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11.septembre.201911.9.2019 // Les Crises

Contre-terrorisme avec les Talibans. Par Paul R. Pillar

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Source : Lobe Log, Paul R. Pillar, 24-07-2019

Le 24 Juillet 2019

Zalmay Khalilzad (Gage Skidmore via Flickr)

Par Paul R. Pillar

Tout analyse manichéenne de la situation complexe en Afghanistan – de type « les modérés » contre « les extrémistes » – semble vouée à l’échec. Ce pays déchiré par la guerre est le théâtre de conflits aux connotations ethniques, sectaires et idéologiques diverses. Les batailles se livrent entre des antagonistes qui se détestent, mais qui incarnent des valeurs très différentes de celles auxquelles les Américains s’identifient ou qu’ils veulent défendre. Et ce ne sont là que les conflits internes afghans, auxquels s’ajoute la complexité de l’intervention extérieure du Pakistan, de l’Inde et d’autres pays.

Cette région rend difficile la poursuite de ce qui est devenue la plus longue guerre menée par les États-Unis car aucune solution militaire ne semble apparaître. Le président Trump a raison de chercher à négocier un accord qui permettrait un retrait des troupes américaines, et ce, malgré ses maladresses diplomatiques. Rappelons en effet qu’il avait inutilement humilié publiquement les Afghans à l’occasion d’une rencontre avec le premier ministre pakistanais en parlant de la façon dont il pourrait rayer l’Afghanistan de la surface de la Terre, avant d’affirmer ensuite à tort que les indiens souhaitaient le voir médiateur dans le règlement du conflit au Cachemire, ce qui énerva inutilement la diplomatie indienne.

Quel que soit l’accord qui émergera des négociations en cours entre les Talibans afghans et les Etats-Unis, le représentant américain Zalmay Khalilzad devra faire face aux critiques de ceux, à Washington, qui souhaitent la défaite des Talibans et la disparition de ce qu’ils représentent. Et en effet, il y a beaucoup à critiquer quant aux pratiques moyenâgeuses des Talibans, notamment en ce qui concerne le rôle des femmes. Mais ces critiques doivent garder en tête la grande complexité du conflit Afghan afin de savoir quelles questions concernant l’Afghanistan sont suffisamment importantes du point-de-vue des États-Unis pour devenir les grands enjeux décisifs des négociations.

La question du terrorisme international, qui affecte les intérêts américains, est probablement l’argument le plus mis en avant pour défendre une présence militaire américaine en Afghanistan. Ce raisonnement exagère régulièrement le caractère supposé particulier de l’Afghanistan en tant que base pour les terroristes, une exagération qui projette dans l’avenir certaines circonstances irréductibles du passé. Toutefois, il y a de réels terroristes en Afghanistan, et à ce sujet, on peut se référer au témoignage du reporter David Ignatius (Washington Post) qui s’est récemment rendu sur place. Ignatius fait notamment référence au conflit qui oppose les Talibans à la branche Afghane de l’état islamique ou Daech. Dans un certain nombre de provinces au nord et à l’ouest du pays, les combattants de Daech se sont retrouvés face à une « double résistance : les forces contre-terroristes américaines ont frappé la tête du commandement tandis que les combattants ordinaires talibans ont fait le reste du nettoyage ». Le fait que les talibans et les américains trouvent en Daech un ennemi commun amène Ignatius à se demander : « Se pourrait-il que les États-Unis et les Talibans coopèrent tranquillement contre un ennemi commun après un accord de paix ? »

Si l’on met de côté les détails de ce que cela pourrait impliquer en ce qui concerne toute présence militaire américaine résiduelle, des observations plus fondamentales découlent de cette série de conflits et de coopérations. Premièrement, les Talibans ne sont pas des terroristes internationaux. Ils ne l’ont jamais été, même lorsque, dans un mariage de complaisance, ils ont accueilli l’organisation d’Oussama ben Laden pour obtenir son aide dans la guerre civile afghane qui faisait alors rage. Les talibans ne pensent négativement et violemment aux États-Unis que dans la mesure où les États-Unis interfèrent avec les objectifs des talibans concernant l’organisation de la politique et de la société en Afghanistan.

Une autre observation est que même des acteurs détestables peuvent être des partenaires dans la lutte anti-terroriste. En effet, l’histoire du contre-terrorisme à travers le monde est remplie de partenariats bien étrange, bien que ces coopérations importantes avaient lieu loin des regards du public. De plus, un partenaire détestable mais local peut se révéler bien plus efficace dans les tâches de contre-terrorisme qui comptent le plus que ne le seraient les États-Unis. Quand quelqu’un d’autre peut se battre et mourir pour ses propres raisons locales, et combattre un groupe terroriste international dans ce processus, c’est d’autant plus intéressant pour les intérêts américains.

Enfin, faire affaire avec un élément aussi détestable que les Talibans uniquement sur les questions où les États-Unis partagent un intérêt commun n’oblige pas les Américains à se lier à eux sur les autres sujets. Ce n’est pas non plus une raison pour s’associer à d’autres acteurs extérieurs qui ont des raisons spécifiques de faire des affaires avec les Talibans. L’administration Trump, dans le cadre de sa campagne de dénigrement et d’hostilité envers l’Iran, est allée jusqu’à blâmer l’Iran pour les voitures piégées en Afghanistan, alors que Téhéran n’a probablement rien à voir avec cela. À la veille d’un éventuel accord entre les États-Unis et les Talibans, qui sera suivi par la poursuite de l’offensive des Talibans contre leurs ennemis en Afghanistan, l’administration doit se montrer plus prudente face à ces jets de pierres.

Par ailleurs, l’Iran a des intérêts concernant l’Afghanistan, la guerre civile afghane et le terrorisme qui sont convergents avec ceux des États-Unis – tout comme au cours des premiers mois de l’intervention des États-Unis, lorsque l’Iran a fourni une aide essentielle à la mise en place d’un nouveau gouvernement afghan pour remplacer les Talibans. Les intérêts iraniens ont souffert dans le passé du fait des Talibans et, ces dernières années, des attaques de Daech. Il n’y a pas de pénurie de partenaires insolites dans la lutte contre des organisations tels que Daech.

Chaque fois que les négociations de l’ambassadeur Khalilzad portent leurs fruits, le résultat devrait être jugé non pas à l’aune des fréquentations que les États-Unis ont gardées dans la salle des négociations, mais plutôt à la manière dont le résultat sert les véritables intérêts américains et permet à ceux-ci de se sortir de leur plus longue guerre.

Paul R. Pillar est chercheur principal au Center for Security Studies de l’université de Georgetown et un membre associé du Geneva Center for Security Policy. Il a pris sa retraite en 2005 après 28 ans de carrière dans la communauté du renseignement américain. Il a occupé les postes d’agent de renseignement national pour le Proche-Orient et l’Asie du Sud, de chef adjoint du centre de contre-terrorisme DCI et d’adjoint exécutif du directeur de renseignement central. Il est ancien combattant de la guerre du Vietnam et officier en retraite de l’armée de réserve américaine. Le docteur Pillar est diplômé de Dartmouth Collège, de l’Université d’Oxford et de l’Université de Princeton. Il a écrit Negotiating Peace (1983), Terrorism and U.S. Foreign Policy (2001), Intelligence and U.S. Foreign Policy (2011), et Why America Misunderstands the World (2016).

Source : Lobe Log, Paul R. Pillar, 24-07-2019

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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RGT // 11.09.2019 à 20h18

Ce problème afghan n’aurait JAMAIS existé si les USA n’avaient pas foutu le bordel en écoutant le « divin » Zbigniew Brzezinski.

Il avait suggéré d’infiltrer Ben Laden et ses sbires pour « combattre » le gouvernement légal afghan communiste (issu d’un coup d’état certes, mais pour de bonnes raisons pour une fois) afin de forcer l’URSS à avoir « son Vietnam ».

N’oublions pas que cette « dictature » avait ouvert une parenthèse démocratique dans ce pays et avait permis à toutes les femmes une liberté et une éducation qui n’ont JAMAIS été retrouvées depuis.

L’URSS est intervenue à reculons suite à la demande EXPRESSE du gouvernement afghan (et de la population qui en avait marre que des hooligans wahhabites saccagent tout sur leur passage).

Quand l’URSS a jeté l’éponge, les USA ont aidé leurs « protégés » salafistes ainsi que les talibans à exterminer les autres factions en échange de la promesse des talibans de leur permettre de construire un pipeline (TAPI) qui permettrait d’exfiltrer le gaz d’Asie centrale aunez et à la barbe des « infâmes russes »…

Et quand les talibans les ont invité à se « carrer leur pipeline » dans un endroit que je ne nommerai pas, ils ont attendu le premier prétexte pour aller leur « péter la gueule ».

Pendant ce temps, les iraniens se gardaient bien de toute intervention en dehors de leurs frontières.
« Vous vous débrouillez entre vous car vos affaires ne nous regardent pas, mais ne venez pas foutre le bordel chez nous ».

Ce qui fait d’ailleurs que les iraniens ont même coopéré avec les talibans (sans quitter leur territoire) en particulier pour la chasse aux narcotrafiquants qui ont fait de très nombreuses victimes en Iran car ils utilisaient des armes de guerre (même des chars) pour « sécuriser leurs convois ».

Mais personne n’a jamais parlé en occident du tribut payé par les iraniens dans la lutte contre le trafic de drogue.
Alors que les iraniens proposaient aux occidentaux une coopération totale pour la lutte contre ce fléau qui était au final destiné à alimenter les nations occidentales.

C’est à se demander si l’intervention iranienne n’était pas contraire aux intérêts supérieurs des gouvernements occidentaux.

10 réactions et commentaires

  • Papoo // 11.09.2019 à 10h39

    Excellente analyse. Des éléments pour apporter des solutions de sortie aux forces étrangères présentes en Afghanistan. Envisager une démocratie dans ce pays est une erreur fondamentale. Le coût humain et financier pour la lutte anti terrorise est disproportionné. Il eut judicieux de quitter l’Afghanistan après la mort de Ben Laden.

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  • Louis Robert // 11.09.2019 à 12h39

    Ces 18 ans de guerre en Afghanistan par l’Empire déjà vaincu au Vietnam se sont soldées par une défaite totale, ruineuse, surtout profondément humiliante, et qui ne contribue en rien à la restauration d’une quelconque grandeur américaine. Aujourd’hui encore, appuyés par le peuple afghan, les Talibans contrôlent les trois quarts du territoire que souvent ils gouvernent. Dès lors, ni le « gouvernement » afghan, ni même les militaires américains n’osent s’aventurer trop loin de leurs espaces dits «protégés », néanmoins soumis à des attaques constantes et meurtrières.

    En Afghanistan, lesdits Talibans sont chez eux pour y rester, les envahisseurs pour quitter et retourner là d’où ils sont venus. Autant en prendre son parti, l’Empire a perdu. — « Once again, it’s game over! »… « For the times, they are a-changin’ » (Bob Dylan)

    https://m.youtube.com/watch?v=JxvVk-r9ut8

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  • Jean-Do // 11.09.2019 à 14h08

    Le cimetière des empires, mérite bien son nom une fois encore. N’empêche, quelle plongée aux enfers pour ce pays depuis que les USA ont décidés d’armer les féodaux locaux avec des armes ultra-modernes pour faire pièce à l’URSS en 1979.

      +3

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    • Haricophile // 11.09.2019 à 15h30

      Dont… Al Qaida, avec tout ce beau linge considéré par BHL déguisé sur la photo pour l’occasion comme des « guerriers de la liberté » luttant contre les grands méchants Russes dans la lignée de « plutôt Hitler que le communisme ».

      « Se pourrait-il que les États-Unis et les Talibans coopèrent tranquillement contre un ennemi commun après un accord de paix ? »

      Je pense que les Afgans quels qu’ils soient connaissent parfaitement la fiabilité des USA en terme de coopération et d’accords. Je qualifierais pas l’opportunisme de «coopération» dans un camp comme dans l’autre; l’autre considérant de toute manière que coopération signifie soumission inconditionnelle.

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      • Chris // 11.09.2019 à 18h20

        Une coopération de façade qui volera en éclats dès que Washington voudra faire la loi.
        Dura lex, sed lex selon le mode islamique puisque c’est la religion actuelle de cette terre !

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  • RGT // 11.09.2019 à 20h18

    Ce problème afghan n’aurait JAMAIS existé si les USA n’avaient pas foutu le bordel en écoutant le « divin » Zbigniew Brzezinski.

    Il avait suggéré d’infiltrer Ben Laden et ses sbires pour « combattre » le gouvernement légal afghan communiste (issu d’un coup d’état certes, mais pour de bonnes raisons pour une fois) afin de forcer l’URSS à avoir « son Vietnam ».

    N’oublions pas que cette « dictature » avait ouvert une parenthèse démocratique dans ce pays et avait permis à toutes les femmes une liberté et une éducation qui n’ont JAMAIS été retrouvées depuis.

    L’URSS est intervenue à reculons suite à la demande EXPRESSE du gouvernement afghan (et de la population qui en avait marre que des hooligans wahhabites saccagent tout sur leur passage).

    Quand l’URSS a jeté l’éponge, les USA ont aidé leurs « protégés » salafistes ainsi que les talibans à exterminer les autres factions en échange de la promesse des talibans de leur permettre de construire un pipeline (TAPI) qui permettrait d’exfiltrer le gaz d’Asie centrale aunez et à la barbe des « infâmes russes »…

    Et quand les talibans les ont invité à se « carrer leur pipeline » dans un endroit que je ne nommerai pas, ils ont attendu le premier prétexte pour aller leur « péter la gueule ».

    Pendant ce temps, les iraniens se gardaient bien de toute intervention en dehors de leurs frontières.
    « Vous vous débrouillez entre vous car vos affaires ne nous regardent pas, mais ne venez pas foutre le bordel chez nous ».

    Ce qui fait d’ailleurs que les iraniens ont même coopéré avec les talibans (sans quitter leur territoire) en particulier pour la chasse aux narcotrafiquants qui ont fait de très nombreuses victimes en Iran car ils utilisaient des armes de guerre (même des chars) pour « sécuriser leurs convois ».

    Mais personne n’a jamais parlé en occident du tribut payé par les iraniens dans la lutte contre le trafic de drogue.
    Alors que les iraniens proposaient aux occidentaux une coopération totale pour la lutte contre ce fléau qui était au final destiné à alimenter les nations occidentales.

    C’est à se demander si l’intervention iranienne n’était pas contraire aux intérêts supérieurs des gouvernements occidentaux.

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  • Myrkur34 // 12.09.2019 à 12h19

    Arriver à envahir un pays alors que 13 sur 15 des terroristes du 11 septembre sont saoudiens, c’est être myope comme une taupe ou le faire exprès pour dissoudre, évaporer la grosse responsabilité du gouvernement saoudien dans cet horrible attentat. Bon après, pour le fond de roulement du complexe militaro-industriel, c’est top. Les américains ne partiront jamais, 200 morts par an , c’est peanuts comparé aux monceaux de dollars pour faire tourner la machine, à l’entraînement en réel, aux essais de nouvelles armes sur le terrain, aux sociétés de défense privées. Et coté afghan, vu que la corruption est un sport national et que l’argent de l’aide internationale se retrouve sur le projet local entre 10 et 30%, de l’aide effective !!!!.
    Même Trump qui voudrait se tirer de ce bourbier, histoire de gagner les prochaines élections, va faire chou blanc, l’Iran est un trop gros morceau pour assurer la suite, donc une petite guerre basse résistance, c’est l’idéal pour l’US army et consorts.

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  • Julie // 12.09.2019 à 21h56

    Quand les Saoudiens achètent à la Serbie des armes qu’ils transfèrent tranquillement aux terroristes en Syrie et au Yémen (ces trois dernières années)
    http://armswatch.com/islamic-state-weapons-in-yemen-traced-back-to-us-government-serbia-files-part-1/

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  • christian gedeon // 13.09.2019 à 16h06

    déjà en retard l’article…le triangle infernal afghan gouvernement/talibans/etat islamique est à fond les manettes en ce moment. Attentats,reattentats,massacres,remassacres. Les US partiront…un jour. Mais certes pas de si tôt.la lutte fibale entre factions afghanes et associés n’a même pas encore vraiment commencé.le président US ne fera pas partir ses troupes en catimini,mêm si ce n’est pas l’envie qui lui manque de le faire.Cimetière des empires,l’Afghanistan? Surtout cimetière des afghans,non?

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  • Tardieu // 14.09.2019 à 15h07

    Au fait, États-Unis, Taliban et Al-Qaïda, ce ne serait pas la même boutique par hasard ?

    Rien de tel que de le faire oublier pour justifier les somptueuses dépenses militaires du Pentagone ou mettre la main sur une source inépuisable (héroïne) et toute aussi colossale d’argent pour financer les opérations illégales de la CIA, c’est génial !

    Car ça marche à fond, les uns et les autres brodant ou spéculant à n’en plus finir sur leurs rapports… Bon, cela les distrait de l’essentiel, c’est déjà cela de gagner, sauf pour nous !

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