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28.juin.201628.6.2016 // Les Crises

Espagne : Mariano Rajoy net vainqueur des élections, amère déception pour Podemos, par Romaric Godin

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Source : La Tribune, Romaric Godin, 26/06/2016

Mariano Rajoy peut célébrer une victoire électorale en Espagne, mais n'est pas encore sûr de rester à la Moncloa. (Crédits : JUAN MEDINA)

Mariano Rajoy peut célébrer une victoire électorale en Espagne, mais n’est pas encore sûr de rester à la Moncloa. (Crédits : JUAN MEDINA)

Les premiers sondages s’étaient entièrement trompés : le PP de Mariano Rajoy a progressé nettement lors des élections générales espagnoles, gagnant 13 sièges de plus. Unidos Podemos ne dépasse pas les Socialistes, toujours deuxième. Mais la crise politique est loin d’être réglée.

Les sondages sortis des urnes – et ceux publiés jusqu’à ce jour de vote en Espagne – s’étaient lourdement trompés. Finalement, Unidos Podemos (UP), l’alliance de Podemos, d’Izquierda Unida, formée des Communistes et des Ecologistes, n’a pas réussi à dépasser le parti socialiste, le PSOE, qui reste la deuxième force politique du pays derrière le Parti Populaire (PP) conservateur de Mariano Rajoy. Les vrais perdants de ce scrutin seront donc les instituts de sondage qui ne se sont révélés guère plus efficaces que leurs confrères britanniques qui n’avaient pas vu la victoire du Brexit le 23 juin.

Le PP, grand vainqueur

Quant au grand vainqueur, ce sera le PP qui, sur 95 % des bulletins dépouillés, a obtenu 32,9 % des voix et 137 sièges contre 28,7 % et 123 sièges le 20 décembre. Le président du gouvernement sortant Mariano Rajoy peut s’estimer satisfait de ce résultat. Il apparaît qu’il a bénéficié, comme le PSOE, mais dans une plus grande ampleur, d’un réflexe de retour aux partis traditionnels. Réflexe certes limité, puisque le PP avait obtenu 45 % des voix et la majorité absolue en 2011, mais la progression de près de quatre points est nette et elle donne clairement à l’équipe sortante la légitimité pour tenter de former un gouvernement. Le président du gouvernement pourra prétendre avoir gagné ces élections du 26 juin et effacé en partie les lourdes pertes subies entre 2011 et 2015. Sans doute faut-il y voir un effet de crainte face à la crise politique que traverse le pays et la volonté, en conséquence, de renforcer le gouvernement sortant.

Les Socialistes en progrès

Mais la vraie surprise de ces élections, c’est la progression des Socialistes du PSOE que l’on donnait pour moribond. Avec 22,8 % des voix contre 22 % le 20 décembre, il perd 5 sièges à 85 sièges contre 90 voici six mois. Le secrétaire général du PSOE Pedro Sánchez a fait mentir tous les pronostics et est parvenu à conserver largement la deuxième place dans l’échiquier politique espagnol en se renforçant. Il peut désormais espérer imposer sa candidature alternative à celle de Mariano Rajoy pour la présidence du Congrès qui avait échoué le 2 mars dernier en jouant cette fois sur l’affaiblissement d’Unidos Podemos.

Défaite pour Unidos Podemos

Car la sensation de cette soirée électorale, c’est que l’alliance menée par Pablo Iglesias n’a pas convaincu l’électorat espagnol de gauche. L’addition de IU et de Podemos avait obtenu 71 sièges et 24,4 % des voix le 20 décembre. Cette fois, la coalition ne recueille que 21,2 %, soit un recul de 3,4 points, mais préserve ses 71 députés. Plusieurs éléments peuvent expliquer cette défaite : l’effet « Brexit » qui a peut-être effrayé une partie de l’électorat qui a préféré se rallier aux partis « connus », l’alliance avec les « Communistes » d’IU qui a pu là aussi inquiéter une partie de l’électorat de Podemos et les projets de référendum en Catalogne qui ont peut-être provoqué un retour vers les partis « unionistes ». L’abstention, en hausse de 3,5 points à 30,3 %, a sans doute aussi joué négativement. En tout cas, toute la stratégie de Pablo Iglesias, basée sur le « sorpasso » et donc sur une alliance « proposée » au PSOE s’effondre. Podemos va devoir réfléchir à ses choix en vue de la formation de la prochaine coalition gouvernementale.

Recul pour Ciudadanos

Reste qu’il n’est pas le seul perdant de la soirée. Le parti libéral Ciudadanos a obtenu 12,9 % des voix et 32 députés, contre 13,9 % et 40 députés le 20 décembre. La défaite de son président, Albert Rivera, est claire. Ce dernier se présentait pourtant comme un politique pragmatique, seul capable, affirmait-il, s’il était renforcé, de construire autour de lui un gouvernement. Les électeurs ne l’ont pas réellement cru et l’ont même sanctionné. Il est vrai qu’il était difficile de savoir avec qui Ciudadanos, qui avait passé un pacte avec le PSOE en février, mais qui regardait également du côté du PP, voulait gouverner. En tout cas, cette défaite réduit la perspective d’un grand partie du centre après la disparition dans les années 1980 du CDS d’Adolfo Suárez, le « parti de la transition ».

Mariano Rajoy renforcé

Que va-t-il se passer à présent ? Le scrutin n’offre pas de majorité claire, mais il change la donne. Mariano Rajoy en sort renforcé et il sera plus difficile de demander sa démission pour gouverner avec le PP. Mais en a-t-il les moyens ? Sa victoire n’est pas suffisante pour construire une majorité gouvernementale et, à part Ciudadanos, il ne dispose pas de partenaires possibles à part le PSOE. Mariano Rajoy va sans doute demeurer ferme sur sa volonté d’établir une « grande coalition » avec le PSOE, mais Pedro Sánchez sort également renforcé du scrutin puisqu’il a réussi à empêcher le « sorpasso » par Unidos Podemos et à maintenir ses positions. Il pourra faire taire ses opposants en interne et imposer davantage ses conditions à ses éventuels partenaires de coalition. Autrement dit, lui aussi va retenter de devenir président du gouvernement.

Les conditions d’une alliance à gauche

Le scrutin apparaît donc comme un statu quo par rapport au 20 décembre, malgré la progression du PP. L’addition des partis de centre-droit est nettement supérieure à celle de la gauche et se creuse (169 contre 157 contre 163 à 160 auparavant). Mais les deux partis de droite ne disposent guère de réserve de voix au Congrès et sans majorité absolue (fixée à 176 sièges), ils auront du mal à obtenir le feu vert du parlement. Reste alors trois solutions, comme auparavant : une « grande coalition », un pacte à trois entre Ciudadanos, le PSOE et Podemos qu’avait proposé en mars Pedro Sánchez et une alliance de gauche avec l’appui des nationalistes catalans ou basques. Les trois cas demeurent toujours aussi peu probables qu’avant le scrutin.

Changement de position sur la Catalogne chez Unidos Podemos ?

Le changement pourrait venir de la déception d’Unidos Podemos. Si Pablo Iglesias et les siens considèrent qu’ils ont payé leur position dure face au PSOE et leur engagement trop fort pour le référendum catalan, ils pourraient décider de se montrer plus ouvert face à Pedro Sánchez. Mais la difficulté sera de faire accepter leurs alliés catalans, basques et galiciens un abandon de cette idée de référendum. Ce serait renforcer en Catalogne les Indépendantistes.

Un gouvernement minoritaire de droite ?

En cas de blocage persistant, le PSOE pourrait finalement accepter la victoire du PP et tolérer un gouvernement PP/Ciudadanos qu’il pourrait renverser quand il le désirera. Mais un tel gouvernement n’est pas certain de voir le jour (Ciudadanos acceptera-t-il un pacte avec le PP après une telle défaite ?) et il serait très fragile. Ces élections du 26 juin n’ont donc pas réglé la crise politique espagnole. Tout se passe comme s’il s’agissait d’un retour à la case départ et aux mêmes blocages qu’avant le scrutin…

Source : La Tribune, Romaric Godin, 26/06/2016

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Commentaire recommandé

Spectre // 28.06.2016 à 01h34

Amusant de voir comme les institutions, pensées pour le bipartisme, se retournent de façon spectaculaire dès lors que les dés ne donnent plus le résultat escompté (nette domination du PSOE et du PP). La situation est encore bloquée, la question est maintenant de savoir qui va craquer en premier pour éviter de nouvelles élections…

À voir aussi si le Politburo aura l’outrecuidance de sanctionner l’Espagne pour déficit excessif dans quelques jours. La décision avait déjà été repoussée, sauf qu’au final, ça tombera à peine mieux en pleine phase de magouilles inter-partis.

L’échec relatif de Podemos n’est pas très étonnant. Le parlementarisme est de toute façon bâti pour liquider toute option politique radicale : sauf à être hégémonique, il faut nouer des alliances, donc faire des concessions, donc perdre de son venin — et de fil en aiguille, c’est la normalisation, et l’on cherche simplement à devenir calife à la place du calife. Or si le but devient simplement de remplacer la vieille « sociale-démocratie » vendue et corrompue par une nouvelle mouture qui se plantera et trahira de même, quel intérêt ?

8 réactions et commentaires

  • Pierre // 28.06.2016 à 01h32

    L’augmentation de l’abstention n’a-t-elle pas été une conséquence des déclarations agressives des ministres des affaires étrangères des 6 membres fondateurs de l’UE face au brexit ? La stratégie consistant à instiller la peur chez les réfractaires à l’Europe ploutacrate aurait-elle porté ses fruits, du moins 2 jours après le brexit ? Certes ce n’est sûrement pas l’unique explication des résultats, mais je me demande dans quelle mesure cela a pu jouer. Notons que le regain de croissance en Espagne sert les intérêts de l’oligarchie européenne, surtout lorsqu’aucune majorité cohérente ne se dessine pour prendre les rênes du pays. Mais combien de temps cette croissance va perdurer et quels effets réels à en attendre ? Les chiffres du chômage sont proprement catastrophiques à l’heure actuelle.

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    • gil // 28.06.2016 à 09h03

      Bonjour,

      J’ai de la famille là bas. Je vous confirme que ça a joué.

      Cordialement.

        +2

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  • Spectre // 28.06.2016 à 01h34

    Amusant de voir comme les institutions, pensées pour le bipartisme, se retournent de façon spectaculaire dès lors que les dés ne donnent plus le résultat escompté (nette domination du PSOE et du PP). La situation est encore bloquée, la question est maintenant de savoir qui va craquer en premier pour éviter de nouvelles élections…

    À voir aussi si le Politburo aura l’outrecuidance de sanctionner l’Espagne pour déficit excessif dans quelques jours. La décision avait déjà été repoussée, sauf qu’au final, ça tombera à peine mieux en pleine phase de magouilles inter-partis.

    L’échec relatif de Podemos n’est pas très étonnant. Le parlementarisme est de toute façon bâti pour liquider toute option politique radicale : sauf à être hégémonique, il faut nouer des alliances, donc faire des concessions, donc perdre de son venin — et de fil en aiguille, c’est la normalisation, et l’on cherche simplement à devenir calife à la place du calife. Or si le but devient simplement de remplacer la vieille « sociale-démocratie » vendue et corrompue par une nouvelle mouture qui se plantera et trahira de même, quel intérêt ?

      +15

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    • Pierre // 28.06.2016 à 02h36

      Sans vouloir remettre en cause votre propos, je ne peux m’empêcher de remarquer que notre système hyper-presidentiel ne change pas vraiment la donne. Il est vrai que tout est fait en France pour maintenir ce bi-partisme stérile.

        +6

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    • Grognard // 28.06.2016 à 15h47

      Je ne pense pas que Podemos soit encore une option politique radicale.
      C’est un des effets retard du résultat du référendum en UK.
      Podemos devient une formation de la gauche molle qui se situe à gauche de la social-démocratie sur le spectre politique.
      Ne peuvent plus être qualifiées de radicales que les formations qui voudront sortir de l’UE.
      Le référendum a déplacé le curseur.
      Les maneuvres de la triplette Merkel, Renzi, Hollande vont non seulement acter ce déplacement du curseur mais aussi l’encrer pour longtemps.
      Sans doute jusqu’à une poussée sociale plus forte qu’une élection.

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  • christian gedeon // 28.06.2016 à 11h56

    Pourquoi « amère déception  » ? La barbe de trois jours,la queue de cheval et l »inévitable chemise blanche « ouverte sur torse velu » ne font pas une politique. Et mon sens le brexit n’a rien à voir là dedans,mais bien plutôt le flou du « programme  » de Podemos,et aussi la curieuse(et fumeuse) attitude concernant l’indépendantisme catalan,pierre d’achoppement incontournable.

      +5

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  • georges glise // 28.06.2016 à 13h31

    il y a quelque chose de pourri au royaume d’espagne, mais ce sont les plus pourris qui ont gagné: rajoy est à la tête de l’espagne comme balkany était à la tête de levallois-perret. une grande partie de la population européenne est toujours prête à soutenir les pourris, et notamment la superstructure européenne de bruxelles corrompue par les lobbies.

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  • georges glise // 28.06.2016 à 13h34

    au fond, la propagande et les manipulations notamment médiatiques ont réussi à faire rentrer dans lestêtes le tina de thatcher: there is not alternative.

      +8

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