Le 13 janvier de cette année, Hasibullah Ahmadi, chef du département de lutte contre les stupéfiants du ministère afghan de l’Intérieur, a affirmé que le trafic de drogue en provenance du pays avait diminué, mais a admis que ce commerce illicite se poursuivait dans certaines provinces. Ces commentaires soulèvent la question des liens des talibans avec le marché des stupéfiants et des tentatives antérieures de réduire la production de drogue.
Source : National Security Archive Blog
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Les documents déclassifiés présentés dans le billet d’aujourd’hui, tous publiés en vertu de la loi sur la liberté d’information (FOIA), sont une sélection de la nouvelle collection des Archives numériques de sécurité nationale, « Afghanistan War and the United States, 1998-2017 » [La guerre d’Afghanistan et les Etats-Unis, NdT], qui a été publiée en décembre de l’année dernière. Les trois documents examinés dans ce post détaillent les liens des talibans avec les réseaux de trafic internationaux à la fin des années 1990 et les tentatives de régulation du marché au début des années 2000 dans le but de s’attirer les faveurs de la communauté internationale. Ensemble, les documents décrivent les liens des talibans avec les réseaux de trafiquants de drogue et la manière dont l’interdiction du pavot, même lorsqu’elle était efficace, a bénéficié financièrement aux talibans et aux consortiums de trafiquants associés.
Au début de l’émergence du mouvement taliban, entre 1994 et 1996, la production de stupéfiants est montée en flèche en Afghanistan, les documents déclassifiés affirmant que le groupe s’est aligné sur les trafiquants de drogue internationaux. Des responsables américains ont indiqué que la production de stupéfiants dans le pays avait considérablement augmenté après que les talibans eurent pris le contrôle de larges pans du pays.
Dans une Estimation secrète du renseignement national (NIE) de mai 2001, aujourd’hui déclassifiée, le bureau du directeur du Renseignement national a souligné qu’en 2000, le pays fournissait environ 72 % de « l’opium illicite » mondial. Ce document fortement expurgé comprenait une carte indiquant les zones de culture du pavot à opium en Afghanistan (page 26), ainsi qu’un graphique montrant l’augmentation de la culture de l’opium entre 1991 et 2000. La NIE note que les producteurs afghans ont commencé à fournir et à produire davantage d’héroïne pendant plusieurs années avant 2001.
Cette analyse a été renforcée par un document de recherche de la CIA top secret de décembre 1998, aujourd’hui déclassifié, préparé par le Director of Central Intelligence (DCI) Crime and Intelligence Center, et récemment communiqué aux National Security Archive en vertu de la loi sur la liberté d’information (FOIA). Ce rapport ultra-secret décrit en détail l’explosion du marché des stupéfiants sous le régime taliban, en soulignant les liens du groupe avec l’Alliance Quetta, un réseau international de trafic de drogue, qui avait des liens avec Oussama ben Laden. En outre, ce rapport affirme que le rôle croissant des talibans dans le pays a fait exploser le marché des stupéfiants. Le document évalue également l’implication du groupe dans le trafic de drogues illicites, affirmant qu’il comprenait de hauts dirigeants talibans et que ce commerce s’est intensifié « au cours des dernières années », entraînant d’immenses profits pour l’organisation fondamentaliste.
Le DCI Crime and Intelligence Center indique notamment que les fournisseurs de stupéfiants afghans se sont tournés vers les marchés internationaux, au-delà de la distribution aux trafiquants de drogue en Turquie. Le document souligne que les combattants talibans ont fourni un « soutien logistique » et une « protection » au trafic de drogue et aux laboratoires du pays. Plus important encore, l’article affirme que les talibans ont tissé des liens avec l’Alliance de Quetta, un important groupe de trafiquants régionaux et le sponsor terroriste d’Oussama Ben Laden.
Cet article n’est pas le seul à décrire l’Alliance de Quetta. Un rapport d’août 1994, accessible au public, compilé par la Drug Enforcement Administration (DEA) Intelligence Division, décrit l’Alliance de Quetta comme une alliance entre trois puissants groupes de trafiquants opérant à partir de Quetta, dans la province pakistanaise du Baloutchistan. Le rapport de la DEA indique que cette alliance souple repose sur des liens familiaux et décrit l’opération comme « similaire à un grand consortium de fabrication ou de services ». Cela rejoint l’affirmation contenue dans le document susmentionné du DCI Crime and Intelligence Center, selon laquelle une fois que l’Alliance de Quetta est devenue le groupe de narcotrafiquants dominant dans le sud de l’Afghanistan, elle a fourni un soutien financier et des recrues aux talibans naissants.
Fin 1999, les talibans avaient interdit la culture du pavot. Cette interdiction a été suivie d’une interdiction de la culture et du trafic d’opium en juillet 2000, cette dernière ayant fait l’objet d’un édit du chef taliban Mullah Omar. Toutefois, ces interdictions n’ont pas entravé le trafic et la vente d’opium ou de pavot. Un document déclassifié secret de juillet 2001 de la Defense Intelligence Agency (DIA) indiquait que si l’interdiction a été principalement efficace, elle a tout de même augmenté de façon substantielle les revenus des talibans provenant du trafic de drogue.
L’interdiction faisait suite aux résolutions 1267 et 1333 du Conseil de sécurité des Nations Unies, respectivement en 1999 et 2000, qui condamnaient « l’augmentation significative de la production illicite d’opium » et exigeaient que les talibans s’efforcent « d’éliminer virtuellement la culture illicite du pavot à opium ». Plus loin, le câble de la DIA note que les talibans ont probablement mis en balance la reconnaissance de la communauté internationale et leurs propres intérêts lorsqu’ils ont envisagé de prolonger l’interdiction.
Ce câble de la DIA, aujourd’hui déclassifié, indique en outre que si l’interdiction des talibans est susceptible de réduire la production mondiale d’opium d’au moins 50 %, elle a entraîné le quadruplement du prix afghan de l’opium, de la morphine de base et de l’héroïne, qui étaient auparavant à des niveaux records. Le câble indique explicitement qu’un an après l’interdiction, les talibans bénéficiaient toujours de manière substantielle des revenus de la drogue, « […] principalement de leurs taxes sur le trafic continu de stupéfiants et des stocks de stupéfiants appartenant aux talibans, dont la valeur a considérablement augmenté ».
Le câble de la DIA note également que l’interdiction n’aurait probablement pas d’impact sur les États-Unis au cours des prochains mois, car leurs principales sources d’héroïne provenaient d’Asie du Sud-Est et d’Amérique latine. Bien que les talibans n’aient jamais eu à peser leurs intérêts dans la prolongation de l’interdiction en raison de l’invasion américaine qui a commencé en octobre 2001, le câble de la DIA note toutes les influences que les talibans auraient probablement fait peser dans le processus de prise de décision, y compris la reconnaissance potentielle de la communauté internationale, les réactions des principaux narcotrafiquants à une prolongation, la taille des stocks et l’impact sur leurs propres finances.
Pour plus de documents sur les talibans, voir les nombreux ouvrages de référence des Archives, notamment le post du 23 septembre 2021, « Newly Published Documents Cast Doubt on Claims Taliban Will Give Up al Qaeda ». [De nouveaux documents publiés jettent le doute sur les affirmations selon lesquelles les talibans renonceraient à Al-Qaïda, NdT]
Source : National Security Archive Blog – 24-01-2023
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
13 réactions et commentaires
Ouf! Cette interdiction ne perturbera pas le marché mondial, c’est rassurant…. De toute façon, le « fentanyl » met les consommateurs et patients à l’abri de tous ces aléas économiques et politiques.
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Alerterpartir des années 1980, les Contras sont soupçonnés d’être financés par la distribution de cocaïne.
Le Comité du Sénat des affaires étrangères sur les activités des Contras dans le trafic de drogue publie son rapport le 13 avril 1989. Il conclut que « des seniors politiques des États-Unis n’étaient pas opposés à l’idée que l’argent de la drogue était une solution parfaite pour les problèmes de financement des Contras »[18]. Le rapport du comité affirme que des membres du département d’État « qui ont soutenu les Contras étaient impliqués dans le trafic de drogue ; les Contras savaient qu’ils recevaient l’aide financière et matérielle de trafiquants de drogue »[19].
Le rapport poursuit : « les activités des Contras incluent des paiements aux trafiquants de drogue par le département d’État des États-Unis, autorisés par le Congrès en tant qu’aide humanitaire,
https://fr.wikipedia.org/wiki/Contras
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AlerterDans les tranchées 14-18 – la fleur à la barrique ;
C’est l’armée qui rince , le PIOU-PIOU qui trinque .
Puis jusqu’à environ 1970 le dealer du coin ç’était le bistroquier ; rouges,blancs ,
calva,rhum, anis ,etc .
En , parallèle pour les accros à l’étourdissement absolument nécessaire afin
de voiler la réalité ; avec un petit budget , les épiciers de quartiers
distributeurs de rince tonneaux aux noms sublimants : le vieux cep, la treille d’or ,
le Kiravi ,la grappe dorée , le grand J, et tant d’autres oubliés ..
Les temps changent , les dealers aussi . La misère reste la même .
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AlerterUne m…. chasse l’autre, au final il y a toujours une partie de la population qui ne supportant pas la réalité a besoin de s anesthésier ou de trouver des paradis temporaires. Tant que l’on améliorera pas la qualité de ce vécu, développera pas la capacité des gens à s’assumer et combattra pas les vrais bénéficiaires du marché des drogues.
+4
AlerterOn connait l’implication de la CIA dans le trafic des Drogues
On sait que les USA ont occupé l’Afghanistan de 2001 à 2021
On sait que la culture du pavot à augmentée durant cette période
Conclusions?
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AlerterComme @Fritz, permettez-moi de m’interroger sur ce beau principe de la « déclassification » de documents.
D’abord ne peuvent apparaître que les documents qui ont été « régulièrement » archivés.
-Il est évident qu’un grand nombre de documents sensibles ne sont pas archivés, ou, pour reprendre la formule d’une célèbre série, s’auto-détruisent après usage;
-on peut parier que ceux qui le sont, ne sont pas considérés par les « autorités » comme trop dérangeant, voire même peuvent servir à la gloire d’une administration et d’un dirigeant;
-cette « belle démocratie US » nous sert régulièrement un extraordinaire lot de désinformation, de fausses nouvelles, de mensonges, de narratives propagandistes et manipulatoires.
Alors, il est permis de se montrer circonspect sur tout ce qui émane de ce type de source. Il est tout à fait plausible d’y voir une forme sophistiquée de « comm », c’est à dire de propagande. En l’espèce ici avec le Pavot, comme ailleurs avec la coca, c’est une manière de stigmatiser là les « méchants » Talibans, ailleurs les gouvernements qui ne savent pas éradiquer ces fléaux (?).
Bref, au risque du complotisme, je m’interroge sur le sens de ces publications, et au fond même sur l’obligation de déclassifier.
Au risque de Poutinisme, j’affirme ne plus avoir confiance dans cet « empire du mensonge ».
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AlerterCe n’est rien en comparaison des plus grands trafiquants de drogue de l’histoire: Le gouvernement british!!
Deux guerres de l’opium contre l’empereur de Chine qui ayant constaté les dégats , a interdit l’opium….Du coup , les british ont envahi (Honkong et autres territoires ) afin de perpétuer leur ignoble traffic….
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