Les coupes sombres du DOGE n’ont rien à voir avec « l’efficacité » et tout à voir avec l’enrichissement d’Elon Musk et de ses amis ploutocrates.
Source : Jacobin, Ben Burgis
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Vendredi dernier, Elon Musk a posté une vantardise succincte sur la plateforme de médias sociaux qui lui appartient. « CFPB RIP », pouvait-on lire, accompagné de l’image d’une pierre tombale. Il se vantait d’avoir, au moins pour le moment, fermé le Consumer Financial Protection Bureau (CFPB), un organisme de réglementation qui contrôle les pratiques commerciales des ploutocrates comme lui.
Musk n’est pas seulement l’homme le plus riche des États-Unis, mais la personne la plus riche de tous les temps. Il est également propriétaire de plusieurs entreprises dont les contrats avec le gouvernement fédéral se chiffrent en milliards de dollars. Et maintenant, il joue un rôle majeur dans l’administration Trump. À quel point ? Mardi, il a rejoint Trump pour une conférence de presse dans le bureau ovale où, pendant la majeure partie de l’événement, Musk s’est levé et a parlé tandis que Trump était assis à son bureau, l’air ennuyé.
Le poste officiel de Musk est étrange. Il est à la tête d’un organisme appelé DOGE ou « Department of Government Efficiency » [ministère de l’efficacité du gouvernement, NdT]. Mais le DOGE est un ministère. Ceux-ci doivent être créés par des lois du Congrès. Il ne semble pas non plus particulièrement axé sur l’efficacité gouvernementale. Au contraire, ses « audits » en roue libre de divers ministères et agences fédéraux ont abouti à une campagne de réduction budgétaire et de déréglementation de facto, non autorisée par une quelconque législation. En collaboration avec les secrétaires intérimaires et les directeurs d’agences récemment nommés par Trump, le DOGE de Musk a mis un terme aux dépenses autorisées par le Congrès et a licencié (ou mis en congé, ou ordonné de cesser tout travail) plusieurs milliers d’employés fédéraux.
Il s’agit là d’un exemple parmi d’autres d’un modèle plus large de raid de Musk sur l’État régulateur qui se répercute sur son bénéfice personnel.
La déconnexion entre cet agenda et la mission déclarée d’accroître « l’efficacité du gouvernement » n’a jamais été aussi évidente que lors de l’assaut du DOGE contre le CFPB. Le budget total de cette agence semble être bien inférieur à 1 milliard de dollars, et elle a rendu 20 milliards de dollars aux consommateurs au cours des dernières années en s’attaquant aux faux frais et à d’autres pratiques peu recommandables. Il s’agit en fait d’un modèle d’efficacité gouvernementale.
Comme beaucoup d’actions récentes de Musk, la fermeture du CFPB s’explique très bien par la combinaison de deux facteurs. L’un est la poursuite par Musk de ses propres intérêts. L’autre est la solidarité avec ses frères ploutocrates contre les empiètements de l’État régulateur.
Comme l’a rapporté le Washington Post, Musk a dévoilé un système de paiement pour sa plateforme de médias sociaux, X, « environ une semaine » avant que le DOGE ne cible le Consumer Financial Protection Bureau. Le système, « X Money », serait directement lié aux cartes de débit et aux comptes bancaires, ce qui le placerait normalement sous la surveillance réglementaire du CFPB. Il est possible que rien dans les plans de X Money n’ait été contraire à la mission du CFPB, qui est de « réprimer les pratiques déloyales, trompeuses et prédatrices des entreprises. » Mais nous ne le saurons peut-être jamais, puisque les employés de l’agence ont reçu l’ordre « de ne pas publier de règles proposées ou formelles, d’arrêter les enquêtes en cours et de ne pas en ouvrir de nouvelles, d’arrêter tous les engagements avec les parties prenantes et de s’abstenir d’émettre des communications publiques. »
Il s’agit là d’un exemple parmi d’autres d’une série de raids de Musk sur l’État régulateur qui ont eu des retombées positives pour lui. Une enquête du New York Times a révélé « plus de 32 enquêtes en cours, des plaintes en instance ou des mesures d’application concernant les six entreprises de Musk » par les agences visées par la campagne de destruction du DOGE. En tant que bénéficiaire de nombreux contrats fédéraux, les « audits » de Musk lui donnent également accès à des informations confidentielles sur ses concurrents.
L’implication de Musk dans une campagne de déréglementation qui sert ses propres intérêts ne s’est pas non plus limitée à son rôle au sein du DOGE. Il a été un acteur majeur, par exemple, dans les efforts de l’administration Trump pour fermer le National Labor Relations Board (NLRB). Comme je l’ai écrit ailleurs, Trump a illégalement licencié l’un des membres du conseil, l’amenant ainsi à ne pas atteindre le quorum, ce qui empêche le conseil de contester un recours en justice contre sa propre constitutionnalité déposé par… SpaceX d’Elon Musk qui, comme les autres entreprises de Musk, s’est efforcée de résister à la syndicalisation.
Les « audits » de Musk lui donnent également accès à des informations confidentielles sur ses concurrents.
Lors de la conférence de presse de mardi, un journaliste a interrogé Musk sur ces conflits d’intérêts flagrants. Musk a répliqué que tout ce que fait la DOGE est « transparent », de sorte que si quelque chose ressemblait à un conflit d’intérêts, les gens pourraient « le signaler ». (Dans la vraie vie, bien sûr, beaucoup de gens l’ont fait, et Trump et Musk les ont simplement ignorés.) Trump s’est ensuite réjoui et a fait appel à la confiance du public en disant : « Si nous pensions cela, nous ne le laisserions pas regarder dans ce segment ou ce secteur. »
Lorsque la droite se plaint du gaspillage et de l’inefficacité du gouvernement, ses détracteurs répondent souvent qu’il est hypocrite de la part des conservateurs d’exempter de leur critique l’énorme machine de guerre impériale des États-Unis. À ce titre, « l’audit » du ministère de la Défense (DoD) par le DOGE peut sembler une bonne surprise. Mais c’est dans ce ministère que les conflits d’intérêts de Musk sont les plus flagrants. Comme le souligne le Times, le ministère de la Défense « s’appuie sur Musk pour mettre en orbite la plupart de ses satellites et travaille en étroite collaboration avec ses entreprises dans le cadre d’une série d’autres initiatives ». Il ne faut pas s’attendre à ce que cet « audit » conduise à des réductions importantes des dépenses de défense. Mais nous pouvons absolument nous attendre à ce qu’il favorise les entreprises appartenant à Elon Musk.
Aussi flagrante que soit la corruption de Musk, il est nécessaire de ne pas réduire ses actions à son seul intérêt personnel. Des intérêts collectifs sont également en jeu. Juste avant que le CFPB ne soit mis à genoux, l’administration a supprimé une règle du CFPB interdisant les dettes médicales dans les rapports de crédit. Étant donné l’ampleur de la fortune de Musk et les réseaux complexes d’investissement impliqués, il est difficile d’être confiant sur ce point, mais à ma connaissance, Musk n’est pas personnellement investi dans l’industrie des soins de santé, et il ne possède pas non plus d’agences d’évaluation du crédit. Il est fort probable que des actions comme celles-ci s’expliquent mieux dans le cadre d’une croisade idéologique plus large au nom de sa classe.
« L’audit » du ministère de la Défense par le DOGE peut sembler une bonne surprise. Mais c’est dans ce ministère que les conflits d’intérêts de Musk sont les plus flagrants.
Ce qui nous amène au deuxième point. La corruption spectaculaire et effrontée de Musk mérite certainement d’être soulignée, mais un projet de classe plus large est également en cours. Si le chef du DOGE n’était pas la personne la plus riche de l’histoire, mais un professeur libertaire percevant un salaire modeste dans le département d’économie d’une petite université d’État, et si sa campagne de terre brûlée contre les garanties réglementaires qui protègent les travailleurs et les consommateurs des ploutocrates était motivée à 100 % par l’idéologie et à 0 % par l’intérêt personnel, elle n’en serait pas moins répréhensible pour autant.
Quoi qu’il en soit, lorsque Musk et ses acolytes prétendent que leur programme vise à alléger le gouvernement et à le rendre plus efficace, ils vous disent de ne pas croire vos propres yeux qui mentiraient. Lors de la conférence de presse de mardi, Musk n’avait pas tort de dire que ce qu’il faisait était « transparent ». Lui et ses amis richissimes ont, en fait, réalisé ce vol en plein jour. C’est dire à quel point ils sont sûrs que personne ne les arrêtera.
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Ben Burgis est chroniqueur au Jacobin, professeur adjoint de philosophie à l’université Rutgers et animateur de l’émission YouTube et du podcast Give Them An Argument. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont le plus récent est Christopher Hitchens : What He Got Right, How He Went Wrong, and Why He Still Matters.
Source : Jacobin, Ben Burgis, 13-02-2025
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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Commentaire recommandé
Aux États-Unis le lien entre les affaires et la politique voire l’exécutif est connu depuis longtemps. Rien à voir avec l’Europe ou la mentalité est assez différente et où les conflits d’intérêts sont beaucoup plus surveillés voire sanctionnés ( avec évidemment sans doute des exceptions genre Alexis Kohler, proche conseiller du Président Macron). Aux États-Unis, il suffit de voir ce que Paulson, ancien grand dirigeant de Goldman Sachs, devenu proche conseiller au trésor du gouvernement Bush, à fait (ou pas) lors de la crise financière de 2008 pour soutenir Leehman Brothers, concurrent très important de Goldman. Paulson a décidé de sacrifier son ancien concurrent et de ce fait déclenché une crise financière mondiale qui affecte toujours l’économie européenne et ses grandes banques, mais aussi et surtout le passif des états européens dont les dettes ont été amplifiées à saturation sans le moindre scrupule, le citoyen européen étant devenu aussi l’éponge des superprofits véreux des grosses banques américaines mais aussi des placements douteux des banques européennes…Musk et ses agissements pour autant qu’ils soient avérés n’ont donc pas du tout, aux États-Unis, la même dimension qu’on pourrait leurs accorder versus l’Europe…Tout cela nous prouve également que l’éthique a toujours été à géométrie variable, les États-Unis étant beaucoup plus ‘compréhensifs et laxistes’ dans ce domaine…et la presse s’emparant des faits (ou pas) suivant ses orientations…
5 réactions et commentaires
C’est ce que faisaient aussi leurs prédécesseurs et nos propres dirigeants, en France. Ce pillage existe depuis qu’il y a des classes possédantes, mais ce pillage s’est accéléré à partir de 2008 comme en témoigne les évolutions des dettes publiques en France et aux États-Unis, et la dégradation rapide des services publiques (et surement dans bien d’autres pays).
Les média s’en prennent régulièrement à Musk depuis qu’il s’est engagé en politique, mais les patrons de Google (Brin et Page), d’Amazon (Bezos) , de FaceBook et Instagram (Zuckerberg) et quelques autres sont aussi engagés en politique, et depuis bien plus longtemps, avec d’au moins aussi lourd moyens d’influences. Est-ce parce qu’ils sont dans le bon camp de la prédation capitalistique qu’on ne les dénonce pas ?
+23
AlerterLogiquement, les milliards de dollars qui sont consacrés par les ploutocrates à la politique (campagnes électorales, lobbying, media, influenceurs, …) sont des « investissements » dont le retour s’est jusqu’à maintenant opéré relativement discrètement.
La nouveauté c’est que désormais la dynamique fascisante des pouvoirs autorise de le faire sans complexe, voire même de l’afficher.
+11
AlerterAux États-Unis le lien entre les affaires et la politique voire l’exécutif est connu depuis longtemps. Rien à voir avec l’Europe ou la mentalité est assez différente et où les conflits d’intérêts sont beaucoup plus surveillés voire sanctionnés ( avec évidemment sans doute des exceptions genre Alexis Kohler, proche conseiller du Président Macron). Aux États-Unis, il suffit de voir ce que Paulson, ancien grand dirigeant de Goldman Sachs, devenu proche conseiller au trésor du gouvernement Bush, à fait (ou pas) lors de la crise financière de 2008 pour soutenir Leehman Brothers, concurrent très important de Goldman. Paulson a décidé de sacrifier son ancien concurrent et de ce fait déclenché une crise financière mondiale qui affecte toujours l’économie européenne et ses grandes banques, mais aussi et surtout le passif des états européens dont les dettes ont été amplifiées à saturation sans le moindre scrupule, le citoyen européen étant devenu aussi l’éponge des superprofits véreux des grosses banques américaines mais aussi des placements douteux des banques européennes…Musk et ses agissements pour autant qu’ils soient avérés n’ont donc pas du tout, aux États-Unis, la même dimension qu’on pourrait leurs accorder versus l’Europe…Tout cela nous prouve également que l’éthique a toujours été à géométrie variable, les États-Unis étant beaucoup plus ‘compréhensifs et laxistes’ dans ce domaine…et la presse s’emparant des faits (ou pas) suivant ses orientations…
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AlerterSous Biden la corruption abyssale siégeait directement à la présidence, et les manigances du clan Biden, père et fils, de Blinken et de Hochstein, dans les affaires ukrainiennes et ses ressources, sont au coeur de la guerre contre la Russie en Ukraine,conjointement au neo Drang nach Osten euro-allemand qui lui aussi baigne dans des eaux troubles bien que très discret.
Bref, les Démocrates sont en mode hystérique.
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AlerterEn fait, le CFPB n’est qu’un intermédiaire entre les syndicats et le patronat. Est-ce utile ?
Les employés n’ont pas besoin de cette agence pour former un syndicat.
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