Source : Les Echos, Par Isabelle Ficek, Solveig Godeluck, 28-03-2020
« Les 15 premiers jours d’avril seront encore plus difficiles », a prévenu Edouard Philippe, lors d’une conférence de presse sur l’épidémie, ce samedi. Un exercice d’explication de la gestion de la crise. La capacité de réanimation va être portée de 5.000 à 14.000 lits. Un milliard de masques ont été commandés, ainsi que 5 millions de nouveaux tests de dépistage rapide. Les personnes âgées en Ehpad seront confinées dans leur chambre.
Le Premier ministre avait promis vendredi cette opération transparence et explications face à une confiance des Français qui s’érode dans cette crise sanitaire inédite du coronavirus . Alors ce samedi, lors d’une conférence de presse en compagnie du ministre de la Santé, Olivier Véran, il a souligné d’abord « une crise sanitaire sans précédent depuis au moins un siècle », avec à la clef « des mesures exceptionnelles » : « Jamais un confinement généralisé du pays n’avait été mis en place » a martelé Edouard Philippe, relevant que cette crise « n’est pas seulement française, elle est née en Chine et elle est désormais européenne. Elle est devenue mondiale. […] Au moment où je vous parle, près de la moitié de l’humanité est confinée. C’est du jamais-vu. » De quoi rappeler le caractère absolument inédit de la situation.
« Les 15 premiers jours d’avril seront encore plus difficiles »
Face à cette crise, le chef du gouvernement a aussi redit que « nous devons collectivement faire face à un défi considérable, un effort intense, qui va s’inscrire dans la durée. » Lui qui tente de préparer depuis plusieurs jours l’opinion à des moments plus difficiles encore, a lâché : « Le combat ne fait que commencer. Les 15 premiers jours d’avril seront difficiles, encore plus difficiles que ceux qui viennent de s’écouler. » Vendredi, il avait prévenu déjà qu’une « vague extrêmement élevée […] déferle » sur la France.
Alors que les hôpitaux sont soumis à très rude épreuve, le Premier ministre a à nouveau salué dans « l’effort collectif », « d’abord celui des soignants », puis reprenant les termes d’Emmanuel Macron, « l’effort remarquable » de la « deuxième ligne qui assure la continuité de la vie de la nation » – les forces de l’ordre, les agriculteurs, les enseignants, les routiers, les éboueurs, tous ceux qui travaillent dans la grande distribution, le commerce alimentaire, la distribution d’eau et d’électricité, les agents bancaires etc. – et enfin de la « troisième ligne qui en restant confinée chez elle participe à l’effort national ».
Questions sur la décision du confinement
Puis Edouard Philippe a ensuite alterné ses propres prises de parole et celles de médecins et scientifiques, tableaux et graphiques à la clef pour « dire aujourd’hui ce que nous savons et ce que nous ne savons pas, ce que nous préparons, ce que nous réussissons parce que sur certains points nous réussissons, et puis ce qui nous inquiète. »
Alors que l’opposition est de plus en plus critique et que plusieurs plaintes ont été déposées contre lui et d’autres membres de l’exécutif, le chef du gouvernement a assuré qu’il « ne cherche pas à justifier l’action du gouvernement, […] le Premier ministre que je suis répondra à toutes les questions, je ne suis pas de ceux qui se défaussent », taclant au passage ceux qui « savent parfaitement ce qu’il faut faire », tout en assurant ne pas vouloir « fermer le débat ».
Durant la conférence de presse, il a toutefois fermement insisté sur la décision de confinement – les critiques sont de plus en plus nombreuses sur une décision qui aurait été prise trop tard, notamment en raison du premier tour des élections municipales – lâchant qu’il ne laisserait « personne dire que la décision a été prise trop tard »,. La décision a été prise lorsqu’il y avait moins de 8.000 cas confirmés dans le pays, et moins de 200 décès – chiffres qu’il a invité à comparer à ceux des pays voisins lorsqu’ils ont pris la décision de confiner.
Aplatir la courbe
Quant à la stratégie face à ce virus dont la « propagation est extrêmement rapide », a-t-il insisté, Edouard Philippe a expliqué qu’elle « consiste à freiner la progression du virus et à accroître l’effort de soins. Il y a 5.000 lits de réanimation. Si nous dépassons notre capacité d’accueil, alors nous avons un sérieux problème », a-t-il dit sans fard.
« C’est pour cela que notre stratégie repose sur deux idées simples », a-t-il poursuivi : « Augmenter notre capacité d’accueil », glissant face au procès d’impréparation « nous avons tout mis en oeuvre pour le faire ces dernières semaines ». Et deuxième point : « Aplatir la courbe pour qu’il y ait moins de cas graves en même temps, avec le confinement » et en transportant les malades des régions les plus touchées vers d’autres où la vague n’est pas encore arrivée ainsi que l’a détaillé le ministre de la Santé, Olivier Véran. « Aucun système de santé n’a été conçu pour faire face à une telle vague », a reconnu – et justifié – le Premier ministre.
Les capacités de réanimation ont déjà été portées de 5.000 à 10.000 lits, a précisé ce dernier, et elles vont grimper à 14.000-14.500. Un tour de force, car il faut s’équiper en matériel et avoir du personnel. Pour trouver des respirateurs lourds, les établissements ont reconverti des équipements auparavant utilisés pour le transport ou pour l’anesthésie. Des commandes ont également été passées en France et à l’étranger : Air Liquide décuple ses capacités de production et va livrer 1.000 respirateurs de plus aux hôpitaux. Olivier Véran a remercié l’Allemagne qui a livré samedi 25 respirateurs.
Alors que l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris fait état de tensions sur les produits anesthésiants dans ses services de réanimation, le ministre de la Santé a reconnu que la consommation avait crû jusqu’à 2.000 % pour certains médicaments, Edouard Philippe ne cachant pas sa préoccupation sur ce sujet.
Interrogé sur les réquisitions de matériel, le Premier ministre a rappelé qu’elles avaient déjà été mises en oeuvre pour les masques. Mais la réquisition « n’est pas une baguette magique ». « C’est parfois contreproductif quand les chaînes de production sont éclatées », et que cela se traduit par une désorganisation de la production, a-t-il souligné.
Masques et tests
Par ailleurs, il a annoncé que plus de 1 milliard de masques avaient été commandés – il y a une semaine, les commandes se montaient à 250 millions . « Un pont aérien intensif » a été mis sur pied avec la Chine, principal producteur mondial de masques. La production nationale, réquisitionnée, a été portée à 8 millions d’unités par semaine. La consommation hebdomadaire de masques par les soignants est encore plus importante que prévu : estimée à 25 millions d’unités par semaine il y a une semaine, elle est désormais de 40 millions. « Le monde entier est à la recherche de masques, il est parfois difficile de s’assurer que les commandes sont honorées », a averti le Premier ministre.
« Aucun pays au monde ne fait face » à la pénurie de masques, a renchéri Olivier Véran, de plus, « il y a une vigilance accrue des pays producteurs si jamais l’épidémie devait repartir dans leur pays ». La seule chose qui inspire confiance au ministre, c’est « quand l’avion est sur le tarmac ».
Quant aux capacités de dépistage via les tests PCR actuellement utilisés dans les hôpitaux et certains laboratoires biologiques de ville, elles continuent à s’accroître. Elles sont passées de 5.000 par jour la semaine dernière à 12.000 samedi, et passeront à 30.000 par jour « dans une grosse semaine », selon Olivier Véran. « Nous serons à 50.000 fin avril, grâce à l’implantation de plateformes haut débit sur l’ensemble du territoire, Outre-Mer compris », a-t-il promis.
Le gouvernement a également commandé 5 millions de nouveaux tests rapides qui viennent juste d’être mis au point par plusieurs laboratoires en France et à l’étranger, a-t-il également annoncé. Ces tests ajouteront des capacités supplémentaires aux PCR : 30.000 par jour de plus en avril, 60.000 en mai, et 100.000 en juin. Enfin, dès qu’un test sérologique aura été mis au point, il sera utilisé en France, a-t-il répété.
Confinement renforcé dans les Ehpad
Olivier Véran a par ailleurs annoncé un renforcement du confinement dans les Ehpad , demandant que chaque personne accueillie dans ces établissements soit isolée individuellement, dans sa chambre. Les personnels des Ehpad vont être testés en priorité, a-t-il promis. Olivier Véran a expliqué que tout serait fait pour qu’ils « puissent sortir le moins possible » de l’établissement – dans certains Ehpad, le personnel dort déjà sur place, du directeur à l’aide-soignant.
Si les personnes très âgées ne supportent généralement pas une réanimation qui peut durer 15 jours voire trois semaines, Olivier Véran a reconnu qu’il ne fallait pas pour autant priver les pensionnaires en Ehpad des soins attendus en cas d’infection. Des équipes mobiles de soignants seront envoyées vers les établissements pour leur porter secours.
« Un combat qui va durer »
Pour conclure, le Premier ministre a redit que « nous sommes dans une situation difficile, nous le savons, vous le savez. Nous sommes installés dans un combat qui va durer. Nous devons tous l’intégrer. » « Un combat qui dure c’est un combat que l’on gagne en étant discipliné, en respectant les consignes, les gestes barrières », a martelé celui qui a assuré, à une question sur le « découragement », qu’il « ne fait pas partie de la gamme d’émotions qu’ [il s’]autorise ».
« Un combat qui va durer, c’est un combat que l’on gagne en étant concentré, tout à sa tâche. Il faut aussi l’espoir, et pour cela, il faut la confiance », a-t-il continué, soulignant que les questions des parlementaires au gouvernement allaient continuer chaque semaine, saluant au passage, alors que des débats existent autour des demandes de commissions d’enquête de l’opposition, l’importance du « contrôle » et de la « vigilance » du Parlement.
« Mots scandaleux »
« La confiance est essentielle car nous sommes dans une démocratie. Dans une démocratie, ceux qui prennent des décisions doivent expliquer les décisions et les circonstances, les contraintes de ces prises de décision, et le fait qu’ils les prennent sur des informations qui sont parfois incomplètes, contradictoires. C’est la seule façon de faire dans une démocratie », a-t-il insisté.
Edouard Philippe a enfin insisté, comme il l’avait fait le week-end dernier à l’Assemblée nationale à l’occasion du vote de la loi d’urgence, sur le fait qu’en période de crise, « on voit ce qu’il y a de plus lumineux et de plus sombre dans la personne humaine », fustigeant dans ce plus plus sombre, « le trafic, la revente de masques, le marché noir » et les « mots scandaleux de ces gens qui s’inquiètent de la présence sur leur palier d’infirmières, d’aides-soignants, de médecins plus exposés que la moyenne au virus ». Mais il a également salué « la plus lumineuse, bien plus majoritaire chez nos concitoyens », relevant « les capacités de solidarité, d’innovation » etc. « Sans rien cacher de la difficulté de la situation, il y a toutes les ressources pour tenir et pour franchir cet obstacle » a terminé Edouard Philippe qui a promis de refaire régulièrement avec Olivier Véran des points tel que celui-ci sur la situation.
Source : Les Echos, Par Isabelle Ficek, Solveig Godeluck, 28-03-2020
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