L’investisseur Roger McNamee explique pourquoi la Silicon Valley réagit différemment à la seconde élection de Trump.
Source : Amy Goodman , Democracy Now !
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Les milliardaires de la Silicon Valley et de la technologie font la queue pour soutenir la nouvelle administration Trump. L’homme le plus riche du monde, Elon Musk, est l’un des plus proches conseillers de Trump, qui a accueilli le milliardaire d’Amazon Jeff Bezos et le PDG de Meta Mark Zuckerberg pour des dîners à Mar-a-Lago. Amazon, Meta et Sam Altman d’OpenAI ont tous annoncé des dons d’un million de dollars chacun au comité d’investiture de Trump. Ce dernier a placé des cadres du secteur technologique dans toute sa nouvelle administration, notamment Ken Howery, cofondateur de PayPal, Scott Kupor et Sriram Krishnan, investisseurs en capital-risque, et David Sacks, patron du secteur technologique, que Trump a choisi comme « tsar » de la cryptographie et de l’intelligence artificielle. « L’essentiel consiste à remplacer les travailleurs par l’intelligence artificielle (AI), à remplacer la monnaie par les crypto-monnaies et à se débarrasser de toute forme d’imposition sur la richesse », explique l’auteur et ancien investisseur technologique Roger McNamee, qui encourage les gens à envisager d’utiliser moins de produits technologiques de la Silicon Valley. « Nous avons accepté toutes sortes d’atteintes à la vie privée, toutes sortes de surveillances, toutes sortes de manipulations en échange de commodités. […] Pourrions-nous accepter moins de commodités pendant un certain temps en échange de la reconquête de l’autonomie humaine ? »
TRANSCRIPTION
Il s’agit d’une transcription brute. La forme peut ne pas être dans sa forme finale
Amy Goodman : Ici Democracy Now !, democracynow.org. Je suis Amy Goodman.
Nous évoquons maintenant l’influence de la Silicon Valley et des milliardaires de la technologie dans la future administration Trump, alors que les entreprises technologiques s’alignent pour soutenir le président élu, ce qui constitue une différence majeure par rapport à son premier mandat. Le milliardaire de la technologie Elon Musk est l’un des plus proches conseillers de Trump. Au début du mois, il était présent lorsque le milliardaire d’Amazon Jeff Bezos a dîné avec Trump à Mar-a-Lago. Mark Zuckerberg, PDG de Meta, a dîné à Mar-a-Lago le mois dernier. Amazon, Meta et Sam Altman d’OpenAI ont tous annoncé des dons d’un million de dollars chacun au comité d’investiture de Trump. Ces annonces interviennent alors que Trump a choisi cette semaine Scott Kupor et Sriram Krishnan, deux cadres du secteur technologique, pour occuper des postes clés. Ils travailleront probablement en étroite collaboration avec un autre cadre du secteur technologique, David Sacks, que Trump a choisi comme tsar de la cryptographie et de l’intelligence artificielle. Comme nous l’avons indiqué précédemment, Trump a également nommé dimanche l’investisseur technologique milliardaire Ken Howery au poste d’ambassadeur des États-Unis au Danemark. Ken Howery a cofondé PayPal avec Max Levchin, Luke Nosek, Peter Thiel et Elon Musk.
Pour en savoir plus, nous sommes rejoints par Roger McNamee, capital-risqueur de longue date de la Silicon Valley, auteur de Zucked : Waking Up to the Facebook Catastrophe [Tous zuqués : en route vers la catastophe de Facebook]. Il a fait carrière pendant 34 ans dans la Silicon Valley et a été l’un des premiers investisseurs de Facebook.
Bienvenue dans l’émission Democracy Now ! Merci beaucoup de vous réveiller pour cette émission. Si vous pouvez commencer par parler de ce que vous pensez être le plus important pour les gens de comprendre à propos d’Elon Musk, que certains dénomment « le président Musk », en charge, la semaine dernière, de la crise du gouvernement, et qui a gagné des milliards depuis l’élection, alors qu’il a versé des millions ou un quart de milliard de dollars pour la victoire de Trump ?
Roger McNamee : Amy, je pense qu’il y a deux choses qui sont en tête de liste pour tous les dirigeants de la Silicon Valley en ce moment. La première, c’est qu’ils veulent tous des réductions d’impôts. Ce sont des milliardaires. Ils ne veulent pas payer d’impôts sur leur fortune. Le deuxième problème concerne leurs produits.
La technologie a subi une transformation culturelle massive. Auparavant, il s’agissait d’autonomisation. Il s’agissait autrefois de productivité. Mais au cours des 15 dernières années, l’industrie s’est montrée de plus en plus hostile à ses clients, en essayant de déployer des technologies de plus en plus autoritaires sur le marché. David Sacks a été chargé des deux technologies de pointe actuelles, à savoir les crypto-monnaies et l’intelligence artificielle. Ce qui me rend vraiment triste, moi qui ai passé les huit dernières années à mettre en garde contre la menace de la Silicon Valley, c’est que nous allons assister à une expérience massive et incontrôlée sur la population américaine. Et je n’ai absolument aucune idée de ce que cela va donner.
Amy Goodman : Il est donc clair qu’ils sont extrêmement intéressés par les réductions d’impôts et la déréglementation. Pouvez-vous nous parler de l’importance de tout cela, de ce que cela signifie pour la santé de la nation ?
Roger McNamee : Amy, je pense que le problème fondamental est que les Américains ont trop longtemps fait confiance à la Silicon Valley. Vous savez, pendant 50 ans, les produits issus de la vallée nous ont rendus plus capables. Ils nous ont rendu plus productifs. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Et nous avons maintenu cette relation de plus en plus étroite avec les produits technologiques, traitant essentiellement tout ce qui est nouveau comme s’il était automatiquement meilleur que ce qui l’a précédé. Ce n’est plus le cas depuis l’introduction de l’iPhone en 2007.
Ce que je voudrais dire à tout le monde, c’est que je pense que nous devons changer notre relation à la technologie. Vous savez, ce que vous voyez dans cet espace est exactement ce que le professeur vient de décrire à propos des affaires étrangères, c’est-à-dire qu’il y a beaucoup de distractions, beaucoup de choses qui sont lancées pour attirer votre attention. Mais l’essentiel se résume à remplacer les travailleurs par l’intelligence artificielle, à remplacer la monnaie par la crypto-monnaie et à se débarrasser de toute forme d’imposition sur la richesse qui pourrait se présenter .Voilà le programme. C’est très simple. Et le seul pouvoir que nous avons en tant que citoyens – et je pense que c’est un pouvoir énorme – est de nous asseoir là et de dire : « Vous savez quoi ? Nous n’utiliserons plus vos produits ». Et nous avons accepté toutes sortes d’atteintes à la vie privée, toutes sortes de surveillance, toutes sortes de manipulations en échange de commodités. Je pense qu’il est temps pour nous d’examiner cette relation et de nous demander : « Pourrions-nous accepter moins de commodités pendant un certain temps en échange de la reconquête de l’autonomie humaine ? » C’est un échange que j’ai fait il y a quelques années, et j’ai été encouragé par d’autres à le faire, et je pense que c’est vraiment la seule option que nous ayons pour au moins les quatre prochaines années.
Amy Goodman : Parlez-nous de la relation de ces milliardaires ou oligarques de la technologie avec les travailleurs. Les travailleurs d’Amazon sont en grève dans tout le pays. Jeff Bezos est également propriétaire du Washington Post. Bien sûr, Bezos et Patrick Soon-Shiong, propriétaire du Los Angeles Times, ont mis fin au soutien de leurs comités éditoriaux à Kamala Harris. Mais quelle est l’importance de la façon dont ils traitent les travailleurs et ce que cette administration signifiera ?
Roger McNamee : Eh bien, si vous revenez en arrière, la grande Meredith Whittaker de Signal a écrit un essai, je ne sais pas, il y a peut-être un an et demi, sur l’histoire de l’informatique et sur la façon dont, même dans les années 1850, les technologies qui ont précédé l’informatique étaient toutes liées au contrôle de la main-d’œuvre. Cela a commencé dans les plantations et par le contrôle des esclaves. L’évolution a été constante. Elle a été interrompue – temporairement, il apparait – par l’ordinateur personnel qui, en fait, a donné du pouvoir aux gens. Puis l’internet a fait la même chose.
Depuis lors, ces personnes tentent de revenir à un contrôle centralisé, et leur objectif est très, très simple. Si vous regardez l’intelligence artificielle, par exemple, la manie de l’IA a commencé – et je ne pense pas que ce soit une coïncidence – lorsque les travailleurs de la Silicon Valley ont rechigné à retourner au bureau après le Covid. Et le premier marché auquel ils ont essayé de la vendre a été Hollywood, pendant la grève des scénaristes et la grève de la Screen Actors Guild. Et je pense que c’est très simple. Il y a des publicités à San Francisco en ce moment sur le fait qu’il ne faut plus employer d’humains. Vous savez, vous pouvez employer l’IA à la place des humains. Je me pose une question très simple : à qui cela sert-il ? Vous savez, nos enfants sont incités à utiliser ChatGPT à l’école. Et en quoi cela leur profite-t-il ? Cela ne les prépare pas à un avenir où ils seront autonomes. Cela les prépare à un avenir où ils seront privés de pouvoir.
Amy Goodman : Roger McNamee, comment tout cela va-t-il être alimenté ? Microsoft veut une centrale nucléaire comme celle de Three Mile Island. Expliquez le rôle de l’énergie nucléaire, de l’IA et des crypto-monnaies.
Roger McNamee : Amy, c’est une question très importante. Vous savez, même si vous pensiez que l’intelligence artificielle est utile – et pour être clair, il n’est pas du tout évident que son utilité soit aussi précieuse que son coût, mais les hypothèses de départ sont totalement erronées. Ainsi, l’industrie commence par voler toutes les informations protégées par le droit d’auteur, ainsi que toutes les informations personnelles que nous possédons tous dans les services du cloud. Ainsi, si vous pensez aux choses que vous pourriez avoir dans Google Docs ou, vous savez, que vous pourriez avoir dans un serveur de messagerie ou dans une application qui gère vos applications de productivité, vous savez, toutes ces choses sont en train d’être absorbées. C’est donc un vol.
Mais le deuxième problème, celui qui est vraiment énorme, c’est ce que cela fait aux ressources naturelles. Si vous regardez Microsoft et Google en particulier, tous deux se sont engagés à être neutres en carbone d’ici 2030. L’année dernière, ils ont tous deux renoncé à ces engagements, parce que leur consommation d’énergie est devenue non linéaire, augmentant de 30, 40, 50 % au cours des dernières années, simplement pour alimenter l’intelligence artificielle. Il en va de même pour l’eau. Un grand nombre de ces usines de traitement, tant pour les données que pour les semi-conducteurs, sont situées dans des déserts et consomment donc des quantités massives d’eau.
Et le public n’a pas eu voix au chapitre. Les entreprises ont agi unilatéralement. Et elles en sont au point où elles parlent littéralement de redémarrer Three Mile Island, dans le cas de Microsoft, ou de construire des centrales nucléaires flottantes dans le Nord-Ouest, dans le cas d’Amazon. Je voudrais simplement faire remarquer que le public devrait vraiment avoir son mot à dire dans ce domaine. Et ce que nous avons décidé lors des dernières élections, c’est de renoncer à ce vote et de laisser l’industrie en prendre le contrôle. Et, vous savez, je n’ai vraiment aucune idée de la façon dont cela va se passer, et je pense que le seul pouvoir que nous ayons est de dire Non.
Amy Goodman : Nous n’avons plus que 30 secondes, Roger, mais selon l’indice Bloomberg des milliardaires, la valeur d’Elon Musk a grimpé de plus de 70 % pour atteindre 450 milliards de dollars après les élections présidentielles.Qu’est-ce que cela signifie ?
Roger McNamee : Eh bien, tout ce qui concerne Trump semble être un retour sur investissement, n’est-ce pas ? Tous ces cadres donnent un million de dollars chacun. Ce sont des écarts d’arrondi. C’est de l’argent qu’ils trouvent entre les coussins du canapé de leur salon. Mais, vous savez, il s’agit essentiellement d’un paiement de précaution. Et dans le cas de Musk, l’investissement qu’il a fait dans Trump, qui était d’un quart de milliard de dollars, ou l’investissement qu’il a fait dans Twitter, qui était d’environ 44 milliards de dollars, ont été rentabilisés, évidemment, de très, très nombreuses fois.
Je pense que Trump et Musk finiront par se séparer. Je ne connais pas du tout Trump, mais il n’a pas l’air d’être le genre d’homme à supporter quelqu’un qui fait de la compétition au même niveau que Musk. Mais nous verrons bien ce qu’il en est. Ce que je veux dire, c’est que…
Amy Goodman : Nous aurons une autre conversation avec Roger McNamee, investisseur de longue date dans la Silicon Valley, auteur de Zucked : Waking Up to the Facebook Catastrophe. C’est tout pour cette émission. Je suis Amy Goodman. Merci beaucoup de nous avoir rejoints.
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Amy Goodman est l’animatrice et la productrice exécutive de Democracy Now!, un programme d’information national, quotidien, indépendant et primé, diffusé sur plus de 1 100 chaînes de télévision et stations de radio publiques dans le monde entier. Le Time Magazine a nommé Democracy Now! son « Pick of the Podcasts », au même titre que « Meet the Press » de NBC.
Source : Amy Goodman , Democracy Now !, 27-12-2024
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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