Une politique du bâton et encore du bâton est ce qui a amené les choses à leur état actuel, nous ne devons donc pas nous attendre à obtenir des résultats différents maintenant.
Source : Responsible Statecraft, Daniel Larison
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
L’approche militaire américaine en Asie s’est poursuivie la semaine dernière avec l’arrivée en Corée du Sud de l’USS Michigan, un sous-marin nucléaire à missiles guidés, dans le cadre d’un nouvel accord entre Washington et Séoul destiné à rassurer ce dernier sur la force de l’engagement américain envers son allié.
À la suite de leur rencontre en avril, le président sud-coréen Yoon et le président Biden ont publié la Déclaration de Washington qui réaffirme l’engagement américain à défendre la Corée du Sud. En vertu de cet accord, les États-Unis ont promis de « renforcer la visibilité régulière des ressources stratégiques dans la péninsule coréenne ». La visite de l’USS Michigan en Corée du Sud était la première d’un sous-marin américain depuis 2017, et il y en aura probablement beaucoup d’autres dans les années à venir.
En soi, cette démonstration de force n’est pas nécessairement un problème, mais une approche déséquilibrée de la Corée du Nord et de l’Asie de l’Est en général, qui met l’accent sur la puissance militaire à l’exclusion d’autres moyens, ne peut pas réduire les tensions ni résoudre les différends en suspens. Plus les États-Unis feront de démonstrations de force pour rassurer la Corée du Sud, plus il est probable que la Corée du Nord répliquera par de nouveaux essais provocateurs de missiles, voire par un nouvel essai nucléaire.
Le fait que les États-Unis rassurent leurs alliés doit être contrebalancé par des assurances données à leurs adversaires, faute de quoi ces gestes de soutien attiseront les tensions et rendront encore plus instables des situations déjà dangereuses. En ce sens, les démonstrations de force peuvent rapidement s’avérer contre-productives si les États-Unis et leurs alliés veulent éviter une nouvelle crise.
Malheureusement, il n’y a pas beaucoup d’éléments indiquant que les États-Unis utilisent systématiquement d’autres moyens pour contrebalancer ces démonstrations de force et les exercices militaires qu’ils ont effectués avec la Corée du Sud et avec d’autres alliés dans la région. L’accent semble toujours être mis sur la démonstration de force et la projection de puissance, avec peu de preuves de la flexibilité et d’ouverture au compromis qui sont nécessaires à la désescalade et à l’engagement diplomatique.
La politique américaine à l’égard de la Corée du Nord reste figée sur des objectifs et des mesures coercitives qui n’ont pas eu de sens ou n’ont pas fonctionné au cours des 20 dernières années, et sur ce front, il n’y a aucun signe de dégel de sitôt. C’est la politique du bâton et encore du bâton qui a conduit les choses à leur état actuel, et il ne faut donc pas s’attendre à des résultats différents si la politique demeure inchangée.
L’une des raisons pour lesquelles la Corée du Sud veut être rassurée est que l’arsenal nucléaire de la Corée du Nord continue de se développer sans relâche. Aussi, la meilleure façon de répondre à cette préoccupation est donc de travailler à un régime de contrôle des armes qui limiterait la taille de l’arsenal. Les États-Unis ne pourront pas obtenir de la Corée du Nord qu’elle élimine son arsenal, mais ils pourraient parvenir à un accord qui maintiendrait cet arsenal à un certain niveau.
La Corée du Nord disposant déjà d’une dissuasion, il n’est pas évident que les États-Unis ou la Corée du Sud tirent un bénéfice réel de ces démonstrations. Ce n’est pas comme si Pyongyang ne comprenait pas la puissance des États-Unis. Après tout, leur souci de se doter d’un arsenal nucléaire s’explique en grande partie par leur crainte d’une attaque américaine. Les États-Unis agissent souvent comme si leurs dirigeants pensaient que leurs adversaires doutaient de la volonté de Washington d’utiliser la force contre eux, mais c’est une chose que d’autres États n’ont aucun mal à croire. Dans le cas de la Corée du Nord, le gouvernement tient pour acquis que les États-Unis peuvent utiliser la force contre eux, mais ils ne croient pas aux promesses qu’ils ne le feront pas.
Dans ces conditions, l’envoi de moyens militaires supplémentaires dans la région, même pour une courte durée, ne risque pas d’améliorer la situation. Cela rappelle la façon dont les États-Unis envoient parfois des bombardiers à long rayon d’action au Moyen-Orient pour « adresser un message » à l’Iran, comme si le gouvernement iranien avait oublié que les États-Unis pouvaient l’attaquer. Ce n’est rien d’autre qu’une démonstration de force qui ne fait rien pour régler les différends sous-jacents qui pourraient dégénérer en conflit.
Il peut arriver que les démonstrations de force soient appropriées, mais les États-Unis doivent se rendre compte que ces gestes symboliques peuvent avoir un coût réel lorsqu’ils renforcent l’hostilité et la méfiance mutuelles vis-à-vis d’adversaires. Lorsque d’autres États font ouvertement étalage de leur puissance militaire, les États-Unis ne considèrent généralement pas ces démonstrations comme des actions inoffensives ou défensives. Tout comme les États-Unis ont tendance à considérer ces actions comme menaçantes et provocatrices, les autres États perçoivent les démonstrations de force des États-Unis de la même manière. Cette attitude combative tend à renforcer les partisans de la ligne dure au sein des deux gouvernements et rend les efforts visant à réduire les tensions beaucoup plus risqués sur le plan politique.
La visite du sous-marin se veut avant tout un signal pour la Corée du Nord, mais elle envoie également un message à la Chine, dont le gouvernement avait déjà dénoncé les projets dès la publication de la déclaration. A ce sujet, le ministère chinois des Affaires étrangères a accusé les Etats-Unis de « provoquer une confrontation entre blocs, de saper le système de non-prolifération nucléaire, de nuire aux intérêts stratégiques d’autres pays, d’exacerber les tensions dans la péninsule coréenne, de saper la paix et la stabilité régionales et d’aller à l’encontre de l’objectif de dénucléarisation de la péninsule. »
La visite de l’USS Michigan ne manquera pas de contrarier la Chine, alors que le secrétaire d’État Blinken était à Pékin pour tenter de stabiliser les relations. C’est peut-être une coïncidence que les deux visites soient si proches l’une de l’autre, mais le moment est loin d’être optimal.
L’approche américaine de l’Asie, comme une grande partie du reste de notre politique étrangère, souffre d’une surmilitarisation. Cela a pour effet d’encourager la course à l’armement et de détériorer rapidement les relations avec la Chine, et cela crée des tensions que nombre de nos alliés et partenaires dans la région jugent inquiétantes.
Comme l’a fait remarquer le spécialiste des relations internationales Van Jackson il y a plus d’un an, « la politique des États-Unis à l’égard de la région la plus importante du monde n’est rien d’autre qu’un mélange d’inertie résiduelle de la politique militaire de Trump à l’égard de l’Asie et d’un renouveau du « pivot vers l’Asie » bien intentionné mais malheureux du président américain de l’époque, Barack Obama, qui avait également un programme fortement militarisé. »
Rien ne s’est produit au cours de l’année écoulée pour réfuter cette affirmation. Au contraire, l’approche militaire s’est intensifiée depuis. Les initiatives les plus notables de l’administration Biden dans la région Asie-Pacifique ont toutes été axées sur le renforcement de la coopération militaire et de la projection de puissance, et il n’y a rien eu de comparable dans les autres régions.
Les pièges d’une approche militaire en premier ne sont pas seulement qu’elle déstabilise l’Asie, mais qu’elle néglige également une politique économique constructive et un engagement diplomatique, alors que ces autres moyens seraient à la fois plus utiles et moins coûteux. Chacun des éléments de l’approche militaire en premier peut sembler raisonnable pris isolément, mais pris dans leur globalité, ils placent les États-Unis et l’Asie sur une voie dangereuse qui pourrait et devrait être évitée.
Pour adopter une approche plus équilibrée et constructive à l’égard de l’Asie, les États-Unis doivent renoncer aux démonstrations de force et aux menaces implicites de recours à la force et concentrer leurs efforts d’engagement sur le commerce et la diplomatie.
Source : Responsible Statecraft, Daniel Larison, 20-06-2023
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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Commentaire recommandé
En conclusion de cet article, les USA devraient faire l’inverse de ce qu’ils font partout dans le monde depuis des décennies.
Autrement dit une « révolution diplomatique ».
C’est vrai que ça ferait du bien au reste du monde et probablement au peuple US.
4 réactions et commentaires
En conclusion de cet article, les USA devraient faire l’inverse de ce qu’ils font partout dans le monde depuis des décennies.
Autrement dit une « révolution diplomatique ».
C’est vrai que ça ferait du bien au reste du monde et probablement au peuple US.
+19
AlerterEn même temps les états-unis n’ont aucun intérêt a faire autrement a moins de perdre leur position dominante, le dialogue melien est ce qu’il est, cette réalité échappe aux ravis qui ont rédigés cet article. Yakafaucon, c’est de l’utopie diplomatique dans un monde régi par les rapports de forces sans partage. Quand a la politique de Trump, rappelons qu’il n’a entamé aucune guerre, ce qui détonne lourdement dans le paysage politique passé et présent contrairement au « bien intentionné et fortement militarisé Obama » (ce passage ressemble a de l’humour involontaire). Commerce, équilibré, constructive… on dirait un article complaisant et pro-chinois. Au premier signe de faiblesse, ces derniers en profiterons, tout le monde diplomatique le sait, il suffit de voir les efforts chinois récent en matière d’espionnage (affaire belge des instituts Confucius), la guerre technologique avec les tentative de copie d’usine, l’affaire ukrainienne, l’affaire Taiwan, Senkaku… L’hégémonie US est menacée, ils réagissent logiquement. L’ukraine démontre leur faiblesse, les autres guettent donc leur moment. Et nous au milieu qui payons les pots cassé pour les deux. Rien de réjouissant à moins d’être masochiste.
+4
AlerterLa Corée du nord (tout comme l’Iran d’ailleurs ainsi que d’autres « ennemis ») est très utile aux USA pour continuer d’avoir la mainmise sur ses vassaux.
Heureusement (pour l’empire) que ces pays ne se sont pas effondrés comme l’ex URSS car il n’y aurait plus « d’ennemis » pour « convaincre » les vassaux de se ranger servilement sous la « protection » de la « plus grande démocratie du Monde Connu ».
Pour maintenir ses vassaux en état de servitude totale, les USA ont bel et bien besoin d’avoir des épouvantails à agiter, et de mettre une pression maximale sur ces épouvantails pour qu’ils soient bien énervés et motivés à se montrer plus effrayants.
Un peu comme les politicards occidentaux ont besoin d’épouvantails pour se maintenir au pouvoir malgré le désaccord des populations qui les haïssent totalement.
Finalement, la Corée du nord ou l’Iran ne sont rien d’autre qu’un « Le Pen » local pour faire rentrer les « brebis égarées » dans le troupeau.
Le jour (béni) où les populations en auront marre et quand ces magouilles ne fonctionneront plus les « élites » risquent de se faire jeter.
C’est à ce moment là que ça va réellement devenir sanglant : Les « élites » (qu’elles soient nationales ou US) n’abandonneront pas leur pouvoir et massacreront sans aucun état d’âme les populations qui ne veulent plus se soumettre à leur diktat.
Le problème des population est bel et bien « leurs » élites qui ne veulent pas lâcher leur pouvoir pour de simples question d’intérêt de caste (et des avantages indécents qui y sont liés).
Tant que les populations ne pourront pas LÉGALEMENT s’opposer à « leurs » dirigeants (RIC, mandats impératifs) elles resteront en esclavage.
+16
AlerterEn matière de diplomatie, les Etats-Unis en sont toujours à la diplomatie de la canonnière (aujourd’hui, un sous-marin nucléraire) avec le « big stick » dans le dos si l’interlocuteur ne veut pas comprendre. Ce n’est pas nouveau mais pas d’évolution attendue, hélas.
+6
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