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15.avril.202315.4.2023 // Les Crises

Effondrement de la Silicon Valley Bank : depuis 2008, c’est business as usual

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L’effondrement spectaculaire de la Silicon Valley Bank est dû à la corruption, à l’imprudence financière et à de mauvaises décisions. Son renflouement, qui fait écho à celui des riches en 2008, soulève la question suivante : combien de temps encore les Américains vont-ils supporter la corruption, l’imprudence financière et les mauvaises décisions ? Combien de temps encore les Américains vont-ils supporter cela ?

Source : Jacobin Mag, Branko Marcetic
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Les autorités de régulation américaines ont fermé la Silicon Valley Bank à la suite de son effondrement soudain. (Tayfun Coskun / Anadolu Agency via Getty Images)

De temps à autre, un événement incarne parfaitement tout ce qui ne va pas de nos jours. L’effondrement de la Silicon Valley Bank (SVB) est l’un de ces événements, point culminant de nombreuses années d’imprudence financière, de prétention entrepreneuriale et de décisions politiques corrompues.

Seizième banque américaine en termes d’actifs jusqu’à il y a quelques jours, l’implosion de la SVB est la deuxième pire faillite bancaire de l’histoire des États-Unis et la pire depuis que les dominos de la crise financière mondiale ont commencé à tomber en 2008. Fondée en 1983, la banque était l’institution financière de référence pour la pléthore de start-ups de la Silicon Valley qui se sont répandues comme une épidémie à l’ère de l’argent bon marché, ce qui a été l’une des causes de sa chute.

Lorsque le temps était au beau fixe pour le capital-risque, il l’était aussi pour SVB, qui servait près de la moitié des entreprises américaines financées par le capital-risque. Les temps ont été particulièrement favorables au cours de la dernière décennie, alors que la Réserve fédérale entamait une ère de taux d’intérêt très bas après la grande récession. L’élite politique et économique avait à l’esprit une croissance atone et un taux de chômage élevé ; des taux d’intérêt bas, pensait-on, signifieraient un coût d’emprunt plus faible, ce qui entraînerait une augmentation des investissements et la création d’emplois.

Les choses se sont gâtées à la suite de la pandémie de coronavirus, lorsque l’inflation a pris le pas sur le chômage en tant que préoccupation politique et économique du moment. La Réserve fédérale a commencé à relever rapidement les taux d’intérêt, de 450 points de base au cours de l’année écoulée. Cette fois, l’idée était qu’en limitant les investissements et en augmentant les dépenses des entreprises et des citoyens ordinaires, la Fed mettrait un frein à la croissance des salaires et aux dépenses de consommation et freinerait l’inflation (même si le président de la Fed, Jerome Powell, a admis que cette stratégie n’affecterait pas les prix des denrées alimentaires et des carburants, deux des domaines dans lesquels les Américains moyens ressentent le plus les effets de l’inflation).

Cela a également eu pour effet secondaire de fermer le robinet du flux incessant de capital-risque qui maintenait les start-ups, même celles qui perdaient de l’argent, hors de l’eau, ce qui a contribué à déclencher un ralentissement majeur dans le secteur technologique, entre autres choses. La période de vaches maigres qu’a connue le secteur s’est répercutée sur la SVB, qui s’est soudain trouvée confrontée à une effondrement de ses déposants financés par le capital-risque.

Mais la conséquence la plus périlleuse des hausses de taux de la Fed pour la SVB était le fait qu’elle avait investi massivement dans des obligations d’État – dont les prix ont tendance à baisser lorsque les taux d’intérêt augmentent et vice versa – en partie parce qu’elle n’avait pas grand-chose d’autre à faire de l’argent que ses clients déposaient chez elle. Selon Adam Tooze, SVB subissait une perte d’au moins 1 milliard de dollars pour chaque hausse de 25 points de base des taux d’intérêt de la Fed, alors qu’elle n’investissait pas du tout dans des couvertures de taux d’intérêt, ce qui la rendait particulièrement exposée à la stratégie de lutte contre l’inflation de Powell.

Ce qui a finalement condamné la SVB, c’est que les pertes qui en ont résulté ont provoqué une panique parmi les déposants. C’est en grande partie grâce à la Founders Fund, la société de capital-risque du milliardaire d’extrême droite Peter Thiel, qui après avoir découvert que ses investisseurs avaient du mal à transférer de l’argent sur ses comptes SVB, leur a ordonné de les envoyer dans d’autres banques et avait retiré toutes ses liquidités lorsque la banque a commencé à vaciller à la fin de la semaine dernière. À peu près au même moment, une lettre d’information populaire dans le monde du capital-risque mettait en garde contre les problèmes financiers de la SVB, tandis qu’un déposant décrivait la peur qui régnait dans un groupe de discussion composé de plus de 200 cadres du secteur technologique, qui se sont rapidement empressés de retirer leur argent. Un tel comportement a conduit à une ruée classique sur les banques, où toutes les personnes ayant des fonds dans la banque se précipitent pour retirer leur argent en même temps, ce qui la fait s’effondrer.

Tout cela a été rendu possible par la combinaison habituelle du pouvoir des entreprises et de la corruption à Washington. C’est Donald Trump et le Congrès des Républicains qui ont annulé en 2018 la loi de réforme financière Dodd-Frank qui, à la demande personnelle du président de la SVB trois ans plus tôt, a ouvert la porte à ce type d’effondrement, en exemptant les banques de la taille de la SVB des mandats de liquidité et des tests de résistance plus fréquents des régulateurs. La SVB ne s’est pas contentée de demander gentiment : la banque a également dépensé plus d’un demi-million de dollars en lobbying au cours de ces trois années, employant comme lobbyistes d’anciens collaborateurs du chef de la majorité de la Chambre des représentants de l’époque (et aujourd’hui président de la Chambre), Kevin McCarthy, qui a soutenu avec enthousiasme le retour en arrière.

Bien entendu, les Républicains ne sont pas les seuls à blâmer. Dix-sept démocrates ont soutenu la législation, et le représentant Barney Frank – le « Frank » de Dodd-Frank, [Le « Dodd-Frank Act » est une loi-cadre américaine votée en 2010 sous Barack Obama, à la suite de la crise bancaire et financière mondiale de 2007-2008. Elle vise à protéger les consommateurs et aussi améliorer la gouvernance des entreprises, NdT] a joué un rôle essentiel dans l’élimination des critiques progressistes à l’encontre du projet de loi, en insistant sur le fait qu’il ne rendrait pas plus probable une future crise financière, et dont les conseils ont été cités par les démocrates accaparés par Wall Street au Sénat et ailleurs, alors qu’ils se préparaient à vider de leur substance les réglementations financières obtenues de haute lutte.

Pire que la façon dont les conseils de Frank ont vieilli, c’est le fait qu’à l’époque, il siégeait au conseil d’administration de la Signature Bank. Cette institution n’a pas seulement bénéficié de l’appui de Frank pour affaiblir sa propre réalisation législative, mais elle vient d’être fermée par les régulateurs après être devenue la troisième plus grande faillite bancaire de l’histoire des États-Unis en raison de son propre effondrement, afin d’éviter une contagion plus large du système financier ; ce qui, selon Frank, ne devait pas se produire.

Pendant ce temps, les surhommes individualistes de la Silicon Valley et de Wall Street se sont transformés du jour au lendemain en pupilles de l’État, exigeant que le gouvernement vienne à la rescousse des riches investisseurs qui risquent de perdre. (Le gouvernement fédéral n’assure les dépôts que jusqu’à 250 000 dollars, ce qui signifie que plus de 85 % des dépôts de la SVB n’étaient pas assurés). Larry Summers, qui vient de s’insurger contre la « générosité déraisonnable des prêts étudiants, » nous dit maintenant : « Ce n’est pas le moment de faire des conférences sur l’aléa moral, de donner des leçons ou de s’alarmer des conséquences politiques des sauvetages, car il a exigé que tous les dépôts non assurés soient entièrement garantis d’ici lundi matin. »

Sans surprise, Summers et ses semblables l’ont emporté. Bien qu’ils se soient engagés à ne pas renflouer SVB et Signature, le Trésor, la Fed et la Federal Deposit Insurance Corporation ont invoqué une « exception pour risque systémique » pour annoncer que tous les déposants, même ceux qui dépassent le seuil de 250 000 dollars, « auront accès à la totalité de leur argent » à partir d’aujourd’hui, et qu’ils lanceraient un programme de prêts d’urgence pour les banques afin de s’en assurer.

Certains font ici une distinction avec les fameux et détestés plans de sauvetage de 2008, car cette fois-ci, les banques ne sont pas sauvées et les contribuables ne paient pas la note (les fonds utilisés pour couvrir les déposants sont constitués de frais prélevés sur les banques). Mais en fin de compte, le gouvernement intervient pour s’assurer que les riches investisseurs et dirigeants ne perdent pas un centime dans cette débâcle, alors qu’ils savaient pertinemment que leurs dépôts n’étaient pas assurés. Même le Wall Street Journal parle d’un « sauvetage de facto. »

Il y a l’injustice évidente, influencée par la richesse, inhérente à tout cela. Une fois de plus, les gros bonnets sont rapidement arrosés d’une pluie d’argent lorsqu’ils sont en difficulté après avoir manqué à leur devoir de diligence. Pendant ce temps, on fait la leçon aux travailleurs sur la responsabilité personnelle et on les oblige à trimer pour se libérer d’une dette écrasante, pour obtenir des protections économiques de base au milieu d’une catastrophe économique et pour recevoir des chèques de relance ponctuels qui couvrent à peine un mois de loyer dans de nombreuses villes.

On peut également se demander quel type d’irresponsabilité cela encouragera à l’avenir. Après tout, les investisseurs viennent de constater (une fois de plus) que le gouvernement fédéral interviendra les sauver même si leurs dépôts ne sont pas assurés – quelle que soit l’irresponsabilité de l’institution financière dans laquelle ils plaçaient leur argent, tant qu’il y a un soupçon d’instabilité financière potentielle plus importante au coin de la rue. La SVB n’est qu’une des nombreuses entités susceptibles de sombrer dans l’instabilité lorsque la banque centrale poursuivra un plan qui, selon les experts, déclenchera une récession, comme l’a déjà montré l’effondrement des crypto-monnaies.

Derrière tout cela, il y a une question : combien de temps encore les gens vont-ils tolérer un tel système ? Un système dans lequel d’énormes quantités de richesses sont détournées à des fins improductives au milieu de crises historiques mondiales, puis gaspillées dans une imprudence spéculative qui a failli faire s’écrouler toute la structure, seulement pour que ceux qui ont l’argent soient exflitrés vers la sécurité tandis que tous les autres restent condamnés à l’austérité. Les premiers renflouements bancaires ont déclenché une cascade de colère populaire qui a irrévocablement façonné le paysage politique du XXIe siècle, depuis Occupy Wall Street et les campagnes de Bernie Sanders jusqu’au mouvement Tea Party et à la présidence Trump. De quoi aurons-nous l’air si elles continuent à se produire ?

Contributeur

Branko Marcetic est un des rédacteurs de Jacobin, il est aussi l’auteur de Yesterday’s Man : The Case Against Joe Biden (L’homme du passé, le dossier contre Joe Biden, NdT). Il vit à Chicago, dans l’Illinois.

Source : Jacobin Mag, Branko Marcetic, 13-03-2023

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Lt Briggs // 15.04.2023 à 09h18

« les surhommes individualistes de la Silicon Valley et de Wall Street se sont transformés du jour au lendemain en pupilles de l’État, exigeant que le gouvernement vienne à la rescousse des riches investisseurs »

C’est tristement drôle, si l’on peut dire. Accepter l’existence de banques systémiques auxquelles il faut tout céder sous peine de chaos généralisé, c’est accepter que le canon d’une arme à feu soit pointé sur soi en permanence.

Un article d’Olivier sur la faillite de la SVB a très bien résumé les choses : https://elucid.media/economie/silicon-valley-bank-credit-suisse-etc-tout-le-systeme-bancaire-est-instable/

6 réactions et commentaires

  • Lt Briggs // 15.04.2023 à 09h18

    « les surhommes individualistes de la Silicon Valley et de Wall Street se sont transformés du jour au lendemain en pupilles de l’État, exigeant que le gouvernement vienne à la rescousse des riches investisseurs »

    C’est tristement drôle, si l’on peut dire. Accepter l’existence de banques systémiques auxquelles il faut tout céder sous peine de chaos généralisé, c’est accepter que le canon d’une arme à feu soit pointé sur soi en permanence.

    Un article d’Olivier sur la faillite de la SVB a très bien résumé les choses : https://elucid.media/economie/silicon-valley-bank-credit-suisse-etc-tout-le-systeme-bancaire-est-instable/

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  • derisiontotale // 15.04.2023 à 14h23

    La SVB n’est pas une banque systémique parce qu’il s’agit d’une banque avant tout régionale.

    Sa faillite est le résultat de l’acquisition comme contre-valeurs de bons du trésor américain pour garantir ses dépots ceci AVANT la montée des taux de la FED ce qui en rendait la revente sans perte pratiquement impossible.

    Les dépots jusqu’a 200.000 $ us pour des particuliers sont sous la garantie de la FED et il n’y aura aucune perte.

    Les nombreuses entreprises de la Silicon Valley (dans tous les domaines) en sont pour leur rhume avec des pertes de trésorerie parfois considérables de plus de 90 millions de $ us et ceci ne sera jamais acquittée par la FED…

    On a vu la semaine dernière la Suisse boire le bouillon avec la déroute de Crédit Suisse une institution vieille de plus de 160 années forcée d’être râchetée par UBS avec la garantie de l’état suisse et la encore la montée des taux d’intérêts de la FED est responsable de la dérive.

    C’est la filiale américaine du Crédit Suisse qui est responsable de la déroute.

    Il y a eu plus de 9000 banques de toute taille qui ont fait faillite aux USA et pas seulement récemment.

    On peut rappeler le Crédit Lyonnais en France et la position des banques françaises comme la vénérable BNP (le groupe en France le plus engagé sur les produits dérivés) pourraient aussi être une lecon d’humilité.

      +2

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  • La Mola // 15.04.2023 à 21h46

    Si li cons valley, qui serait chef d’escadrille ^^
    trêve de plaisanterie, car ça commence à bien faire de tous ces « experts privés » irresponsables, et gavés de fonds publics dès qu’ils s’enrhument… toujours aux dépends des plus fragiles !

    « Plus compétents » que des organismes publics d’encadrement*, vraiment ?
    * lesquels ne laissent pas leur part au chat pour jouer de l’accordéon, d’ailleurs !

    on vit une époque formidable !

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  • Paul ITHIQUE // 16.04.2023 à 08h36

    Quel est l’avenir du dollar USA et de la dollarisation du marché mondial avec le nouvel accord sous l’égide de la Chine, regroupant de nombreux pays ( y compris l’Arabie Saoudite ?), et représentant potentiellement près de 60% des échanges mondiaux, pour sortir progressivement de cette dollarisation ?

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  • Paul ITHIQUE // 16.04.2023 à 09h08

    Pouvons-nous appeler tous ces donneurs de leçons aux régimes politiques neoliberaux au pouvoir dans de nombreux pays, représentés par ces qqs milliardaires ou oliargues ou les qqs très gros gestionnaires de fonds financiers internationaux privés – comme Black Rock et son système d’algorithmes ALADDIN, …ou Bernard ARNAULT-, que des IVROGNES unidimensionnels de la finance internationale privée. Tous, ces prétendus compétents, n’excellent avec qqs complices ou cabinets de conseils privés, qu’à détourner massivement les richesses communes dans le but de priver les Etats démocratiques de moyens pour lutter efficacement contre les multiples injustices et destructions dont ILS sont les principaux responsables !!!.
    Est ce vrai que pour invisibiliser TOUS ces monstrueux méfaits, ils ont organisé avec l’accord de qqs responsables politiques, le rachat ou la privatisation de nombreux médias, transformant de nombreux journalistes en chiens de garde ou en personnes à gages ?
    Comment, enfin, se fait il qu’après chaque nouvelle crise, toutes SYSTÈMIQUES depuis 2008, ces qqs ivrognes unidimensionnels en sortent à terme encore plus RICHES ? …. et les dettes publiques et même privées plus aggravées Inévitablement rendant difficiles les luttes contre les changements climatiques, les transitions énergétiques décarbonées, les multiples injustices sociales et culturelles en cours !

      +3

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  • Patrick // 18.04.2023 à 09h48

    « d’énormes quantités de richesses sont détournées  »
    Ce ne sont pas des richesses , c’est juste du pognon imprimé à tour de bras , et c’est bien le problème , la FED a laché la bride et imprimé des quantités énormes d’argent qui ne correspondent pas à de la création de richesse. Et la seule façon, provisoire, de s’en sortir est de toujours imprimer plus d’argent .
    Un jour ou l’autre ça doit s’arrêter, la seule question est quand ?

      +0

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