Les Crises Les Crises
12.avril.202512.4.2025 // Les Crises

Une nouvelle course aux armements nucléaires affaiblirait la sécurité globale

Merci 11
Je commente
J'envoie

Selon un rapport récent, les États-Unis devraient renoncer à tout nouveau développement et axer leur stratégie de dissuasion sur les armes sous-marines.

Source : Responsable Statecraft, William Hartung
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Les années ont été difficiles pour les partisans du contrôle des armements et du désarmement nucléaire. Les deux principales puissances nucléaires du monde – les États-Unis et la Russie – n’ont plus qu’un seul traité limitant leurs stocks et leurs déploiements d’armes nucléaires, le nouveau traité START. Ce traité limite les déploiements d’armes nucléaires à 1 550 de part et d’autre et prévoit des procédures de vérification permettant de s’assurer que les deux parties respectent leurs engagements.

Mais dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, l’idée de prolonger le nouveau traité START à son expiration en 2026 a été pratiquement abandonnée, laissant la perspective d’un meilleur des mondes dans lequel les États-Unis et la Russie peuvent développer leurs programmes d’armes nucléaires sans être contraints par des règles imposées.

Tout cela s’inscrit dans le contexte d’un plan extrêmement coûteux du Pentagone – actuellement évalué à 1 700 milliards de dollars pour les trois prochaines décennies – visant à construire une nouvelle génération de bombardiers, de missiles et de sous-marins dotés d’armes nucléaires, ainsi que les nouvelles ogives qui les accompagnent.

Il est étonnant de constater que les faucons nucléaires du Congrès font pression pour étendre ce gigantesque programme à d’autres armes nucléaires tactiques, à des missiles à longue portée dotés d’ogives multiples et même, éventuellement, à un retour aux essais nucléaires en surface. Un nouveau rapport du Centre Stimson, coécrit par Geoffrey Wilson, Christopher Preble et Lucas Ruiz, montre à quel point ces nouvelles propositions seraient dangereuses et déstabilisantes. Ils optent plutôt pour une politique nucléaire basée sur la dissuasion, définie de manière restreinte :

« Une stratégie conçue pour éviter ou décourager un conflit ouvert par la projection vers l’extérieur de la capacité, de la préparation et de la détermination. Correctement conçue, une dissuasion efficace augmente les coûts potentiels d’une guerre à un point tel qu’aucun acteur rationnel ne choisirait d’en déclencher une. »

Des éléments clés du programme nucléaire du Pentagone ne sont pas compatibles avec ce concept de dissuasion, notamment le nouvel ICBM [Missile ballistique inter-continental, NdT], officiellement connu sous le nom de Sentinel. Non seulement les coûts du Sentinel échappent à tout contrôle, avec une croissance des coûts estimée à 81 % pour le programme après seulement quelques années de la phase de développement complet. Mais comme le souligne le nouveau rapport Stimson, les ICBM sont « relativement moins importants pour la dissuasion que d’autres vecteurs », notamment des sous-marins relativement invulnérables armés de missiles nucléaires à longue portée.

La principale leçon à tirer de l’analyse de Stimson est que la construction de nouvelles armes nucléaires diminue notre sécurité en provoquant une nouvelle course aux armements nucléaires avec la Russie et la Chine. De même, dépenser davantage au service d’une définition erronée de la dissuasion ou de la recherche d’une domination militaire n’est pas seulement un gaspillage d’argent, mais cela nous rendra également plus vulnérables en finançant des armes plus aptes à être utilisées qu’à servir de composante d’une force nucléaire conçue pour dissuader d’autres nations d’envahir les États-Unis.

Le rapport Stimson évoque notamment le fait que la force nucléaire actuelle – la triade d’armes nucléaires déployées sur des bombardiers, des missiles terrestres et des sous-marins à armement nucléaire – est le résultat d’une lutte interservices pour une part du gâteau du budget nucléaire, et non le résultat d’une réflexion approfondie sur ce qui rendrait moins probable une attaque nucléaire contre les États-Unis. De même, aujourd’hui, les préoccupations économiques – y compris la résistance des législateurs des États possédant des bases ICBM ou des travaux importants sur le nouveau système – ont empêché d’envisager sérieusement l’annulation du nouvel ICBM.

Le rapport Stimson formule trois recommandations essentielles. Premièrement, les États-Unis devraient adopter une stratégie de dissuasion à but unique reposant principalement sur des missiles nucléaires basés à bord de sous-marins. Deuxièmement, les États-Unis devraient éviter de développer et de déployer des systèmes nucléaires plus tactiques et à courte portée qui pourraient rendre l’utilisation de l’arme nucléaire plus probable. Enfin, les États-Unis devraient s’abstenir de reprendre les essais en surface.

Il s’agit là de propositions de bon sens, qui peuvent être mises en œuvre unilatéralement par les États-Unis sans tenir compte des positions des autres pays. Si elles sont mises en œuvre, elles pourraient même ouvrir la voie à des discussions sérieuses avec la Russie sur la réduction des armes nucléaires et une meilleure communication en cas de crise. Des négociations fructueuses avec la Chine seront plus difficiles, étant donné que son arsenal est beaucoup plus petit que celui des États-Unis et de la Russie.

La plus grande contribution du rapport Stimson est qu’il offre une alternative raisonnable et bien documentée aux positions adoptées par les partisans d’un renforcement coûteux et dangereux de l’arsenal nucléaire américain. Il faut espérer que ses arguments seront pris au sérieux par les responsables politiques de l’exécutif et les principaux membres du Congrès.

Même dans un contexte de parti-pris et de division politique extrêmes, les individus et les dirigeants élus de l’ensemble du spectre politique devraient s’intéresser à une approche de la politique nucléaire qui rend la guerre nucléaire moins probable et permet d’économiser des milliards de dollars.

*

William D. Hartung est chercheur principal au Quincy Institute for Responsible Statecraft. Ses travaux portent sur l’industrie de l’armement et le budget militaire américain.

Les opinions exprimées par les auteurs sur Responsible Statecraft ne reflètent pas nécessairement celles du Quincy Institute ou de ses associés.

Source : Responsable Statecraft, William Hartung, 21-03-2025

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Nous vous proposons cet article afin d'élargir votre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s'arrête aux propos que nous reportons ici. [Lire plus]Nous ne sommes nullement engagés par les propos que l'auteur aurait pu tenir par ailleurs - et encore moins par ceux qu'il pourrait tenir dans le futur. Merci cependant de nous signaler par le formulaire de contact toute information concernant l'auteur qui pourrait nuire à sa réputation. 

Commentaire recommandé

Auguste Vannier // 12.04.2025 à 09h47

« Il faut espérer que ses arguments seront pris au sérieux par les responsables politiques de l’exécutif et les principaux membres du Congrès. »
Cette remarque fait preuve d’un optimisme modéré quant à la rationalité des décideurs politiques. L’Histoire nous enseigne plutôt qu’il ne faut pas trop y compter.

2 réactions et commentaires

  • Auguste Vannier // 12.04.2025 à 09h47

    « Il faut espérer que ses arguments seront pris au sérieux par les responsables politiques de l’exécutif et les principaux membres du Congrès. »
    Cette remarque fait preuve d’un optimisme modéré quant à la rationalité des décideurs politiques. L’Histoire nous enseigne plutôt qu’il ne faut pas trop y compter.

  • DVA // 12.04.2025 à 18h00

    Bof, je ne crains absolument plus une guerre nucléaire pour la simple raison que les milliardaires sont au pouvoir partout dans le monde…et ce serait vraiment dommage pour eux de se retrouver à la fin comme le derniers des vagabonds à en subir les conséquence de la même manière…et dans le cas contraire…je me ressers un bon apéro sur le balcon en attendant Godot…

  • Afficher tous les commentaires

Ecrire un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Charte de modérations des commentaires

Et recevez nos publications