Source : Responsible Statecraft, James M. Dorsey
Traduit par les lecteurs du site Les Crises
A Washington, en pleine conversation sur les futures relations entre les États-Unis et l’Arabie saoudite, le royaume a lancé une campagne de diplomatie publique sans précédent pour élaborer un soutien commercial et communautaire au-delà de Washington afin de contrer le sentiment anti-saoudien de l’administration Biden et du Congrès.
Pour ce faire, l’ambassade saoudienne à Washington a embauché une entreprise de lobbying et de relations publiques domiciliée en plein cœur des États-Unis plutôt que dans la capitale : le Larson Shannahan Slifka Group (LS2 Group) qui se trouve dans l’Iowa a été engagé pour la somme de 126 500 dollars par mois afin d’atteindre les médias locaux, les entreprises, les groupes de femmes et les world affairs councils [organisations indépendantes, NdT] des états les plus reculés. « Nous sommes de vraies personnes et gérons de vrais problèmes », affirme L2S Group sur son site internet.
Le porte-parole de l’ambassade, Fahad Naza, a affirmé dans un courriel au journal USA Today « nous reconnaissons que les Américains hors de Washington sont intéressés par les évolutions en Arabie saoudite et beaucoup, parmi les milieux d’affaires, les institutions universitaires et divers groupes de la société civile, ont envie de maintenir des relations durables avec le royaume ou d’en cultiver de nouvelles. »
Le prince Abdul Rahman Ben Musai’d Al Saud, petit-fls du roi Abdulaziz fondateur du royaume, homme d’affaires et ancien président de l’un des clubs de football les plus en vue d’Arabie, a défini les intérêts des Etats-Unis, notamment en ce qui concerne les droits de l’homme, dans des termes bien plus directs.
Selon les mots du prince Abdul Rahman, l’Arabie saoudite « a un poids économique significatif et influence la région. Le monde ne peut pas se passer de l’influence de l’Arabie saoudite. Du fait de son économie, de son influence et de son aide dans la guerre contre la terreur… la vérité c’est que vous avez plus besoin de nous que nous n’avons besoin de vous. »
Afin de stimuler les efforts diplomatiques saoudiens, le centre de recherches et d’études islamiques du roi Fayçal (KFCRIS) de Riyad a fourni il y a peu à la société LS2 Group un rapport de 32 pages, La relation économique entre les États-Unis et l’Arabie saoudite : plus que des armes et du pétrole, qui met en avant les investissements du royaume aux États-Unis, les relations commerciales, les dons aux universités et l’achat de bons du Trésor américain.
Le rapport souligne que sur les 24 milliards de dollars d’exportations américaines vers l’Arabie saoudite en 2019, 3,1 milliards étaient des ventes d’armes ayant soutenu 165 000 emplois aux États-Unis. Des entreprises américaines travaillent actuellement sur des projets saoudiens pour un montant de 700 milliards de dollars. Il y est aussi dit que le royaume détient 134 milliards de dollars en bons du Trésor américain et 12,8 milliards de dollars d’actions américaines fin 2020 ; alors que dans le même temps les investissements américains en Arabie saoudite totalisait 10,8 milliards en 2019. Le rapport met en avant des opportunités de futurs investissements dans des secteurs comme le divertissement où les entreprises américaines ont un avantage compétitif.
En s’adressant au coeur de l’Amérique, l’Arabie saoudite espère recueillir l’approbation de secteurs de la société moins portés sur la politique étrangère et/ou les complexités du Moyen-Orient que ne le sont les politiciens de Washington et les classes bavardes des deux côtes des États-Unis.
Le président Joe Biden a vertement critiqué l’Arabie saoudite durant sa campagne électorale, traitant le royaume de « paria ». Depuis son entrée en fonction, Biden a stoppé la vente à l’Arabie saoudite d’armes offensives qui pourraient être déployées dans la guerre au Yémen qui dure depuis maintenant six ans, il a fait publier un rapport des Renseignements montrant l’implication du prince héritier Mohammed ben Salman dans le meurtre du journaliste Jamal Khassoghi en 2018, et a dit qu’il allait « recalibrer » les relations avec l’État du Golfe.
La campagne diplomatique publique saoudienne survient alors que Biden est sous la pression des libéraux et de l’aile gauche du Parti démocrate afin de sanctionner le prince Mohammed pour le meurtre de Jamal Khassoghi, de définir ce qu’il entend par ventes d’armes offensives et d’éventuellement manœuvrer afin d’empêcher le prince héritier de devenir roi.
Parmi les intervenants incontournables que LS2 Group a mis en place, on trouve la très chic ambassadrice d’Arabie saoudite aux États-Unis, la princesse Reema bint Bandar, la première femme du royaume à avoir été nommée à ce poste, arrière-petite-fille du fondateur du royaume et fille (élevée aux États-Unis) du prince Bandar ben Sultan, qui fut ambassadeur à Washington pendant 22 ans.
Active depuis longtemps dans la promotion du sport féminin, la princesse Reema espère convaincre ses interlocuteurs que l’Arabie saoudite, en tant qu’acteur mondial pivot, est un atout pour les États-Unis, et qu’il s’est lancé dans une libéralisation économique et sociale de grande ampleur, y compris l’institutionnalisation des droits des femmes.
C’est un message destiné à présenter le royaume sous son meilleur jour et détourner l’attention de son effroyable bilan en matière des droits humains, dont l’assassinat de Kashoggi et la guerre au Yémen sont des symboles.
Les rebelles houthis ont fermement refusé cette semaine une proposition saoudienne de cessez-le-feu qui aurait partiellement levé le blocus imposé par le royaume au Yémen ravagé par la guerre.
Si c’est une réussite, la stratégie de diplomatie publique pourrait mener des organisations locales situées dans les circonscriptions des membres du Congrès, et s’appuyant sur leurs représentant politiques, à adopter une attitude plus indulgente envers le royaume.
Cela représenterait un message conforme aux positions adoptées par le lobby israélien, de nombreuses organisations de Juifs américains et d’autres groupes de pression soutenant l’Arabie saoudite.
Si on en juge par Lauren Swartz, présidente du World Affairs Council de Philadelphia et Lise Falskow présidente et PDG du World Affairs Council d’Alaska dont les membres sont des dirigeants économiques, des étudiants, des éducateurs et d’autres résidents locaux ayant des intérêts dans les affaires étrangères, la stratégie est en train de s’avérer gagnante.
« Il y a un un fort message de changement et de progrès. Qui n’est pas beaucoup relayé dans les journaux ici… (la princesse Reema) a présenté toutes ses données concernant l’impact, les opportunités et les liens de l’Arabie saoudite avec la Pennsylvanie » notamment des liens avec le secteur public de l’énergie, a déclaré Swartz après que l’ambassadrice se soit adressée à son groupe sur Zoom.
« Étant un pays pétrolier et l’Alaska étant un état pétrolier, il est intéressant d’entendre leur point de vue sur le gaz et les marchés mondiaux, leur environnement géographique étant ce qu’il est ; et le fait qu’elle soit une femme » ajoutait Falskow.
Un livret de dix pages sur papier glacé produit par LS2 Group avant la venue de la princesse Reema a mis l’accent sur « les grands progrès dans les domaines des femmes et du sport » effectués par le royaume.
Rempli d’images d’athlètes femmes, certaines portant des foulards sur la tête, d’autres sans, le livret souligne leurs exploits ainsi que les changements politiques importants et l’insertion des femmes dans la gestion des sports, dans le cadre des réformes du prince Mohammed.
La stratégie de diplomatie publique compte sur le fait que le coeur de l’Amérique soit moins intéressé par d’autres aspects du régime du prince héritier.
On y trouverait certainement la condamnation cette semaine à cinq ans de prison, dont deux avec sursis de Nassima Al-Sada, une célèbre activiste chiite des droits des femmes, selon une source d’informations basée à Londres et qui serait soutenue par le Qatar. Le sursis signifie que Madame Al-Sada, l’une des douze militantes arrêtées en 2018, pourrait être relâchée à la fin du mois de juin.
Les rendez-vous organisés par LS2 Group en dehors de Washington contrastent fortement avec les séminaires en ligne de haut niveau organisés par les think tanks de Washington au cours desquels un nombre constant d’anciens fonctionnaires d’état, d’intellectuels et d’analystes débattent de ce que devrait être la politique des États-Unis envers l’Arabie saoudite. Ils sont généralement partagés sur le fait que les États-Unis puissent se permettre d’être fermes envers l’Arabie saoudite et le prince Mohammed sur des sujets tels que les droits de l’Homme.
Toutefois, à en juger par les sondages ces dernières années, la diplomatie publique saoudienne fait face à des défis majeurs. L’institut Gallup concluait l’année dernière que 65% d’Américains voyaient l’Arabie saoudite d’un mauvais oeil, contre 34% d’un oeil favorable, une tendance qui ressort également dans les sondages de Business insider et YouGouv.
Reconnaissant les difficultés, la princesse Reema semble suivre son instinct en se concentrant sur un « partenariat global » comprenant les affaires, la culture et l’éducation.
Alors que les militants américains s’attribuent le fait de mettre une pression croissante menant à une censure du Congrès du soutien américain à la guerre au Yémen et l’arrêt des ventes d’armes de Biden, la princesse Reema semble espérer que le cœur de l’Amérique soit son arme secrète.
En d’autres termes, il se peut que le cœur de l’Amérique constitue l’ultime champ de bataille ; mais en dernier ressort, la politique de Washington déterminera l’image du royaume en Occident et l’avenir des relations entre les États-Unis et l’Arabie saoudite.
Cet article a été republié avec l’autorisation de The Turbulent World of Middle East Soccer.
Source : Responsible Statecraft, James M. Dorsey, 26-03-2021
Traduit par les lecteurs du site Les Crises
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Commentaire recommandé
Comment, comment, comment? Les USA ne militent pas pour instaurer la démocratie en Arabie?
Ah, mais! on ne peut rien refuser à une monarchie absolue qui paie si bien.
On comprend pourquoi le yankeeland à travers le département d’Etat finance transparency.org qui en retour le place en une avantageuse 25me position sur la liste des pays les moins corrompus.
3 réactions et commentaires
Comment, comment, comment? Les USA ne militent pas pour instaurer la démocratie en Arabie?
Ah, mais! on ne peut rien refuser à une monarchie absolue qui paie si bien.
On comprend pourquoi le yankeeland à travers le département d’Etat finance transparency.org qui en retour le place en une avantageuse 25me position sur la liste des pays les moins corrompus.
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Alerterça fait un peu penser à l’embassade etats unienne qui recrutait des lobbyistes pour cibler la France des banlieues.
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AlerterIl y a des gens pour qui c’est plus facile de payer pour qu’un autre mente sur vos problèmes que de les régler.
Enfin c’est comme ici quoi. Les ricains font la différence au moins au niveau sémantique, ils ont une expression pour ça : « throwing money at problems ». Des fois ça fonctionne.
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