Israël a aidé de nombreuses dictatures impitoyables. Mais il est encore difficile de comprendre son rôle en Guinée équatoriale.
Source : Haaretz, Eitay Mack
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
La République de Guinée équatoriale, petit pays situé sur la côte ouest de l’Afrique et peuplé d’environ 1,5 million d’habitants, est l’une des dictatures les plus connues au monde. Depuis que le pays s’est libéré de la domination coloniale espagnole et qu’il a obtenu son indépendance le 12 octobre 1968, la Guinée équatoriale est un État policier brutal qui ne respecte aucun des droits humains et civils, même les plus élémentaires. Les gens sont régulièrement arrêtés sans aucune forme de procès et les militants des droits humains, les journalistes, les personnalités de l’opposition ou toute autre personne que les forces de sécurité considèrent comme faisant partie de ces catégories courrent le risque d’être torturés, voire assassinés. La liberté d’expression, la liberté de la presse et la liberté d’association y sont inexistantes. Le président du pays, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, est le plus ancien dictateur au monde. Il est au pouvoir depuis 1979, date à laquelle il a déposé son oncle, Francisco Macías Nguema, lors d’un coup d’État sanglant.
Et donc, comment la Guinée équatoriale est-elle devenue l’un des meilleurs amis d’Israël en Afrique, annonçant même, en 2021, son intention de transférer son ambassade à Jérusalem ? L’une des raisons possibles est que la Guinée équatoriale est l’un des cinq plus grands exportateurs de pétrole d’Afrique, ce qui lui confère un intérêt économique aux yeux d’Israël. Mais des dossiers déclassifiés du ministère des affaires étrangères révèlent qu’Israël a soutenu le gouvernement de la Guinée équatoriale des décennies avant de devenir dépendant de son pétrole, et que déjà alors, Israël a contribué à la mise en place de l’infrastructure de son État policier.
Israël a adopté cette ligne de conduite en dépit d’un nombre incalculable d’éléments indiquant que le président Macías n’était pas sain d’esprit et qu’il souffrait de paranoïa et de schizophrénie. Dans le but d’obtenir le soutien de la Guinée équatoriale dans les forums internationaux, Israël n’a tenu aucun compte de l’état mental de Macías et de sa cruauté à l’encontre de ses opposants réels ou supposés.
Selon des câbles du ministère des affaires étrangères, qui sont maintenant accessibles depuis deux ans, Israël n’a apparemment pas fourni d’armes aux forces de sécurité de Macías, son régime n’avait pas les moyens de les payer et disposait de toute façon de suffisamment de fusils laissés derrière eux par les colonisateurs espagnols. En revanche, Israël a aidé le président dans ce qui était le plus important pour lui : la formation et la réorganisation des forces de sécurité intérieure, qui étaient dans un état de délabrement total après le départ de tout le réseau de commandement espagnol. Si Israël n’a aucun intérêt à donner des armes gratuitement, l’envoi de consultants et de formateurs est considéré comme un « cadeau » bon marché, puisqu’il suffit de payer les salaires de ceux-ci et de leur verser quelques indemnités.
Voilà comment, dans une revue du ministère des affaires étrangères en septembre 1986, les années du président Macías ont été résumées, sans qu’il soit fait mention de l’aide israélienne apportée pour l’aider à établir son État policier : « La Guinée équatoriale, lointaine colonie espagnole, n’a obtenu son indépendance qu’en 1968, mais quelques mois plus tard, Macías, élu, prenait le pouvoir. […] Le régime de terreur meurtrier a réduit la population (selon les estimations) d’un tiers, le pays est devenu l’un des pays les plus arriérés d’Afrique. »
Macías a chaleureusement remercié Israël pour son aide. Un câble envoyé au ministère des Affaires étrangères le 3 juin 1969 par Shlomo Havilio, l’ambassadeur au Cameroun, également accrédité auprès de la Guinée équatoriale, note que le président « a insisté sur sa plus chaleureuse amitié à l’égard d’Israël, il comprend l’importance de notre lutte contre les Arabes et il est de notre côté ». Dans un câble envoyé à Jérusalem en mars 1970, le successeur de Havilio, le Dr. Shaul Levin, rapporte qu’il a rencontré Macías, qui lui a fait part de sa confiance en déclarant : « Les liens d’amitié qui nous unissent continueront à se renforcer autant qu’il en aura besoin, comme le prouve notre volonté de l’aider à o;rganiser ses forces armées. »
Levin a écrit que « Macías a bondi de sa chaise, m’a serré dans ses bras et m’a embrassé à plusieurs reprises, en disant : « Vous savez, Israël est notre ami le plus sincère et le plus loyal, nous savons que vous ne prêterez jamais main forte à des manigances à notre encontre. Il a ajouté : Chaque nuit, je prie pour le bien d’Israël. » Dans le même câble, l’ambassadeur note qu’il a également rencontré un représentant des Etats-Unis sur place, qui lui a confié : « Le régime impose la terreur et la police fait un carnage dans les rues. »
Les accolades et les baisers du président s’expliquent apparemment par l’extrême paranoïa dont il souffre, celle-ci le pousse à croire que d’innombrables complots visant à le destituer se tramaient et que seul Israël était prêt à l’aider à les déjouer. Dans deux câbles adressés au ministère des Affaires étrangères en 1969, Havilio rapporte que, selon Macías, une tentative de coup d’État ratée contre lui avait été préparée le 4 mars de cette année-là par le ministre des Affaires étrangères du pays. C’est ce qui a servi de prétexte au président pour liquider physiquement « ses principaux rivaux », dont l’ambassadeur du pays auprès des Nations unies, « mort sous la torture », le ministre des affaires étrangères lui-même et « des dizaines, voire des centaines de prisonniers politiques, parmi lesquels la plupart des membres du personnel du ministère des affaires étrangères ».
Le 25 février 1970, un câble de l’ambassadeur Levin indique que le président Macías prétend qu’il y a eu une nouvelle tentative de coup d’État à son encontre et qu’il a renforcé la « surveillance policière » ; il serait sujet à de « fréquentes sautes d’humeur » et aurait apparemment fait une « crise de nerfs ». Deux semaines plus tard, le 6 mars, un conseiller de l’ambassade d’Israël à Washington, Yohanan Bein, rapporte à Jérusalem que le directeur adjoint de la section Afrique de l’Ouest du Département d’Etat lui a dit que Macías était « schizophrène et avait des réactions imprévisibles ». Il a ajouté que le président de la Guinée Équatoriale avait accusé le New York Times d’être « un journal fasciste dirigé par des Juifs dans un pays fasciste ».
Yaakov Keinan, représentant de l’ambassade d’Israël au Cameroun, pays voisin, a informé Jérusalem dans un câble du 18 mai 1970 que l’ambassadeur de Guinée équatoriale au Cameroun lui avait fait savoir que « le président n’est pas sain d’esprit et gouverne sa population et son administration en tyran ». Six mois plus tard, le 23 novembre 1970, l’ambassadeur Levin informe le ministère des Affaires étrangères que « l’état mental du président Macías est proche de la dépression nerveuse et il souffre d’un délire de persécution ». S’en sont suivies des arrestations en masse, cette fois au sein de sa propre tribu, et de nombreux ministres et gouverneurs de district ont également été emprisonnés, tout cela en raison de la défiance pathologique du chef de l’État.
Le 17 septembre 1971, l’ambassadeur d’Israël au Congo, Haïm Yaari, rapporte au ministère des Affaires étrangères que l’ambassadeur américain lui a dit que Macías souffrait de « paranoïa » et qu’il « pense que des complots divers et variés sont ourdis pour l’assassiner ou le déposer, il est de plus convaincu que des diplomates étrangers en sont également à l’origine ». Dans la foulée, « des personnes sont arrêtées, torturées et exécutées sans jugement […] En fait, personne ne reste fidèle à Macías, mais son système de terreur ne permet pas actuellement de le déposer ou de le liquider ».
Loin de considérer les rapports sur l’état mental du président comme un signal d’alarme, Israël y a vu une opportunité. Dans un câble daté du 28 mars 1969, l’ambassadeur Havilio déclare que Macías a demandé une aide immédiate à Israël « pour préparer une force de police destinée à maintenir l’ordre ». Six semaines plus tard, le 13 mai, Havilio recommande à Israël d’accéder à cette demande, car une telle aide « revêt une dimension pragmatique et psychologique qui dépassera de loin tout autre aspect du point de vue de nos relations avec le président ».
À cette fin, le mois suivant, Israël a envoyé en Guinée équatoriale un officier de police ayant le grade de commandant pour préparer une étude sur l’état des forces de sécurité intérieure du pays. L’officier a formulé des recommandations pour réorganiser celles-ci et renforcer encore le contrôle du président, en lui transférant la responsabilité de toutes les enquêtes de police, lesquelles étaient jusqu’alors partiellement supervisées par le ministère de l’intérieur. Il a également préconisé qu’Israël apporte son aide à la réorganisation, la formation et l’équipement de l’unité de contrôle aux frontières, ainsi qu’à la modernisation de la garde présidentielle, de la police et de la garde nationale.
Au terme de discussions menées à Jérusalem à la fin de 1969, il a été décidé d’envoyer dans le pays une équipe de six personnes (comptant des représentants de la police, de l’armée, du service de sécurité Shin Bet et du Mossad) pour jouer le rôle de conseillers et d’instructeurs, mais aussi un officier supplémentaire « pour réorganiser la Garde présidentielle » et fournir à la police du matériel de communication, à la Garde présidentielle quelques jeeps et motos ainsi que quelques armes, en plus de formations policières dispensées en Israël. En fin de compte, selon les câbles, alors que les missions de formation et de conseil ont été menées à bien, les seuls équipements que Macías a reçus sont deux Jeeps Land Rover et six motos Honda arborant des logos de la police et de l’équipement, le tout accompagné d’uniformes et de bérets au bénéfice de 120 officiers de police. En mai 1970, Israël a approuvé une mission de deux ans d’un commandant de police auprès de la Guinée équatoriale, afin d’agir en tant que conseiller et de « constituer » une force de police locale.
En octobre 1973, au lendemain de la guerre du Kippour, la Guinée équatoriale a rejoint la plupart des autres pays du continent africain en rompant ses relations avec Israël. Cependant, entre 1979 et 1985, la Guinée équatoriale a décidé de s’absenter ou de s’abstenir lors des votes des Nations unies concernant Israël, plutôt que de voter contre, ce qui a constitué une évolution positive du point de vue d’Israël. En mai 1985, des négociations officielles ont été entamées afin de renouer les relations bilatérales ; à ce moment-là, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo était le dirigeant du pays, ayant renversé son oncle, Macías, six ans plus tôt. Israël était parfaitement au courant du fait que ce dernier était également un dictateur. Selon un profil dressé par le ministère des affaires étrangères et datant de 1986, Obiang dirigeait le pays avec l’aide d’un Conseil militaire suprême et jouissait du pouvoir de promulguer des ordonnances légales ; la Cour suprême ne constituait qu’un simple organe consultatif, et il était interdit d’organiser des partis.
Le 16 mai 1986, Yitzhak Tzarfati, ambassadeur d’Israël au Congo, arrive à Malabo, capitale de la Guinée Equatoriale, pour une première rencontre avec le président Obiang. Le président, a-t-il rapporté dans un câble adressé au ministère des Affaires étrangères, a demandé à Israël de fournir une aide, dans le prolongement de laquelle « les relations diplomatiques se développeront tout naturellement ». Un mois plus tard, le président Chaim Herzog a envoyé à Obiang un message personnel à l’occasion de son anniversaire, célébré comme « fête nationale » dans le pays. En juin 1986, le ministre des affaires étrangères de la Guinée équatoriale s’est rendu en Israël et a rencontré le premier ministre et ministre des affaires étrangères par intérim, Shimon Peres. À sa demande de soutien israélien pour développer les infrastructures dévastées de son pays et pour obtenir une aide militaire, Peres a répondu qu’Israël enverrait une délégation en Guinée équatoriale pour en étudier la faisabilité.
Les câbles et les dossiers du ministère des affaires étrangères qui ont suivi sont encore classifiés, cependant les relations ont été renouées et Israël est devenu le principal protecteur du régime du président Obiang, lequel interdit toute activité d’opposition. Sous Obiang, la majorité des citoyens du pays vivent dans une pauvreté abjecte, tandis qu’une petite élite profite des bénéfices du pétrole.
Ce sont ces bénéfices qui ont permis à la Guinée équatoriale d’acheter des armes à Israël. En juin 2005, Yossi Melman a révélé dans Haaretz que des marchands d’armes et des sociétés de sécurité israéliennes négociaient un contrat de formation de la Garde présidentielle. Trois ans plus tard, l’émission télévisée d’investigation « Uvda » (Les Faits) révélait qu’Israël avait vendu des bâtiments de guerre, corvettes et patrouilleurs à la Guinée équatoriale. L’agence d’information officielle du pays a confirmé en 2011 que des Israéliens avaient formé des soldats des forces terrestres de l’armée. Le 17 janvier 2018, Guy Lieberman a rapporté dans Yedioth Ahronoth que le ministère israélien de la Défense avait également approuvé la vente à ce pays de dispositifs de défense pour équiper les avions, d’un système de surveillance des téléphones portables, de véhicules blindés, de munitions, de véhicules de dispersion des foules, de fusils, d’uniformes et de tentes – à hauteur de plusieurs dizaines de millions d’euros. On a également appris que d’anciens membres des unités de combat des forces de défense israéliennes avaient formé des unités d’élite de l’armée et de la police du régime.
Selon des informations provenant de sources et de publications officielles du régime de Guinée équatoriale à partir de 2020, des citoyens israéliens ont non seulement formé les forces de sécurité, mais ont également servi en personne dans la garde présidentielle tout en portant des armes de fabrication israélienne. À la mi-juillet 2021, Teodoro Nguema Obiang Mangue, premier vice-président de la Guinée équatoriale et fils du président, dont les responsabilités incluent la défense et la sécurité nationales, s’est rendu en Israël. Le gouvernement de Naftali Bennett et Yair Lapid a profité de cette visite pour annoncer en grande pompe que la Guinée équatoriale avait décidé de transférer son ambassade à Jérusalem. Sans surprise, la contrepartie de cette décision s’est avérée être un nouvel accord portant sur des armes létales et des services de sécurité. (L’ambassade reste pour l’instant à Herzliya).
Le régime de Guinée équatoriale a déclaré que l’essentiel de la visite et de l’accord signé concernait l’aide israélienne en matière de sécurité militaire et intérieure, ajoutant que le deuxième jour de sa visite, le vice-président et son équipe avaient tenu des « réunions de travail » dans des entreprises de sécurité en Israël, y compris des entreprises qui fabriquent des drones « suicides ». Le 27 avril 2023, le régime de Guinée équatoriale a de nouveau publié des informations concernant les formations dispensées par des Israéliens. Le même jour, le vice-président Nguema a effectué une visite sur une base militaire en Guinée équatoriale et a pu observer comment des Israéliens entraînaient les forces spéciales de son pays au tir de précision et au combat tactique.
Israël a donc été le protecteur du régime du président Macías, est aujourd’hui le protecteur du régime du président Teodoro Obiang et sera probablement aussi le protecteur du régime de son fils, Teodoro Nguema, si et quand il prendra la succession de son père.
Eitay Mack, avocat israélien est militant des droits humains, et il a sans succès tenté de mettre un terme à la formation militaire dispensée par Israël et à ses exportations vers la Guinée équatoriale.
Source : Haaretz, Eitay Mack, 09-08-2024
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