soit le rôle de légiférer de façon indépendante, ou la critique ou la réactivité face à un électorat, donc je pense que les conséquences sont déjà avec nous.

Et bien sûr le décrochage des électeurs n’est qu’une indication, mais le niveau du débat public en est certainement une autre, et je vois cela comme un processus qui trouve maintenant de moins en moins de voix dissidentes et qui a une plateforme et un mécanisme concrets pour toucher le peuple. Ce n’est pas qu’il n’y ait personne qui ne soit pas d’accord, mais ont-ils des moyens de communiquer, de discuter de leurs points de désaccords et de ce qu’il peut être dit à propos de la situation contemporaine qui doit être traitée ? Le problème à l’heure actuelle, je pense, est que les instruments de relance sont dans un état de délabrement avancé. Et je ne vois aucune perspective immédiate, parce que –

Hedges : Vous voulez dire venant de l’intérieur du système lui-même.

Wolin : Venant de l’intérieur. Vous savez, il y a des années, disons au XIXe siècle, il n’était pas courant qu’un nouveau parti politique se forme et ait sinon un effet dominant, une certaine influence sur les affaires, comme l’a fait le Parti progressif. Aujourd’hui, ce serait aussi impossible que le plan le plus farfelu auquel vous puissiez penser. Les partis politiques sont tellement chers que je n’ai pas besoin de vous détailler les difficultés que rencontrerait quiconque voudrait essayer d’en organiser un.

Le bel exemple que nous avons aujourd’hui, j’y pense à l’instant, il a de nombreuses répercussions, est le rachat par les frères Koch du Parti républicain. Ils l’ont littéralement acheté. Littéralement. Ils avaient un montant spécifique qu’ils ont payé, et maintenant c’est à eux. Il n’y a jamais rien eu de semblable dans l’histoire des États-Unis. Evidemment, des intérêts économiques puissants influencent les partis politiques, en particulier les Républicains, mais ce genre de prise de contrôle grossière dans laquelle le parti tombe dans la poche de deux individus est sans précédent. Cela signifie que c’est sérieux. Cela veut dire qu’entre autres, il n’y a plus de parti viable d’opposition. Et même si beaucoup d’entre nous ne sont pas d’accord avec les républicains, il y a quand même une grande place pour le désaccord. Aujourd’hui il semble que tout cela soit fini. C’est maintenant devenu le véhicule particulier de deux personnes. Dieu seul sait ce qu’ils en feront, mais je ne me fais pas d’illusion si vous pensez que des résultats constructifs vont suivre.

Hedges : Et bien, est-ce que Clinton ne vient pas de changer le Parti démocrate en Parti républicain et forcer le Parti républicain à devenir fou ?

Wolin : Oui, c’est vrai. Le Parti démocrate fait aussi fausse route, à commencer par l’administration Clinton.

Mais j’ai toujours l’espoir, peut-être est-ce plus un espoir qu’un fait, j’ai toujours l’espoir que le Parti démocrate soit suffisamment disparate et désordonné pour que des dissidents aient la possibilité de faire entendre leur voix.

Cela ne durera peut être pas longtemps : pour rivaliser avec les Républicains, les Démocrates seront tentés de les imiter. Et cela signifie moins de démocratie interne, et plus de dépendance au financement d’entreprises.

Hedges : Ne serait-il pas juste de dire qu’après la nomination de George McGovern, le Parti démocrate a créé des mécanismes institutionnels pour qu’aucun candidat populaire ne soit plus jamais nominé à nouveau ?

Wolin : Oh, je pense que c’est vrai. L’épisode McGovern a été un cauchemar pour le parti, pour les responsables du parti. Et je suis sûr qu’ils ont fait le serment que plus jamais quelque chose comme cela ne puisse se reproduire. Et bien sûr, cela n’a jamais été le cas. Cela signifie aussi qu’avec, on a perdu avec l’unique chose qu’avait faite McGovern : raviver l’intérêt populaire pour le gouvernement. Par conséquent, les Démocrates n’ont pas seulement tué McGovern, ils ont tué ce pour quoi il s’est battu, ce qui était plus important.

Hedges : Et vous en avez vu une répercussion en 2000 lorsque Ralph Nader s’est présenté et a suscité le même genre d’enthousiasme de la base populaire.

Wolin : Oui, il en bénéficiait.

Hedges : Et comme si c’était l’establishment démocrate, durant la campagne présidentielle les Démocrates pro-Connolly se sont mis d’accord avec le Parti républicain pour détruire, en substance, leur propre candidat, vous avez vu que c’est le Parti démocrate qui a détruit la viabilité de Nader.

Wolin : Oui, c’est tout à fait vrai. Ce n’est pas surprenant parce que, je l’ai dit de nombreuses fois, les Démocrates jouent le même jeu que les Républicains et ont une nuance et un bagage historique qui les poussent à être un petit peu plus à gauche. Mais il me semble que les conditions actuelles dans lesquelles les partis politiques doivent manœuvrer, des conditions qui impliquent de grosses sommes d’argent, dont l’enjeu est colossal du fait du caractère de l’économie américaine d’aujourd’hui, qui doit être traitée soigneusement et avec prudence, et étant donné le rôle déclinant des États-Unis dans le monde des affaires, je pense qu’il y a toutes les raisons de croire que l’attitude prudente du Parti démocrate est emblématique d’un nouveau genre de politique où la marge de manœuvre et la place pour définir différentes positions significatives se réduisent beaucoup, vraiment beaucoup.

Merci beaucoup. Restez à l’écoute, bientôt la cinquième partie de notre interview avec le professeur Sheldon Wolin.

Source : Naked Capitalism, le 29/10/2014

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Commentaire recommandé

Deres // 09.02.2016 à 10h08

Là où ces gens se trompent est que les fameuses « grandes entreprises » n’existent pas vraiment en tant qu’entité autonome doté d’une volonté propre. Ce qui compte, ce sont les gens qui les dirigent. Et ces gens font parti du même « establisment » que les hommes politiques et nouent des relations très fortes. C’est d’ailleurs encore pire en France où il y a confusion complète via l’énarchie entre le ministère des finances et la direction des banques et entre toutes les grandes entreprises et les autres ministères. Et cette élite prend des décisions entre eux, principalement dans leur propre intérêt.

37 réactions et commentaires

  • JMDS // 09.02.2016 à 07h12

    Totalitarisme inversé ou pas, il reste un totalitarisme avec ses caractéristiques essentielles sommairement rappelées : une collectivité assujetties dans une structure béton, construite par une oligarchie ; une masse d’individus indifférenciés, incapables de former des groupes distincts en forces politiques dynamiques.
    Le constat empirique devrait être accompagné d’une explication qui rende compte du processus en cours d’aboutissement et ne concerne pas que les E.U.
    Il y manque une critique du libéralisme dont le mouvement s’est accéléré à la fin des années 1960. Deux générations ont vécu sous le principe de l’individu souverain en opposition au collectivisme communiste entraînant – entre autres – une masse dont les éléments se neutralisent au nom de la préservation de soi et de la concurrence, sans parvenir à se solidariser et former une dynamique sociale. ,

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    • Sud // 09.02.2016 à 08h03

      …« entraînant – entre autres – une masse dont les éléments se neutralisent au nom de la préservation de soi et de la concurrence, sans parvenir à se solidariser et former une dynamique sociale ».

      L’histoire ne nous montre-t-elle pas que rien ne vaut une guerre pour solidariser une masse d’éléments disparates aux fins d’en dégager une dynamique sociale ?
      Nous y arrivons, nous y arrivons. Il y a bien eu quelques révolutions fleuries néanmoins…

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      • Gier 13. // 10.02.2016 à 07h45

        Bismarck avait d’ailleurs très bien compris cela. C’est ainsi qu’il a tendu un piège à ce benêt de Napoléon III qui s’y est précipité et à déclencher la guerre dont avait besoin le chancelier pour parachever l’unification de l’Allemagne. C’était en 1870.

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  • LBSSO // 09.02.2016 à 08h15

    « (…) ou comment les grandes entreprises et le gouvernement travaillent ensemble pour garder le grand public en esclavage »
    L’Etat et les grandes entreprises du numérique ?
    Des d’intérêts bien compris.
    -Les VTC sont tracés en permanence.Le parcours d’un taxi traditionnel ne l’est pas,accepte du liquide.L’Etat améliore ses rentrées fiscales (tant mieux).Oui mais Uber optimise: les Pays-Bas, les Bermudes, le Delaware , plus le chauffeur de taxi.
    -Les petites astuces pour s’arrondir les fins de mois .vente sur un site,location d’un bien,la plateforme fera parvenir un relevé de vos transactions à l’administration.
    -Les mini jobs à l’allemande,nos politiques n’osent les mettre en place.Ils sous-traitent ,courageusement,leur mise en place aux plateformes « collaboratives ». Travaux de bricolage,de jardinage,petites livraisons,etc…
    -L’ économie du don se trouve marchandisée.Je n’ai jamais demandé à un auto stoppeur de partager les frais.Le » don » intégré dans le PIB,après la prostitution et la drogue !
    -Le système fiscal devient de plus en plus complexe (optimisation fiscale) dans ce type d’économie?
    Pourquoi alors ne pas adopter « la flat taxe » ? Sans espèces (paiement sans contact) son rendement sera excellent .
    Oui ,ces plateformes sont » collaboratives ».Une collaboration en Etats et entreprises numériques.

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  • patrickluder // 09.02.2016 à 08h28

    Je ne pense pas que les grandes entreprises et les gouvernements se mettent ensemble pour garder la population en esclavage. Si les gouvernement sont sous influence des grands groupes industriels, n’est-ce pas seulement pour un espoir de retrouver une croissance perdue? Nos gouvernements s’empêtrent à essayer de remplacer une économie défaillante quand ils devraient s’atteler à donner un cadre équitable. Mais tous, nous recherchons auprès de nos Etats-providence, subventions et aides de toutes sortes, alors que ce sont dans nos propres poches que l’Etat puise …
    Oui, les grandes entreprises ont de grandes responsabilités économiques, écologiques et sociales … mais comment peuvent-elles survivre hors d’une globalisation forcenée dans un monde globalisé ou la disparité des conditions de base est devenu l’outil principal de profits mirobolants ?

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    • dervan // 10.02.2016 à 18h00

      En fait je ne suis pas en accord avec ce que vous dîtes car que ce soient les grandes entreprises ou les hommes politiques, c’ est toujours cette soif d’ avoir le pouvoir  » d’ être plus qu’ homme dans un monde d’ homme » qui domine ( Malraux) car fondamentalement c’ est ce qui différencie les individus. Et comme Wolin le souligne je trouve fascinant cette volonté de sortir toujours de l’ anonymat m^me chez le plus quelconque des individus; Une chose m’ étonnait la dernière fois : c’ est le nombre de profs de collège ou de lycée qui écrivent des livres sur un sujet donné: loin de moi l’ idée de les critiquer mais qu’ est ce qu’ un prof du secondaire a de plus intéressant à dire sur la confiance, la mondialisation qu’ un prof d’ université qui théoriquement a été spécialisé dans ce domaine là précis?. On retrouve à mon avis là une recherche de sens et de valorisation personnelle . Et Wolin parle de la religion. Force est de constater que celle ci peut être le démon destructeur mais elle peut aussi apporter des valeurs soustraites à la tyrannie capitaliste dans un monde où on fait de la rationalité le dieu suprême mais comme le disait Allan Bloom aucune valeur ne peut avoir de base rationnelle. je crois qu’ on crève de ne pas avoir de valeurs qui viendraient du coeur… Mais bon , c’ est ma position

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  • Anouchka // 09.02.2016 à 09h40

    « Ceux qui sont à l’intérieur de ces structures institutionnelles sont poussés à s’identifier à leur entreprise sur un plan presque personnel (…) et cette structure de pouvoir vient tout juste d’être transférée à l’Etat(…) de maniere à ce qui que le peuple s’identifie à travers le nationalisme à la superpuissance elle-même. »
    On a là l’illustration des caractéristiques du totalitarisme décrites par Hannah Arendt : Désintégration des affiliations traditionnelles (liens familiaux, notamment) au profit d’une identification « totalitaire » des individus avec la puissance publique.

    On notera aussi que l’auteur pointe du doigt le fait que l’économie est devenue la principale source d’autorité de nos sociétés et qu’elle remplace dans ce rôle la religion.

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  • Michel Martin // 09.02.2016 à 09h54

    Est-ce que le totalitarisme inversé ne serait pas lié au mythe de l’absence de structure. En clair, le vide laissé par l’anarchie libérale (absence de structure formelle) se trouve occupé par une structuration informelle du financiarisme. Contrairement au totalitarisme, il n’a pas de centre et est insaisissable.

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  • Deres // 09.02.2016 à 10h08

    Là où ces gens se trompent est que les fameuses « grandes entreprises » n’existent pas vraiment en tant qu’entité autonome doté d’une volonté propre. Ce qui compte, ce sont les gens qui les dirigent. Et ces gens font parti du même « establisment » que les hommes politiques et nouent des relations très fortes. C’est d’ailleurs encore pire en France où il y a confusion complète via l’énarchie entre le ministère des finances et la direction des banques et entre toutes les grandes entreprises et les autres ministères. Et cette élite prend des décisions entre eux, principalement dans leur propre intérêt.

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    • Anatole // 09.02.2016 à 10h48

      Exactement. Les « Grandes entreprises » sont toutes liées par la tête, et sont entrées dans un process d’exploitation ,voir d’escroquerie, de leurs salariés afin de dégager l’augmentation de leurs marges, sans tenir compte de la destruction de leurs compétences [donc à terme de leur propre existence] que cela induit.
      Nous assistons dans la douleur à la destruction de toutes les grandes entreprises par leurs propres dirigeants, qui entraine dans son sillage celle de notre civilisation – J’allais dire Occidentale – Mondiale.
      Le constat étant fait, quelles seraient les solutions pour préserver ce qui peut l’être ?
      Il est clair qu’un retour aux fondements de base est inéluctable, un retour à la terre et à la charrue pour ceux qui en seront capables, car une « reprise » de contrôle des économies par les PME ou l’artisanat est à présent trop verrouillée par le système pour être possible.
      Tous les autres seront appelés à disparaitre sur du plus ou moins court terme.

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  • caroline Porteu // 09.02.2016 à 11h58

    En contrepoint de ce très bel interview , je voudrais vous signaler un blog que je viens de découvrir qui est d’un niveau exceptionnel , et qui présente des projets de société sans tomber dans les habituels débats politiciens qui n’ont comme effet que d’enterrer tout débat de fond .
    Chroniques de l’anthropocène
    Pour uine transition économique, écologique et financière
    Le blog d’Alain Grandjean
    https://alaingrandjean.fr/

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  • Salim Benmeziani // 09.02.2016 à 12h56

    J’ai dû regarder cette vidéo une bonne dizaine de fois depuis sa publication tellement la claque fut rude ! Le passage le plus marquant selon moi est celui où le docteur Wolin explique la théorie de Marx selon laquelle : « la forme du système économique détermine celle du système politique », et dont les implications sont absolument immenses. Son articulation de la pensée de Weber, Marx, Tocqueville, Nietzsche, Lénine, avec l’histoire américaine est brillante, et elle mérite de ne pas tomber comme beaucoup d’autres dans l’oubli. J’aimerais remercier infiniment les auteurs de ce blog d’aider a faire connaître ces idées dans notre presqu’île intellectuelle.

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    • J // 09.02.2016 à 13h07

      Peut-être mais alors, si le fait d’avoir prédit quelque chose donne du crédit à une pensée, quelqu’un a prédit du vivant de Marx ce que le projet de Marx allait donner, et jusqu’au fait que les paysans russes allaient en souffrir plus que quiconque http://bouquinsblog.blog4ever.com/etatisme-et-anarchie-mikhaal-bakounine
      Néanmoins, je ne crois pas beaucoup au projet de Bakounine et n’ai guère envie de lui servir de cobaye.

        +1

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      • Salim Benmeziani // 09.02.2016 à 13h52

        La réponse a votre objection est également donnée dans la vidéo lorsqu’il explique l’utilisation détournée qu’a fait Lénine des idées de Marx, ainsi que ses raisons. C’est très clair et parfaitement argumenté, je vous y renvoie donc avant d’approfondir le sujet.

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        • J // 09.02.2016 à 16h00

          Si vous voulez, mais l’utilisation non détournée des idées de Marx (au-delà de ses critiques souvent utiles, je laisse le manichéisme à ceux qui n’ont pas les moyens de faire autre chose), on l’attend toujours et je n’ai pas plus envie de servir de cobaye. D’autant que Bakounine prévoyait expressément ce « détournement », conforme, pour reprendre son expression, à tout ce qu’on sait de la nature humaine.
          L’illusion, dramatique, catastrophique, c’est de croire qu’en faisant passer le pouvoir à d’autres mains on le rendra bon et désintéressé par un coup de baguette magique.
          C’est aussi un des ressorts de base du vrai totalitarisme, que la catégorie destinée au pouvoir soit une « race », une classe sociale ou une religion.

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  • caroline Porteu // 09.02.2016 à 14h05

    Il faut aussi citer les travaux d’un autre économiste de renom Gael Giraud .. et quelque part , ses analyses expliquent très bien le totalisme inversé constaté par Wolin .

    Giraud part du principe que nous nous sommes trompés de paradigme …
    Nous aurions juste tout faux. Selon lui, l’énergie se révèle être, tout compte fait, le paramètre essentiel qui influe sur l’activité économique et permet de la comprendre : son grand faiseur. La valeur du capital dans le capitalisme serait, par conséquent, largement sur-cotée.

    A l’appui de cette théorie , une conférence limpide qui expilque la destruction sociale actuelle etui vaut vraiment l’heure qu’on lui consacre tellement elle décrypte bien les différentes erreurs économiques faites et à venir . Pour pouvoir soigner il faut analyser les causes .

    Un Monde ancien s’en est allé .
    https://youtu.be/l_l0gy0PXg0

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    • Crapaud Rouge // 09.02.2016 à 18h25

      Il est très bien ce Gael Giraud, et il n’est pas le seul à vouloir mettre l’énergie à la base de l’économie, mais cette idée arrive bien trop tard, dans un monde déjà fait. Et puis, maintenant que l’abondance énergétique décroît sérieusement, la variable fondamentale va peut-être devenir l’eau, ou l’information, ou quelque chose d’autre encore…

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  • Jusdorange // 09.02.2016 à 16h29

    Passionnant.

    J’aimerais cependant qu’on éclaircisse un point : qu’est ce que le totalitarisme ?

    Parce que pour l’instant j’avoue n’en avoir qu’une idée imprécise.

    Au moyen-âge les rapports féodaux impliquaient, il me semble, des rapports entre le suzerain et le vassal qui étaient teintés de sacré. On ne pouvait rompre son serment, l’adoubement, les hommages, ces liens d’obéissance relevaient aussi d’un caractère sacré. Est-ce à dire que le système féodal est totalitaire ?

    Durant la période moderne (1453-1789) , le roi de France était personne sacrée. Est-ce à dire que le système absolutiste est totalitaire ?

    La Révolution française va sacraliser ses attributs (rappelez-vous la fameuse photo où les droits de l’homme sont présentés comme les nouvelles tables de la Loi ; sacre de Napoléon ). Est-ce à dire que la République est totalitaire ?

    Le terme totalitarisme désigne ici trop de choses pour avoir un réel sens. Quelqu’un peut-il me donner un critère spécifique au totalitarisme ?

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    • Crapaud Rouge // 09.02.2016 à 18h08

      « un critère spécifique au totalitarisme ? » Qui se mêle de tout, qui veut que rien ni personne ne lui « échappe », qui « écrase » toute critique « dangereuse » pour lui, (ie: toute critique qui l’obligerait à composer avec un adversaire), et qui « écrase » tout ce qui est susceptible de le freiner, comme le fait de devoir négocier. Deux exemples caricaturaux de ce « totalitarisme renversé » : le TTIP que tout le monde connaît et qui veut parvenir à ses fins par le légalisme, et… l’interdiction de commercialiser le purin d’orties !

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    • J // 09.02.2016 à 19h30

      Totalitarisme, en synthétisant les définitions de base d’Hannah Arendt (en tenant compte de ses exagérations, on manquait de recul) et autres, projet politique qui préconise une mobilisation, une coercition et une agressivité intérieure et extérieure, très au-delà des besoins de l’Etat et de la collectivité, au service d’une idéologie de rupture qui doit imposer sa loi. La Révolution française est passée par une phase passablement totalitaire. Quelques précisions : http://bouquinsblog.blog4ever.com/martyre-et-totalitarisme

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      • Anouchka // 09.02.2016 à 20h49

        J,
        Je ne sais pas sur quoi vous vos basez pour dire que H.Arendt exagere. Moi, je trouve au contraire que sa definition est trop restrictive. Elle ne prend pas en compte la dimension totalitaire des religions monothéistes par exemple.
        De mon point de vue, à la différence de la monarchie absolue de droit divin, par exemple, qui était encadrée par les lois du royaume (lois de succession notamment ) et par l’idee d’une transcendance divine dont le roi dépendait, le système totalitaire se caractérise par un une autorité fondée sur un peuple abstraitement tout puissant qui est l’origine de ses propres normes, une sorte de théocratie démocratique où l’individu n’a d’autre existence qu’en tant que partie de ce grand tout – et donc n’a aucun droit légitime à se rebeller – et aucune envie non plus, théoriquement.
        Le système totalitaire en plus d’être anti-démocratique est potentiellement beaucoup plus tyrannique que la monarchie absolue car le pouvoir qui est sensé incarner la volonté sacrée du peuple a tout pouvoir d’abuser de sa position.

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        • J // 09.02.2016 à 21h04

          C’est justement, entre autres, parce qu’elle ne prend pas en compte d’autres aspects totalitaires, dont celui-là en effet, que je dis (je ne suis pas le seul) qu’elle exagère, aussi à propos du contrôle total (une illusion, on croyait que le NKVD avait des moyens extraordinaires de débusquer les oppositions les plus secrètes, mais ses victimes étaient le plus souvent raflées au hasard), aussi quand elle prétend qu’un régime totalitaire ne peut que se durcir toujours plus.

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      • Jusdorange // 09.02.2016 à 22h01

        À J

        Tout ceci est fort intéressant, mais je persiste à penser que, pour la plupart des critères que vous avez posé, il n’y a pas de différence de nature entre les régimes totalitaires et les régimes autoritaires. Une différence de degré, ça oui.

        Tous les critères que vous synthétisez ici (exercice difficile j’en conviens) semblent pouvoir s’appliquer à tous régimes qui passent dans une phase autoritaire.

        Sauf le critère de « rupture », qui est sans doute celui qui est le plus spécifique. Un autre critère que vous citez dans un autre commentaire est aussi intéressant : recherche d’une « harmonie définitive », une utopie en quelque sorte. Ce critère est effectivement un critère qu’on peut ne pas trouver dans les régimes autoritaires. Le critère de rupture et l’utopie sont en vérité liés, puisqu’on justifie la rupture afin d’établir l’utopie.

        Autrement dit : totalitarisme = autoritarisme + utopie.

        Trop simple ?

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        • J // 09.02.2016 à 22h14

          L’autoritarisme, c’est à l’intérieur, il n’implique pas d’attaquer ses voisins ni de répandre sa doctrine. Le totalitarisme ajoute une dimension d’expansion, au nom d’une idéologie de rupture encore une fois. En outre, le totalitarisme ne marche pas sans adhésion massive de larges couches d’une population.

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        • Anouchka // 10.02.2016 à 05h33

          A jus d’orange,
          Différence entre régime autoritaire et régime totalitaire: à mon avis cela réside dans la nature de l’autorité.

          Dans le régime totalitaire l’autorité est basée su l’idéologie alors que beaucoup de régimes autoritaires ont des assises idéologiques faibles voir meme se fondent sur une tradition (une tradition religieuse par exemple.)

          votre idée de l’utopie est intéressante
          L’utopie est l’opposé de la tradition justement

          Le totalitarisme se caractériserait donc par l’omnipotence d’une idéologie utopique

          Pour revenir à l’idée de totalitarisme inversé dans les sociétés occidentales : l’utopie y est très présente (utopie économiste du laisser-faire, utopie de la fluidité des identités de genre, des identités culturelles, utopie du progrès post-humaniste…)

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          • J // 10.02.2016 à 09h40

            Bien d’accord sur les utopies affolantes qu’on cherche à nous imposer, ouvertement ou subrepticement, dans les sociétés occidentales voire plus loin. Mais on voit décidément que le mot même de « totalitarisme » brouille tout alors qu’il y a des différences fondamentales. Est-ce qu’on ne pourrait pas appeler ça « globalitarisme », qui rappellerait les analogies tout en marquant bien les différences ? Il a quand même bien fallu que quelqu’un lance le mot « totalitaire » (« totalitario » au départ puisqu’il s’agit de l’Italien Giovanni Amendola, opposant puis victime de Mussolini) qui a naturellement induit « totalitarisme ».

            Parce qu’on a toujours besoin du concept de « totalitarisme » au sens premier.

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    • Wilmotte Karim // 09.02.2016 à 23h53

      Le totalitarisme est un système dans lequel l’état « est tout » (« L’Etat Total »). C’est à dire, est toute la société (ou que toute la société est l’état, ou sous son contrôle de fait de l’Etat).

      Un régime totalitaire sera vraisemblablement toujours autoritaire.
      Un régime autoritaire n’est pas nécessairement totalitaire.

      Il faut faire attention à l’usage de terme comme totalitaire à des époques ou le concept n’existait pas!
      Ce serait aussi utile que de dire que les frères Gracques étaient de gauche ou que les anciens hommes démocrates.

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  • Subotai // 09.02.2016 à 17h09

    Le totalitarisme est tout simplement la tendance à vouloir contrôler toujours plus les gens dans toutes leurs activités. Même s’il s’agit de faire leur bonheur à l’insu de leur plein gré.
    Quand on infantilise en sur-sécurisant on est dans le totalitarisme.
    Les espaces de décisions sont limités et balisés par de plus en plus d’interdits. Ceux ci ne sont pas que la Loi. Tout le système social des dominants y participe par tous les moyens.
    La coercition physique n’est pas obligatoire, c’est seulement le dernier recours.
    La tentation totalitaire est la tendance normale de tous les systèmes dominants arrivés aux limites de leur pouvoir.

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    • Jusdorange // 09.02.2016 à 17h41

      ( je suppose que c’est une réponse à ma question)

      Vous avez pris le risque d’apporter une définition, je vous en remercie. D’autant plus qu’elle est efficace.

      J’apporterai deux objections cependant.

      Sur le détail d’abord :
      Tous les systèmes ne sont-ils pas dominants, puisqu’un système suppose une hiérarchie ? À moins de supposer la possibilité d’un système non-hiérarchisé ? Auquel cas je vous demanderais de fournir un exemple de préférence historique, du moins théorique ( on pourrait penser au stade final du communisme par exemple ).

      Sur l’essentiel ensuite :
      En quoi votre définition du totalitarisme est-elle différente de l’autoritarisme ? Si les deux mots sont identiques, je serais partisan d’en choisir un, et d’oublier l’autre.

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      • Subotai // 12.02.2016 à 16h45

        Désolé pour la réponse tardive.
        L’important est : » arrivé aux limites de leur pouvoir »
        Un système domine sans coercition tant qu’il est accepté. La limite du pouvoir est fin de l’acceptation. Quand il commence à être contesté, la tendance naturelle est au raidissement; ce qui entraine une extension du domaine du contrôle.
        La différence entre l’autoritarisme et totalitarisme est dans l’étendu et la nature du domaine du contrôle.
        L’autoritarisme ce cantonne au signe extérieur du pouvoir.
        Le totalitarisme prétend modeler le cœur et l’esprit suivant les besoins du pouvoir.

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    • J // 09.02.2016 à 20h45

      Faudra-t-il encore répéter que 1984 n’est absolument pas un roman réaliste, que ni Hitler ni Staline ni Mao n’ont jamais prétendu contrôler « toutes les activités » ? L’islamisme actuel, un peu plus, mais quand même pas complètement.

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  • Roiwik // 09.02.2016 à 18h09

    Le meilleur exemple de totalitarisme actuel est l’hégémonie du dollar qui a fait la pluie et le beau temps sur la planète entière depuis 70 ans , c’est pas merveilleux la planche billet universel qui permet d’avoir un train de vie super et de faire payer ses déficits par les autres nations de la planète ! Et de plus si un pays se révoltait on lui envoie l’US air force et les marines avec l’aval d’institutions installés au New York et de plus avec Wall Street et la Fed pour assurer le flow de dollar pour entretenir le flow sans fin de fric : qui dit mieux , c’est génial le système , pourvu que ça dure !

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  • J // 09.02.2016 à 18h34

    Il semble nécessaire (et c’est affligeant) de rappeler quelques évidences basiques :
    1) Tout pouvoir tend à abuser égoïstement de son pouvoir, quelles qu’aient été ses intentions au départ…
    2) On n’a pas encore réussi à se passer durablement de pouvoir…
    3) La seule solution durable est de maintenir des contre-pouvoirs (qui doivent comme le pouvoir évoluer et parfois se renouveler)…

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    • Salim Benmeziani // 09.02.2016 à 19h09

      On est d’accord, le pouvoir est une force qui n’a en définitive qu’un seul but , s’auto-renforcer . C’est pourquoi un certain nombre de forces contraires tendraient en principe a permettre l’apparition d’un état d’équilibre salutaire pour la société. Le problème c’est qu’au mieux on ne parvient qu’à un état d’équilibre instable . Nous constatons en fait que toutes ces forces « représentatives du corps social » ne dépendent que d’un seul carburant pour ce renforcer : l’argent ! Elles finissent donc naturellement toutes par converger dans une seule et même direction, et dans un seul but : toujours plus de concentration. Car en définitive la seule façon d’être certain de l’état d’équilibre, c’est qu’il n’y ai plus qu’une seule force …

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      • J // 09.02.2016 à 19h19

        Vous voulez abolir la monnaie ? Là encore, désolé, je n’ai aucune envie de servir de cobaye.
        Tout équilibre ou consensus social finit par s’user et devenir instable, il faut se faire une raison. La croyance qu’on peut parvenir à une harmonie définitive est aussi un constituant de base des pires totalitarismes (les vrais). Comme l’a pensé un certain Blaise Pascal : « L’Homme n’est ni ange ni bête (comprendre diable) et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête ».

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        • Salim Benmeziani // 09.02.2016 à 19h53

          Evidemment pas , ce n’est ni l’argent ni la nature faillible de l’homme le problème, comme tout le monde l’a toujours compris depuis le début des « temps politiques » , c’est la concentration du pouvoir qui est destructrice et non l’inverse comme certains aimeraient le faire croire. Le totalitarisme n’est pas et n’a jamais été une chose totale , un gradient oligarchique a toujours régné ( « les contres pouvoirs ») même dans les pires dictatures. On pourrait sans doute trouver une corrélation entre la répartition des richesses et le degré de liberté dans une société , une des implications importantes de la phrase “la forme du système économique détermine celle du système politique » citée plus haut .

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  • Guéguen // 22.02.2016 à 09h57

    Intéressant, dans ce contexte, de noter que la démocratie mexicaine a parfois été présentée comme « la dictature parfaite ».
    A cet égard, un article de John Ackerman (chroniqueur perspicace), dans Proceso, fin 2014 :
    « Ce qui résiste, je le soutiens »
    Una de las estrategias más efectivas que ha utilizado el Partido Revolucionario Institucional (PRI) para mantenerse en el poder desde su fundación en 1946 ha sido la activa promoción de una oposición domesticada.
    A confronter aux propos de Mr Wolin.
    h.

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