Source : Responsible Statecraft, Michael D. Swaine
Traduit par les lecteurs du site Les Crises
Les défis sécuritaires dans la région indo-pacifique ont été le sujet dominant des récentes audiences au Capitole. Sans surprise, la discussion s’est concentrée sur la Chine et la Corée du Nord. Cependant, pour une nouvelle administration ostensiblement vouée à servir les classes moyennes et ouvrières américaines et à corriger les faux pas politiques de l’administration Trump, la plupart des remarques des législateurs et des témoins suggèrent que peu de choses ont changé depuis l’investiture le 20 janvier.
À son crédit, dans sa déclaration d’ouverture à la Commission des forces armées de la Chambre des représentants le 10 mars, le président Adam Smith (Démocrate-Etat de Washington) a insisté sur le fait que les États-Unis doivent éviter de tomber dans une guerre froide avec la Chine, et être suffisamment forts pour dissuader, et non dominer, Pékin militairement. Il a également affirmé que les États-Unis doivent être plus stratégiques dans l’utilisation de moyens de défense limités pour assurer la stabilité en Asie.
On pourrait penser que cela aurait conduit à une discussion sur la manière de mieux doser la politique américaine en Asie afin de réduire la concurrence sécuritaire avec Pékin et d’inciter toutes les parties à s’engager militairement d’une manière plus productive et rassurante, tout en conservant la dissuasion nécessaire là où elle est requise. Malheureusement, le commentaire de Smith était une exception.
Au lieu de cela, les échanges impliquant l’amiral Philip S. Davidson, le général Robert B. Abrams et David Helvey, le secrétaire adjoint à la Défense par intérim pour l’Indo-Pacifique, tout au long de ces auditions, ont constitué une chambre d’écho à une inflation de menaces ouvertes et des pires observations sur la Chine.
Invariablement, Pékin a été présenté comme une puissance agressive prête à saper la région et l’ensemble de l’ordre international « réglementaire », si elle en avait l’occasion. Et ce, en dépit du fait que 99 % des affirmations ou des agressions militaires de la Chine sont liées à des conflits de souveraineté, que ce soit avec l’Inde, le gouvernement actuel de Taïwan, les Philippines ou le Japon. À écouter bon nombre de ces politiciens et fonctionnaires de Washington, on pourrait penser que la Chine prépare son armée à traverser l’Asie au pas de charge pour s’emparer de tous les territoires qu’elle rencontre, qu’ils soient contestés ou non.
Dans presque tous les commentaires ou réponses, la dissuasion militaire est considérée comme le seul outil dont dispose Washington, tandis que l’apaisement n’est mentionné que dans le contexte des alliés ou amis des États-Unis, comme un moyen de les renforcer contre la Chine. Même le plus haut diplomate américain, le secrétaire d’État Antony Blinken, s’est contenté d’évoquer l’étude de « domaines potentiels de coopération » avec la Chine (la formule habituelle de l’administration), tout en soulignant que la Chine devrait faire des progrès tangibles sur les préoccupations américaines avant d’envisager d’autres discussions au-delà de celle prévue en Alaska la semaine prochaine.
Donc, oubliez le dialogue permanent sur les efforts pour parvenir à une compréhension mutuelle. La diplomatie doit apparemment consister à émettre des exigences et à attendre qu’elles soient respectées, probablement avec une certaine persuasion fournie par l’armée américaine.
Apparemment, personne dans les délibérations des commissions des services armés du Sénat et de la Chambre, ainsi que de la commission des affaires étrangères de la Chambre, n’avait entendu parler du dilemme de la sécurité. Il s’agit de la notion selon laquelle les actions prétendument défensives et axées sur la dissuasion d’un pays sont interprétées par le pays cible comme étant agressives et menaçantes, suscitant ainsi ses propres actions militaires prétendument axées sur la dissuasion, et créant un cercle vicieux sans fin. Le résultat, en l’absence d’un effort sérieux pour modérer le processus, est une augmentation constante des tensions, une course aux armements sans fin et une augmentation des risques de conflit.
Sans certaines mesures de garanties significatives et crédibles à l’égard de Pékin, par exemple en ce qui concerne Taïwan, tous les grands plans américains visant à dissuader la Chine seront simplement interprétés par Pékin comme des préparatifs destinés à séparer définitivement Taïwan de la Chine continentale, couper les voies commerciales maritimes de la Chine ou soutenir militairement les revendications contestées des adversaires de Pékin dans les mers de Chine orientale et méridionale. La perception de telles menaces n’incitera pas Pékin à faire marche arrière, mais plutôt à redoubler d’efforts pour empêcher ces résultats potentiels.
En outre, une telle approche unilatérale des États-Unis suscitera très probablement aussi une plus grande anxiété chez les alliés et amis de Washington, qui cherchent une approche plus équilibrée de l’Asie après les politiques désastreuses de Trump. En effet, les dirigeants américains semblent sourds à l’affirmation forte et répétée des dirigeants asiatiques selon laquelle ils ne veulent pas être contraints de choisir entre Pékin et Washington.
Cela indique clairement qu’il faut à la fois dissuader et rassurer toutes les parties. Mais Washington semble incapable d’envisager de donner des garanties significatives à Pékin, du moins tant qu’il n’aura pas fini de dépeindre la Chine comme un ennemi implacable. D’ailleurs, comment donner des garanties crédibles (qui impliquent inévitablement un certain niveau de confiance) tout en disant à Pékin et au monde entier que la Chine est rapace et qu’on ne peut pas lui faire confiance ?
Espérons qu’à un moment donné, les responsables américains cesseront cette gesticulation belliqueuse et s’attelleront à l’élaboration d’une stratégie sérieuse vis-à-vis de Pékin. Une telle stratégie doit être basée sur un ensemble d’objectifs mixtes qui reflètent un sens plus réaliste des défis et des opportunités que représente la Chine, des forces et des limites auxquelles Pékin et Washington sont confrontés, ainsi que des opinions et des croyances réelles des alliés et des amis des États-Unis.
Source : Responsible Statecraft, Michael D. Swaine, 15-03-2021
Traduit par les lecteurs du site Les Crises
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Commentaire recommandé
Ben, faut dire que vu le nombre d’agressions injustifiées dont les USA se sont rendus coupables ces dernières années, il est « un peu » normal de regarder ce qu’ils préparent avant d’avaler toute crue leur propagande : soi-disant génocides au Tibet, Kosovo, Libye et contre les musulmans de Chine, AdDM imaginaires en Irak et en Syrie, subvention du terrorisme, trafics de drogues et d’armes, innombrables coups d’états, manipulations d’élections et de manifestations (« révolutions » colorées et subsidiées !), destructions injustifiées et massives d’infrastructures civiles, bombardements aveugles de population indociles, assassinats physiques ou médiatiques (Lawfare) de journalistes et avocats insuffisamment complaisants, crimes de guerre à répétitions, support de dictatures et de criminels, enfermements et exécutions injustifiées et illégales… Je continue ?
13 réactions et commentaires
La Chine a une seule ligne rouge, Taiwan : si les USA veulent créer une guerre, rien de plus simple, il suffit de toucher Taiwan…
A l’opposée d’une démarche va-t’en-guerre, un groupe d’expert sur la Chine (ex :Bruno Guigue, Mike Gravel …) a pris position pour créer les bases de la paix via un dialogue des cultures.
https://www.institutschiller.org/Declaration-d-experts-du-monde-entier-a-propos-de-la-Chine.html
Ce qui est très intéressant, est que cette déclaration a été citée par la porte-parole du Ministère des Affaires étrangères Hua Chunying :http://www.amb-chine.fr/fra/fyrth/t1865574.htm
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AlerterTrès juste et j’ajouterai la circulation en Mer de Chine et le libre accès à des détroits (dont celui de Malacca)
Pour le reste, on parle d ‘ » élaboration d’une stratégie sérieuse vis-à-vis de Pékin. » Bien, bien…
Alors que des sites et historiens se penchent sur Comment les Etats-Unis ont mené leur politique envers le Japon de 1929 à 1941 sur son accès aux ressources naturelles . Ce sera très intéressant. Je préviens cela n’enlève rien mais absolument rien du tout sur l’agressivité expansionniste du Japon (à savoir dès 1931 Mandchoukouo, Corée, etc…) Non cela n’enlève rien mais c’est intéressant….
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AlerterC’est un voeu pieux que les uS cesse d’être belliqueux !
C’est leur fond de commerce. Le pouvoir est dans les mains de prédateurs. C’est le caractère propre à leur classe dirigeante.
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AlerterL’obsession américaine continue donc sur les Crises. Article alarmant après articles alarmants. Pendant ce temps, voguent et voguent les mega porte conteneurs entre Amérique du Nord et Chine. Par dizaines de milliers. Il y a l’épatage de galerie avec roulements de muscles et les bonnes affaires tintantes et trébuchantes dans le vrai monde. Encore un réveil dans la franche rigolade.
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AlerterBen, faut dire que vu le nombre d’agressions injustifiées dont les USA se sont rendus coupables ces dernières années, il est « un peu » normal de regarder ce qu’ils préparent avant d’avaler toute crue leur propagande : soi-disant génocides au Tibet, Kosovo, Libye et contre les musulmans de Chine, AdDM imaginaires en Irak et en Syrie, subvention du terrorisme, trafics de drogues et d’armes, innombrables coups d’états, manipulations d’élections et de manifestations (« révolutions » colorées et subsidiées !), destructions injustifiées et massives d’infrastructures civiles, bombardements aveugles de population indociles, assassinats physiques ou médiatiques (Lawfare) de journalistes et avocats insuffisamment complaisants, crimes de guerre à répétitions, support de dictatures et de criminels, enfermements et exécutions injustifiées et illégales… Je continue ?
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AlerterOui il s’agit bien d’une obsession américaine grandissante, incompréhensible pour un site français qui se dit d’auto-défense intellectuelle. J’y vois plutôt une certaine soumission intellectuelle….
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AlerterChers soldats, chers peuples allez vous battre ! Les GAFAM valent bien que l’on meurt pour eux ! »…Non, à notre époque les gens vont devoir apprendre à se battre contre les effets de l’inflation qui arrive à grand pas surtout ! Le reste n’est que fuites en avant du système qui ne tient plus la route!
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AlerterLes GAFAM n’ont aucun intérêt à ce qu’il y ait un conflit embarquant la Chine et Taïwan. La Chine reste un marché important et est le plus gros producteur mondial de composants électroniques de base et Taïwan abrite les plus grosses fabs de semi-conducteurs ultra-high-tech. En gros l’île fait les puces et le continent fait tout ce qu’il y a autours. Ils ont quoi comme marché les GAFAM sans téléphones ni ordinateurs ?
Et c’est idem pour plein d’industrie, renseignez vous sur la notion de « chaînes intégrées » et sur ses implications et vous comprendrez que même les gros clients du pentagone n’ont, en l’état, pas moyen de se passer de la Chine. A voir à plus long termes , mais en l’état ; c’est mort.
On a produit en 2020 plus de transistors que de grains de toutes les céréales , ça en dit long sur la dépendance de nos sociétés à l’électronique et plus encore sur les risques systémique que ça engendre.
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AlerterEt si tous les militaires du monde manquaient de diplomatie ?
(respect mutuel, empathie, acceptation de ses émotions et gestion de ses propres pensées)
=> https://www.facebook.com/1percentForNonViolentCommunication
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AlerterLa suprématie économique US est menacée, mais il y a encore de la marge sur sa suprématie militaire. Donc c’est forcément là qu’il faut agir. En plus, c’est bon pour le business, le travail, et la carrière des généraux. dont acte.
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AlerterLes USA savent trop bien ce qu’est l’évolution de doctrine diplomatique d’une puissance montante pour s’arrêter à celle de la Chine aujourd’hui.
Les petits USA de 1840 étaient très polis avec les Européens. Ceux de 1866 étaient capable de faire les gros yeux à la France au Mexique. Ceux de 1900 étaient capable de virer tout pays Européens du continent américain mais restaient trés polis. Ceux de 1919, donnaient des leçons et exigeaient que leur langue devienne langue diplomatique. Ceux de 45 bottaient le c… de tout le monde mais restaient polis avec la France. Ceux d’aujourd’hui exigent une soumission totale des vassaux. Et c’est pas fini…
Leur problème profond n’est pas de savoir quels problèmes la Chine est capable de leur susciter aujourd’hui avec ses moyens somme toute limités, leur problème c’est de savoir jusqu’où pourrait aller l’agressivité de la Chine et son niveau d’exigence avec un PIB nominal supérieur à celui des USA, une capacité manufacturiére supérieure à celle de l’Empire, et une armée améliorée encore dix au vingt ans au rythme actuel.
Quand on voit déjà comment les Chinois ont envoyé valser Blinken en Alaska, comparé à leur attitude il y a à peine 15 ans, on comprend que les USA se préoccupent de l’échéance 2030.
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AlerterC’est ce que j’écris : capables de virer tout pays Européen mais polis.
Ils étaient fort polis en 1900 avec Allemands, Français, Anglais, Autrichiens et Russes. Ils ont viré l’Espagne qui n’était plus qu’une ombre mais pour ça, il leur a fallu un false flag. Et hors cette affaire de récupération coloniale de Cuba et les Philippines, ils sont restés polis avec l’Espagne. 🙂
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AlerterDarras, je ne comprends pas bien où vous voulez en venir. La diplomatie de l’empire américain est issue de la diplomatie de l’empire britannique. Une politesse de façade qui cache à peine les intentions belliqueuses. Une main de fer dans un gant de velours, le poing serré.
Fin XIX et début XX ème, l’empire britannique était encore actif. Les USA sont seuls maintenant. En plus, ils ont leur style à eux, moins aristocratique.
La diplomatie étant l’art de préserver ses intérêts sans prendre de risques inutiles, il est clair que les USA n’ont jamais eu besoin d’être trop grossier avec la France, celle-ci ayant donné des gages de soumission qui induisent plutôt les plats remerciements.
Quels sont réellement les rapports de force sino-américains?
D’après ce que l’on peut lire de ci de là, la Chine souhaite plutôt se recentrer sur elle-même et ses alliées. Elle n’a pas d’intention hégémonique sur le monde, comme les américains.
Rien que ça, c’est quand même un sacré trou d’air dans la domination de l’empire.
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