Source : Global Climat, Johan Lorck, 05-11-2019
En analysant la glace la plus ancienne jamais retrouvée en Antarctique, des scientifiques américains ont montré une corrélation entre les niveaux de dioxyde de carbone et la température sur les 2 derniers millions d’années. Jusqu’à cette nouvelle étude, les plus anciennes données complètes sur les carottes de glace remontaient à 800 000 ans. La découverte est d’autant plus intéressante qu’elle permet de remonter à une période avant la transition du Pléistocène moyen, qui a vu le passage de cycles glaciaires dominés par une périodicité de 40 000 ans à des cycles de 100 000 ans.
En 2017, des scientifiques avaient annoncé qu’un forage en Antarctique avait permis d’extraire de la glace vieille de 2,7 millions d’années. Une étude parue dans Nature, sous la direction de Yuzhen Yan (université de Princeton), vient de livrer les résultats de son analyse. La glace récoltée permet de rallonger considérablement l’archive du CO2, remontant à 2 millions d’années, contre 800 000 jusqu’à présent.
Les carottes de glace sont essentielles en ce qu’elles témoignent des variations du CO2 et de la température à travers l’histoire. La glace peut révéler les changements de température (grâce à l’isotope 18 de l’oxygène et au deutérium) et l’évolution de la composition de l’atmosphère (notamment la concentration de CO2 grâce aux bulles piégées dans la glace).
La découverte provient d’une zone de glace bleue ignorée jusqu’alors, où une dynamique particulière peut préserver les anciennes couches, comme l’avait expliqué le magazine Science en 2017. La glace a été forée à 200 km de la station de recherche américaine McMurdo, dans une région connue sous le nom d’Allen Hills.
Bien que les zones de glace bleue n’offrent qu’un aperçu fragmentaire du passé, leur analyse permet d’obtenir des « instantanés » du profil climatique à un moment donné.
Traditionnellement, les scientifiques forent dans des endroits où les couches de glace s’accumulent année après année, sans être perturbées par les écoulements glaciaires. Mais comme la chaleur du substrat rocheux inférieur peut faire fondre la glace la plus profonde et la plus ancienne, cette méthode n’a pas permis de remonter au-delà de 800 000 ans, le maximum collecté au Dôme C, en Antarctique (en 2004).
L’équipe est cette fois partie chercher de la glace ancienne bien plus près de la surface, à Allen Hills. Dans de telles zones de glace bleue, la glace traverse des crêtes rocheuses, de vieilles couches profondes sont soulevées, tandis que le vent élimine la neige et la glace plus jeune, révélant le bleu lustré de la glace comprimée en dessous. Ces contorsions altèrent le bon ordre des couches annuelles, rendant impossible la datation de la glace.
Michael Bender, un géochimiste de Princeton qui a participé à l’étude, avait déjà résolu le problème en 2008 en trouvant un moyen de dater des morceaux de glace directement à partir de traces d’argon qu’ils contiennent. Cette technique n’est cependant pas aussi précise que d’autres méthodes de datation.
Comme on l’a vu, les précédents carottages, remontant au maximum à 800 000 ans, démontrent que les niveaux de CO2 dans l’atmosphère sont directement liés aux températures de l’Antarctique et du monde.
Les sédiments océaniques, avec une résolution inférieure, permettent de remonter plus loin dans le temps et d’évaluer les températures et les volumes de glace de l’océan durant le Quaternaire (les 2,6 derniers millions d’années). Les variations climatiques du Quaternaire peuvent être déduites des isotopes d’oxygène mesurés dans les carottes de sédiments des grands fonds, qui représentent les variations du volume global des glaces et de la température de l’océan.
Ces données montrent qu’il y a eu une tendance générale vers des calottes glaciaires plus étendues et des températures plus froides au cours des 3 derniers millions d’années, accompagnée d’une augmentation de l’amplitude des variations glaciaires et interglaciaires. On peut également voir dans les archives sédimentaires des océans la transition entre des cycles essentiellement symétriques d’une périodicité de 40 000 ans vers des cycles fortement asymétriques de 100 000 ans (sur le dernier million d’années).
Mais comme cette technique repose sur des mesures indirectes du CO2, il manquait des archives plus fiables des gaz à effet de serre atmosphériques sur la période antérieure à – 800 000 ans. On a cette fois une archive glaciaire. Et celle-ci démontre également la corrélation entre CO2 et température sur plus de 2 millions d’années.
Le nouveau forage d’Allen Hills confirme en outre les changements dans la fréquence des périodes glaciaires, dont le déroulement intrigue les scientifiques. Il confirme qu’au cours du dernier million d’années, des cycles de glaciations suivis de périodes chaudes se sont produits tous les 100 000 ans. Mais entre 1,2 million d’années et 2 millions d’années avant aujourd’hui, les cycles glaciaires furent plus courts, se produisant tous les 40 000 ans, et ont été moins extrêmes.
La transition du Pléistocène moyen (MPT) constitue un changement fondamental dans le comportement des cycles glaciaires pendant les glaciations du Quaternaire. La transition s’est produite il y a environ 1,25–0,7 million d’années, à l’époque du Pléistocène. Avant le MPT, les cycles glaciaires étaient dominés par une périodicité de 40 000 ans avec des inlandsis réduits. Après le MPT, il y a eu des cycles fortement asymétriques avec un refroidissement du climat de longue durée et une accumulation de calottes glaciaires épaisses.
D’après la nouvelle étude parue dans Nature, les niveaux les plus élevés de dioxyde enregistrés lors des périodes chaudes sont similaires avant et après la transition du MPT. Cependant, les niveaux de CO2 les plus bas relevés dans les phases glaciaires avant le MPT, sont supérieurs aux très faibles concentrations observées au cours des périodes glaciaires des 800 000 dernières années.
L’estimation des concentrations de CO2 dans les cycles de 40 000 ans va de 204 ppm (périodes glaciaires) à 289 ppm (interglaciaires séparant deux glaciations). Ces fourchettes indiquent que les concentrations de CO2 interglaciaire lors des vieux cycles de 40 000 ans et ceux, plus récents, de 100 000, sont similaires. En revanche, les concentrations de CO2 lors des maxima glaciaires auraient probablement été 24 ppm plus élevées avant la transition du Pléistocène moyen survenue il y a environ 1,25–0,7 millions d’années. Depuis 800 000 ans, les niveaux de CO2 tombent à environ 180 ppm lors des maxima glaciaires. Avec les émissions anthropiques, la concentration actuelle s’éloigne de plus en plus de ces niveaux. L’observatoire de Mauna Loa, à Hawaii, a détecté le 11 mai 2019 une concentration de CO2 de 415 ppm, soit 100 ppm de plus qu’en 1958.
Les samples d’Allen Hills appuient plutôt les hypothèses qui lient l’allongement des cycles à la fois une plus grande taille de la calotte glaciaire et à une réduction du CO2 pendant les maxima glaciaires. Un apport accru de poussière dans l’océan Austral, des changements dans la circulation des océans figurent parmi les hypothèses qui ont entraîné une réduction supplémentaire du CO2 atmosphérique, renforçant ainsi la croissance des inlandsis continentaux et conduisant à l’émergence de cycles glaciaires de 100 000 ans.
Ces observations suggèrent un couplage cohérent et persistant entre le climat antarctique et le CO2 atmosphérique dans tout le Pléistocène, les cycles glaciaires de 40 000 ans apparaissant comme des versions tronquées des cycles glaciaires de 100 000 ans.
Yuzhen Yan et ses collègues espèrent dorénavant mener plus loin leurs recherches et pousser au-delà de deux millions d’années, peut-être jusqu’au Pliocène.
Source : Global Climat, Johan Lorck, 05-11-2019
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