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17.septembre.202417.9.2024 // Les Crises

Comment l’Arabie saoudite est passée du statut de paria à celui de parrain

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L’annonce par Joe Biden de la reprise des ventes d’armes offensives au royaume est éloquente.

Source : Responsible Statecraft, Sarah Leah Whitson
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Peut-être devrions-nous être reconnaissants au président Biden d’avoir mis plus de quatre ans à abandonner totalement sa promesse de campagne de mettre fin aux ventes d’armes à l’Arabie saoudite, érodant la promesse petit à petit avant d’annoncer finalement, en fin de journée ce vendredi 9 août, que l’administration reprendrait les ventes de munitions offensives air-sol au royaume.

En réalité, l’interdiction n’était que le dernier vestige d’une politique abandonnée depuis longtemps visant à isoler et à sanctionner l’Arabie saoudite pour ses diverses atrocités et abus effroyables, tant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger. À la place, les courtisans de l’administration Biden ont redoublé d’efforts pour favoriser le prince héritier Mohamed bin Salman (MBS), offrant un catalogue inépuisable de concessions et de cadeaux, en échange de la suprématie permanente des États-Unis au Moyen-Orient, quoi qu’il advienne du monde entier et de tout le reste.

La suite sera leur course vers la ligne d’arrivée, accordant au prince le plus précieux prix de tous – une garantie de sécurité américaine sans précédent – avant que n’expire la présidence de Joe Biden.

Le fait de couper les vivres au plus gros acheteur d’armes américaines du monde a entraîné des coûts bien identifiés, perturbant non seulement les entreprises de défense américaines privées de la vache à lait saoudienne, mais encourageant également MBS à prendre des mesures de rétorsion en affichant des liens plus étroits avec la Chine et la Russie. Ainsi, quelques mois seulement après le début de la première année de l’administration Biden, son équipe de sécurité nationale est revenue sur l’embargo sur les armes, précisant qu’elle n’avait l’intention de bloquer que les armes « offensives » et non les armes « défensives. »

Les questions des membres du Congrès sur la distinction entre ces termes sont restées sans réponse. Rapidement, des milliards d’armes ont afflué, ouvrant la voie à un nouvel apaisement des relations avec le dirigeant saoudien, dont le point culminant a été le désormais tristement célèbre « poing contre poing » Biden-MBS à Djeddah en juillet 2022.

Une fois que l’équipe Biden a annoncé qu’elle suivrait également l’exemple de Trump en faisant de l’adhésion de l’Arabie saoudite aux accords d’Abraham sa priorité numéro un en matière de politique étrangère au Moyen-Orient, toutes les inquiétudes qui subsistaient quant à la possibilité de récompenser le royaume par un nouveau soutien militaire en dépit des horreurs généralisées qu’il commet au Yémen et dans son pays, ou d’alimenter sa belligérance dans la région, ont été balayées sous les sables du désert.

Si l’on ajoute à cela le fait que le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan a ouvertement admis ses priorités secondaires : un pétrole bon marché et le maintien de la Chine hors de la région, la seule réponse au « défi » de MBS était de demander : « Jusqu’où ? » MBS s’est montré coriace en affaires, non seulement en refusant d’ouvrir son robinet à pétrole pour soulager les prix mondiaux du pétrole avant les primaires de novembre 2022, malgré les supplications de Biden, mais aussi en déroulant le tapis rouge au président chinois Xi Jinping pendant plusieurs jours, en annonçant que la Chine construirait une centrale nucléaire civile et soutiendrait le développement de missiles dans le pays, et en refusant de sanctionner la Russie pour son invasion de l’Ukraine.

Il était donc temps pour l’équipe Biden de se plier aux souhaits de MBS. La première concession majeure a été d’accorder au prince héritier l’immunité contre les poursuites judiciaires américaines, ce qui a mis fin à plusieurs procès intentés contre lui pour le meurtre de Jamal Khashoggi, la tentative de meurtre de Saad Aljabri et le harcèlement et les attaques ciblées contre la journaliste d’Al-Jazeera Ghada Oueiss. L’étape suivante consistait pour l’équipe Biden à offrir le cadeau ultime de la liste des faveurs à faire à l’Arabie saoudite : une garantie de sécurité des États-Unis pour le royaume, au niveau de l’article 5 du traité de l’OTAN. Les efforts de l’équipe Biden pour courtiser le prince héritier avec un simple parapluie de sécurité aérienne n’ont pas suffi à le persuader. Seule une garantie bilatérale, au sens du traité, fonctionnerait, a-t-il précisé.

Les attaques du Hamas contre Israël le 7 octobre, et les neuf mois de bombardements israéliens incessants et de famine de la population civile de Gaza qu’elles ont précipités, ont bouleversé ces plans. Sullivan, humilié, qui quelques jours seulement avant l’assaut cataclysmique, avait déclaré que le Moyen-Orient était « plus calme aujourd’hui qu’il ne l’a été depuis deux décennies » et s’était vanté – « Le temps que je dois consacrer aux crises et aux conflits au Moyen-Orient aujourd’hui par rapport à tous mes prédécesseurs depuis le 11 Septembre est considérablement réduit » – a été contraint de mettre en veilleuse les projets d’accord de paix entre l’Arabie saoudite et Israël.

Même MBS n’a pas osé soutenir ouvertement Israël face à la sympathie quasi universelle des Saoudiens pour les souffrances des Palestiniens.

Alors qu’un Congrès largement financé par l’AIPAC [American Israel Public Affairs Committee, NdT] aurait probablement soutenu une garantie de sécurité américaine pour l’Arabie saoudite en échange de son adhésion aux accords d’Abraham, à défaut, la ratification d’un engagement au niveau du traité serait très difficile à vendre. L’équipe Biden envisage désormais de dissocier la garantie de sécurité, ainsi que le développement de la centrale nucléaire civile par la Chine, de la normalisation avec Israël dans le cadre d’un accord « moins pour moins. »

Dans le cadre d’un projet « d’accord d’alliance stratégique », les États-Unis s’engageraient à aider à défendre l’Arabie saoudite en cas d’attaque, en échange de l’autorisation accordée par l’Arabie saoudite à Washington d’accéder au territoire et à l’espace aérien saoudiens, de l’interdiction faite à la Chine de construire des bases dans le royaume ou de poursuivre une coopération en matière de sécurité avec ce dernier, et de la signature d’un « accord de coopération en matière de défense » parallèle visant à stimuler les ventes d’armes, le partage de renseignements et la planification stratégique en matière de terrorisme et d’Iran.

Une telle démarche fait disparaître la couverture de la « paix régionale pour Israël » comme motivation de la garantie de sécurité saoudienne, exposant plus clairement les motivations sous-jacentes qui animent l’équipe Biden : une vision du monde éculée mais bien ancrée selon laquelle les intérêts américains nécessitent une hégémonie militaire au Moyen-Orient, ainsi qu’un pétrole bon marché et des profits de l’industrie de la défense. Il est difficile d’ignorer l’appel des sirènes du profit personnel pour les fonctionnaires de Biden, qui envisageront sans aucun doute des paiements de plusieurs millions de dollars des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite, même s’ils ne sont pas aussi lucratifs que les milliards de dollars que touchent les fonctionnaires de Trump, Stephen Mnuchin et Jared Kushner. (Rappelons également que WestExec Advisors du secrétaire d’Etat Blinken, dont ce dernier n’a jamais divulgué la liste de clients, appartient désormais en partie à Teneo, une entreprise qui travaille pour le fonds d’investissement public saoudien contrôlé par MBS).

Il semble que le coût des décennies passées à armer et à défendre les dictatures du Moyen-Orient – depuis les massacres de civils jusqu’à la guerre perpétuelle, en passant par l’encouragement d’un bellicisme déstabilisateur, le piégeage de notre pays dans des conflits militaires à gain nul, et l’affaiblissement de la position mondiale des États-Unis en tant que force crédible pour les droits humains et la démocratie – n’a pas été pris en compte par les dirigeants démocrates.

Avec l’expiration du mandat de Biden et la guerre de Gaza qui fait rage, il est peu probable que l’administration soit en mesure d’élargir les accords d’Abraham ou de conclure un accord de sécurité avec MBS. Il n’est même pas certain que MBS acceptera ces récompenses, les réservant pour un prochain cycle de marchandage avec la nouvelle administration. Pour l’heure, il nous reste à espérer que le tueur à la tronçonneuse fera preuve de plus de bon sens que l’administration Biden et évitera toute nouvelle guerre dans la région.

*

Sarah Leah Whitson est directrice exécutive de DAWN. Auparavant, elle a été directrice exécutive de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch de 2004 à 2020, supervisant le travail de la division dans 19 pays, avec du personnel situé dans 10 pays.

Source : Responsible Statecraft, Sarah Leah Whitson, 16-08-2024

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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