Les Crises Les Crises
16.octobre.202416.10.2024 // Les Crises

Émirats arabes unis : « partenaire majeur de défense » des États-Unis malgré ses agressions et déstabilisations

Merci 7
Je commente
J'envoie

La décision de l’administration Biden est le reflet d’une stratégie malavisée au Moyen-Orient.

Source: Responsible Statecraft, Sam Bull
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Le président Joe Biden a désigné les Émirats arabes unis (EAU) comme « partenaire majeur de défense » des États-Unis le 23 septembre, une décision annoncée à la suite de la visite du président des EAU, le cheikh Mohamed bin Zayed Al Nahyan (MbZ), à la Maison Blanche – la toute première visite d’un président émirati.

Les Émirats arabes unis et l’Inde sont les deux seules nations à bénéficier de ce titre, qui, selon la Maison-Blanche, permettra une « coopération sans précédent » en faveur de la « stabilité régionale » au Moyen-Orient, en Afrique de l’Est et dans les régions de l’océan Indien.

Dans un Moyen-Orient sur le point d’éclater en guerre totale, il semble logique de se lier avec un État du Golfe réputé pour son sang-froid et son assurance. Toutefois, les récents résultats obtenus par les Émirats arabes unis au Moyen-Orient et en Afrique montrent qu’ils ne correspondent pas tout à fait à ces critères.

Bien que loué pour son soutien à une série de coalitions soutenues par les États-Unis et pour sa bonne réputation par rapport à certains de ses voisins, le régime de MbZ a également poursuivi ses intérêts par le biais d’une série d’activités agressives et déstabilisantes, allant de la prolongation des guerres civiles en Libye et au Yémen (violant ainsi le droit américain et international) à la déstabilisation de la Corne de l’Afrique, en passant par l’établissement de liens politiques et économiques étroits avec la Russie.

« Les Émirats arabes unis cherchent agressivement à s’implanter économiquement en Afrique et en Asie de l’Est. […] Ils sont vraiment partout et tentent d’atteindre leurs intérêts même par des moyens militaires, et pas seulement par la diplomatie économique », déclare Yasir Zaidan, doctorant à l’université de Washington et ancien maître de conférences à l’université nationale du Soudan.

Le plus effroyable, cependant, est le soutien « secret » des Émirats arabes unis aux forces de soutien rapide du Soudan (RSF) dans leur brutale guerre civile de 18 mois contre les forces armées soudanaises (SAF) du gouvernement militaire. Les preuves de crimes de guerre, d’extermination de civils et de violences sexuelles massives au cours des six premiers mois de la guerre ont été suffisamment flagrantes pour susciter une condamnation officielle du secrétaire d’État américain Antony Blinken, à laquelle se sont ajoutées des accusations de crimes contre l’humanité et d’épuration ethnique de la part de RSF.

La semaine dernière, les Émirats arabes unis et les États-Unis ont réaffirmé leur position extérieure selon laquelle la guerre au Soudan n’a « pas de solution militaire ». Les Émirats arabes unis continuent de nier avoir pris parti dans la guerre, malgré l’accumulation d’accusations et de preuves du contraire. En janvier, l’ONU a fait état de preuves « crédibles » selon lesquelles les Émirats arabes unis envoyaient des armes aux FAR [Forces d’appui rapide, NdT] « plusieurs fois par semaine » via le nord du Tchad, ce qui constitue une violation flagrante de l’embargo sur les armes récemment étendu à la région soudanaise du Darfour.

En août 2023, le Wall Street Journal a rapporté un incident au cours duquel les Émirats arabes unis ont tenté d’envoyer au Soudan une assistance militaire et financière déguisée en aide humanitaire. Abu Dhabi sert également de refuge pour les affaires, la finance et la logistique du RSF, et les investisseurs émiratis ont récemment conclu un accord de 6 milliards de dollars pour renforcer les ports soudanais d’exportation d’or sur la mer Rouge.

Annelle Sheline, chercheuse à l’Institut Quincy, estime que l’accord entre les États-Unis et les Émirats arabes unis est le signe d’une tendance croissante des puissances moyennes à obtenir des avantages géopolitiques auprès des plus grands hégémoniques du monde – notamment les États-Unis, mais aussi la Chine et la Russie, dans le cas des Émiratis – afin de maintenir et d’accroître leur influence.

« Cette tendance ne fera que s’accentuer et nous aurons besoin de dirigeants américains moins enclins à se laisser mener par le bout du nez et à continuer à donner à ces autres puissances ce qu’elles veulent – et en échange de quoi, exactement ? Ce que les États-Unis en ont retiré n’est pas clair, et cela me semble tout à fait inapproprié étant donné que les Émirats arabes unis n’agissent pas de la manière que les États-Unis souhaiteraient voir en tant que partenaire proche », a déclaré Sheline.

Une chose est claire : les Émirats arabes unis ont leur propre série de priorités politiques audacieuses au Moyen-Orient et en Afrique. Les « secrets » évidents concernant le Soudan et d’autres conflits controversés, ainsi que les faibles tentatives des Émirats arabes unis pour les nier, pourraient s’avérer gênants pour les États-Unis, compte tenu de leurs nouvelles relations plus étroites avec Abou Dhabi.

Déjà trop sollicités ailleurs au Moyen-Orient, les États-Unis risquent, avec ce nouveau « partenaire majeur », d’avoir les mains encore plus sanglantes dans une myriade de conflits violents, de crises humanitaires et de schismes diplomatiques à travers la région. Biden et son successeur doivent réaliser que les risques de perdre face aux influences chinoises ou russes dans le Golfe sont bien moindres que ceux de se lier à Abu Dhabi et à sa plateforme de politique étrangère controversée.

*

Sam Bull est stagiaire en journalisme pour Responsible Statecraft. Son travail a déjà été publié dans Planet Forward, le North by Northwestern Student Magazine et le Northwestern Undergraduate Law Journal. Sam est en quatrième année de licence à l’université Northwestern, où il étudie le journalisme, les sciences politiques et la politique environnementale.

Les opinions exprimées par les auteurs sur Responsible Statecraft ne reflètent pas nécessairement celles du Quincy Institute ou de ses associés.

Source: Responsible Statecraft, Sam Bull, 29-09-2024

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Nous vous proposons cet article afin d'élargir votre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s'arrête aux propos que nous reportons ici. [Lire plus]Nous ne sommes nullement engagés par les propos que l'auteur aurait pu tenir par ailleurs - et encore moins par ceux qu'il pourrait tenir dans le futur. Merci cependant de nous signaler par le formulaire de contact toute information concernant l'auteur qui pourrait nuire à sa réputation. 

1 réactions et commentaires

  • Nadji Khaoua // 16.10.2024 à 09h02

    L’auteur de l’article écrit : « …les Etats Unis risquent d’avoir les mains encore plus sanglantes … ». Le pouvoir décisionnel aux USA a eu depuis sa naissance les mains sanglantes, depuis le massacre de « Wounded Knee ». Cependant une question beaucoup intéressante et instructive est de s’interroger sur les fondements de l’activisme « anti nature » de ce micro État, les EAU. Déstabilisant tout son environnement proche, considéré comme ayant les mêmes racines et croyances que lui (proximité géographique, histoire, religion et langue communes,…), ce micro État fait fit de cela, et se conduit comme proconsul pour les puissances impérialistes dans la région moyen-orientale. Pourquoi ? Pour quelles raisons profondes ce déni de soi, de ses racines geo-spatiales, historiques et religieuses ?
    Qui peut le clarifier ? A part une subjugation profonde par l’impérialisme US. Un deni de soi enraciné. Un mimétisme total de la puissance impérialiste US, visant sa reproduction à son profit. Finalement un aveuglément culturel, stratégique et politique qui ne peut conduire, à l’échelle de l’histoire, qu’à son rejet régional général et à l’implosion ou la destruction par la guerre.

  • Afficher tous les commentaires

Ecrire un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Charte de modérations des commentaires

Et recevez nos publications