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Enquête : le travail forcé dans les prisons alimente McDonald’s, Kroger et Coca-Cola

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« L’esclavage n’est pas aboli », a déclaré une ancienne détenue qui milite aujourd’hui contre le travail forcé dans les prisons.

Source : Truthout, Sharon Zhang
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Une équipe de travail de détenues sous surveillance dans une prison remplit des sacs de sable en prévision de l’arrivée de l’ouragan Dorian en Floride, le 29 août 2019. PAUL HENNESSY / SOPA IMAGES / LIGHTROCKET VIA GETTY IMAGES

Une nouvelle enquête de grande envergure a révélé que le travail forcé dans les prisons alimente les chaînes d’approvisionnement d’un large éventail d’entreprises agroalimentaires, allant des petites marques locales et des restaurants aux principaux conglomérats tels que Tyson, Coca-Cola et Kroger.

L’enquête de l’Associated Press qui a duré deux ans et a été publiée le 29 janvier dernier, révèle que le recours généralisé à la maltraitance des travailleurs carcéraux est devenu une industrie pesant plusieurs milliards de dollars, grâce à des partenariats entre les prisons, les entreprises et les législateurs. Alors que les prisonniers, souvent contraints de travailler, ne gagnent que quelques centimes, voire rien du tout, tout en subissant des violences physiques et psychologiques, les États, les prisons et les entreprises engrangent des dizaines de millions de dollars de bénéfices.

Les journalistes ont passé au crible les demandes d’informations publiques dans les 50 États et ont suivi près de 200 millions de dollars de marchandises et de bétail, de la récolte à la vente, au cours des six dernières années, en suivant parfois carrément les camionnettes depuis les chantiers où travaillent les prisonniers jusqu’au lieu de livraison des marchandises.

Des entretiens avec des prisonniers tant actuels qu’anciens ont révélé qu’ils étaient soumis à des conditions épouvantables dans le seul but de permettre aux marques qui les ont embauchés ou aux États qui les ont emprisonnés de réaliser des bénéfices. Des prisonniers, majoritairement des noirs, sont morts ou ont été amputés au travail ou encore ont subi des maltraitances de la part du personnel pénitentiaire. Et comme ils ne sont pas considérés comme des employés au sens de la législation du travail, ils n’ont pas les mêmes droits que les travailleurs définis comme employés, à savoir le droit de grève ou le droit de former des syndicats.

Les journalistes ont découvert que le travail des prisonniers est intégré aux chaînes d’approvisionnement d’entreprises couvrant la quasi-totalité de l’industrie alimentaire, notamment des supermarchés comme Aldi, Costco, Kroger, Target, Walmart et Whole Foods, des restaurateurs comme Burger King, Chipotle, Domino’s et McDonald’s, et des conglomérats industriels comme Cargill, Coca-Cola, General Mills, Pepsi et Tyson, qui, à eux tous, possèdent une telle diversité de marques qu’il est pratiquement impossible d’y échapper dans les magasins de détail.

Même des restaurants locaux ou des marques de moindre importance qui se présentent comme éthiques ou qui vendent des produits alimentaires spécialisés, comme Eggland’s Best ou Belgioioso Cheese, ont reçu ce type de marchandises, comme l’ont constaté les journalistes. Hickman’s Family Farms, qui fournit Eggland’s Best et Land O’Lakes, a hébergé 140 femmes dans un entrepôt situé sur sa propriété en Arizona lorsque la pandémie de COVID-19 s’est déclarée en mars 2020 ; ces femmes ne gagnaient que 3 dollars de l’heure après prélèvements, l’État ponctionnant 30 % pour le « gîte et le couvert ».

Une des camionnettes de transport de prisonniers suivie par les journalistes s’est arrêtée sur le lieu d’une ancienne plantation transformée en salle de mariage et site touristique, à Francisville, en Louisiane. Là, deux hommes noirs sont entrés dans le restaurant du site ; l’un d’eux a déclaré aux journalistes qu’il y avait fait la plonge

« On ne peut pas appeler cela autrement. C’est tout simplement de l’esclavage », a déclaré à l’Associated Press Calvin Thomas, qui a été emprisonné pendant plus de 17 ans au pénitencier d’État d’Angola, en Louisiane. Les travailleurs sont souvent contraints de travailler dans les champs quelques jours seulement après leur arrivée à la prison, qui se trouve sur une ancienne plantation, pour un salaire horaire ne dépassant pas 40 cents. Il a raconté que les prisonniers étaient forcés de travailler sous une chaleur accablante qui allait jusqu’à provoquer des défaillances chez les chevaux des gardiens.

« L’esclavage n’est pas aboli », a déclaré à l’Associated Press Curtis Davis, qui a été incarcéré pendant plus de 25 ans au pénitencier de l’État de Louisiane et qui milite aujourd’hui contre le travail forcé dans les prisons. « Il se conjugue toujours au présent, a poursuivi Davis. Rien n’a changé. »

Une autre travailleuse, Faye Jacobs, a déclaré aux journalistes que le seul salaire qu’elle a reçu alors qu’elle travaillait dans les prisons agricoles de l’Alabama était deux rouleaux de papier hygiénique par semaine, ainsi que du dentifrice et quelques serviettes hygiéniques chaque mois. En Alabama, comme dans plusieurs autres États du Sud, dans la plupart des cas, les prisonniers ne reçoivent aucune rémunération pour leur travail. Selon l’enquête, au cours des cinq dernières années, l’Alabama a perçu 32 millions de dollars en ponctionnant 40 % des salaires de ses prisonniers, selon l’enquête.

Les partisans du travail en prison affirment qu’ils considèrent le faible coût de la main-d’œuvre carcérale comme une bonne chose. « Tout le monde y gagne, a déclaré le shérif Wayne Ivey du comté de Brevard, en Floride. Le détenu qui travaille acquiert un ensemble de compétences […] Le temps passe plus vite. Et l’autre aspect de ce gagnant-gagnant, c’est qu’il permet généralement aux contribuables d’économiser de l’argent. »

Cet article est placé sous licence Creative Commons (CC BY-NC-ND 4.0), et vous êtes libre de le partager et de le republier selon les termes de la licence.

SHARON ZHANG

Sharon Zhang est rédactrice à Truthout et ses sujets de prédilection sont la politique, le climat et l’emploi. Avant de rejoindre Truthout, Sharon a écrit des articles pour Pacific Standard, The New Republic, etc. Elle est titulaire d’un master en études environnementales. On peut la suivre sur Twitter : @zhang_sharon.

Source : Truthout, Sharon Zhang – 30-01-2024

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Commentaire recommandé

La main du Kremlin // 05.03.2024 à 07h55

On pourrait toujours dire  » ils n’avaient qu’a rester honnêtes  »
Mais aux USA , ca ne marche pas , la la justice est un commerce comme les autres !
Et un commerce ca doit rapporter !

7 réactions et commentaires

  • La main du Kremlin // 05.03.2024 à 07h55

    On pourrait toujours dire  » ils n’avaient qu’a rester honnêtes  »
    Mais aux USA , ca ne marche pas , la la justice est un commerce comme les autres !
    Et un commerce ca doit rapporter !

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    • azuki // 05.03.2024 à 14h53

      C’est comme ça qu’en été aux USA, ils ont des prisonniers qui cuisent, non je ne confond pas avec la cuisine, qui cuisent au sens propre du terme, décès ou atteinte neurologiques gravissimes à la clé, dans des prisons privées au toits de tôle avec la clim en panne, les bâtiments décents et la maintenance ça coûte cher vous savez…

        +4

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  • Daniel // 05.03.2024 à 09h25

    Aux USA, il y a 2 millions de prisonniers dont un tiers de noirs (surtout dans les anciennes colonies esclavagistes) (cf https://www.scienceshumaines.com/etats-unis-pourquoi-un-tiers-des-detenus-sont-noirs_fr_42149.html).
    C’est une réalité, mais est ce que c’est un délit de faciès culturel généralisé ?
    Dans tous les cas, face à ce constat, la vision dominante se tait !
    Alors que l’on va crier au loup dès qu’un fait comparable ou supposé comparable est monté en mayonnaise par les journalistes, surtout dès que cela concerne l’un des pays suivant : Russie, Chine, et d’une manière générale pour n’importe quel pays des BRICS.
    Que vivent les vrais journalistes d’investigations quand ils s’attaquent à des sujets dans leur propre pays !

      +7

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    • Dominique65 // 05.03.2024 à 14h06

      « 2 millions de prisonniers dont un tiers de noirs »
      Cela n’est signifiant qu’en comparaison de la représentation de cette « couleur » dans la population générale.

        +2

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    • azuki // 05.03.2024 à 14h49

      On peut aussi s’intéresser a l’OIP, l’Observatoire International des Prisons, a défaut d’avoir une action concrète dans le domaine, je cotise chez eux parce que les conditions de détention en France sont souvent très indignes (pas pour les VIP tenus à résidence dans leur château rassurez-vous).

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  • Grd-mère Michelle // 05.03.2024 à 12h05

    Ce n’est pas seulement aux USA que le travail sous-payé se pratique systématiquement dans les prisons…
    En tout cas, en Belgique, s’il n’y est pas « forcé », il y est largement encouragé, au moins depuis 50ans (pour ce que j’en sais).
    L’Observatoire International des Prisons, le Collectif de Luttes Anti-Carcérales, le Genepi ASBL et la Ligue des Droits Humains ont régulièrement produit des analyses de ce phénomène(entre autres injustices flagrantes…et condamnables, comme la surpopulation, par exemple).

    Pour collecter « des informations fiables et témoignages afin de rendre visible la réalité des personnes incarcérées et de leurs proches », ces associations ont mis en place une Ligne Info’Prison, accessible le mercredi et le samedi de 10h à 18h par sms,appel ou Whatsapp au +32498/515191, ou par e-mail : ligneinfoprison@bawet.org

    Ces témoignages sont relatés dans « La Brèche » (liste des lieux où ce magazine est disponible sur sa page Facebook).

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  • Laurent // 05.03.2024 à 21h20

    Travail forcé en France aussi !

    Le cadeau 2023 de Macron dont la presse a oublié de parler…. Et pas besoin d’être attaqué, une simple menace prévisible (d’après qui ???) et on est réquisitionné pour les tranchés en Ukraine.

    Article L2212-1A venir – Version du 01 août 2024
    Modifié par LOI n°2023-703 du 1er août 2023 – art. 47 (V)
    En cas de menace, actuelle ou prévisible, pesant sur les activités essentielles à la vie de la Nation, à la protection de la population, à l’intégrité du territoire ou à la permanence des institutions de la République ou de nature à justifier la mise en œuvre des engagements internationaux de l’Etat en matière de défense, la réquisition de toute personne, physique ou morale, et de tous les biens et les services nécessaires pour y parer peut être décidée par décret en Conseil des ministres. Ce décret précise les territoires concernés et, le cas échéant, l’autorité administrative ou militaire habilitée à procéder à ces mesures.

      +1

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