L’Institut JINSA, groupe de réflexion ultra-faucon qui promeut les relations militaires entre les États-Unis et Israël, a publié son rapport sur les accords d’Abraham 2020. Mais un autre groupe d’intérêt était omniprésent dans la création du rapport, bien qu’il n’ait jamais été révélé publiquement.
Source : Responsible Statecraft, Eli Clifton
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Image : Baiploo / shutterstock.com
Sept des huit auteurs du rapport entretiennent des liens étroits et vraisemblablement lucratifs avec les entreprises d’armement américaines. Sans surprise, les ventes d’armes sont encensées tout au long du rapport et présentées comme la clé de voûte du succès des accords.
« Un élément crucial du succès de l’administration [Trump] a été sa volonté de fournir aux participants arabes des Accords des incitations importantes – et dans certains cas controversées – en termes de relations bilatérales avec les États-Unis, selon le rapport. Cela incluait des ventes d’armes aux EAU… »
Le rapport poursuit en critiquant l’administration Biden pour avoir limité certaines ventes d’armes et œuvré à la fin de la guerre menée par l’Arabie saoudite au Yémen, qui a poussé cinq millions de Yéménites au bord de la famine, fait quatre millions de déplacés et rendu les deux tiers de la population dépendants de l’aide humanitaire.
« Que ce soit intentionnel ou non, les premières mesures prises par l’administration, telles que l’annulation de la qualification de terrorisme contre les rebelles Houthis soutenus par l’Iran au Yémen, la suspension de la vente d’armes à l’Arabie saoudite et la dénonciation de la politique de pression maximale de l’ancien président Trump contre l’Iran, ont toutes été interprétées comme des signes que les engagements de l’Amérique à défendre ses amis et à dissuader ses adversaires au Moyen-Orient étaient en train de changer dans un sens moins favorable à la promotion de la paix israélo-arabe », écrivent les auteurs.
Ni les auteurs ni le JINSA n’ont révélé ce qui pourrait être un grave conflit d’intérêts sous-jacent aux prescriptions politiques du rapport : tous les auteurs du rapport, sauf un, sont dans le secteur de l’armement.
Un exemple concret : le JINSA liste les huit membres du « projet politique » par leur ancien grade militaire ou leur rôle au sein du gouvernement. Il s’agit du général Kevin Chilton, USAF (retraité), du vice-amiral Kevin Donegan, USN (retraité), de l’ambassadeur Eric Edelman, du vice-amiral Mark Fox, USN (retraité), de l’honorable Mary Beth Long, du général Joseph Votel, USA (retraité), du général Charles Wald, USAF (retraité) et de l’amiral Paul Zukunft, USCG (retraité).
Chilton siège au conseil d’administration d’Aerojet Rocketdyne, le seul grand fournisseur américain indépendant de moteurs de fusée à carburant solide. Il est président de Chilton & Associates LLC, « une société de conseil en aérospatiale, cybernétique et nucléaire », selon sa biographie d’Aerojet.
Aerojet fournit le propulseur de fusée pour le système de défense antimissile THAAD, une arme exportée vers les Émirats arabes unis et Israël, et avec des accords en place pour des ventes à l’Arabie saoudite et à Oman.
Donegan est « conseiller principal pour la sécurité nationale et la cybersécurité » chez Fairfax National Security Solutions, une société qui « fournit des services de conseil en matière de sécurité nationale et de cybersécurité aux gouvernements alliés », selon le profil LinkedIn de Donegan.
Fairfax National Security Solutions est membre du Conseil d’affaires États-Unis–Émirats arabes unis.
De 2016 à 2021, Fox a occupé le poste de vice-président des relations avec la clientèle chez Huntington Ingalls, la plus grande entreprise de construction navale des États-Unis.
Long est directeur et cofondateur de Global Alliance Advisors, une entreprise qui se vante de son travail de « planification de la défense » pour des gouvernements étrangers et « d’acquisition d’armement de défense. »
Votel est conseiller stratégique pour la Sierra Nevada Corporation, une entreprise privée d’aérospatiale et d’armement. La société a été membre du conseil d’affaires États-Unis–Émirats arabes unis de 2019 à 2021.
Selon son profil LinkedIn, Wald est président de Wald International Strategy, où il contribue à « fournir des conseils et une stratégie de haut niveau concernant le développement des affaires dans le domaine de la sécurité internationale et de la défense », et directeur et vice-président de Federal Practice Advisory Partner chez Deloitte Services, où il est « [r]esponsable de la fourniture d’un leadership de haut niveau en matière de stratégie et de relations avec les entrepreneurs de la défense et les responsables de programmes du ministère de la Défense (DOD) ».
Selon son profil LinkedIn, Zukunft est membre du conseil consultatif supérieur de Liquid Robotics. Liquid Robotics est un fabricant de drones sous-marins appartenant à Boeing, l’un des plus grands fabricants d’armes au monde.
Boeing est également membre du US-UAE Business Council et un important exportateur d’armes vers Israël et les EAU.
Le JINSA n’a pas répondu aux questions visant à savoir s’il était conscient des conflits d’intérêts potentiels entre la promotion par le rapport des ventes d’armes en tant que pilier central des accords d’Abraham et les liens financiers importants entre les auteurs du rapport et les entreprises d’armement, ou si le JINSA a une politique en matière de conflits d’intérêts pour faire face à de telles situations.
Tout le monde ne s’accorde pas à dire que les ventes d’armes constituent une stratégie prometteuse pour la paix régionale.
« Si le modèle d’accord de normalisation doit être durable, il doit pouvoir s’appuyer sur ses propres mérites et non sur le déversement d’armes encore plus meurtrières au Moyen-Orient », a déclaré Dylan Williams, vice-président délégué pour la politique et la stratégie de J Street, un groupe « pro-Israël et pro-paix ». « Il existe une approche régionale viable pour parvenir à une normalisation complète entre Israël et ses voisins, mais elle repose sur la résolution du conflit d’Israël avec les Palestiniens, et non sur des ventes massives d’armes. »
Compte tenu de l’adhésion massive au rapport lors de son lancement, il semble que les plus grands bénéficiaires des accords d’Abraham soient en phase avec les entreprises d’armement dont les produits, et les profits, sont au cœur de l’accord, même si celui-ci perpétue la guerre au Yémen et rend moins probable une réduction des tensions avec l’Iran. Ces résultats pourraient ne pas servir les intérêts de la sécurité nationale des États-Unis, mais, comme le montrent les auteurs du rapport, les intérêts particuliers de l’industrie de l’armement, tant à l’étranger qu’aux États-Unis, sont enthousiastes à l’idée d’un afflux d’armes dans le Golfe.
Source : Responsible Statecraft, Eli Clifton, 05-01-2022
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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Commentaire recommandé
Ou comment ne pas être complotiste?
Très factuellement on voit ici comment respirent ensemble les facteurs de la course au profit, les logiques industrielles, le business, la corruption, le carriérisme politicien, dans le complexe militaro industriel qui domine le monde.
Et au bout du compte, combien de vies écrasées, de malheurs infinis, pour quelques dollars de plus?
5 réactions et commentaires
Ou comment ne pas être complotiste?
Très factuellement on voit ici comment respirent ensemble les facteurs de la course au profit, les logiques industrielles, le business, la corruption, le carriérisme politicien, dans le complexe militaro industriel qui domine le monde.
Et au bout du compte, combien de vies écrasées, de malheurs infinis, pour quelques dollars de plus?
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AlerterQuand j’étais petit, il y avait une chanson (si quelqu’un peut me donner la référence, ce serait super !) dont le refrain disait :
« L’ar-gent, l’ar-gent, tout s’a-chète et tout se vend »
C’était dans les années 60-70.
Quid novi sub sole ?
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AlerterGilbert Bécaud dans « L’addition » je crois.
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AlerterC’est bien ça ! Merci beaucoup.
1973, j’étais bien dans la fourchette.
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Alerter« Tiens, et si on vendait des armes en mode hard-discout à des dictatures qui pratiquent l’esclavage et l’épuration religieuse/ethnique pour qu’ils arrêtent de s’opposer à un accord dégueu avec un pays, bon client par ailleurs, qui pratique aussi l’épuration religieuse/ethnique ? »
Quel niveau de débilité congénitale il faut avoir atteint pour penser que ça ne peut pas avoir de conséquences funestes sur place et des externalité qui vont faire de l’avion dans des immeubles ?
On pourrait avoir des vrais politiques à un moment où on est obligés d’avoir des portes-voix décérébrés de tous les lobbies et groupes de pression du capital déshumanisant ?
Enfin c’est pas comme si on pouvait voter pour des gens avec une colonne vertébrale et des couilles. On est condamnés aux mollusques hermaphrodites jusqu’à ce que le pognon ait retrouvé sa valeur intrinsèque.
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