Source : Le Figaro, Cécile Thibert, 22-03-2020
Son nom s’est répandu comme une traînée de poudre à travers le monde, jusqu’à arriver aux oreilles de Donald Trump, qui en a publiquement vanté les mérites jeudi dernier. La chloroquine, un médicament antipaludique ancien, est présentée comme un remède miracle contre la pneumonie provoquée par le Sras-CoV-2. En France, l’emballement est tel que des personnalités politiques et des pétitions en ligne réclament l’accès immédiat à ce traitement pour tous les malades. Hier, le maire de Nice, Christian Estrosi, testé positif au coronavirus, s’est même félicité sur Twitter que le traitement soit dorénavant mis à disposition des patients du CHU de Nice.
Compte tenu de la situation, la tentation de se jeter sur n’importe quel traitement est grande. Mais en médecine, il ne faut pas crier victoire trop vite. «Pour le moment, il n’y a aucune preuve de l’efficacité de cette molécule sur la maladie, ni en prévention, ni comme traitement», rappelle le Dr Thierry Vial, responsable du centre de pharmacovigilance de Lyon. «Nous ne disposons que de données très préliminaires qui, certes, encouragent à poursuivre des essais cliniques, mais ne suffisent pas pour traiter systématiquement les malades graves.» Une position unanimement partagée par les scientifiques, français comme étrangers. «Face à l’urgence, il y a toujours l’envie de sauter des étapes. Mais on ne peut pas donner un traitement sans aucune base solide, surtout la chloroquine, qui n’est pas un médicament anodin», confirme le Pr Bernard Bégaud, pharmacologue à l’université de Bordeaux.
Ce n’est pas le tout de montrer que ce médicament fait diminuer la charge virale: il faut aussi que cela ait un impact sur l’état du patient
Pr Mathieu Molimard, chef du service de pharmacologie de Bordeaux
Tous les scientifiques jouent la carte de la prudence, sauf un. Le Pr Didier Raoult, directeur de l’Institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection, n’a eu de cesse de vanter les mérites de la chloroquine et de son dérivé moins toxique, l’hydroxychloroquine, à contre-courant des autorités sanitaires qui n’envisageaient alors pas de les tester. Mais le Pr Raoult, nommé membre du conseil scientifique Covid-19 (avant de le quitter quelques jours plus tard), a tout de même obtenu le feu vert pour explorer cette piste. Dans un communiqué publié dimanche, il a annoncé le début du traitement de ses patients par l’association d’hydroxychloroquine et d’azithromycine, ainsi qu’un dépistage à toute personne «fébrile» se présentant.
Les résultats n’ont pas tardé à arriver. Le 17 mars, son étude, publiée dans une revue dont l’éditeur est l’un de ses collaborateurs à Marseille, semble montrer que l’hydroxychloroquine pourrait diminuer la proportion de patients porteurs du virus après 6 jours de traitements. En quelques heures, le document a fait le tour du monde, provoquant l’enthousiasme de certains. Mais de nombreux scientifiques n’ont pas tardé pas à débusquer ses limites. Trop petit nombre de patients (36), absence de certaines données clés (on ne connaît pas la charge virale pour les trois quarts des malades «contrôles» (12 sur 16) qui n’ont pas reçu le traitement), absence de randomisation, pas de groupe placebo… Aucun standard scientifique n’a manifestement été respecté. «La méthodologie de cette étude est médiocre», juge un médecin spécialiste des maladies infectieuses. «Jamais aucun pays au monde n’a accordé une autorisation de traitement sur la base d’une étude comme celle-ci», a pour sa part affirmé Olivier Véran, le ministre de la Santé.
Charge virale négative
Principale faille de l’étude: elle ne dit presque rien sur l’évolution clinique des malades. Elle ne s’intéresse qu’à la quantité de virus présent dans leur nez ou leur bouche. «Ce n’est pas le tout de montrer que ce médicament fait diminuer la charge virale: il faut aussi que cela ait un impact sur l’état du patient. Est-ce que le fait d’avoir moins de virus dans le nez bloque l’évolution de la maladie?», s’interroge le Pr Mathieu Molimard, chef du service de pharmacologie de Bordeaux. L’étude indique, par exemple, qu’un patient ayant reçu le traitement n’avait plus aucune charge virale la veille de son décès. Comme quoi, ce paramètre n’est peut-être pas le plus pertinent pour estimer l’efficacité du médicament. «Nous savons que certains patients ont une charge virale négative au niveau naso-pharyngé, mais que dans le même temps, ils peuvent avoir du virus dans les poumons», abonde le Pr Jean-François Timsit, chef du service de réanimation médicale et des malades infectieuses à l’hôpital Bichat, à Paris. L’équipe du Pr Raoult n’a pas fait de prélèvements dans les poumons.
Reste que la piste ne doit pas être dénigrée. Car ces molécules sont capables de bloquer la réplication du virus dans les cellules cultivées en laboratoire, mais aussi de moduler l’action du système immunitaire. «Chez certains patients, le virus entraîne une hyperactivation du système immunitaire qui peut être délétère», souligne le Pr Timsit.
Une habitante de Wuhan qui pensait être atteinte du Covid-19 est décédée d’un arrêt cardiaque après avoir absorbé une trop grande dose d’hydroxychloroquine
Samedi, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a annoncé que l’hydroxychloroquine va être testée à plus grande échelle par d’autres équipes en Europe. Les premiers résultats sont attendus d’ici à quinze jours.
Ce n’est pas pécher par excès de prudence que d’attendre un peu. Car, comme tous les médicaments, la chloroquine et son dérivé ont des effets indésirables. En Chine, où pas moins de sept essais cliniques portent sur l’hydroxychloroquine, les autorités sanitaires ont drastiquement durci les conditions d’utilisation du médicament. Les médecins chinois ne peuvent pas le donner aux femmes enceintes, aux personnes avec des maladies cardiaques, rénales ou hépatiques, à celles ayant des atteintes à la rétine ou une perte d’audition. Autre catégorie à risque, les personnes prenant de l’azithromycine, un antibiotique pourtant donné en association à de l’hydroxychloroquine dans l’étude du Pr Raoult.
D’après le média The Paper, basé à Shanghaï, une habitante de Wuhan qui pensait être atteinte du Covid-19 est même décédée d’un arrêt cardiaque après avoir absorbé une trop grande dose d’hydroxychloroquine.
Source : Le Figaro, Cécile Thibert, 22-03-2020
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