Hôpital de Maarat Al-Numan, Syrie. Avant-après.
« Le bombardement d’un hôpital est un « accident » trop fréquent.
C’est également un crime de guerre. » – Bernard Kouchner sur Kunduz, The Guardian, octobre 2015.
Dans une réaction officielle au bombardement délibéré de l’hôpital de MSF de Ma’arrat al-Numan, le 15 février dernier en Syrie, le nouveau ministre des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault condamnait « avec la plus grande fermeté » les attaques « délibérées » contre les structures de santé de Syrie « par le régime ou ses soutiens » et les qualifiait de « constitutives de crimes de guerre ».
Même si le pays d’origine du bombardier responsable de l’attaque reste encore à établir, au regard des Conventions de Genève, la déclaration d’Ayrault est parfaitement factuelle : les bombardements intentionnels d’hôpitaux sont en effet interdits par les lois humanitaires internationales et ce, quelle que soit l’identité des belligérants. Il n’y a pas d’exceptions – du moins en théorie. En pratique, tout dépend.
Au Yémen, l’hôpital de MSF Shiara attaqué
Le 10 janvier 2016, une structure de soins soutenue par MSF à Razeh, l’hôpital Shiara, était frappée par un projectile, avec un bilan de cinq morts et dix blessés. Selon MSF, qui a déclaré ignorer l’origine de l’attaque – une de plus dans une série de structures de santé de MSF prises pour cibles au Yémen – les coordonnées GPS de l’hôpital avaient pourtant été transmises à toutes les forces en présence. De plus, l’ONG maintenait un dialogue constant avec les belligérants pour s’assurer de leur compréhension de la sévérité de la situation humanitaire sur le terrain et de l’obligation légale de respect des lieux de soins. Selon les propos de la directrice d’opérations Raquel Ayora rapportés par CNN, « Il est impossible que ceux qui ont la capacité de mener des frappes aériennes ou de lancer des missiles n’aient pas su que l’hôpital Shiara était un structure de santé fonctionnelle, soutenue par MSF et qui fournissait des services critiques ».
Hôpital Shiara, Yémen.
En réaction à l’attaque, la diplomatie française a publié un communiqué prudent :
« La France condamne l’attaque du 10 janvier 2015 qui a touché le centre médical géré par l’ONG Médecins sans Frontières à Razeh et fait quatre morts et dix blessés. Nous rappelons l’obligation pour toutes les parties de respecter le droit international humanitaire, conformément aux conventions de Genève et ainsi que l’a réaffirmé le conseil de sécurité des Nations unies dans sa résolution 2216. La France appelle au rétablissement du cessez-le-feu et invite toutes les parties à la reprise du dialogue interyéménite. » (Diplomatie Française)
Pour mémoire, reprenons les termes exacts du communiqué de Jean-Marc Ayrault sur l’attaque de Ma’arrat al-Numan en Syrie :
« Je condamne avec la plus grande fermeté le nouveau bombardement délibéré visant un hôpital soutenu par Médecins Sans Frontières dans le nord de la Syrie. Six patients et un employé de l’hôpital ont trouvé la mort au cours de deux attaques distinctes sur la même cible. Huit membres du personnel sont toujours portés disparus et l’organisation fait état de dizaines de blessés. Les attaques contre les structures de santé en Syrie par le régime ou ses soutiens sont inacceptables et doivent cesser immédiatement. Elles sont constitutives de crimes de guerre. Il est indispensable que toutes les parties s’attèlent à la mise en œuvre sans délai des dispositions de la résolution 2254 du conseil de sécurité des Nations unies et, en particulier, garantissent la livraison de l’assistance humanitaire à toutes les zones assiégées ou difficiles d’accès. Il est plus qu’urgent de mettre en œuvre les engagements de cessation des hostilités pris à Munich par le groupe international de soutien pour la Syrie. »
(Diplomatie Française)
Pour revenir à l’attaque du 10 janvier contre l’hôpital yéménite Shiara, la réponse officielle américaine à cette énième agression illégale de structures hospitalières vitales a été encore plus réservée que celle de la France. Enfouies à la page 2 d’un rapport de sept pages d’USAID posté sur le site du Département d’État, sept lignes expédient, dans les termes les plus neutres, quatre attaques contre des dispensaires de MSF au Yémen, dont celle de l’hôpital Shiara, et la saisie probable par l’ONG de la Commission internationale humanitaire d’établissement des faits, un organisme d’enquête indépendant instauré dans le cadre des Conventions de Genève et soutenu par l’ONU.
Yémen toujours, l’hôpital Haydan de MSF bombardé par la coalition saoudienne
Le bombardement de l’hôpital Haydan de MSF par la coalition saoudienne (Arabie Saoudite, EAU, Bahreïn, Koweït, Jordanie, Soudan et Égypte, avec le soutien de la logistique et des renseignements militaires américains), le 26 octobre 2015, n’a pas rencontré beaucoup plus d’écho. Au cours des briefings officiels de presse des jours suivants l’attaque, le Département d’État s’est cantonné à un silence prudent, alors que l’Arabie Saoudite niait toute implication et que MSF l’accusait de mensonge. Le porte-parole du Département de la Défense américain, Edgar Vasquez, a néanmoins confié à Salon.com.
« Nous nous inquiétons beaucoup des rapports selon lesquels des frappes de la coalition ont touché une structure médicale de MSF. Nous appelons tous les membres de la coalition à mener une enquête sur cet incident et, s’il est confirmé, de remédier aux facteurs qui y ont mené, et même si nécessaire de mettre les responsables face à leur imputabilité. »
Depuis, en contradiction avec ses dénégations précédentes , l’Arabie saoudite a admis sa responsabilité dans le bombardement mais en a rejeté la faute sur MSF, qui n’aurait « pas fourni les bonnes coordonnées GPS ». Selon l’ONG française, l’hôpital était la seule structure à même de sauver des vies de la région. Il a été détruit à 99%.
En France, il n’y a eu aucune réaction du ministère des Affaires étrangères au bombardement de l’hôpital Haydan.
Kunduz et la question de CNN : Le bombardement d’un hôpital afghan par les USA constitue-t-il un crime de guerre ?
Pour MSF, c’est indubitablement d’une présomption de crime de guerre qu’il s’agit dans l’affaire du bombardement de l’hôpital de Kunduz par les USA. Dans un communiqué du 6 octobre 2015, Joanne Liu, présidente internationale de l’ONG, écrivait
« Cette attaque ne peut pas être balayée d’un revers de la main comme une simple erreur ou une conséquence inévitable de la guerre. Les déclarations du gouvernement afghan ont affirmé que les forces talibanes utilisaient l’hôpital pour faire feu sur les forces de la Coalition. Ces déclarations impliquent que les forces afghanes et américaines qui coopéraient ont décidé de raser un hôpital complètement fonctionnel, ce qui constitue l’aveu d’un crime de guerre » avant d’ajouter « Seule une enquête indépendante et transparente sur ce crime permettra de garantir dans le futur la protection des structures de santé et le respect de leur neutralité en zones de guerre. »
Le jour même de l’attaque, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme Zeid Ra’ad Al Hussein réclamait également une enquête « rapide, indépendante, complète et transparente » sur cet événement qu’il dénonçait comme « absolument tragique, inexcusable, et possiblement même criminel ».
Bien qu’encadrés par les guillemets d’usage dans les cas où la malveillance n’est pas prouvée, les mots « crime de guerre » brandis par MSF et les médias français, les exigences d’explications de l’ONG, la déclaration de Zeid Ra’ad Al Hussein et une demande d’enquête du ministère français des Affaires étrangères ont suscité des réactions américaines pour le moins fluctuantes : en l’espace de quatre jours, quatre versions différentes se sont succédées. Samedi, l’armée américaine disait ne pas être sûre d’avoir frappé l’hôpital, mais expliquait que des forces américaines s’étaient retrouvées sous le feu des Talibans. Dimanche, c’était une ligne de front du voisinage qui était visée et non l’hôpital, frappé par erreur. Lundi, les Afghans avaient requis des frappes américaines de soutien et mardi, c’étaient bien les Américains qui avait demandé les frappes sur requête afghane. Dans une cinquième version émise le jour de l’attaque, Sediq Sediqi, porte-parole du ministère de l’Intérieur afghan, expliquait aux caméras de presse
« Quinze terroristes se cachaient dans l’hôpital et ont tous été tués, mais nous avons aussi perdu des médecins ».
MSF a nié toute présence de terroristes dans l’hôpital et qualifié les propos de Sediqi « d’aveu de crime de guerre« . Pour Christopher Stokes, directeur général de l’ONG,
Ces mots contredisent formellement les tentatives initiales du gouvernement américain de minimiser l’attaque comme « dommage collatéral ».
En conclusion, le général John Campbell, commandant de la mission américaine en Afghanistan, a présenté ses plus sincères condoléances sans toutefois s’excuser, le président Obama a appelé la direction de MSF pour présenter des excuses au nom des USA, le Pentagone a proposé une compensation financière aux familles des victimes, le Département d’État a écarté les demandes répétées d’une enquête indépendante de MSF et le Pentagone a promis une enquête interne.
Hôpital de Kunduz, Afghanistan
Espérons que le bombardement de l’hôpital syrien de MSF de Ma’arrat al-Numan, perpétré « probablement par les Russes » selon la quasi-unanimité des médias français, verra aboutir la demande publique d’enquêtes indépendantes de la présidente internationale de MSF, Joanne Liu. La Commission internationale humanitaire d’établissement des faits, qui n’a pas encore été saisie à ce stade, se déclare prête à fournir ses services en lien avec cette triste affaire.
Corinne Roussel pour www.les-crises.fr
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Commentaire recommandé
Petite parodie du communiqué de Jean-Marc Ayrault :
(Syrie) « Les attaques contre les structures de santé en Syrie par les rebelles modérés sont acceptables et doivent continuer. Elles sont constitutives de la lutte du peuple syrien pour la démocratie. »
(Kunduz, 2015) « Les attaques contre les structures de santé en Afghanistan par nos amis américains sont acceptables et doivent continuer. Elles sont constitutives de la lutte des démocraties contre le terrorisme. »
(Serbie, 1999) « Les attaques contre l’hôpital de Niš et le sanatorium de Surdulica par les forces de l’OTAN sont acceptables et doivent s’intensifier. Elles sont constitutives de la lutte des démocraties contre la purification ethnique. »
10 réactions et commentaires
Petite parodie du communiqué de Jean-Marc Ayrault :
(Syrie) « Les attaques contre les structures de santé en Syrie par les rebelles modérés sont acceptables et doivent continuer. Elles sont constitutives de la lutte du peuple syrien pour la démocratie. »
(Kunduz, 2015) « Les attaques contre les structures de santé en Afghanistan par nos amis américains sont acceptables et doivent continuer. Elles sont constitutives de la lutte des démocraties contre le terrorisme. »
(Serbie, 1999) « Les attaques contre l’hôpital de Niš et le sanatorium de Surdulica par les forces de l’OTAN sont acceptables et doivent s’intensifier. Elles sont constitutives de la lutte des démocraties contre la purification ethnique. »
+32
AlerterToute forme d’agression et de guerres représentent un crime contre l’humanité.
Simplement les occidentaux maitre de la force nucléaire , du droit international , du fonctionnement bancaire , de la fourniture d’armes , de la technologie spatiale n’ont que faire du droit.
Pour éviter toutes formes d’accusations , il est plus simple et plus subtile d’armer des factions à s’entretuer pour ensuite venir terminer le travail en tuant les « méchants » afin de s’accaparer des ressources et des contrats de reconstruction financé par le FMI.
Pour faire simple on vend des armes souvent contre du pétrole aux deux factions ennemis ensuite on signe des contrats de reconstruction , des droits sur les ressources et matières premières.
Destruction , reconstruction ,endettement , captation des ressources , les occidentaux pratiquent ce système depuis des siècles.
Voila pourquoi toutes ces guerres et agressions sont des crimes contre l’humanité dont les dirigeants occidentaux devraient répondre plutôt que de chercher à masquer ces agressions par du droit international.
+27
AlerterJe suis surpris que l’on se pose encore des questions sur les bombardements d’hôpitaux. Il est en effet reconnu de manière officielle par l’armée française que l’armée américaine bombarde volontairement des hôpitaux (oui, VOLONTAIREMENT).
On peut lire par exemple dans le Retex de l’armée française sur la seconde bataille de Falloujah:
« les fantômes furieux de falloujah » (2006)
http://www.cdef.terre.defense.gouv.fr/publications/anciennes-publications/cahier-du-retex/les-fantomes-furieux-de-falloujah
On peut y lire page 58 du pdf:
« La prise de l’hôpital général, jointe à la destruction par un raid aérien du deuxième hôpital dans le centre (avant son inauguration), permet d’abord de priver la rébellion des lieux de propagande dont elle… »
Conclusion des militaires français:
« Les hôpitaux sont des points-clés médiatiques du champ de bataille urbain. Il peut donc être utile
de s’en emparer ou de les neutraliser sans dommages collatéraux (avec des armes à létalité réduite par exemple) en préalable de l’attaque principale. »
+24
AlerterEffrayante, cette manie des militaires français de s’identifier aux militaires américains, sachant que le cas étudié concerne la guerre d’Irak, le type même de la guerre d’agression…
« La rébellion » ? Non Messieurs ! Car on se rebelle contre une autorité légale, pas contre une armée d’occupation. Ces combattants de Falloujah avaient pris les armes contre les agresseurs et les occupants de leur pays, l’Irak, c’étaient donc des résistants.
+2
Alerterle travail de formation des opinions continue
Ce matin sur France Inter l’état islamique recule grâce aux bombardement de « la coalition »
Tandis que des enfants meurent sous les bombardements russes.
+16
AlerterLe paradoxe, c’est que les crimes de guerre se font pour gagner la guerre, sachant que si c’est le cas: On ne sera pas jugé comme tel !!
En gros, les crimes de guerre n’existent que pour ceux qui ont perdu.
Donc, la guerre sera toujours sale mais avec « dommages collatéraux » pour ceux qui gagnent.
Et si l’on veut être cynique: c’est normal, il faut bien vivre la conscience tranquille.
A vos marques… prêts?… entreguerroyez!
+11
AlerterDites-moi qu’elle guerre n’a pas été émaillée de crimes de guerre ?!!…
Contre les crimes de guerre, il faut éviter la guerre. Pour cela, et pour ce qui concerne la France et les Francais, il est d’abord et avant tout nécessaire de retrouver une diplomatie efficace.
L’article 42 du TUE (Lisbonne), ainsi que notre réintégration dans l’OTAN mettent au chômage forcé notre diplomatie et privent le monde de cette voix indépendante qui nous avait valu le fameux discours de de Villepin à l’ONU. C’est ainsi que la France serait à nouveau respectée dans le monde et à commencer, par les Français eux-mêmes.
Déplorer les crimes de guerres pendant les guerres est le reflet de notre incapacité à agir pour les éviter et même, pour ne pas y participer…
+10
AlerterLa guerre et l’histoire sont écrites par les « vainqueurs ».
Durant la libération en 44, une grande partie des destructions et morts faites en Normandie ont été le fait des USA et des canadiens par leur bombardements depuis 10.000 pieds de haut. (Coutances rasée de la carte par exemple, bah oui mais c’était un nœud ferroviaire ma petite dame faillait raser les deux cotés aussi…)
En comparaison, mon grand-père, (gaulliste à 100% je précise pas ss) m’a dit que l’occupation allemande a été mieux vus par les simples gens car leur présence n’a jamais engendrée autant de pertes pour la population qu’avec les libérateurs. Une fois que la guerre été finie la comparaison été possible, ensuite la propagande a tout arrasé.
« Ils nous ont libérés, mais beaucoup trop sont morts et encore beaucoup trop d’autres violées pour cela, le prix à payer a été très lourd pour les populations… et eux, ils tiraient d’abord et posaient des questions en suite: vous êtes pas allemands? »
PS: Un hôpital peut servir au rdc à sauver les gens et sur les toits à abriter des tireurs. Un américain voit ce qu’il veut voir. Pas tout ce qu’il faut voir.
+7
AlerterL’homme de cro-magnon (homo sapiens pour les snobs) dans toute sa splendeur hypocrite…il est interdit de bombarder un hôpital…mais bombarder une ville avec femmes enfants en bonne santé si… etc… on peut !!! c’est vrai que si l’hôpital a été détruit avant, les blessés des villes n’auront nulle part ou aller…et les cimetières « »les lois humanitaires internationales » »permettent qu’ils soient bombardés? Car si on ne sait plus ou mettre les morts ou va le monde ?
+2
Alerter« il est interdit de bombarder un hôpital…mais bombarder une ville avec femmes enfants en bonne santé si… etc… on peut !!! »
Euh… non. Les Conventions de Genève interdisent également toute atteinte volontaire à des civils.
https://www.icrc.org/dih.nsf/48f761e1a61e194b4125673c0045870f/e8acc1a1e2a34f5fc1256414005deecc
+3
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