Le président argentin Javier Milei est confronté à la plus grave crise qu’il ait jamais connue pour avoir encouragé une escroquerie à la crypto-monnaie. Alors que les dirigeants de la droite latino-américaine ont pris leurs distances avec l’anarcho-capitaliste, Elon Musk a profité de l’occasion pour réaffirmer leur lien.
Source : Jacobin, Cruz Bonlarron Martínez
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Vendredi dernier, Javier Milei, président libertarien de l’Argentine, a publié sur X/Twitter un lien pour promouvoir $Libra, une nouvelle crypto-monnaie qui, selon lui, « favoriserait la croissance économique en Argentine et financerait les petites entreprises et l’esprit d’entreprise en Argentine. » La valeur de la monnaie a rapidement augmenté, bénéficiant du soutien de la cryptosphère internationale et de sa base de partisans inconditionnels en Argentine. Cependant, quelques heures seulement après le tweet de Milei, la monnaie a pratiquement perdu toute valeur. Ses créateurs ont retiré leurs investissements – environ 100 millions de dollars ont été retirés au total – ce qui a entraîné des profits de plusieurs millions de dollars pour les initiés et provoqué la soudaine évaporation des économies de certains des plus fervents partisans de Milei.
Le sort des investisseurs de $Libra reflète celui de ceux qui, quelques semaines plus tôt, ont investi dans $Hawk, la crypto-monnaie lancée par la « Hawk Tuah girl. » Mais la grande différence est que $Libra n’est pas le résultat de la créativité d’une personnalité de l’internet, mais de celle du président du pays dont le PIB est le vingt-quatrième plus élevé au monde.
Le prestige de Milei au sein de la communauté de droite en ligne a fait de cette monnaie une valeur sûre pour ceux qui s’identifiaient idéologiquement à son projet politique. Certains de ses plus fidèles partisans auraient perdu leurs économies après avoir investi dans cette monnaie. Même si toutes les conséquences de ce qui semble être une escroquerie ne seront connues que bien plus tard, il est clair que Milei a vu son nombre de soutiens chuter de manière significative depuis le scandale, et des poursuites judiciaires sont actuellement en cours en Argentine et aux États-Unis.
Des personnalités politiques de l’ensemble du spectre idéologique argentin se sont exprimées sur X pour condamner les actions de Milei. L’ancien président de droite Mauricio Macri a publiquement pris ses distances avec Milei. L’opposition trotskiste et péroniste a appelé à un procès en destitution, tandis que les députés du centre ont appelé à une enquête parlementaire concernant cette affaire, qui pourrait bien constituer la première menace réelle pesant sur la présidence de Milei depuis qu’il a été investi avec le soutien populaire en décembre 2023.
Milei, un adepte compulsif de tweeter, est resté quasiment silencieux sur X pendant plusieurs jours. Finalement, lundi soir, il a eu l’occasion de plaider sa cause devant la nation lors d’une interview enregistrée avec Todo Noticias, une chaîne qui lui est favorable. Mais au lieu de présenter des excuses, il a renchéri en disant qu’il n’avait pas à s’excuser dans la mesure où il n’avait pas fait la promotion de $Libra. Il en avait simplement partagé le lien, ce qui revient à comparer sa démarche à celle d’un président qui se rendrait dans une entreprise. Il a ensuite ajouté qu’il l’avait partagé à partir de son compte personnel. Et que donc, il n’avait rien fait de mal. Il n’y avait eu aucune implication de l’État. Il s’agissait simplement d’un problème entre des entités privées. Il a ajouté que ceux qui avaient subi des pertes auraient dû être plus avisés, déclarant : « Si vous allez au casino, et que vous perdez de l’argent, ne venez pas vous plaindre ensuite. »
Peu après l’entretien, un clip est apparu montrant l’un des conseillers de Milei interrompant les échanges lorsque l’intervieweur, Jonatan Viale, a interrogé Milei avec insistance sur la différence existant entre son compte personnel et son compte présidentiel. Faisant preuve d’un réel manque de déontologie, le journaliste s’est excusé, soulignant que la question pourrait entraîner des ennuis judiciaires pour Milei. Un autre scandale a rapidement suivi lorsque Hayden Davis, l’un des développeurs de la crypto-monnaie, s’est vanté d’avoir versé des pots-de-vin à Karina Milei, sœur et cheffe de cabinet du président, pour que Milei apporte son soutien à l’entreprise. Dans des textes truffés d’insultes racistes, Hayden Davis a déclaré que Milei était sous son contrôle et que par l’intermédiaire de la soeur de Milei il pouvait lui faire signer et lui faire faire tout ce qu’il voulait.
Il reste à voir si l’opposition peut se servir utilement de ce scandale pour nuire à Milei sur le plan politique. Ce dernier fuit actuellement les projecteurs des médias aux États-Unis, tandis que son parti a réussi à obtenir du Sénat qu’il annule une première enquête sur le scandale.
Pendant ce temps, en dehors de l’Argentine, le scandale semble avoir poussé la droite latino-américaine à se poser des questions. Le flot ininterrompu de messages sur les médias sociaux et d’articles d’opinion depuis décembre 2023, affirmant que Milei est un modèle pour la droite, s’est soudainement tari. Au Chili, la droite a fort opportunément décidé de rester silencieuse, tandis qu’au Brésil, elle semble trop préoccupée par les accusations de coup d’État portées contre l’ancien président Jair Bolsonaro (sans parler de son propre scandale de crypto-monnaies) pour s’inquiéter du raffut qui se passe chez sa voisine. Pendant ce temps, en Colombie, la candidate de la droite à l’élection présidentielle de 2026, Vicky Dávila, a d’abord essayé de prendre ses distances avec Milei, déclarant qu’elle avait toujours été critique à l’égard du monde des crypto, mais depuis que le scandale a éclaté, elle a multiplié les éloges pour le modèle de Milei. Il est important de noter que Dávila a également engagé des conseillers de campagne qui sont liés à Millei par l’intermédiaire d’un réseau de groupes de réflexion de droite et libertarien de la région. Ce scandale fait craindre que le modèle de Milei ne soit un handicap pour la droite latino-américaine lors des différentes élections qui auront lieu cette année et l’année prochaine.
La droite américaine n’a pas montré les mêmes réserves à l’égard de Milei. Jeudi, Elon Musk est apparu à ses côtés à la Conservative Political Action Conference (CPAC), brandissant une tronçonneuse, cadeau du président argentin symbolisant ses coupes sombres dans les programmes de l’État, comme les pensions pour les personnes âgées et l’enseignement public. Cette proximité entre les deux frères en crypto n’est pas surprenante. Musk fait l’éloge de Milei depuis 2023 et l’a aidé à devenir une star dans le paysage médiatique américain. En outre, il affirme que le programme d’austérité de Milei est la source d’inspiration directe du ministère de l’Efficacité gouvernementale (DOGE).
Le fait que Musk ne prenne pas ses distances avec Milei alors que ce dernier est sous le feu des critiques pour avoir accepté des pots-de-vin et escroqué sa base montre que la droite américaine ne se soucie guère de lutter contre la corruption ou de réduire le gaspillage gouvernemental. Au contraire, cela révèle un indéfectible souci d’austérité par-dessus tout. Dans le cas de Donald Trump et de Musk, il s’agit de dépouiller les gens ordinaires sous l’étrange prétexte de lutter contre le « wokeness » et la DEI [Diversité, équité, inclusion, NdT]. Le projet politique de l’extrême droite commence à ressembler à une escroquerie aux crypto-monnaies. Alors que la crédibilité de Milei décline tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Argentine, la politique d’austérité du président anarcho-capitaliste et de ses imitateurs se révèle être la plus grande escroquerie qui soit.
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Cruz Bonlarron Martínez est un écrivain indépendant et a bénéficié d’une bourse Fulbright en Colombie en 2021-2022. Ses écrits sur la politique, les droits humains, la culture en Amérique latine et dans la diaspora latino-américaine ont été publiés dans diverses publications américaines et internationales.
Source : Jacobin, Cruz Bonlarron Martínez, 23-02-2025
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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Sérieux ? Un néolibéral voleur , Non ? ah bah ça alors !
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