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10.décembre.202010.12.2020 // Les Crises

Claire-Anne Siegrist, vaccinologue : « Il est normal que les gens se posent des questions sur les vaccins »

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Source : Le Temps

Cheffe du centre de vaccinologie des Hôpitaux universitaires de Genève, la pédiatre Claire-Anne Siegrist a déjà été confrontée à plusieurs situations de crise, que ce soit lors de la pandémie de virus H1N1 en 2009 ou pendant l’épidémie d’Ebola qui s’est déroulée en Afrique de l’Ouest entre 2013 et 2016. Forte d’une expérience de plus de vingt ans dans la recherche, elle a longtemps collaboré avec l’Organisation mondiale de la santé et présidé le groupe d’experts chargé de conseiller la Confédération sur les questions vaccinales.

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Le Temps: Moins d’un an après l’apparition du Covid-19, nous aurons bientôt plusieurs vaccins efficaces contre cette maladie. Comment est-ce possible?

Claire-Anne Siegrist: C’est vraiment stupéfiant, quand on pense qu’on met en général une dizaine d’années à développer un nouveau vaccin. Plusieurs éléments ont permis cette prouesse. En premier lieu, il y a la mobilisation sans précédent des laboratoires pharmaceutiques et universitaires, qui ont été très nombreux à réorienter leur effort de recherche vers la lutte contre le covid.

Plus important encore sans doute, tous ces laboratoires ont reçu des fonds massifs de la part des Etats, ce qui leur a permis de prendre des risques. C’est grâce à cela que des vaccins innovants à ARN ont pu être développés par Moderna et Pfizer.

Quels sont les résultats obtenus?

Les résultats des études n’ont pas encore été publiés dans des revues scientifiques, mais les candidats vaccins de Moderna et de Pfizer annoncent tous deux une efficacité de 95%, ce qui est vraiment excellent. Celle du vaccin d’AstraZeneca serait plus faible, autour de 70%.

Concernant le vaccin russe, nous avons de bonnes raisons d’avoir des doutes sur le chiffre avancé [91% d’efficacité, nldr], donc, pour moi, il n’entre pas en ligne de compte. Attention toutefois, l’efficacité des vaccins a été mesurée sur la période du début de la surveillance, depuis le lancement de la phase 3 des essais, soit pendant environ deux mois. Reste à savoir comment cette protection va évoluer dans le temps; pour le déterminer, il faudra continuer à suivre l’évolution des infections chez les participants dans les mois à venir. J’ai l’espoir qu’une bonne protection se maintiendra pendant plusieurs mois, tant le niveau initial de 95% est élevé.

Peut-on garantir que ces vaccins sont sans risque?

Pour ce qui est des effets à court terme, oui. Les participants aux essais ont rapporté des réactions inflammatoires classiques après une vaccination: douleur au point d’injection, plus rarement des courbatures ou de la fièvre. Ces symptômes sont liés à l’activation du système immunitaire et elles sont attendues. Ce qu’on ne sait pas encore, c’est si ces vaccins pourraient déclencher des maladies auto-immunes tels que le syndrome de Guillain-Barré, ce qui peut se produire dans de très rares cas suite à une vaccination.

Cette pathologie neurologique pouvant entraîner la paralysie survient non rarement après une infection par le virus de la grippe, et environ une fois par million après un vaccin contre la grippe. Ce type d’effet secondaire grave survient généralement six semaines à trois mois après la vaccination, au pic de l’activation du système immunitaire.

Donc de ce point de vue là aussi, bénéficier de quelques mois de recul supplémentaires, et sur un grand nombre de personnes puisque les États-Unis vont se mettre à vacciner déjà en décembre, nous offrira de meilleures garanties de sûreté. S’il s’avère que la probabilité de développer une maladie grave est de 1 sur 1 million de personnes vaccinées, le risque devient pratiquement virtuel, en tout cas bien inférieur à celui de développer une forme grave de covid pour certaines catégories de la population.

Mais des effets inattendus peuvent toujours se produire…

En effet, et mon passé vaccinologique me l’a bien enseigné. A la suite des campagnes de vaccination contre le virus H1N1, des enfants scandinaves ont développé une narcolepsie, une pathologie qui entraîne une somnolence et des accès de sommeil pathologiques.

Plus récemment, nous avons dû suspendre l’essai que nous menions avec un vaccin contre le virus Ebola à la suite de l’apparition de douleurs articulaires chez les participants. Dans les deux cas, ces effets étaient imprévisibles. Toutefois, là encore, ce type de réaction survient dans les trois à quatre mois suivant la vaccination, pas plus tard. Donc, s’ils devaient se produire avec l’un ou l’autre des vaccins en cours de tests, nous serions rapidement fixés.

D’après des sondages, une grande partie de la population, en Suisse comme à l’étranger, hésite à se faire vacciner. Est-ce que vous le comprenez?

Oui, parfaitement. Il est normal que les gens se posent des questions. A l’heure actuelle, nous manquons encore de données par rapport à ces nouveaux vaccins. Pour les personnes en bonne santé, qui ne sont pas particulièrement à risque de souffrir de formes graves du covid, il est encore difficile de se positionner sur l’avantage à se faire vacciner.

Plus globalement, on assiste depuis plusieurs années à une progression de la méfiance envers les vaccins. Cela s’explique notamment par le fait que certaines des maladies contre lesquelles on vaccine les enfants ont disparu dans nos pays: on ne connaît plus la menace.

Par ailleurs, plusieurs scandales sanitaires, comme l’affaire du sang contaminé ou celle du Mediator, ont à juste titre érodé la confiance du public dans les autorités et les systèmes de surveillance de santé. Donc je comprends cette méfiance.

Mais quand j’entends dire que ce virus est une invention des pharmas ou de Bill Gates afin de vendre des vaccins, j’ai surtout l’impression que les gens recherchent un bouc émissaire face à une situation qui les angoisse. D’autant plus que la production de vaccins n’est pas un domaine rentable, raison pour laquelle aucune compagnie pharmaceutique n’y consacre plus de 20% de ses ressources.

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Source : Le Temps – 27/11/2020

 

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