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6.mai.20206.5.2020
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Didier Raoult : Les graves manipulations scientifiques (Partie 3)

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VI. L’étude de Raoult sur 1061 patients

6-1 Pré-pré-étude et pré-étude

Le 9 avril dernier, l’équipe est allée encore plus loin dans la mauvaise science en se contentant de publier un résumé d’une pré-étude (source ; archive ; index) avec une annexe (source)

Il y a eu cette fois 38 auteurs : Matthieu Million, Jean-Christophe Lagier, Philippe Gautret, Philippe Colson, Pierre-Edouard Fournier, Sophie Amrane, Marie Hocquart, Morgane Mailhe, Vera Esteves-Vieira, Barbara Doudier, Camille Aubry, Florian Correard, Audrey Giraud-Gatineau, Yanis Roussel, Cyril Bellenger, Nadim Cassir, Piseth Seng, Christine Zandotti, Catherine Dhiver, Isabelle Ravaux, Christelle Tomei, Carole Eldin, David Braunstein, Hervé Tissot-Dupont, Stéphane Honoré, Andreas Stein, Alexis Jacquier, Jean-Claude Deharo, Eric Chabrière, Anthony Levasseur, Florence Fenollar, Jean-Marc Rolain, Yolande Obadia, Philippe Brouqui, Michel Drancourt, Bernard La Scola, Philippe Parola, Didier Raoult

On y trouve cet incroyable commentaire :

« La première version de notre article sur les 1061 patients qui ont été traités entièrement par hydroxychloroquine et azithromycine est terminée. Vous verrez dans les résultats que la mortalité est de l’ordre de 0,5% et que le taux de guérison est extrêmement élevé. Ce traitement a déjà été utilisé par d’autres services de l’AP-HM, avec des résultats comparables, indépendamment de notre équipe. Nous mettons en pré-publication le résumé de cet article en anglais et un tableau qui résume l’ensemble de nos données pour que ceci puisse servir éventuellement à des décisions politiques. »

Cela revient à dire : « L’étude est finie, mais nous ne la publions pas, nous donnons juste un résumé, afin de permettre des décisions politiques… »

Et voici avec quoi les politiques sont censés décider – un document de… deux pages et demi :

Dans un premier temps, Raoult aurait apparemment réservé la version complète à Macron (sacré rebelle) (source) :

GÉNIAL – vu qu’on guérit spontanément dans 90 % des cas…

Le 20 avril, l’IHU s’est finalement décidé à publier la version complète (sourcearchive).

L’équipe de Raoult a donc testé 3 165 personnes comme positives. 1 411 étaient éligibles (on comprend mal pourquoi 1 750 ont disparu).

Parmi elles, « 1 061 remplissaient leurs critères d’inclusion » et ont été traitées au moins 3 jours. Pour ceux que ça intéresse, voici les raisons de l’exclusion de 350 patients :

L’étude a duré du 3 mars au 9 avril :

Les patients ont été inclus du 3 au 31 mars :

Le 18 avril, une nouvelle analyse a été faite pour disposer de données à jour (ils ont apparemment contacté les 1061 patients, ce qui nécessite une grosse logistique) :

Voici la présentation des résultats par l’IHU :

Il y a eu 63 décès sur 1 968 positifs (3,2 %) à Marseille, avec 1,3 % (16/1248) e décès chez ceux qui ont pris le protocole Raoult (dont 0,9 % à l’IHU soit 10/1141) et 6,5 % (47/720) ne l’ont pas pris : dit comme ça, cela semble impressionnant d’efficacité.

Ensuite, l’équipe compare la mortalité dans les Bouches-du-Rhône et dans le Rhône :

Le rapport étant d’1 à 2 : là encore, un beau succès semble-t-il. Mais en réalité, c’est plus compliqué que cela…

6-2 La manipulation des tests

En réalité, l’IHU fait exactement ce que nous avions dénoncé dans notre billet du 28 mars dernier : tromper les gens.

Et c’est facile à comprendre, puisque l’étude indique clairement :

« La majorité des patients avaient une maladie relativement modérée lors de leur admission ».

Regardons les statistiques :

Les 1061 patients sont classés en 3 groupes, selon leur état au 10e jour de traitement :

  • 973 vont bien et n’ont plus de virus (Good outcome) ;
  • 46 vont mal (Poor clinical outcome) – dont 5 qui ont toujours du virus (et sont comptés en double, dans le groupe suivant) ;
  • 47 ont toujours du virus (Poor virological outcome) – dont 5 qui vont mal (et sont comptés en double, dans le groupe précédent).

1/ On voit bien que le choix de l’IHU de se concentrer sur l’étude de la charge virale n’est pas pertinent, puisqu’on on peut avoir du virus et aller bien, et ne plus en avoir et aller mal.

2/ Sur les âges issus du tableau : on voit que toute la population a 43 ans d’âge moyen (avec 15 ans d’écart-type), ce qui est très faible et loin des âges à fort risque. D’ailleurs, les patients les plus mal en point à la fin avaient 69 ans d’âge moyen… La grande masse des testés est donc jeune, et peu à risque.

3/ On voit enfin que les patients traités les plus jeunes avaient… 14 ans ! L’IHU traite donc des adolescents sans risque de décès avec un traitement dangereux pour le cœur !

Par ailleurs, en moyenne, les patients ont commencé à être traités après 6 jours et demi de symptômes, ce qui est très tardif.

Ainsi, l’IHU peut bien se féliciter qu’il n’y ait presque plus de patients porteurs de virus dans le nez au 10e jour de traitement (donc presque au 17e jour depuis le début des symptômes) ; le fait qu’en général, la durée moyenne de portage est de 9 jours (et non pas 20 comme le prétend l’IHU). Il s’agit d’un argument manipulatoire pour faire croire à l’efficacité du traitement.

L’équipe Raoult a également défini l’état initial des patients testés. Ils ont utilisé le score NEWS, désormais classique (sources ici et ) :

Chaque patient obtient un score en fonction de ses symptômes (fièvre, saturation en oxygène, fréquence cardiaque, etc). Voici la répartition :

1008 patients sur 1061 avaient peu de symptômes, avec un score inférieur à 4 ; 948 ayant terminé avec un bon état général.

Cependant, l’équipe a regroupé les scores et n’a pas donné le détail. Par chance, le 9 avril dans sa pré-pré-étude, l’équipe avait diffusé pendant quelques heures une autre version du tableau (source ; archive) :

On constate que la version initiale était provisoire ; quelques données manquent comme des valeurs médianes.

Le point très intéressant est que la FORME du tableau a changé, puisqu’en premier lieu, l’équipe avait choisi cette présentation du score NEWS :

Il y avait la moyenne et l’écart-type. Et en réalité, avec une valeur de 0,4 pour les 978, presque aucun patient n’avait de symptômes inquiétants !

Certains spécialistes ont même fait des simulations à partir de ces données, pour estimer la répartition détaillée (source) :

À peu près 850 patients avaient un score de 0, c’est-à-dire qu’ils avaient moins de 65 ans et pratiquement aucun symptôme (moins de 38 de fièvre), et une cinquantaine avaient juste un peu de fièvre… Et c’est probablement pour cacher cette très gênante moyenne de 0,4 que l’IHU a opté pour la création d’une classe « score entre 0 et 4″…

Ces 900 patients étaient donc clairement dans des catégories qui ne sont pas testées selon les normes actuelles. Ils doivent être retirés des statistiques pour ne pas les fausser si on souhaite comparer avec d’autres centres.

En testant en masse des gens peu symptomatiques, l’IHU intègre une vaste quantité de personnes qui n’ont presque aucune probabilité de décéder, ce qui diminue fortement la mortalité observée – sans lien direct avec le traitement pourtant étudié. Ils pourraient tout aussi bien tester encore 4 000 enfants malades du covid, qui ne mourront pas, pour diviser leur taux de mortalité par 5…

6-3 Les manipulations statistiques

Revenons aux résultats. Il y a un autre problème : l’équipe annonce 16 morts sur 1248 patients traités, mais 47 morts sur 720 patients non traités à l’IHU.

Par chance, le tableau 3 en annexe résume la situation :

Nous retrouvons les 10 morts (8+2) traités à l’IHU et les 63 morts (16+47) au total à Marseille.

Les 63 morts sont donc mis en rapport avec 1 968 cas positifs, dont 1 529 cas pour la cohorte étudiée à l’IHU.

Problème : cela ne correspond pas aux 1 411 éligibles :

Nous notons aussi qu’il y aurait 359 cas pour le reste des hôpitaux de Marseille (AP-HM) et 1 968 cas au total. Cela ne semble pas sérieux, car l’IHU est une petite unité, et il devrait y avoir plus de cas hors de l’IHU.

Enfin, il faut noter que les décès s’observent au 9 avril, mais que l’inclusion cesse le 31 mars, date à laquelle est observé le nombre de patients.

Or, si on regarde le fameux compteur quotidien de l’IHU du 1er avril, on a ceci (source) :

1 524 patients sont donc traités à l’IHU et 2 663 à l’APHM. Les chiffres collent donc mal…

Observons maintenant le tableau S4 (source ; archive) :

Au 6 avril, il y avait 63 morts pour 4 940 patients (y compris après le 1er avril).

Mais le compteur IHU du 8 avril donne ceci :

47 morts pour 3 835 patients – la différence est importante…

Dans le même suivi, le 11 avril, il y a bien 63 morts à Marseille, mais pour 4 100 patients, pas 4 940…

En conclusion, toutes ces statistiques ne sont pas faites avec sérieux, et elles faussent les analyses…

6-4 La véritable mortalité de l’IHU

Reprenons le tableau 3 sur la mortalité :

P.S. il semble y avoir un problème, que nous avons déjà soulevé : où est passé le mort de la première étude, l’essai clinique avec les 26 personnes traitées ? Il ne semble être nulle part…

Notons, en vert, que la mortalité des patients qui suivent le protocole Raoult en dehors de l’IHU est deux fois supérieure à ceux de l’IHU qui ne le suivent pas... L’équipe passe bien sûr tout ceci sous silence….

En bleu, la différence de mortalité hors protocole entre l’IHU et les autres hôpitaux est aussi étonnante. Mais rappelons que l’IHU n’est pas très bien équipé en service de réanimation.

En rouge, il faut surtout noter qu’il y a 13 morts de plus à l’IHU de personnes qui ne suivent pas le protocole ou bien qui l’ont suivi moins de 3 jours. Il est scandaleux que l’équipe n’ait pas fait la différence car cela empêche d’analyser l’éventuelle mortalité causée par le (dangereux) protocole.

En conclusion, les équipes Raoult faisant tout pour fausser leur taux de mortalité, il serait malhonnête de calculer ces ratios « Décès / Nombre de tous les cas positifs ». Nous allons donc approcher la mortalité de 2 autres façons.

Première approche : redressement du dénominateur

C’est assez simple : dans son étude, l’IHU a intégré 900 patients qui n’avaient pas à y être (car trop peu touchés) – soit 85 % des testés. Nous allons ici estimer le ratio « Décès / Nombre de cas positifs si tests menés comme ailleurs« .

Comme nous l’avons vu, la mortalité a donc été de 8 pour environ 150 patients, soit 5,3 %. C’est désormais cohérent avec la mortalité du protocole hors IHU, mais cela reste supérieur aux 2,6 % de l’IHU hors protocole ; cela s’explique par le fait qu’il faudrait sans doute réduire les 468 également, mais nous ne sommes pas en mesure de savoir comment.

Oublions alors les chiffres de l’étude, et partons du compteur le 11 avril :

On a 10 morts sur 2 401, mais, quand nous enlevons 85 % de « testés en trop », nous arrivons à 10 morts sur environ 360 (qui seuls auraient dû être testés), soit 2,8 % à l’IHU avec traitement.

Nous arrivons, pour tous les autres cas à 53 morts (63-10) pour 1 700 cas (4 100 – 2 400), soit 3,1 %. Il n’y aurait donc pas de différence significative de mortalité sur le groupe traité.

Deuxième approche : changement du dénominateur

Pour se sortir du piège de l’IHU, le plus simple est de changer carrément de dénominateur.

Nous nous proposons de calculer le ratio « Décès à l’instant T / Nombre d’hospitalisés Covid-19 à l’instant T« . Le seul intérêt de ce ratio sera simplement de pouvoir servir de comparateur entre les groupes.

Intéressons-nous simplement à la structure. Pour l’IHU c’est simple : il y a 75 lits, comme on l’a vu (source). Faisons l’hypothèse qui leur est favorable de 75 hospitalisés Covid-19. Il y aurait donc un ratio de 23 morts (2 + 8 +13) pour 75 hospitalisés, soit 31 %.

Prenons alors le département 13 (source) :

Il y avait 154 morts pour 1045 hospitalisations en cours. Si on retranche l’IHU, cela fait 131 morts (154-23) pour 970 hospitalisés, soit 13,5 % pour le département hors IHU. L’IHU a donc une mortalité apparente de plus du double de celle des autres structures de la région, ce qui pose de sérieuses questions.

On peut cependant affiner pour revenir aux seules personnes traitées à l’IHU dans le protocole Raoult. Il y a 10 morts, mais reste à estimer le nombre d’hospitalisés prenant le traitement. On sait que 46 ont eu un mauvais état clinique. A contrario, il y a 10 morts dans le groupe des traités et 13 dans les non traités, Une hypothèse favorable à l’IHU serait de considérer que 65 hospitalisés sont traités suivant le protocole ; on aurait un ratio de 10 / 65 = 15,4 %. Il resterait supérieur à celui du Département.

Cependant, une hypothèse plus raisonnable serait de considérer que 10 lits sont réservés à des non-Covid, et qu’il ne reste que 50 lits pour le protocole. On aurait alors un ratio d’au moins 20%.

La chloroquine ne semble pas efficace pour réduire la mortalité à l’IHU.

Et il faut surtout se demander pourquoi y a-t-il 13 morts sur les 468 personnes non traitées ou, surtout, traitées moins de 3 jours à la chloroquine ? Ce traitement dangereux a-t-il tué ?

Mais bien entendu, Didier Raoult ne présente pas les choses ainsi dans sa conclusion…

Le protocole serait un traitement « sûr et efficace » !

Dans la version du 9 avril, ils précisaient même ceci :

Ils parlaient d’un taux de mortalité de « 0,5 % chez les personnes âgées », mais ceci a heureusement été supprimé.

« La majorité des patients souffrait d’une maladie relativement modérée. Dans ces conditions, le traitement évite l’aggravation de la maladie mais il évite aussi la mort »

C’est proprement stupéfiant de tirer de telles conclusions ; c’est même indigne de tout scientifique.

Mais qu’attendre d’autre de quelqu’un qui cite un… sondage ridicule dans une publication scientifique ?

6-5 Et toujours pas de groupe contrôle

L’IHU s’est donc mis à soigner des gens qui n’avaient, pour la quasi-totalité, pas à l’être.

Et pour tenter de montrer une efficacité, il se contente de comparer la mortalité dans les Bouches-du-Rhône et dans le Rhône, alors qu’évidemment, on ne peut le faire, les épidémies n’ayant pas démarré au même moment (l’épidémie à surtout frappé le quart Nord-est, avant le confinement).

59 décès Covid par million d’habitants à Marseille (Bouches-du-Rhône) contre 124 dans le Rhône. Cette comparaison est bien entendu manipulatoire, et a pour but de tromper le public.

Il y a d’ailleurs un point amusant : la mortalité est identique à Marseille – et l’IHU n’y compte que 75 lits – et dans le département, ce qui veut donc dire qu’il n’y a guère de différence entre Marseille et le reste du département, et donc que le protocole IHU n’a rien de spectaculaire…

Et quant à sa comparaison départementale, les données de Santé Publique France montrent que le 6 avril, 62 départements ont une mortalité inférieure à celle des Bouches-du-Rhône.

Mais ça, l’IHU se garde bien de le dire ; tout comme il refuse de parler des 52 décès Covid par million d’habitants dans la Seine-Maritime, 37 dans le Pas-de-Calais, 34 en Loire-Atlantique, 30 en Gironde (la moitié de la mortalité à Marseille !) 21 en Isère ou 12 en Haute-Garonne – pour ne parler que des plus gros départements…

Voici d’ailleurs la situation dans la région :

Pas de miracle dans les Bouches du Rhône (13)

Bref, on voit bien que tout ceci a pour but de masquer la volonté délibérée de l’IHU de ne pas constituer de groupe contrôle, car cela signerait la fin de la polémique, puisqu’un médicament, ça marche ou ça ne marche pas. Et à l’évidence, l’IHU ne veut pas qu’on ait la réponse. Alors qu’il suffisait de donner un placebo à 1 patient sur 2, au hasard, pour avoir cette réponse.

Il est triste de voir qu’un IHU ait pour but de faire reculer la science – au prétexte d’être dans la « vraie vie » :

Alors que la « vraie vie », pour un médecin, c’est de s’assurer que son traitement fonctionne avant de le donner – et surtout de s’assurer qu’il n’est pas nuisible.

Et à ce jour, nous ne savons toujours pas s’il l’est…

C’est d’autant plus dommage que, dans cet article de 2016 (source), un certain Raoult Didier écrivait, à raison : « Il est temps de tourner la page sur les études qui ne contiennent pas groupe contrôle négatif”

6-6 La légalité de l’étude

Enfin, cette étude pose de nouveau de lourdes questions méthodologiques, car elle n’est probablement pas légale.

C’est stupéfiant :

  • L’IHU donne un traitement HCQ+AZ qui est potentiellement dangereux (comme nous l’avons expliqué dans ce billet), hors AMM, et nécessite un suivi cardiologique permanent (raison pour laquelle la chloroquine (sans même l’antibiotique) n’a été autorisée QUE pour des patients hospitalisés dans un état sérieux) à des milliers de personnes en ambulatoire, dont l’immense majorité n’a aucun symptôme – ne serait-ce que modéré ;
  • l’équipe fait un suivi statistique quotidien sur son site ;
  • puis elle fait une analyse statistique des patients traités ;
  • mais dans l’étude, Raoult indique qu’il s’agirait « d’une étude observationnelle » rétrospective !

Alors qu’il s’agit à l’évidence d’un essai clinique interventionnel ! Qui n’est donc pas déclaré et donc pas autorisé.

Il est même indiqué que l’étude a été approuvée par le comité éthique interne de l’IHU – alors que ce n’est pas ce qu’impose la loi.

Il est même indiqué que l’étude a commencé le 3 mars – avant même toute autorisation reçue de l’IHU pour son essai clinique déclaré :

Ils indiquent également que les patients n’ont signé aucun formulaire de consentement, ce qui est encore une grave violation de la loi.

Le fait que des mineurs aient été traités dans ce contexte est encore plus grave. Voici ce qu’impose la loi :

« Est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait de pratiquer ou de faire pratiquer une recherche impliquant la personne humaine […] Sans avoir obtenu l’avis favorable d’un comité de protection des personnes »

et

Article 223-8 du Code Pénal

Le fait de pratiquer ou de faire pratiquer sur une personne une recherche mentionnée aux 1° ou 2° de l’article L. 1121-1 ou sur un essai clinique mentionné à l’article L. 1124-1 du code de la santé publique sans avoir recueilli le consentement libre, éclairé et, le cas échéant, écrit de l’intéressé, des titulaires de l’autorité parentale ou du tuteur ou d’autres personnes, autorités ou organes désignés pour consentir à la recherche ou pour l’autoriser, dans les cas prévus par le code de la santé publique ou par les articles 28 à 31 du règlement (UE) n° 536/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux essais cliniques de médicaments, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.

et

Le fait de pratiquer ou de faire pratiquer une recherche impliquant la personne humaine en infraction aux dispositions des articles L. 1121-5 à L. 1121-8 et de l’article L. 1122-1-2 et en infraction avec les articles 31 à 34 du règlement (UE) n° 536/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux essais cliniques de médicaments est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Les personnes physiques coupables de l’infraction prévue à l’alinéa précédent encourent également les peines suivantes :

  1. L’interdiction des droits civiques, civils et de famille, suivant les modalités prévues par l’article 131-26 du code pénal ;
  2. L’interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, d’exercer l’activité professionnelle ou sociale à l’occasion de laquelle ou dans l’exercice de laquelle l’infraction a été commise ;
  3. La confiscation définie à l’article 131-21 du code pénal ;
  4. L’exclusion des marchés publics à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus.

ce dernier article faisant référence à ces articles qui ont à l’évidence été violés :

Le promoteur peut demander à la personne se prêtant à une recherche au moment où celle-ci donne son consentement éclairé lorsqu’il est requis d’accepter que ses données soient utilisées lors de recherches ultérieures exclusivement à des fins scientifiques. La personne peut retirer son consentement à cette utilisation ultérieure ou exercer sa faculté d’opposition à tout moment.

Les mineurs peuvent être sollicités pour se prêter à des recherches mentionnées aux 1° ou 2° de l’article L. 1121-1 seulement si des recherches d’une efficacité comparable ne peuvent être effectuées sur des personnes majeures et dans les conditions suivantes :

  • soit l’importance du bénéfice escompté pour ces personnes est de nature à justifier le risque prévisible encouru ;
  • soit ces recherches se justifient au regard du bénéfice escompté pour d’autres mineurs. Dans ce cas, les risques prévisibles et les contraintes que comporte la recherche doivent présenter un caractère minimal.

Article 32 du Règlement (UE) n ° 536/2014 Essais cliniques sur les mineurs

1. Un essai clinique ne peut être conduit sur des mineurs que si, outre les conditions prévues à l’article 28, l’ensemble des conditions suivantes sont respectées:

  1. le consentement éclairé de leur représentant désigné légalement a été obtenu;
  2. les mineurs ont reçu, de la part des investigateurs ou de membres de l’équipe d’investigateurs formés et rompus au travail avec des enfants, les informations visées à l’article 29, paragraphe 2, d’une façon adaptée à leur âge et à leur maturité mentale;
  3. le souhait explicite d’un mineur, en mesure de se forger une opinion et d’évaluer les informations visées à l’article 29, paragraphe 2, de refuser de participer à l’essai clinique ou de s’en retirer à tout moment, est respecté par l’investigateur;
  4. aucun encouragement ni avantage financier n’est accordé au participant ou à son représentant désigné légalement hormis une compensation pour les frais et pertes de revenus directement liés à la participation à l’essai clinique;
  5. l’essai clinique est destiné à étudier des traitements pour une condition médicale qui ne touche que les mineurs ou l’essai clinique est essentiel en ce qui concerne les mineurs pour valider les données obtenues lors d’essais cliniques sur des personnes capables de donner leur consentement éclairé ou par d’autres méthodes de recherche;
  6. l’essai clinique se rapporte directement à une condition médicale touchant le mineur concerné ou est d’une nature telle qu’il ne peut être réalisé que sur des mineurs;
  7. il y a des raisons scientifiques de penser que la participation à l’essai clinique produira:
    i) un bénéfice direct pour le mineur concerné supérieur aux risques et aux contraintes en jeu; ou
    ii) certains bénéfices pour la population représentée par le mineur concerné, et un tel essai clinique comportera un risque minimal pour le mineur concerné et imposera une contrainte minimale à ce dernier par rapport au traitement standard de la condition dont il est atteint.

2. Le mineur participe à la procédure de consentement éclairé d’une façon adaptée compte tenu de son âge et de sa maturité mentale. […]

Cet essai viole donc, de façon totalement injustifiable, la réglementation sur les essais cliniques, et en particulier sur les mineurs.

Nous vous renvoyons également vers cet article très complet dénonçant ces pratiques (source) – « L’idée, ce n’est pas du tout de faire chier en coupant les cheveux en quatre, c’est contraire à l’éthique minimale de recherche ».

Il est donc pathétique de voir les tentatives de justification de l’IHU, qui présente les choses comme si on avait affaire à un virus avec une mortalité du genre d’Ébola, alors qu’ils administrent leur traitement à une population courant des risques très faibles :

Les rédacteurs ont même osé mettre ceci au début de l’article dans les 6 mots clés :

« Éthique » et « Serment d’Hippocrate » – comme s’il s’agissait d’un article de philosophie des sciences ! Hippocrate à qui est d’ailleurs attribué l’expression « primum non nocere » : « d’abord, ne pas nuire » !

Le rappel à cette notion avait d’ailleurs déjà été fait pour l’étude des 80 patients :

On voit donc des médecins dignes du Moyen-Age oser parler d’éthique, alors qu’ils administrent illégalement un traitement potentiellement dangereux à des milliers de patients en très bon état général, courant très peu de risque – et y compris des mineurs !

Décidément, Didier Raoult ose tout…

Pour accéder à la partie 4 du billet, cliquez ICI

5 réactions et commentaires

  • Sword // 06.05.2020 à 10h11

    Comme d’habitude, enquête approfondie qui corrobore en détail le travail multidisciplinaire fait par des spécialistes de tous domaines.
    Et quelle précision !
    Bravo, mais quel temps nous perdons à cause de ce Raoult !

    • dooggy // 06.05.2020 à 10h57

      On ne perd pas de temps puisque la recherche et les tests se poursuivent dans le monde entier !

  • concombremasqué // 06.05.2020 à 14h05

    Mr Berruyer vous confondez essais cliniques, qui impliquent de nouvelles molécules, et traitements déjà connus depuis des lustres, comme le Plaquenil et l’Erythromycine. Par ailleurs vous oubliez que nous sommes en situation d’urgence et que nous n’avons pas le temps d’attendre les résultats scientifiques, certes passionnants et qui donnerons sûrement des résultats, n’en doutons pas, mais ils arriveront après la bataille. C’est un peu comme si un chirurgien, en plein combat, devait attendre l’agrément d’un nouveau modèle de bistouri par l’administration pour soigner un blessé en danger de mort. Son devoir est de ne rien attendre du tout. Ajoutons que pas mal de pays appliquent ce protocole. Comment se fait il? Quant aux soit disant effets secondaires dangereux, en particulier cardiaques, c’est une plaisanterie : ils sont connus par tous les médecins depuis Nabuchodonosor. En médecine on évalue avant tout le rapport bénéfice / risque. Ce traitement est connu et peu risqué en général. Il est plus risqué pour le patient de ne pas le faire, jusqu’à preuve du contraire. Nous savons qu’il y a des morts sur les routes et pourtant nous prenons quand même notre voiture pour nous déplacer. Même raisonnement ici.

    • Armiansk // 06.05.2020 à 15h52

      Un essai clinique n’est pas un essai d’une nouvelle molécule,
      c’est l’essai d’un nouveau traitement (y compris molécule) pour une *indication thérapeutique donnée*.

      Quant à la situation d’urgence de soigner à Marseille des gens qui vont bien, quand à Mulhouse des gens meurent faute qu’on ait trouvé un traitement plus efficace… Je serais d’accord s’il s’agissait de l’autoriser en traitement compassionnel (au fait : c’est le cas).

      La «plaisanterie» des effets secondaires a déjà coûté 18 morts par arrêts cardiaques (source : pharmacovigilance ; une sous-déclaration de ÷20 est généralement admise).

  • remy // 09.05.2020 à 23h50

    « Revenons aux résultats. Il y a un autre problème : l’équipe annonce 16 morts sur 1248 patients traités [par HCQ+HZ dans AP-HM] , mais 47 morts sur 720 patients non traités à l’IHU. [traités par autres que HCQ+HZ]  »
    « Les 63 morts sont donc mis en rapport avec 1 968 cas positifs, dont 1 529 cas pour la cohorte étudiée à l’IHU.
    Problème : cela ne correspond pas aux 1 411 éligibles : »

    1529 patients ont été traités à IHU dont
    1411 définis comme éligibles [éligible signifiant traitables et pas traités…] dont 1061 traité par HCQ+HZ > 3j et 350 exclus..
    Tous les patients comptabilisés dans l’étude n’ont pas été traité que par HCQ+HZ…
    Donc rien de dérangeant dans cette partie..

    votre contre analyse semble entendable dans l’ensemble.. mais des erreurs d’analyse obscurcie par une volonté d’atteindre un objectif de décrédibilisation.. dommage.

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