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9.janvier.20259.1.2025 // Les Crises

Des « casques bleus » européens en Ukraine ? Analyse d’une fausse bonne idée

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Trump et d’autres dirigeants auraient discuté du projet, mais il s’agit d’un ballon d’essai qui devrait être abattu immédiatement.

Source : Responsible Statecraft, Anatol Lieven
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Le président élu Trump aurait avancé l’idée qu’une force de maintien de la paix importante et lourdement armée provenant d’Europe (mais incluant des membres de l’OTAN) pourrait être mise en place en Ukraine dans le cadre d’un accord de paix. Il est important que cette idée inconsidérée soit rejetée avant qu’elle ne nuise gravement aux perspectives d’une paix rapide et qu’elle ne cause à l’Ukraine de nouvelles pertes humaines, économiques et territoriales.

Selon le Wall Street Journal et Le Monde, cette idée est apparue pour la première fois lors de discussions privées entre des responsables français et britanniques en novembre. Elle a été discutée jeudi par les ministres des Affaires étrangères de l’OTAN à Bruxelles. Trump a fait cette suggestion au président français Emmanuel Macron et au président ukrainien Volodymyr Zelensky lors d’une réunion à Paris le 7 décembre.

Macron s’est ensuite rendu à Varsovie pour discuter d’un projet de 40 000 « soldats de la paix » européens, lourdement armés, avec le gouvernement polonais, dont les responsables ont jusqu’à présent réagi froidement en public. Le Premier ministre polonais, Donald Tusk, a déclaré : « Pour mettre fin aux spéculations sur la présence potentielle de tel ou tel pays en Ukraine après un cessez-le-feu, […] les décisions concernant la Pologne seront prises à Varsovie et uniquement à Varsovie. Pour l’instant, nous ne prévoyons pas de telles activités. »

Friedrich Merz, du parti chrétien-démocrate allemand, presque certain d’être chancelier après les élections prévues en février, a également pris ses distances par rapport à cette idée.

À première vue, cette idée pourrait sembler concilier plusieurs pressions mutuellement contradictoires sur le processus de paix ukrainien : la demande russe d’un traité qui exclurait définitivement l’Ukraine de l’OTAN ; la demande ukrainienne de garanties occidentales contre une future agression russe ; la détermination de Trump à ne pas envoyer de troupes américaines sur le terrain ou à ne pas prendre d’engagements supplémentaires et permanents des États-Unis envers l’Ukraine ; et le besoin réel d’une force internationale substantielle pour patrouiller le long d’une ligne d’armistice.

Il n’y a qu’un seul problème : selon tous les responsables et experts russes avec lesquels mes collègues et moi-même nous sommes entretenus (dernièrement jeudi), l’idée de troupes occidentales en Ukraine est tout aussi inacceptable pour le gouvernement et l’establishment russes que l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. En effet, les Russes ne voient aucune différence essentielle entre les deux.

Du point de vue de Moscou, une telle « force de maintien de la paix » occidentale ne serait qu’une avant-garde de l’OTAN qui servirait de couverture à l’introduction progressive de forces de plus en plus nombreuses de l’OTAN. En effet, si le président Zelensky a déclaré que l’Ukraine « pourrait envisager » l’idée d’une force de maintien de la paix, elle ne le ferait que si elle recevait également un calendrier clair pour son adhésion future à l’OTAN. Si le général Kellogg, choisi par le président élu Trump comme envoyé pour l’Ukraine, présente cette proposition lors des négociations, la partie russe la rejettera d’emblée. Et si l’on insiste, les pourparlers échoueront.

Cependant, il semble probable qu’une fois que les institutions européennes – et les populations – auront eu le temps de réfléchir à cette idée, elles la laisseront tomber. En effet, les soldats de cette force seraient placés dans une position de danger considérable, qu’il est peu probable que leurs concitoyens tolèrent. Lorsque Macron a proposé pour la première fois l’envoi de troupes françaises en Ukraine au début de l’année, les sondages d’opinion ont montré qu’une majorité écrasante de citoyens français s’opposait à cette idée.

Les dangers devraient en effet être évidents. D’une part, les Ukrainiens déterminés à récupérer les territoires perdus par l’Ukraine en provoquant une guerre directe entre l’OTAN et la Russie auraient tout intérêt à essayer de créer des affrontements armés dans lesquels les « soldats de la paix » occidentaux seraient entraînés.

D’un autre côté, si Moscou voulait vraiment tester l’OTAN et profiter des futures divisions internes de l’Occident, comment faire mieux que de menacer les « soldats de la paix » de l’OTAN en Ukraine plutôt que sur le territoire de l’OTAN et donc non couverts par l’article 5 de l’OTAN ? Il y a soit une profonde dissonance cognitive, soit une profonde malhonnêteté chez les faucons occidentaux qui mettent en garde contre une prétendue future menace russe de « tester la détermination de l’OTAN » dans les États baltes et qui proposent de donner à la Russie une occasion bien plus grande et plus plausible de le faire en Ukraine.

Dans ces circonstances, il semble évident que, pour que les gouvernements européens et leurs chefs militaires acceptent une telle proposition, même en principe, ils auraient besoin de garanties publiques et infaillibles de la part de l’administration Trump que l’armée américaine interviendrait avec toute la force nécessaire pour sauver leurs « gardiens de la paix » s’ils subissaient une attaque russe.

Cela reviendrait à s’engager en faveur de l’Ukraine et d’une guerre potentielle avec la Russie, ce que Trump et les principaux membres de son équipe sont déterminés à éviter. Comme l’indique l’article du Wall Street Journal : « Les responsables français ont clairement indiqué que l’idée devrait impliquer une sorte de soutien américain, ce qu’il n’est pas certain qu’une administration Trump envisagerait. »

Ces facteurs ne sont ni obscurs ni difficiles à comprendre. Même s’il ne s’agit que d’un ballon d’essai, il est visiblement plein de trous, et le fait qu’il ait pu être hissé même à quelques mètres du sol est donc inquiétant. L’apparition de cette idée suggère que Trump et les gouvernements européens concernés ont reçu de leurs conseillers des informations très imprécises sur les positions de base de la Russie. Cela laisse supposer soit des renseignements extrêmement médiocres, soit que les conseillers concernés cherchent délibérément à faire échouer un accord de paix. Si c’est le cas, ils ne sont pas des amis de l’Ukraine, car tout porte à croire que plus la guerre durera, plus la position de l’Ukraine se dégradera.

*

Anatol Lieven est directeur du programme Eurasie au Quincy Institute for Responsible Statecraft. Il était auparavant professeur à l’université de Georgetown au Qatar et au département des études sur la guerre du King’s College de Londres.

Les opinions exprimées par les auteurs sur Responsible Statecraft ne reflètent pas nécessairement celles du Quincy Institute ou de ses associés.

Source : Responsible Statecraft, Anatol Lieven, 16-12-2024

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Urko // 09.01.2025 à 08h18

A en croire la rhétorique russe (rien n’y oblige), l’invasion de l’Ukraine avait pour motif d’empêcher l’OTAN, puissance jugée hostile, d’y prendre pied et de menacer la Russie. Et comme solution de paix propre à rassurer celle-ci, l’occident lui proposerait que des membres de l’OTAN envoient des troupes, certes sous drapeau neutre, stationner en… Ukraine ? S’agit il d’une plaisanterie ? En tous cas, le suspense semble insoutenable. Les dirigeants russes vont ils accepter avec enthousiasme une offre aussi généreuse ?

6 réactions et commentaires

  • Urko // 09.01.2025 à 08h18

    A en croire la rhétorique russe (rien n’y oblige), l’invasion de l’Ukraine avait pour motif d’empêcher l’OTAN, puissance jugée hostile, d’y prendre pied et de menacer la Russie. Et comme solution de paix propre à rassurer celle-ci, l’occident lui proposerait que des membres de l’OTAN envoient des troupes, certes sous drapeau neutre, stationner en… Ukraine ? S’agit il d’une plaisanterie ? En tous cas, le suspense semble insoutenable. Les dirigeants russes vont ils accepter avec enthousiasme une offre aussi généreuse ?

  • Clio? // 09.01.2025 à 09h44

    Il y a eu les accords de Minsk en 2015 et jusqu’en 2022 pour passer un accord OTAN-Russie. Refusé. Printemps 2022 les négociations russo-ukrainiennes tuées par l’OTAN. Puis destruction de Nordstream.
    Le non-retour est franchi depuis longtemps. Il ne peut pas y avoir de négociation OTAN-Russie.
    La Pologne qui refuse l’envoi officiel de son armée c’est parce que c’est la France qui a exprimé la proposition. Les français ne comprennent pas que depuis 1939 les polonais ont rayé la France de leur esprit. Français=traitre. Par contre si les Etats-Unis donnent la consigne la Pologne ira se faire tuer contre la Russie.

  • Pierrot // 09.01.2025 à 10h04

    Compte tenu des intérêts géopolitiques en jeu et les efforts déployés par le camps occidental depuis plus d’une décennie (voire deux) pour mener cette guerre, il est peu probable que celle-ci s’arrête avant que les objectifs visés soient atteints.

    Comme certains l’ont déjà avancé, la décision de mettre fin aux combats en Ukraine serait plus certainement motivée par le désir de les continuer plus tard dans de meilleures conditions pour le camps occidental, notamment après la (re)constitution d’une capacité militaire suffisante.

    De ce point de vue, l’occupation du terrain par des forces armées sous contrôle occidental, estampillés « gardiens de la paix » pour faire illusion auprès des opinions publiques, apparaît comme un bon moyen de préparer la suite des hostilités sur ce front, mais surtout de geler la situation actuelle afin d’éviter un désarmement ou un retournement politique de Ukraine dans l’intervalle.

    Ce plan (notamment le gel provisoire de la situation) n’est pas foncièrement incompatible avec la position affichée de la future administration Trump sur la poursuite de la guerre, et les réticences de certains pays vassaux à y participer risque de ne pas peser lourd face à la détermination américain. La question de savoir s’il se déroulera, en toute ou partie, dépend plus certainement de la réaction des Russes, lesquels ont certainement déjà vu le coup venir.

  • RGT // 09.01.2025 à 10h57

    En Ukraine, ça sent le sapin pour les velléités des faucons US qui sont à l’origine du conflit depuis 2014 et se sont servi de l’Ukraine comme proxy pour aller titiller les russes, au mépris total de la population locale qui n’est que de la chair à canon insignifiante et sacrifiable gratuitement.

    Si les russes gagent (ce qui sera indubitablement le cas selon de nombreux experts non soumis à ces faucons vrais cons)ce sera la chute de leur prédominance mondiale, voire même l’effondrement du système sanguinaire qu’ils ont mis en place pour assurer leur domination et leurs profits sur le dos de la population mondiale.

    Malheureusement, Trump et ses conseillers ont compris que cette stratégie mènerait à l’effondrement de la suprématie US (déjà bien engagée) et veulent limiter les dégâts pour ne pas avoir à assumer le désastre.

    Et comme toujours, ce sont les populations civiles qui payent par leur sang (et aussi financièrement) les frais de décisions criminelles de quelques ploutocrates cupides, comme toujours.

    Depuis la nuit des temps, AUCUNE guerre n’est le fait des populations mais est toujours issue de la cruauté et de la cupidité des « élites » qui les peuples à s’entre-tuer pour leur profit personnel.

    Le problème des « élites » occidentales (anglo-saxonnes) est simplement que la roue a tournée et qu’ils ne peuvent plus se permettre de dominer les autres car leur cupidité les a incité à faire des « économies » (profits pour eux) qui ne leur permettent plus de dominer les autres.

    Espérons que leur chute ne se traduire pas par la montée en puissance d’un nouveau monstre, mais aucun pays n’est aussi violent et cupide que les anglo-saxons.

    Les BRICS son composés de pays qui ont subi la violence anglo-saxonne et qui ne veulent PLUS être dominés, et qui ne veulent pas dominer les autres. Si l’un d’entre eux avait de telles velléités les autres feraient tout pour l’en empêcher.

  • UneBonneGuerre…quiDuuuuuuure // 09.01.2025 à 11h20

    Tout est permis : un matin de février 2002 Mme Von der Pfizer à sa tribune de l’UE nous a annoncé que nous prendrions parti pour Kiev et que la France en ferait Otan. Oubliant les accords de Minsk qui devaient faire cesser la guerre civile en Ukraine ayant coūté 13 000 morts… Accords dévoyés en tactique pour armer cette proxy américaine. « L’Europe c’est la paix »…La force de frappe médiatique us et UE ayant gagné la guerre cognitive dès le début, les Français par exemple prirent les armes depuis leur canapé. Le sale Russe since 1917 ou le soviétique allait perdre et la dépouille de Poutine (=Hitler) pourrirait sur la place rose LGBT+ .Quelques centaines de milliers de morts inutiles plus tard (et de Mds de € et de $ à l’industrie d’armement us ) la Russie a effectivement neutralisé les territoires prévus et protégé ses ukrainiens russophones, la menace existentielle qu’elle redoute n’est pas levée pour autant(!) ( Relire les objectifs de l’Opération militaire spéciale publiée en 2002 ) Macron a engagé la France par un accord militaire avec Zelinski …ad vitam puisque nous ne cesserions la guerre contre la Russie avant que la Crimée ne soit ukrainisée. Aujourd hui un « plan de paix » par les perdants qui exige des Russes qu’ils prennent le risque insensé de devoir recommencer dans 5 ou 10 ans, le temps que l’UE et les US réarment le peuple martyre, la guerre jusqu’au dernier…Ukrainien. Pourquoi pas « envoyer des mecs là bas »avec des casques bleus ou verts mais des casques svp,
    Pour le making off voir le riche dossier sur l’Ukraine depuis 2010 sur ce blog

  • Savonarole // 09.01.2025 à 12h16

    L’OTAN se reunit à Rammstein aujourd’hui même pour en causer.
    Pourtant les Russes ont été très clair quand au sort réservé à tout ceux qui voudraient intervenir quel que soient leur statut et ce dès mars 2022 en acceuillant les « volontaires étrangers » par une frappe de Khinzal sur leur point de regroupement en région de Lvov… et ont continué à cibler indiférement tout ceux allant soutenir le régime de Kiev.
    Après bientôt trois ans de conflit , le discours commence à changer même parmis les plus faucons des vrais cons , hier Robert Kagan (le mari de l’autre.) s’est fendu d’un article dans « the Atlantic » annonçant « une défaite catastrophique pour DJT « . (https://www.theatlantic.com/international/archive/2025/01/trump-putin-ukraine-russia-war/681228/)
    Il leur aura fallut trois ans pour se rendre compte qu’ils n’avaient pas les moyens de leurs ambitions. Ce conflit restera comme un immense gâchis autant que comme un point de bascule dans l’équilibre entre les puissances. Et dire que cette boucherie aurait pu ètre arrétée avant même de commencer si l’administration Biden avait choisi de faire appliquer les accords de Minsk au lieu de choisir la guerre …

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