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30.juin.202030.6.2020 // Les Crises

Êtes-vous Démocrate ou Républicain ? – par Régis Debray

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Sublime article paru en 1995 dans le Nouvel Observateur. C’est l’approfondissement d’un premier texte de novembre 1989. Il est à lire et à relire. Il montre combien nous nous sommes éloignés de nous-mêmes pour nous américaniser.

La question ne sera-t-elle donc jamais posée ? Celle qui commande à tous les débats du jour l’identité d’une république, par quoi notre pays fait, en Europe et dans le monde, exception. Hier, un Code de la Nationalité. Aujourd’hui, un foulard. Demain, n’importe quoi : polémiques écrans, batailles sans raison. On ne guérira pas ces mauvaises fièvres sans en déceler la cause première.

Nous payons tous à présent, par une indéniable confusion mentale, la confusion intellectuelle entre l’idée de république issue de la Révolution française, et l’idée de démocratie, telle que la modèle l’histoire anglo-saxonne. On les croit synonymes, et chacun de prendre un terme pour un autre. Pourquoi les distinguer ? La société libérale et consumériste n’est qu’une figure parmi d’autres de la démocratie, mais si dominante et communicative qu’on la croit obligatoire, y compris dans les pays où la démocratie a pris d’autres visages.

Refuser par exemple à une jeune musulmane l’entrée d’une salle de classe tant qu’elle ne laisserait pas son voile au vestiaire ? « Bonne action », clamera le républicain. Non, « mauvaise action ! » s’indignera le démocrate. « Laïcité », dira l’un. « Intolérance », dira l’autre. (Vous et moi avons répété la scène ces derniers temps.) Querelle de mots ? Non : quiproquo des principes.

On peut se dire républicain sans se conduire en démocrate : certains voient même là notre tentation, voire notre héritage national. Royaume-Uni, Espagne, Belgique et beaucoup d’autres monarchies constitutionnelles témoignent à l’inverse qu’on peut être démocrate sans être républicain.

Il est des républiques de nom, qui n’ont ni les principes ni les contraintes de la nôtre : ainsi l’Allemagne et les Etats-Unis, qui méritent pleinement leur nom de démocraties (quoiqu’il y eût beaucoup de république dans la démocratie de Lincoln, comme le montre encore aujourd’hui la puissance du Congrès). L’absence de monarchie héréditaire ne fait pas plus une république, au sens fort et propre du mot, que l’appellation démocratie populaire n’annonçait le pouvoir du peuple.

Chaque époque a ses fétiches. Nous avons à présent, et c’est tant mieux, les droits de l’homme, l’Europe, la société civile, l’État de droit. Démocratie est le plus grand de ces grands mots et il se voit de loin. On comprend l’attrait qu’il exerce sur les peuples de l’Est européen et de Chine, la vertigineuse espérance qu’il incarne à leurs yeux. Mais chez nous, c’est l’un de ces mots-valises qui confondent le genre et l’espèce, la classe et l’ordre. Nous sommes tous, en Europe, démocrates. Vive les élections libres !

Certes, ô combien. Mais l’humaniste ne crie pas « vive les glandes mammaires » parce que tous les hommes sont des mammifères. Les baleines, les chèvres et les humains donnent à téter à leurs petits, mais on demande à l’humaniste un peu plus de précision, et à l’humanité un petit effort supplémentaire. Comme l’Homo sapiens est un mammifère plus, la république est la démocratie plus. Plus précieuse et plus précaire. Plus ingrate, plus gratifiante. La république, c’est la liberté, plus la raison. L’État de droit, plus la justice. La tolérance, plus la volonté. La démocratie, dirons-nous, c’est ce qui reste d’une république quand on éteint les Lumières.

C’est une chose étrange en Europe qu’ « une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » selon le préambule de notre Constitution de 1958 (ou de 1946).

Ce statut de droit légitime un état de fait. A histoire unique, Constitution unique. Il en découle un certain nombre d’usages, d’inhibitions, de passions et de devoirs dont nos amis et voisins démocratiques ne cessent de s’ébaudir ou de s’indigner. Comme l’indiquent les articles stupéfaits ou rigolards consacrés à « l’affaire du voile » par les journaux européens les plus sérieux, il va de soi pour un Anglais ou un Danois que les Français sont une fois de plus tombés sur la tête. Ils n’ont pas tort.

Depuis 1789, et plus exactement depuis 1793, lorsque des insensés eurent l’audace d’arracher à Dieu, pour la première fois, le gouvernement des hommes sur un canton de la planète, nous sommes marginaux et à contre-courant. Deux cents ans après et en dépit des apparences, notre République n’a pas en Europe de véritable équivalent. En 1889, il n’y avait que deux républiques sur notre continent : la France et la Suisse. Malgré quelques changements de noms, alentour, je me risquerai à soutenir que la situation, cent ans plus tard, n’a pas beaucoup changé.

A l’Audimat planétaire, nous voilà encore plus à l’index. Dans un monde où sur quelque 170 Etats souverains plus de 100 peuvent être déjà qualifiés de religieux, les nations laïques forment une minorité en peau de chagrin. Dans la Communauté européenne qu’on dit sécularisée, la laïcité n’est nulle part un principe constitutionnel. Pas plus qu’elle ne l’est aux Etats-Unis d’Amérique (où le Premier Amendement ne stipule que la séparation des Eglises et de l’État), ou en URSS, où régna pendant soixante ans une religion d’Etat, le marxisme-léninisme (les Eglises n’ont évidemment pas l’exclusivité du cléricalisme). Les crucifix continuent de trôner, bien sûr, dans les écoles publiques d’Espagne.

La déchristianisation n’empêche pas les petits Danois de commencer leur journée scolaire par un psaume. Ni le « God Save the Queen » de retentir en Grande-Bretagne où l’anglicanisme est d’Etat. Ni le Code pénal allemand (article 166) de sanctionner le blasphème, comme celui de la Hollande, patrie de la tolérance, où Rushdie n’a dû d’être publié qu’à l’article 147 dudit code qui punit les seules injures faites à Dieu mais non à ses prophètes. Rappelons qu’en France le blasphème a cessé d’être un délit en 1791.

Coupons court aux anecdotes. Pasteurs ou prêtres fonctionnarisés, enseignement religieux obligatoire à l’école sauf demande expresse des parents, partis confessionnels domi­nants, bonne conscience ou culpabilité omniprésentes en toile de fond : dans l’Europe du Marché commun, la politique n’a pas véritablement conquis sa pleine autonomie sur le religieux, lequel garde par ailleurs le monopole du spirituel. Dans l’Europe vaticane et luthérienne, où pape, mollahs et rabbins battent le rappel des ouailles, la république reste un corps étranger, dont rien n’assure qu’il est inassimilable. Les décisions communautaires ne se prennent-elles pas désormais à la majorité ?

La laïcité n’a pas sa raison en elle-même : s’y arrêter ou s’en obséder, c’est la ruiner à terme. Elle n’est qu’un effet secondaire et dérivé d’un principe d’organisation. La clé de voûte de ce « pilier » n’est pas la démocratie — rarement laïque — mais la république, qui l’est nécessairement. Sa remise en question est logique. N’est-ce pas dans l’hiver 1940 que les devoirs envers Dieu furent rétablis dans les programmes de l’école primaire, et en 1941 que les curés furent autorisés à venir faire le catéchisme en classe ? Au moment où, cachée derrière un auguste Maréchal, une technocratie jeune, compétente et moderniste prenait à Vichy, entre un Mea culpa et un Te Deum, les commandes de l’État français, en lieu et place de « la République athée ».

Nous le savons bien : il faut mettre plus de démocratie dans notre République. Lui enlever cette mauvaise graisse napoléonienne, autoritaire et verticale ; cette surcharge de notables, cet héritage monarchique, cette noblesse d’Etat qui l’empâtent. La République française ne deviendra pas plus démocratique en devenant moins républicaine. Mais en allant jusqu’au bout de son concept, sans confusion.

Opposer la république à la démocratie, c’est la tuer. Et réduire la république à la démocratie, qui porte en elle l’anéantissement de la chose publique, c’est aussi la tuer. Comment les démêler, s’ils sont indissociables ? Selon quels critères idéaux ? Tout gouvernement, pour borné que soit son horizon, repose sur une idée de l’homme. Même s’il ne le sait pas, le gouvernement républicain définit l’homme comme un animal par essence raisonnable, né pour bien juger et délibérer de concert avec ses congénères.

Libre est celui qui accède à la possession de soi, dans l’accord de l’acte et de la parole. Le gouvernement démocratique tient que l’homme est un animal par essence productif, né pour fabriquer et échanger. Libre est celui qui possède des biens —entrepreneur ou propriétaire. Ici donc, la politique aura le pas sur l’économie ; et là, l’économie gouvernera la politique. Les meilleurs en république vont au prétoire et au forum ; les meilleurs en démocratie font des affaires. Le prestige que donne ici le service du bien commun, ou la fonction publique, c’est la réussite privée qui l’assure là.

En république, chacun se définit comme citoyen, et tous les citoyens composent « la nation », ce « corps d’associés vivant sous une loi commune et représenté parle même législateur » (Sieyés). En démocratie, chacun se définit par sa « communauté », et l’ensemble des communautés fait « la société ». Ici les hommes sont frères parce qu’ils ont les mêmes droits, et là parce qu’ils ont les mêmes ancêtres. Une république n’a pas de maires noirs, de sénateurs jaunes, de ministres juifs, ou de proviseurs athées. C’est une démocratie qui a des gouverneurs noirs, des maires blancs et des sénateurs mormons. Conci­toyen n’est pas coreligionnaire.

Au-dessus de la nation, il y a l’humanité. Au-dessus de la société, il y a Dieu. Le président à Paris prête serment sur la Constitution votée par ceux d’en bas, et à Washington sur la Bible, qui émane du Trés-Haut. Le premier, après son « Vive la République ! Vive la France ! » terminal, ira se faire encadrer dans sa bibliothèque avec les « Essais » de Montaigne dans les mains. L’autre terminera son discours sur « God Bless America » — et se fera photographier sur fond de bannière étoilée.

En république la liberté est une conquête de la raison. La difficulté est que si on n’apprend pas à croire, il faut apprendre à raisonner. « C’est dans le gouvernement républicain, disait Montesquieu, qu’on a besoin de toute la puissance de l’éducation ». Une république d’illettrés est un cercle carré, parce qu’un ignorant ne peut être libre, participer à la rédaction ou prendre connaissance des lois. Une démocratie où la moitié de la population serait analphabète n’est nullement impensable.

En république, l’État est libre de toute emprise religieuse. En démocratie, les Eglises sont libres de toute emprise étatique. Par « séparation des Eglises et de l’État », on signifie en France que les Eglises doivent s’effacer devant l’État, et aux Etats-Unis que l’État doit s’effacer devant les Eglises. On comprend pourquoi : en souche protestante, terrain d’élection de la démocratie, le droit à la dissidence était inclus dans la croyance, l’esprit de religion ne faisant qu’un avec l’esprit de liberté.

En terrain catholique, le droit à la dissidence a dû être arraché par l’État à l’Eglise parce qu’elle se posait en proprié­taire éternel du Vrai et du Bien. Et le rang assigné aux recteurs d’université et aux membres de l’Académie par le protocole républicain est celui qu’occupent cardinaux et évêques dans les cérémonies démocratiques. Une république fait passer ses écrivains et ses penseurs avant, une démocratie après ses agents de change et ses préfets de police. Bon indice que l’évolution du protocole,

L’idée universelle régit la république. L’idée locale régit la démocratie. Ici, chaque député l’est de la nation entière. Là, un représentant l’est de sa seule circonscription, ou « constituency ». La première proclame à la face du monde les droits de l’homme universel, que personne n’a jamais vu. La seconde défend les droits des Américains, ou des Anglais ou des Allemands, droits déjà acquis par des collectivités bien limitées mais réelles. Car l’universel est abstrait et le local concret, ce qui confère à chaque modèle sa grandeur et ses servitudes. La raison étant sa référence suprême, l’État en république est unitaire et par nature centralisé. Il unifie par-dessus clochers, coutumes et corporations les poids et mesures, les patois, les administrations locales, les programmes et le calendrier scolaires.

La démocratie qui s’épanouit dans le pluriculturel est fédérale par vocation et décentralisée par scepticisme. « A chacun sa vérité », soupire le démocrate, pour qui il n’y a que des opinions (et elles se valent toutes, au fond). « La vérité est une et l’erreur multiple », serait tenté de lui répondre le républicain, au risque de mettre les fautifs en péril. Le self-government et les statuts spéciaux ravissent le démocrate. Ce dernier ne voit rien de mal à ce que chaque communauté urbaine, religieuse ou régionale ait ses leaders « naturels », ses écoles avec programmes adaptés, voire ses tribunaux et ses milices. Patchwork illégitime pour un républicain.

La démocratie peut laisser proliférer les particularismes, s’éclater les égoïsmes parce qu’In God We Trust est sa devise intime, au reste inscrite sur chaque billet vert. La one nation under God ne risque pas de se désagréger parce que Dieu est un bon fédérateur. Elle peut se montrer matérialiste à gogo, individualiste en diable parce que le consensus intercommunautaire est pris en charge, quelle que soit la diversité des truchements confessionnels, par le message d’Abraham, (déposé sur la table de nuit de toutes les chambres d’hôtel).

Les libéraux qui veulent importer en république une moitié de démocratie, sans son volet religieux, ne remplacent pas ce qu’ils détruisent car, amputée de son credo puritain, cette forme de gouvernement tourne à la jungle sans foi ni loi. Le pragmatisme n’est pas à la portée de la république, qui dépérit sans « grand dessein ». Car la métaphysique dont toute cité terrestre a besoin, elle ne peut la demander au Créateur ni à aucune Révélation. Elle doit être à elle-même sa propre transcendance. Elle peut donc mourir de gestion.

En république, l’État surplombe la société. En démocratie, la société domine l’État. La première tempère l’antagonisme des intérêts et l’inégalité des conditions par la primauté de la loi ; la seconde les aménage par la voie pragmatique du contrat, de point à point, de gré à gré. Au règne des fonctionnaires, là où l’État, « recteur et vecteur de la formation nationale » (Pierre Nora), a aussi assuré, et depuis longtemps, la régulation sociale, s’oppose celui des juristes en terre marchande et protestante, là où la règle advient par le local et le privé. Aussi bien le nombre de juristes (avocats, notaires, conseils juridi­ques) est-il en France très inférieur à celui des pays voisins :1 pour 2000 habitants, mais I pour 1 000 en Grande-Bretagne, 1 pour 1200 en RFA et 1 pour 500 aux Etats-Unis.

Une république se fait d’abord avec des républicains, en esprit. Une démocratie peut fonctionner selon la lettre, dans une relative indifférence, en se confiant à la froide objectivité de textes juridiques. 50 % d’abstentions aux élections privent une république de substance, mais n’entament pas une démocratie. Le gouvernement des juges n’est pas républicain. Pas seulement parce qu’il dépossède le peuple législateur de sa souveraineté il dispense chaque citoyen de vouloir, en son âme et conscience, ce que les lois lui dictent.

Et cela n’est pas contradictoire avec ceci que la démocratie met à l’honneur le moralisme parce qu’elle confond le privé et le public, les vertus personnelles et les obligations civiques. On y prend volontiers la charité pour la justice, l’abbé Pierre pour phare, la Croix-Rouge et les Restos du Cœur pour une réponse satisfaisante à la « question sociale ». La république qui sépare soigneusement le privé du public — pour les mêmes raisons qu’elle sépare le spirituel du temporel — se refuse à juger ses hommes publics sur leur vie privée (comme aux Etats-Unis). Elle préfère le civisme. A ses yeux, on ne fait pas de bonne politique avec de bons sentiments ni même une morale. Il peut donc lui arriver d’exercer une justice sans charité.

Une démocratie, si elle est petite ou moyenne, ou en dette avec son passe, peut avoir un statut de protectorat militaire sans malaise ni reniement. L’Allemagne, le Japon, l’Italie sont des démocraties. Une république ne peut remettre à un tiers le soin de se défendre sans se nier comme république. La liberté à l’intérieur ne fait qu’une avec la souveraineté à l’extérieur. S’y appelle patriote celui qui, ne séparant jamais l’amour de la liberté de l’amour de son pays, ne reconnaît à sa patrie aucune supériorité d’essence sur ses voisines. En opprimant plus faible qu’elle, une république viole ses propres principes, et le découvre tôt ou tard. En démocratie, les patriotes portent le nom de nationalistes, qui sont gens redoutables car prêts à échanger la liberté contre la puissance.

Là où chaque citoyen doit pouvoir répondre de la liberté des autres, et donc, le cas échéant, porter les armes, on met la nation dans l’armée et l’armée dans la nation. Que vaudrait l’égalité des citoyens devant la loi sans l’égalité devant la mort, et dés maintenant le service national ? Le principe républicain recommande l’armée de conscription. En démocratie, la défense nationale est souvent en temps de paix l’apanage de professionnels (comme aux Etats-Unis et du Royaume-Uni).

En république, la citoyenneté ne dépend pas d’une situation de fait mais d’un statut de droit. Le droit de vote, par exemple, on l’a ou on ne l’a pas, mais si on l’a, c’est à part entière. La souveraineté populaire ne se débite pas en tranches et les droits politiques ne se hiérarchisent pas. Une démocratie en revanche peut admettre d’avoir des citoyens de première, deuxième, troisième classe (un peu comme à Athènes) : elle seule peut distinguer entre « droit de vote aux élections municipales » et « droit de vote aux élections nationales » — distinction contraire à l’éthique comme à la légalité républicaines.

En république, il y a deux lieux névralgiques dans chaque village la mairie, où les élus délibèrent en commun du bien commun, et l’école, où le maître apprend aux enfants à se passer de maître. Ou encore, pour faire image, l’Assemblée nationale et la Sorbonne. En démocratie, ce sont le temple et le drugstore, ou encore la cathédrale et la Bourse.

La république, dans l’enfant, cherche l’homme et ne s’adresse en lui qu’à ce qui doit grandir, au risque de le brimer. La démocratie flatte l’enfant dans l’homme, craignant de l’ennuyer si elle le traite en adulte. Nul enfant n’est comme tel adorable, dit le républicain, qui veut que l’élève s’élève. Tous les hommes sont aimables parce que ce sont au fond de grands enfants, dit le démocrate. Cela peut se dire plus crûment : la république n’aime pas les enfants. La démocratie ne respecte pas les adultes.

En république, la société doit ressembler à l’école, dont la mission première est de former des citoyens aptes à juger de tout par leur seule lumière naturelle. En démocratie, c’est l’école qui doit ressembler à la société, sa mission première étant de former des producteurs adaptés au marché de l’emploi. On réclamera en ce cas une école « ouverte sur la vie », ou encore une « éducation à la carte ».

En république, l’école peut être qu’un lieu fermé, clos derrière des murs et des règlements propres, sans quoi elle perdrait son indépendance (synonyme de laïcité) à l’égard des forces sociales, politiques, économiques ou religieuses qui la tirent à hue et à dia. Car ce n’est pas la même école, qui se destine l’une à libérer l’homme de son milieu et l’autre à mieux l’y insérer. Et tandis que l’école républicaine sera réputée produire des chômeurs éclairés, on verra dans l’école démocratique une pépinière d’imbéciles compétitifs. Ainsi va la méchanceté, par tirs croisés.

La république aime l’école (et l’honore) ; la démocratie la redoute (et la néglige). Mais ce que les deux aiment et redoutent le plus c’est encore la philosophie à l’école. Il n’est pas de moyen plus sûr pour distinguer une république d’une démocratie que d’observer si la philosophie s’enseigne ou non au lycée, avant l’entrée à l’université. On verra que dans la partie la plus démocratique de l’Europe, celle du Nord, de souche protestante, c’est l’enseignement religieux qui en tient lieu dans les classes terminales.

Les systèmes d’enseignement démocratiques tiennent la philosophie pour un supplément d’âme facultatif, à se partager entre pasteurs et poètes. En république, la philosophie est une matière obligatoire, qui n’a pas pour fin d’exposer des doctrines mais de faire naître des problèmes. C’est l’école et notamment le cours de philosophie qui, en république, relie d’un lien organique les intellectuels au peuple, quelle que soit l’origine sociale des élèves.

Parce qu’elle est une idée, philosophique, la république est interminable, Elle se poursuit elle-même indéfiniment dans l’histoire, et ce qui la porte en avant est cet infini même, cette insatisfaction de soi. Farce qu’elle est un fait, sociologique, la démocratie peur se trouver belle en son miroir. Ce contentement de soi assez fréquent permet une propagande ethnocentrique mais efficace, Se jugeant indépassable, une démocratie se donne en modèle mondial, non sans bonne conscience. Se sachant imparfaite, et toujours trop particulière au regard de la République universelle qu’elle appelle de ses vœux, une république ne sera jamais qu’un exemple.

En démocratie, où l’opinion fait loi, l’argent fait prime. Les appareils de production d’opinion coûtent en effet de plus en plus cher, L’image déclasse l’idée, l’oral domine l’écrit ; et dans les campagnes électorales d’une démocratie, l’affiche exhibe la photo couleur (coûteuse) du candidat, non sa profession de foi écrite noir sur blanc (bon marché).

Aussi le publicitaire commande-t-il au responsable politique, qui en règle générale devra manœuvrer, après son élection, sous chantage médiatique. Il réglera sa politique selon les images qu’on peut ou non en donner, ajustant ses décisions successives aux degrés d’un baromètre dit d’opinion, lui indiquant chaque semaine la cote de popularité des uns et des autres. Tout comme le directeur d’une chaîne de télévision ajuste dans sa programmation l’offre à la demande en fonction des résultats de l’Audimat.

En république, le principe, qui est autre chose que le compromis des intérêts, règle les conduites. Un parti politique, par exemple, n’est pas une machine à conquérir et conserver le pouvoir. Il s’accorde non sur un visage ou une vague promesse mais sur un programme, et si le Souverain passe contrat avec lui, par son vote, ce parti sera tenu d’honorer son contrat.

Pas plus qu’elle ne confond l’instruction avec l’information ou la recherche des raisons premières des choses avec les dernières nouvelles du monde, la république ne fait pas l’amalgame entre le suffrage et le sondage, la cité et la société. Car ceux qui confondent le peuple et la foule, ce qui est institué et ce qui est déchaîné, finissent par confondre la justice et le lynch. Ce qui doit être et ce qui est. Ce qui mérite de rester et ce qui mérite de passer.

Le maître mot en démocratie sera donc communication. Et en république, institution. Il n’est pas étonnant que dans le vocabulaire républicain, instituteur ou institutrice soit un terme noble, comme la fonction, alors qu’il tend à faire honte en démocratie. Du rectangle sacré — tableau noir ou petit écran — dérivent deux types de nomenklatura. Chaque régime sa noblesse. Celle de la vie et celle du diplôme. Le journaliste, le publicitaire, le chanteur, l’acteur, l’homme d’affaires composent le Gotha d’une démocratie. Le professeur, le tribun, l’écrivain, le savant, et même, paradoxe apparent, l’officier, composent celui d’une république.

Une démocratie peut vivre à son aise dans le vacarme ambiant, sûr qu’à terme un ordre s’en dégagera tout seul. En république, la distinction et le discernement exigent des enceintes et des plages de silence. La première peut se définir comme on optimisme du bruit et la seconde comme un optimisme du recueillement. La « fête de la musique » (comme s’appelle ce jour-là le bruit) incarne la philosophie d’une démocratie, la minute de silence concentre l’âme d’une république.

La mémoire est la vertu première des républiques, comme l’amnésie est la force des démocraties. Là où l’homme fait l’homme, chaque enfant en naissant est âgé de six mille ans. Quand on n’a que l’histoire pour soi, s’amputer du passé serait se mutiler soi-même. Quand c’est Dieu qui fait l’homme, il le refait intact à chaque naissance. Inutile de se remémorer ce qu’il y avait avant nous, chaque époque recommence l’aventure à zéro.

Les plus grands honneurs seront rendus ici aux bibliothèques, là aux télévisions. Car, si les bibliothèques sont les cimetières préférés des grands morts, dont le culte définit la culture, la télévision tue le temps agréablement. Une république comme une bibliothèque est composée de plus de morts que de vivants, alors qu’en démocratie comme à la télé seuls les vivants ont le droit d’informer les vivants. Chaque système a ses inconvénients, on en discute.

La république aime l’égalité, sans être égalitariste. Car ce n’est pas la justice mais le ressentiment qui entend niveler les conditions et les récompenses sans tenir compte des capacités et des efforts. Il s’agit de les proportionner — éternel problème sans formule passe-partout, dont la solution toujours précaire appelle l’interminable combat pour la justice. L’égalité sociale n’est pas au programme de la démocratie où l’on parle d’autant plus haut et fort des libertés publiques et individuelles qu’on veut surmonter l’embarras suscité par les inégalités économiques.

Sous le terme d’« égalité », le démocrate peut se contenter de l’égalité juridique devant la loi ; mais le républicain y ajoute obligatoirement une certaine équité des conditions matérielles, sans laquelle le pacte civique devient, à ses yeux, un faux-semblant léonin. Le fait que des myriades de parias et d’intouchables y meurent chaque jour sur les trottoirs n’empêche pas l’Inde d’être une authentique démocratie (malgré son nom de République). Le fait qu’à New York des milliers de homeless et de drogués dorment dans les parcs en hiver, que les pauvres aient leurs hôpitaux et leurs écoles et les riches les leurs, sans comparaison possible, n’enlève rien au rayonne ment mondial et justifié de la statue de la Liberté. Il n’y a plus, dans un pays, de république, mais il y a encore démocratie lorsque l’écart des revenus et des patrimoines y est de l à 50.

L’idéal républicain postule, lui, un certain respect des proportions. Les salaires faramineux des vedettes et des puissants du jour, par hasard révélés au public, ne suscitent chez le fauché démocrate qu’un haussement d’épaules simples rançons, dira-t-il, de la liberté d’entreprendre. Ce n’est pas, en revanche, pour le républicain, poser à l’ascète ou au spartiate que de réprouver les fossés du luxe et l’accroissement des privilèges. La pauvreté émeut une démocratie elle ébranle une république. La première veut un maximum de solidarité— et quelques dons. La seconde, un minimum de fraternité, et beaucoup de lois. Et ce que l’une confie à des fondations, l’autre le demande d’abord à des ministères.

On peut aussi traduire ces deux sensibilités en idéologies rassurantes et répéter avec les grands ancêtres le socialisme, c’est la république, et le libéralisme, la démocratie, poussées l’une et l’autre jusqu’au bout. Mais cette opposition, parfaitement exacte, apparaîtra rétro aux lecteurs de « Globe ». Les socialistes eux-mêmes, ces « vieux républicains », se voulant désormais jeunes et branchés, le thème « inégalités sociales » passe derrière l’antienne « droits de l’homme ».

Un républicain se gardera de dissocier l’homme du citoyen parce que c’est l’appartenance à la cité qui donne à un homme ses droits politiques. Dès le moment où l’individu n’est plus traité comme citoyen mais comme un simple particulier, l’esclavage pointe à l’horizon — et dans l’immédiat, l’arbitraire, qui est l’absence de lois. La liberté en république n’advient à l’individu que par la force des lois, c’est-à-dire par l’Etat. Il n’est pas étonnant que les démocrates ne parlent que des « droits de l’homme » quand un républicain ajoute toujours : « et du citoyen ». Ajout qui n’est pas à ses yeux complément mais condition. Comme la laïcité est la condition de la tolérance et non son opposé.

Cela n’interdit pas qu’en son privé, et assez souvent, le républicain réfractaire à l’air du temps se conduise en « individualiste » et le démocrate, âme poreuse que le social oblige, en « socialisé ». L’individualisme, dont la démocratie fait religion, devient alors l’âme d’un monde sans individus, l’arôme spirituel du mouton. La statistique promeut plus sûrement l’opinion médiocre que l’opinion éclairée. Les chambardeurs qui vénèrent la différence, brocardent vulgates et orthodoxies, baptisent « liberté » le « fais ce que voudras », se ressemblent parfois plus entre eux que les esprits rangés pour qui la liberté consiste à bien penser et à faire ce qu’on doit. Thélème n’est pas toujours où l’on pense.

Combler les écarts entre individus, c’est l’idéal d’un monde où une discussion est dite utile lorsqu’elle permet à des adversaires d’harmoniser in fine leurs points de vue en émoussant les arêtes, comme si la démocratie nous imposait ce devoir envers autrui : tomber d’accord. En république, on ne juge pas inutile de débattre pour clarifier ses différences, voire pour les aiguiser dans un mutuel respect. « Les extrêmes me touchent » est le mot d’un républicain. « Tout ce qui est excessif est insignifiant » celui d’un démocrate. La gageure du républicain : allier la malséance à la courtoisie. Incommode, on le voit, ce régime qui a d’abord besoin d’esprits incommodes.

La démocratie, qui marche au consensus, a besoin, pour se désennuyer, de scandales et de « révélations », comme de « in » et de chic, la mode servant d’ombre portée au conformisme. Monstre d’orgueil et âme noble, Stendhal est le républicain par excellence. Son ami Mérimée, un démocrate profond. Victor Hugo est républicain, Sainte-Beuve démocrate. (Flaubert ni l’un ni l’autre.) Il fallait être un peu seigneur pour dire non à Napoléon III, ami des pauvres et champion avoué de la démocratie, à qui le suffrage universel donna la majorité jusqu’à la fin. Minoritaire, un républicain s’enflamme. Un démocrate en minorité est un homme (ou une femme) déprimée(e).

Il n’y aurait pas jeu de société plus actuel que le « qui est quoi ? » Joxe et Chevènement, « républicains » ? Lang et Jospin, « démocrates » ? Chevénement a rendu son honneur à l’Ecole, mais Joxe admet volontiers le « foulard » dans l’école publique. Rien n’est simple. Mitterrand semble « républicain » dans l’adversité, « démocrate » par beau temps, vent en poupe (cela vaut mieux que l’inverse). Janus bifrons, il file à présent des jours tranquilles à l’Elysée. Michel Rocard est un démocrate type.

Dans les allées du pouvoir, partout, les républicains ont cédé le pas. En règle générale, le républicain n’aime pas l’économie, qui le lui rend bien, Les inspecteurs des Finances, eux, adorent la démocratie. On sait qu’avoir l’économie pour idéal conduit vite à faire l’économie de l’idéal. A l’inverse, ne pas faire ses comptes, c’est faire bon marché de la sueur des hommes. Trop d’économisme tue la république ? Pas assez, aussi. Rien n’est simple. « Le Monde » fut longtemps un journal « républicain ». « Libération » est un journal « démocrate » depuis le début. Antirépublicain de naissance, en quelque sorte, par filiation soixante-huitarde.

Il pourrait s’en déduire une petite caractérologie amusante pour longue soirée d’hiver. Si forte est l’interpénétration des types que vous serez sûr, au moment de dire une vérité, de faire aussi une bourde, Mais comment résister à la tentation d’observer que le républicain est meilleur à l’écrit et le démocrate à l’oral ? L’un séduit (hommes ou femmes) en marquant ses distances : c’est un froid(e). Il (ou elle) peut en jouer. C’est un être de fidélité, mais égoïste. L’autre est chaleureux, plus facile d’accès. Il propose à tous et à toutes et tout de suite de bons moments. C’est un être de proximité. De fugacité aussi.

Quand il parle en public, le républicain semble emphatique ou cassant. Ce qu’il dit est peut-être juste, mais cela sonne faux. Le démocrate est enjoué et piquant : c’est peut-être faux mais ça sonne juste. Pour celui-ci, un homme en tête du hit-parade ne peut pas être tout à fait mauvais. Ni un auteur non reconnu vraiment bon. L’autre aussi lira son Top 50 mais de bas en haut. Le républicain est-il misogyne ? Et le démocrate androgyne ? Dangereux dans notre culture sont les poncifs sexuels. Mais éclairantes, les polarités. Disons alors que l’Homo republicanus a les défauts du masculin, l’Homo democraticus, les qualités du féminin. Au républicain importe surtout le temps qui passe, celui qui ronge et dégrade l’énergie.

D’où l‘angoisse, la crispation. On se raidit parce que cela se défait tout seul. Au démocrate importe d’abord le temps qu’il fait. Pas d’inquiétude, les saisons tournent, et le soleil viendra après la pluie. Le jean après le tchador. La réconciliation après la bataille. Il croit si peu en la guerre qu’il prépare déjà la paix au premier coup de feu. C’est dangereux en période de crise. Qui est le sage, qui est le fou ? Comment savoir ? Il faudrait les marier, ces deux-là. Ça réduirait les risques. Rassurez-vous. La vie le fait toute seule, comme en se jouant.

En matière politique, la critique des beautés n’est guère conseillée. On préfère s’attarder sur les anomalies et les monstruosités. Non sans motif : elles nous dévoilent, dit-on, le fond des choses. Il y a une pathologie de la république. Au siècle dernier, Hippolyte Taine, l’auteur le moins lu et le plus cité par nos hommes de gauche modernes (à leur insu), a tout dit sur le jacobin glacial et sans âme, égaré par l’esprit de géométrie, méprisant les hommes réels au nom d’une idée de l’homme.

Cet « abominable » théoricien ce « régent de collège » est un danger public ambulant. Regardez-le passer. Sec, maigre, suspicieux — une guillotine au fond des yeux. Ecoutez-le parler. Il explique tout et ne comprend rien. Et tout n’est pas faux dans cette caricature conservatrice. Il est vrai qu’une république malade dégénérera en caserne, comme une démocratie malade en bordel. Une tentation autoritaire guette les républiques incommodes, comme la tentation démagogique les démocraties accommodantes.

Il serait décent de mettre en vis-à-vis les dérapages, mais les adversaires de chaque modèle crieront à la fausse symétrie. C’est un fait qu’aujourd’hui la critique du modèle républicain s’exerce volontiers à partir de sa maladie. Dans la fermeté des principes, on dénoncera la rigidité des attitudes ; dans la volonté de cohérence, le goût de la coercition ; dans la logique, le simplisme. Le républicain inculpé ne trouvera qu’avantage à retourner le compliment au démocrate : vous me jugez arrogant (le terme le plus fréquemment associé à « français » dans toutes les bouches d’Europe) ? Je vous trouve bien complaisant. Dogmatique, moi ? Regardez-vous dans la glace, jeune homme plus éclectique que vous on meurt. Vous vantez votre souplesse, pour vous cacher votre mollesse. Réaliste, vous ? Opportuniste, vous voulez dire. Vous me voyez guerrier et sectaire ? Je vous vois capitulard et courant d’air. Ces échanges de politesses permettent à chaque camp de resserrer les rangs. La diatribe a cet avantage qu’elle évite le dialogue. Chacun se trouve beau dans le miroir déformant du voisin : la polémique par la pathologie est une ruse classique du narcissisme.

Ce n’est pas un hasard si les formes monstrueuses de la république excitent à présent mille fois plus de railleries que celles de la démocratie. Le rapport des sarcasmes traduit le rapport des forces. Dans la République française de 1989, la république est devenue minoritaire. Et le minoritaire aux yeux du démocrate est toujours laid.

Le démocrate a vaincu. Le républicain ne semble plus mener que des combats d’arrière-garde. Cette victoire par KO ne sanctionne pas la fin d’un match, pour la simple raison qu’il n’y a pas eu affrontement mais un glissement de plaques tectoniques sous nos pieds. La nation continue de parler en république, la société agit et pense en démocratie. Il y a décalage entre la norme et la culture, entre l’histoire de France et la vie des Français. Ce déphasage entre le protocole et les usages explique le porte-à-faux des élèves et des professeurs.

Comme le montrent les enquêtes sur le voile, un Français de plus de 45 ans a deux chances sur trois de réagir en républicain, et de moins de 25 en démocrate. La république paraît une idée de vieux. L’école laïque aussi, ni l’une ni l’autre ne sont « sympas ». Elles impliquent des devoirs quand tout alentour nous parle droits de l’homme, avoir sans débit, plaisir sans peine. Intégration sans règle. Les démocrates aiment mieux la jeunesse que les principes ?. Ce n’est pas une nouvelle. L’époque est à l’ample, non au cintré ; aux épaulettes, non à la blouse grise. Il faut vivre avec son temps, peu importe la loi si elle est d’un autre âge. Ainsi avons-nous célébré en 1989 la naissance de l’idée française dans les formes américaines, et tout le monde d’applaudir au défilé Goude, apothéose démocratique, abomination républicaine. « On m’a volé mon Bicentenaire » ? Non : on m’a volé ma République.

Disons qu’il y a eu décalage entre l’intention et le résultat. Parti en 1981 pour « réconcilier le socialisme et la liberté », grandiose aventure, la gauche en est arrivée à réconcilier Raymond Barre avec Harlem Désir. C’est méritoire, mais pas vraiment surhumain, car ils n’étaient pas vraiment brouillés (la convivialité n’ayant jamais fait tort à la Bourse). Sous le nom de « socialisme », les descendants du Parti républicain prônent et pratiquent la démocratie libérale, Michelet a accouché de Tocqueville. Bonne ou mauvaise, la surprise mérite explication.

On ne reprendra pas ici dans le détail les crises, mutations, métamorphoses, écroulements, dépassements qui ont envoyé à la trappe, à domicile, le modèle républicain. Les sociologues font fort bien leur métier, et c’est évidemment un phénomène de société que l’abdication de l’idée devant l’image, du père devant le fils de pub, de la chose publique devant les cultes privés.

Il faudrait évoquer l’affaiblissement matériel, objectif, mesurable, de la France dans le monde. Cette mise à niveau a rasé les vieilles haies du bocage, donnant libre cours au vent d’Amérique qui balaie tout sur son passage. Comme le soft chasse le hard, les santiags les galoches, le compact les 45-tours. Et le fax le bélino. Les sociologues parlent d’acculturation, comme les philosophes jadis d’aliénation, pour décrire ces situations où le propre est vécu comme autre et l’étrangeté comme propre.

La république, frappée parait-il d’obsolescence technologique comme un produit de première génération, est sentie par ses inventeurs comme une chose étrangère et étrange, un folklore un peu comique. Non ou pas seulement parce que les sciences sociales ont supplanté la philosophie à l’université, mais parce que des deux côtés de la rue Soufflot, à l’angle du boulevard Saint-Michel, un Free Time et un McDonald’s ont remplacé le Maheu et le Capoulade. Les formes du décor urbain ont plus d’incidence qu’on ne croit sur les contenus d’enseignement. Ce qu’on mange sur ce qu’on croit, et ce qu’on entend sur ce qu’on attend.

Notre establishment intellectuel, qui regarde l’histoire de France depuis les self-services d’outre-Atlantique, n’en revient pas de nos menus à prix fixe. Aussi a-t-il escamoté « De la République en France » sous « De la démocratie en Amérique ». Tournant le dos à Michelet, ce naïf, ce pompier, il a demandé à M. Tocqueville de présenter 1789 au public, c’est-à-dire d’expliquer la Révolution comme une simple étape locale de l’avènement démocratique mondial, qui met la Révolution entre parenthèses, et la République.

Notre establishment médiatique monte en une « la fin de l’Histoire » de M. Fukuyama, fonctionnaire au Département d’Etat américain, qui, dans la revue « National Interest » (imagine-t-on une revue française avec un pareil titre ?), traduit fort improprement ce que M. Kojève expliquait fort subtilement à Paris après guerre et à sa suite des dizaines de philosophes français. Notre establishment politique tient pour un progrès qu’un gouvernement de gauche saisisse le Conseil d’Etat et non le parlement sur la question de l’école. « Etat de droit » fait chic, « peuple souverain », ringard. Le gouvernement des juges n’est-il pas le dernier mot de la démocratie ? Les « autorités administratives indépendantes » ne sont-elles pas, partout, des garants d’objectivité et de neutralité ? Bien archéo, le naïf qui croit que le juge était là pour appliquer la loi, et le citoyen pour la faire. C’est l’inverse.

Il faudrait évoquer l’abaissement de l’Etat et de l’idée d’Etat au-dedans. Le recul du service public sous couvert de la lutte contre les monopoles d’Etat. Le salut par la privatisation, le mécénat et la sponsorisation, l’alignement des chaînes publiques sur les chaînes privées, et tant de reconversions amplement décrites. La République ne veut pas un Etat fort mais un Etat digne. Quand, les ressources budgétaires en baisse, la dignité devient hors de prix, le mieux-disant démocratique emporte le marché. Ce n’est pas un choix mais un automatisme.

Il faudrait évoquer la crise de la raison et de l’universel du XVIIIème siècle, Hiroshima et Tchernobyl, mais aussi Lévi-Strauss, Freud, Nietzsche et le père Marx qui ont, sans aucun doute, relativisé les absolus de Condorcet, tous les présupposés de son club de pensée ingénument baptisé Société des Amis de la Vérité, qui le premier en France lança, en 1791, le manifeste républicain. Sans oublier le retour de la famille et des bons sentiments, la victoire de la tripe sur la logique, de l’humanitarisme sur l’humanisme. La promotion du médecin et la dépression du militant. Le regain de la vie associative et l’évaporation des partis.

Il faudrait évoquer la décentralisation, le come-back des notables, la nouvelle gloire des féodalités provinciales, le retour de Maurras par la gauche, « vivre au pays » et « droit à la différence ». La réhabilitation démocratique de l’Ancien Régime et de ses « diversités ». La régionalisation pédagogique, l’abandon subreptice du concours national comme de l’inspection générale, bref la liquéfaction de l’école comme institution au bénéfice des « communautés éducatives ». Il nous faudrait surtout et d’abord parler de l’Europe, notre beau messianisme de riches.

Ce gros et mol estomac se fait assez peu remarquer. C’est que nous sommes dedans, et son action est lente. Les sucs gastriques communautaires dissolvent en silence les divers résidus des accidents de l’histoire européenne. Contre-culture assez singulière, la république était l’un d’eux. Sa digestion se fait démocratiquement à la majorité. Par réduction des marges de souveraineté de l’Etat et subordination du législateur au technocrate, qui n’a à répondre de rien devant personne. La bouillie sera-t-elle conforme ? Pas plus qu’on ne naît laïque, on ne naît républicain : on le devient. On peut aussi, et pour les mêmes raisons, cesser de l’être. La république n’est pas une prédestination mais une situation. Elle se gagne par l’effort, et se perd sans effort. L’avenir dira si « l’intégration européenne » désignera ou non la meilleure façon qu’avait l’Europe d’enlever de sa chaussure le petit caillou français, que lui avait glissé en partant, la vilaine, notre Révolution.

Dans l’Europe des régions, des capitaux et des obédiences, le premier Etat-nation du continent devient retardataire. On s’était cru en avance parce qu’on avait chassé le Bon Dieu de la présidence, pour qu’une société se fonde non sur l’obéissance des fidèles, ni sur l’appétit de consommateurs, mais sur l’autonomie des citoyens. Si Dieu revient un peu partout avec ses capucins et ses traders, en force ou en douceur, l’avant-garde se retrouve à la remorque. Pour se montrer concurrentielle, la France devra-t-elle alléger son train de vie, se décrisper en quelque sorte ? Une république à Bruxelles, n’est-ce pas bien encombrant ?

Le modèle du pays libéral, qui suppose de moins en moins de citoyens dans les rues et de plus en plus d’individus à la maison, inspire la Communauté des convoitises, non celle des principes. « Eppur se muove ». N’est-ce pas fuir la réalité que d’habiller l’Europe des banquiers, la seule qui existe, avec le bleu de chauffe d’une Europe des travailleurs dont l’espoir ne luit que dans nos banquets ?

La gauche française a fait de la construction européenne un mythe de substitution, censé combler le vide laissé dans les esprits par l’abandon du projet de construction d’une société nouvelle (ce dernier s’étant brisé, comme la barque de l’amour, contre la réalité). Elle n’avait peut-être pas le choix. Mais c’est un piège : si les socialistes veulent être de bons Européens, ils seront de mauvais socialistes. Et vice versa.

Il suffirait de bons républicains. Et qu’au lieu d’apprendre de nos partenaires le B.A.-Ba de la démocratie libérale, en bons élèves méritants, ils soient assez lucides et culottés pour leur proposer les rudiments de la république (laïque et démocratique). Il n’est rien dont l’Europe ait aujourd’hui plus besoin : restituer aux individus leur dignité de citoyens.

Si l’espace public ne leur confère plus cette dignité, ils iront la chercher ailleurs. Car il n’est pas de lien social sans référence symbolique. L’Etat commun à tous viendrait-il à perdre la sienne que les Eglises et les tribus le remplaceraient bientôt dans cette fonction unificatrice. Par simple appel d’air. Quand une république se retire sur la pointe des pieds, ce n’est pas l’individu libre et triomphant qui occupe le terrain. Généralement, les clergés et les mafias lui brûlent la politesse, tant il est vrai que chaque abaissement moral du pouvoir politique se paie d’une avancée politique des autorités religieuses, et d’une nouvelle arrogance des féodalités de l’argent.

Car le sentiment ne suffit pas. Il faut à la liberté personnelle des institutions, à la volonté raisonnable des appartenances. Elles s’affaissent sans ossature. Une société de compassion et de bonnes paroles, sans règles ni discipline, ouvre la porte à des duretés imprévisibles. Hier, c’est l’Etat et ses censures qui menaçait l’autonomie de l’individu, comme la liberté de conscience et d’expression. Aujourd’hui, c’est de la « société civile » — tohu-bohu d’appétits et d’intolérances masquées —que montent les plus grands périls (les demandes d’interdiction et d’exclusion).

La loi du cœur ne peut à elle seule faire face à la montée de pouvoirs de plus en plus intolérants et incontrôlés — médias, clergés, sciences, administration. La défense de l’autonomie individuelle passe à présent par la défense de l’Etat républicain et de la société qui lui correspond. L’ironie du sort faisant du plus impossible des régimes politiques le plus nécessaire. Du plus ringard, le plus futuriste,

Et si la République, qui est d’hier, revenait demain ? Ce ne serait pas la première pirouette de l’opéra-planète qui n’a jamais cessé de suivre en son for intérieur le mot d’ordre de Giuseppe Verdi : « Tournons-nous vers le passé, ce sera un progrès ». Pour être résolument modernes, osons être archaïques.

C’est en ressuscitant l’Antiquité gréco-romaine que les hommes de la liberté, ces grands nostalgiques, enjambant le XVIIIème vers l’arrière, ont devancé tous leurs contemporains. Nous oublions trop que l’Ancien Régime, c’était leur modernité à eux. Ne la trouvant pas assez moderne, ils vainquirent l’ancien par l’antique : le style Louis XV par la rhétorique Brutus, Boucher par David. L’invention du futur a de ces ruses, comme si l’histoire, parfois, devait reculer pour mieux sauter.

On voulait hier nous enfermer dans le dilemme d’un capitalisme libéral, élégant et cynique, et d’un socialisme étatiste, idiot et cynique. On a bien fait de ne pas choisir. Le premier ne satisfait pas l’essentiel en l’homme, qui est d’ordre culturel. Le second, qui trépasse, n’assurait même pas le minimum vital. Voudrait-on aujourd’hui pour faire pièce au nous-autres de l’Homo religiosus nous sommer de rallier le moi-je de l’Homo economicus qu’on répondrait : merci beaucoup, le nous-tous de la reconnaissance civique suffit.

Il se pourrait en effet que le progrès, rétrograde à sa façon, nous donne à choisir entre deux sortes de retour la régression religionnaire ou la régression républicaine. Les tribus ou la nation. Les capucins ou les proviseurs. Auquel cas nous aurions tout intérêt à demander à Condorcet, Michelet et Jules Ferry de revenir faire trois petits tours à la télé. Une République française qui ne serait pas d’abord une démocratie serait intolérable. Une République française qui ne serait plus qu’une démocratie comme les autres serait insignifiante.

Régis Debray

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Commentaire recommandé

Crapounet // 30.06.2020 à 08h35

Magique.
Merci pour ce texte.
A relire plusieurs fois pour le déguster.

Quel claque de bon matin!

41 réactions et commentaires

  • Fritz // 30.06.2020 à 08h12

    Régis Debray se drape dans la toge du républicain, ce qui l’amène à des affirmations osées : « Depuis 1789, et plus exactement depuis 1793, lorsque des insensés eurent l’audace d’arracher à Dieu, pour la première fois, le gouvernement des hommes sur un canton de la planète… »

    On s’en souvient encore dans la Vendée profonde, comme on se souvient en Cévennes de l’éclat du Roi-soleil. Debray ignore-t-il, sérieusement, que la séparation des églises et de l’état (assez de majuscules !) a été expérimentée dès le XVIIe siècle dans certaines colonies de l’Amérique du nord, et officialisée en 1791 par le Premier amendement à la constitution des États-Unis ?

    « Congress shall make no law respecting an establishment of religion, or prohibiting the free exercise thereof… »

    Différence avec la France : là-bas, on n’idolâtre pas la République. Marianne, avatar de la mariolâtrie ?

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    • jean-pierre.georges-pichot // 30.06.2020 à 09h03

      Désolé, mais vous n’avez pas bien compris. Vous citez : « Congress shall make no law respecting an establishment of religion, or prohibiting the free exercise thereof…». C’est exactement le point soulevé par Régis Debray : l’Etat ne doit rien dire sur le fonctionnement des églises. Mais la réciproque n’est pas vraie du tout ! Et c’est ce que l’on voit tous les jours.

        +17

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      • Kasper // 30.06.2020 à 14h15

        En interdisant à l’état de légiférer en matière de religion, la constitution empêche justement le culte majoritaire de se servir de l’État pour assurer sa suprématie, garantissant ainsi la liberté de religion et la séparation des églises et de l’état.

        La réciproque, elle, ne sera bien évidemment jamais vraie. Tout culte est constitué de citoyens qui votent et légiférent évidemment en fonction de leur système de valeur, y compris leurs valeurs religieuses. Vous ne pourrez jamais empêcher les cultes d’avoir une opinion sur la société et ses règles.

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        • jmathon // 01.07.2020 à 08h26

          « La réciproque, elle, ne sera bien évidemment jamais vraie.»
          Si vous avez raison, cela signifie donc que la conclusion se conjugue désormais au présent : la République française n’est qu’une démocratie comme les autres, elle est insignifiante.

          Je ne me prononce pas sur le « jamais » mais il semble que vous ayez conjoncturellement raison. Il paraît désormais tout à fait vain de demander, sinon à un individu particulier, mais plus globalement à l’ensemble de la population (ou du moins à une partie significative de celle-ci) de se comporter en citoyen.

            +0

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    • Fritz // 30.06.2020 à 17h03

      L’article que je cite ? C’est un amendement à la constitution, et il ne parle pas seulement de religion : « Le Congrès ne doit faire aucune loi concernant l’établissement d’une religion, ou interdisant son libre exercice ; ou pour limiter la liberté d’expression, de la presse ou le droit des citoyens de se réunir paisiblement ou d’adresser au Gouvernement des pétitions pour obtenir réparations des torts subis. »

      Pas de république ? Donc, « the Battle Hymn of the Republic » n’existe pas.

      Plus largement, je reproche à Debray de se limiter à une opposition république française, laïque et jacobine / démocratie états-unienne empreinte de religion, ce qui est très réducteur.

        +1

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      • Madudu // 30.06.2020 à 18h47

        Ils partagent la même monnaie, la même armée, les mêmes accords commerciaux, les mêmes normes techniques, etc.

        Ils ne sont pas de véritables États, ce sont les provinces d’un État plus vaste (les états-unis).

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        • Madudu // 30.06.2020 à 19h43

          Vous aurez remarqué que le projet européiste est celui de la constitution d’un État européen, pour faire comme aux états-unis.

          Raison pour laquelle ceux qui tiennent à l’indépendance de la France ne veulent pas voir aboutir ce projet.

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        • Fritz // 30.06.2020 à 20h39

          Un processus pour sortir de cette association ? Ça devient intéressant. Pouvez-vous nous citer le passage précis, en langue anglaise ou française ?
          En décembre 1860, la Caroline du Sud était sortie de l’Union (« The Union is dissolved ! »). On connaît la suite : le ravitaillement du Fort Sumter, son bombardement, la guerre civile, la chevauchée humanitaire du général Sherman, etc.

            +1

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  • Pierre Darras // 30.06.2020 à 08h21

    C’est excellentissime. Je ne m’en lasse pas.

    A propos de l’éducation fondement de l’esprit citoyen, je note que ceux qui dirigent les choses ont trouvé la parade en amont.
    D’une part, des programmes scolaires hyper chargés obligeant l’enseignant au bachotage stérile et lui interdisant une vraie formation de l’élève à la discipline enseignée.
    D’autre part, une profusion ahurissante d’offre de divertissement pour jouer sur la paresse humaine et empêcher au citoyen d’utiliser tout ce temps débilitant à réellement s’informer. A l’heure où l’humanité n’a jamais disposé d’autant de sources d’information, on l’encourage à se vautrer dans la porcherie de la télé réalité, du débat bidon, du faux docu, de la pornographie, de l’adorable chaton sur youtube ou de bavardages insipides sur les réseaux sociaux.
    Nonobstant le côté religieux, Moïse, écœuré par l’abetissement des Hébreux après 4 siècles d’esclavage, leurs caprices, leurs pleurnicheries et surtout leur ingratitude envers leur dieu, décida que rien de bon n’était à tirer de cette génération et envoya tout le monde au désert 40 ans sous des tentes histoire de retrouver une conscience.
    A-t-on besoin de 40 ans de désert?

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  • Narm // 30.06.2020 à 08h24

    Magnifiquement dit
    A faire lire

    Le mot de la fin…. oui , c’est intolérable. Et ça c’est pourtant passé sous nos yeux avec l’aval de beaucoup de corrompus

      +10

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  • Crapounet // 30.06.2020 à 08h35

    Magique.
    Merci pour ce texte.
    A relire plusieurs fois pour le déguster.

    Quel claque de bon matin!

      +19

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  • Brigitte // 30.06.2020 à 09h05

    De très bonnes choses, élève Debré, aurait dit le professeur de philosophie du lycée Condorcet. En particulier vous mettez bien le doigt sur un point essentiel, civilisationnel, pour reprendre votre terme, l’existence du modèle anglo-saxon et du modèle français, y -en a t-il d’autre en Occident? qui s’affrontèrent longtemps et s’affrontent encore mais le modèle français perd du terrain, de guerre en guerre, de guerre lasse.
    « La république, c’est la démocratie plus la raison » belle formule!
    Mais n’abusez pas des formules, expliquez, raisonnez.
    Qui a raison? la Loi ? le Marché ? le Peuple?
    Qui fait les lois? qui dirige le Marché? qui représente le Peuple?
    Le dicton populaire « la raison du plus fort est toujours la meilleure » nous ramène à notre condition animale, quelque soit le système que nous essayons de mettre en place.
    Une autre remarque: cette opposition entre République et Démocratie est-elle si bien choisie pour symboliser l’affrontement en question?
    S’en suit quelques longueurs pour dessiner les contours de votre thèse car au fond, dans tout système il y a un peu des deux. N’est-ce pas plutôt une question de religion puisque ce qui définit la République, c’est la laïcité? A part la France, les démocraties européennes sont des monarchies constitutionnelles. Les USA est un système bâtard.
    A suivre….

      +4

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    • Madudu // 30.06.2020 à 11h02

      La République c’est simplement un ordre institutionnel conçu pour servir le bien commun, en opposition à ceux qui sont conçus pour servir des intérêts particuliers.

      À ce sujet, il faut absolument lire l’un des plus grands penseurs de la politique, qui était aussi un républicain : Machiavel.

      Une république peut aussi bien être une monarchie qu’une aristocratie ou une démocratie, mais pas longtemps. Car ces trois modes de gouvernement dégénèrent toujours, le premier en despotisme, le deuxième en oligarchie, le troisième en « licence » (comprendre : en désordre, tous contre tous).

      Pour qu’une république demeure une république, il faut que les différentes institutions incarnent les différentes formes de pouvoir et qu’entre elles il existe une guerre permanente dont aucune ne sort jamais victorieuse.

      C’est la thèse de Machiavel.

      De là, que le principe monarchique n’est pas à effacer, ni le principe aristocratique, ni le principe démocratique. Il faut au contraire faire coexister les trois pour tirer de chacun ce qu’il y a de bon, et pour les empêcher tous de dégénérer.

      Un président fort élu au suffrage universel, une aristocratie tirée du peuple, éduquée par les grands corps de l’État : voilà la recette de la Ve République, qu’il faudra rétablir et, pourquoi pas, perfectionner.

        +9

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      • Pong // 01.07.2020 à 01h24

        > »une aristocratie tirée du peuple »

        Vision parfaitement théorique, j’en ai peur. En pratique, c’est là que ça coince. Et pas qu’un peu. Sur chaque terme en fait. Cette clique est tout sauf une véritable aristocratie (la médiocrité des élus est assez accablante) et elle est tout sauf tirée du peuple (l’homogénéité sociale de l’assemblée nationale n’est plus à démontrer).
        Et ce n’est pas le fruit du hasard. Pour bon nombre de raisons (principalement l’échelle mais voir Chouard pour plus de détails), ce système sélectionne mécaniquement des gens excellent pour conquérir le pouvoir (des démagogues) et très mauvais pour l’exercer.
        Le système n’est donc pas à perfectionner selon moi mais à expédier dans les poubelles de l’Histoire.

          +4

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        • Madudu // 01.07.2020 à 08h59

          La clique actuelle est une oligarchie, c’est-à-dire le résultat de la dégénération d’une aristocratie (aristos = le meilleur, l’excellent).

          Mais la Ve n’a pas toujours été ainsi, dans ses débuts elle tirait son aristocratie du peuple et éduquait cette aristocratie au service de l’État républicain.

          Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui, où les institutions sont méconnaissables : le joug européen a remplacé notre président fort élu au suffrage universel, celui-ci n’étant plus qu’un gouverneur de province dont la tâche est de faire régner l’ordre européen ; il n’y a plus d’aristocratie, mais seulement des carriéristes et des sociopathes qui cherchent une position de pouvoir.

          Il n’y donc plus aucun des trois piliers de la Ve : le principe monarchique est usurpé par l’UE, l’aristocratie n’existe plus, le suffrage universel n’est plus employé à rien qui soit significatif.

          Il s’agit donc, à mon sens, de commencer par restaurer les institutions. J’y verrai bien, en plus, un RIC CARL pour donner au peuple la réactivité qui lui a manqué, et pour apporter au système une redondance qui devrait contribuer à le stabiliser.

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          • pong // 01.07.2020 à 12h14

            Vous semblez considérer qu’au moins à ses débuts, le système a fonctionné selon ces principes. Deux réponses :
            1) Que la situation se soit dégradée, c’est une certitude. Mais il me semble tout sauf acquis que ça n’ait jamais été le cas, même en 58. Pour ne prendre qu’un seul indicateur des « vertus » du système (et qui ne vaut que ce qu’il vaut), si l’on examine la représentativité, on ne comptait déjà plus que 4% d’ouvrier et employés en 58, contre 20 en 46. Ça n’a pas cessé de se réduite depuis.

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            • Madudu // 01.07.2020 à 13h10

              Oui, le système a fonctionné suivant les principes que j’ai donné.

              Mais il vous faut comprendre que la « représentativité » n’a pas beaucoup de sens dans l’esprit de la Ve République, il s’agit d’un concept issu des pseudo-démocraties parlementaires.

              La Ve est conçue pour servir le bien commun, pas pour être représentative des individus qui composent le peuple.

              Le peuple a son principal représentant dans la figure du président, mais celui-ci n’a pas vocation à être « représentatif », il a vocation à servir la nation.

              Lorsque je dis que l’aristocratie était tirée du peuple, je fais référence au fait que les élèves étaient sélectionnés sur leurs performances dans le cadre d’un système éducatif très égalitaire.

              C’est ce qui a fait plus tard la fameuse méritocratie dont parle Todd, qui a eu pour résultat de vider les milieux populaires de leurs éléments les plus brillants.

              Pour conserver cette tradition méritocratique, il aurait fallu que l’intérêt général et le service de l’État conservent leur caractère sacré, avec leurs rituels, leurs grandes réalisations et même leur propagande.

              Mais cette religion du destin commun a été sabordée pour les besoins du joug européen et de la soumission aux états-unis.

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        • pong // 01.07.2020 à 13h21

          2) Comme en témoigne cette évolution qui ignore superbement le passage de la 4è à la 5è République, il est plus que probable (de mon point de vue c’est acquis car maintes fois analysé par de nombreux auteurs, dont Lordon pour ne citer que lui), que ce que vous tenez pour une aristocratie véritable devait bien plus au contexte qu’aux institutions. Les lendemains de la guerre constituent en effet un moment historique tout à fait singulier : le pays est à reconstruire, le PC est auréolé de sa contribution héroïque à la victoire et, surtout, les élites sont totalement décrédibilisées par leur compromission avec l’occupant. J’ajoute bien évidemment le rôle intimidateur de la puissance soviétique et du risque révolutionnaire associé et vous obtenez les conditions pour l’émergence historique d’une élite réellement dévouée au service de l’Etat (les fameux grands commis).
          Mais avec la disparition des causes (chute de l’URSS, oubli), on a vu la disparition des effets. Jusque dans les années 70, le pantouflage était à peine concevable pour un Inspecteur des Finance, aujourd’hui, de mémoire après 10 ans c’est 50%. Encore une fois, les instituions ne l’empêchent en rien.

          Vous connaissez la morale chien ? Pourquoi les chiens se grattent les couilles ? Parce qu’ils peuvent.

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  • Frat // 30.06.2020 à 09h31

    Il parle de confusion mentale, mais appelle nos régimes (des républiques représentatives) des démocratie !

    j’ai arrêté au 2eme paragraphe pour éviter toute confusion mentale supplémentaire.
    Sans doute un tort.

      +9

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    • LibEgaFra // 30.06.2020 à 11h54

      J’ai lu un peu plus loin que vous… et je me suis aussi arrêté. Je déteste les donneurs de leçon qui voient la « démocratie » ou la « république » là où il n’y a qu’une oligarchie ploutocratique. Les élections, piège à Macron. Nous avons vu. En 1995 nous savions déjà. L’opposition entre république et démocratie est totalement factice et ne sert qu’à masquer un système de pouvoir où peu importe les marionnettes, vu que ce sont les marionnettistes qui sont au contrôle.

      Le pouvoir n’est pas tant politique qu’économique. Une démocratie digne de ce nom ne peut être que politique ET économique. Tant qu’un être humain vaudra plus qu’un autre, aura plus de droits qu’un autre, nous ne serons pas en démocratie. Et je ne parle même pas de la séparation des pouvoirs qui n’existe nulle part. Nous vivons sous la dictature de la bourgeoisie. Pas touche aux dividendes!

      La Chine rêve de démocratie…? C’est Debray qui rêve et exprime les voeux de l’oligarchie impérialiste. Le gouvernement chinois est bien plus démocratique que le gouvernement français: élévation du niveau de vie là-bas contre détérioration du niveau de vie ici.

      « des républiques représentatives »

      Même pas. Pour être représentative, il faut une élection à la proportionnelle intégrale.

        +15

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      • Alfred // 30.06.2020 à 17h40

        Pour une fois 100% d’accord avec vous. Il y a quand même de quoi s’interroger sur le fait que partageant les mêmes constats globaux nous ne tirions pas du tout les mêmes conclusions et peu coupes d’action.

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  • Rémi // 30.06.2020 à 09h35

    Monsieur Debray,
    .
    Vous me pardonnerez de tirer á boulet rouge.
    Etant d’éducation marxiste (Pas d’obédience, juste d’éducation), la religion est l’opium du peuple permettant de faire accepter une société inégalitaire par un juste retour dans la vie d’après la mort.
    Nos sociétées étant engagées dans un combat pour le rétablissement de l’inégalité il faut rétablir la religion.
    Alors on met en avant la religion musulmanne, ca remet dans le « droit » chemin nos six millions de compatriotes dont c’est l’héritage cutlurel.
    En agitant le chiffon rouge de lislamisme qui va égorger nos fils, nos compagne dans nos églises reconverties en mosquée, Cela permet de recomencer á renvoyer vers les églises la masses des travailleurs d’origine chrétienne. (Ce n’est pas un hasard si Vichy avait ouvert l’école à l’église, notre mére l’église a toujours été receptive aux doléances des puissants et remplace merveilleusement bien un syndicat jaune.
    Le vrai combat n’est pas la laicité.
    il est: Les inégalité sociales
    relancer le progrés technique pour que le niveau de vie individuel progresse, ce qui relancera la sécularisation.
    il y a quarante ans les bassistes disaient que les islamistes étaient retrogrades. Sur l’échec du developpement les islamistes sont revennus. Les catholiques intégristes n’en croient pas leur chance de notre échec à assurer le developpement.
    Comme disait Audiart: Les immobilistes ont une revanche á prendre.

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  • Dieselito // 30.06.2020 à 09h40

    Partie 1:
    « Les formes politiques sont jugées très simplement d’après leur ressemblance avec celles des États-Unis.
    Ainsi, une république vaut mieux qu’une monarchie, deux partis valent mieux que trois ou un, la séparation de l’Église et de L’État vaux mieux que leur unification, un président vaut mieux qu’un roi ou un dictateur, un pouvoir judiciaire indépendant est meilleur qu’une justice subordonnée, deux Chambres de représentants élus valent mieux qu’une seule ou trois, l’absence de titres héréditaires est préférable à leur présence.
    Dans la mesure où les formes politiques d’un pays étranger correspondent à celles des États-Unis, toutes choses égales d’ailleurs, ce pays sera jugé proche de l’américanisme.
    Mais lorsque l’on s’exprime sur cet aspect politique, on emploie habituellement au lieu d’ « américanisme », un synonyme qui est « démocratie ».
    suite à partie 2

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  • Dieselito // 30.06.2020 à 09h41

    Cette synonymie a été établie au moyen du pus simple des syllogismes: Les formes politiques américaines sont démocratiques; donc, les formes semblables à celles de l’Amérique sont semblables à la démocratie.
    Ce syllogisme est indiscutable pour l’immense majorité des Américains: si la Suède ou la Grèce abolissent leurs monarchies sans rien changer à leur conduite politique, elles seraient considérées comme devenues plus démocratiques. Inversement, quelque complètes que soient la sécurité sociale et l’égalité politiques des Britanniques, on les tiendra pour incomplètement démocratiques tant qu’ils conserveront la monarchie et les titres héréditaires.
    Pour l’immense majorité des Américains, le terme « démocratie » n’a pas d’autres définition que : « formes politiques à la mode américaine ».
    Geoffrey Gorer, Les Américains, P 236-267 aux Ed Calman-Levy 1949

    Le titre est inconsciemment révélateur: on en est là au niveau de l’américanisation….. Quant à la démocratie, la vraie, celle du cratos par le demos, on peut rêver encore longtemps…

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    • jmathon // 01.07.2020 à 08h45

      « Le titre est inconsciemment révélateur »…
      Voulez-vous vraiment dire que Régis Debray n’aurait par ce texte justement dénoncé (sans avoir à le dire explicitement) l’américanisation française ?
      Le titre me semble tout au contraire montrer cette intention sans avoir à prêter le flanc aux critiques qui portent sur ce que serait une véritable « démocratie » car tel n’est pas le propos.
      À ce sujet, on pourra noter que la première fois que le mot démocratie est utilisé dans le texte (dans le titre clin d’œil, il s’agit de démocrate et de républicain), c’est pour dire qu’il s’agit de « l’idée de démocratie, telle que la modèle l’histoire anglo-saxonne ».

        +2

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  • kelkun // 30.06.2020 à 09h54

    La dévotion républicaine dont Debray est un des curés les plus zélés et ampoulés est au contraire à mes yeux un empêchement à la quête devenue indispensable d’une Démocratie de meilleure qualité.
    Par Démocratie j’entends simplement quelquechose qui approcherait le pouvoir du peuple par etc etc,
    pas celui exclusif et hors peuple de la part de soit disant élites soit disant débordantes de « raison » soit disant issues d’une méritocratie efficiente, ces zéros infatués et consanguins de la république Réelle tant adorée par Debray l’illuminé adorateur sans Raison sur ce sujet.

      +14

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  • LUC DEFEBVRE // 30.06.2020 à 10h08

    Beau texte !
    Pour moi, et pour ce qui nous concerne, l’essentiel est là : « une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».
    Pour faire bref, on remarque quand même que c’est sur les deux dernières qualités que la République est le plus attaquée, comme minée de l’intérieur, sans trop de protestations (à la différence de la laïcité) :
    – exemple de la loi, de plus en plus préfabriquée par les groupes de pression (multinationales, FNSEA etc… via ou non l’Europe (ordonnances systématique reprenant les actes de la commission européenne, eux mêmes peu démocratiques).
    – l’obligation sociale est combattue par le pouvoir représentant d’une classe sociale. La réduction de cette obligation est un objectif politique.

      +8

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  • kelkun // 30.06.2020 à 13h32

    A ceux qui se paient de mots et se montrent impressionnés par ce verbiage républicain dévot et dé-Raisonnable, ainsi qu’à Debray et ses semblables prêcheurs dé-Raisonnables, je conseillerai d’écouter ce court message, la première partie du message, moins d’une minute donc, avec bien plus de Raison dans ces quelques secondes de Russell que dans les centaines de syllabes de ce texte halluciné :
    https://www.youtube.com/watch?v=P5WugeGbRJc
    Cordialement…

      +2

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  • Savonarole // 30.06.2020 à 13h44

    C’est joli mais c’est incomplet … très incomplet.
    Debray fait comme si il n’y avait rien existé comme modèles de Républiques entre l’Athènes de Pericles et l’ère des révolutions. Or rien qu’en Europe il y a eut des foules de modèles républicains qui ont existé : de la république des doges de Venise en passant par celle des patriciens de Milan ou Florence , sans oublier les Bauernrepublik de la Hanse. Comment décrire la République des deux nations ? Le Sejm est il une forme de république ?
    La question de la religion est accessoire, elle vient plus polluer le débat qu’apporter des réponses.
    Une république n’est pas forcement démocratique, l’opposition entre républicain et démocrates dès la création des USA en est un bon exemple. La question qui transparaît à la lecture de Tocqueville est d’ailleurs assez révélatrice , ce pays s’est construit sur le degrés d’acception de ses responsables politique à laisser où non tel où tel pouvoir au peuple. Ça a donné un système localement très démocratique et fédéralement pas du tout.
    Et c’est bien là la question que n’arrive pas à poser Debray : quel pouvoir du peuple pour quel choses publiques ? Vaste question apparemment pas encore tranchée…

      +6

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  • Blabla // 30.06.2020 à 15h06

    Il ne compare que les versions idéales de la république française et la démocratie US, dirait-on.
    Quand on sait que la première république, celle de Rome, a été faite pour se rapprocher de la démocratie tout en laissant le contrôle aux patriciens, d’où leur devise : le Sénat et (ensuite) le Peuple de Rome

      +0

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    • Pierre Darras // 30.06.2020 à 15h27

      La seule raison de naître de la République à Rome est simplement que les 600 familles les plus riches ne pouvaient plus supporter l’idée qu’on puisse leur dicter des choses contraires à leurs intérêts. Plutôt que de s’entretuer entre elles pour voir qui dirige ou pire, voir émerger un tyran qui se mette à avantager la plébe, ils ont mis en place un racket à leur seul service. Exactement comme plus tard les Génois, les Veniciens ou autres italiques.
      C’est à partir de ce moment qu’on incruste dans les crânes qu’un tyran c’est caca, pas beau, affreux. Pour mémoire, selon Platon le tyran est celui qui s’appuie sur le peuple pour combattre l’oligarchie. Pour le pire ou le meilleur.
      Ils étaient balaises ces Romains, 2500 plus tard il y a encore plein de gogos qui prennent leur dictature oligarchique pour une vraie république, et démocratique et vertueuse en plus. Chapeau les artistes.

        +16

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      • Alfred // 30.06.2020 à 17h46

        C’est ça la culture classique des élites …😉 C’est pour cela aussi que le grec et le latin c’est glop pas glop (culture classique pif gadget) et que l’enseignement de l’histoire est tenu en laisse courte. Faudrait pas que le petit peuple se prenne le goût d’avoir un peu de recul.

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      • Blabla // 02.07.2020 à 17h22

        Effectivement, Tarquin le Superbe, bien qu’étrusque, s’appuyait sur le peuple de Rome et fut renversé pour cette raison.
        400 ans plus tard, la lutte pour les pouvoirs entre les patriciens aboutit à la concentration du pouvoir entre les mains d’un seul, jusqu’au principat. Remarquez que les empereurs « fous » étaient tous aimés du peuple, l’Histoire étant rédigée par les sénateurs.
        De même, de nos jours, les médias appartiennent aux milliardaires et vomissent sur les figures populaires pour encenser les membres de leur caste.

          +0

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  • Urko // 30.06.2020 à 20h58

    Ce texte de 1989 remanié nous rappelle à quel point notre exposition à la culture américaine – via les films de Hollywood, la pop, le rap, les séries télévisées, mais aussi via les études effectuées par de jeunes Français dans les pays anglo saxons, via la prise de contrôle de nombre de nos entreprises, et encore via l’accroissement de la population d’origine immigrée moins (voire pas) attachée à la culture républicaine – a fini par désagréger nos repères. Trente après, le matche semble plié. Les démocrates (libéraux) ont pilonné les républicains (jacobins). Notons que la gauche aurait dû s’opposer au mouvement : elle l’a accompagné, et y met toujours plus de zèle en misant sur tous les séparatistes qui se proposent de fracturer la société.

      +7

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    • kelkun // 30.06.2020 à 23h19

      Je dis cela je dis quelque chose, mais je suis très heureux d’être « exposé » à la culture cinématographique américaine contemporaine, et atterré et presque terrorisé quand certains essaient de me vendre la « culture » cinématographique française contemporaine.
      Du coup, comme j’ai un cerveau et un peu de goût, je relativise, et je prends note de la devenue stérilité républicaine…!!!

        +3

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      • Blabla // 02.07.2020 à 17h27

        La culture cinématographique française n’existe plus : il y a des caricatures bon marché du cinéma hollywoodien (jamais celui de New York, notez) car sans le budget.
        Les héritiers de la culture cinématographique française n’ont plus de budget et sont confinés dans des niches confidentielles, souvent dans le comique, car il ne faudrait pas qu’ils donnent de mauvaises idées au peuple!

          +2

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      • Urko // 02.07.2020 à 22h16

        Bien sûr que le cinéma américain a plein de qualités. C’est d’ailleurs aussi pour cela qu’il s’avère aussi influent et que la mentalité et les dispositions de ses personnages, de ses scénarios, nous imprègnent tant.

          +0

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  • Bernardo // 01.07.2020 à 08h44

    Comme toujours, le débat porte sur des concepts. Un débat purement intellectuel, dans la haute atmosphère des idées, si loin des réalités de la vie quotidienne et de l’air que nous respirons. Régis Debray est un intellectuel, il en vit, se paye de mots et se fait payer pour des mots (en inventant un nouveau mot pour la discipline qu’il s’est créé sur mesure), uniquement des mots. Comme le font tous nos politiques professionnels sur la scène du théâtre médiatique. Et toujours ce relent nationaliste comme quoi, un modèle « Français », le sien, serait le vrai, le bon. La « République » a elle aussi beaucoup massacré, colonisé, mis les libertés sous le boisseau. Thiers en appelait à la « République » et on sait ce qu’il a fait de la Commune qui elle ne se réclamait pas de la République étatisée, centralisée, accaparée par les professionnels de la politique, leurs clients et leurs affidés. Sortons des concepts abstraits pour construire un monde réel vivable, humain.

      +2

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  • amadablan // 01.07.2020 à 18h37

    Comme toujours R Debray est lumineux et donne à réfléchir. Un des plus grands penseurs politique de notre temps.

      +3

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  • Incognitototo // 01.07.2020 à 19h36

    Cet « inventaire » des différences entre le système français et les (« les », parce qu’il n’y a rien d’homogènes chez eux) systèmes anglo-saxons oublie juste une chose, c’est : quels sont les buts poursuivis par les organisations humaines ?

    L’exemple de la jeune musulmane voilée est assez significatif à ce niveau-là. Le but de la laïcité est de permettre (entre autres) qu’un humain ne soit pas assigné à ce que ses origines et sa culture de naissance le prédéterminent à devenir. En cela, la neutralité de l’école publique – le fait qu’on doit laisser à la porte de l’établissement ses différences et ses croyances pour recevoir la connaissance – est fondamentale pour permettre à un enfant d’intégrer qu’il n’est pas que ce que ses origines le prédestinent à être.

    Quand on constate par exemple que 78 % des Américains ( http://homofabulus.com/les-derniers-chiffres-du-creationnisme-aux-etats-unis/ ) continuent à croire mordicus au créationnisme et autres fariboles (ou pire à voter Trump), franchement je préfère, même s’il est largement perfectible, notre système.

    Par contre, je suis bien d’accord qu’on ferait bien de relire Condorcet, Montesquieu, Jaurès, Hugo … pour comprendre à quel point nous nous sommes éloignés des principes fondateurs de notre devise : liberté, égalité, fraternité, qui ne peuvent fonctionner que de façon dynamique parce qu’ils sont en soi paradoxaux.

      +1

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  • mikatypa // 02.07.2020 à 14h46

    Debray dans ce texte, à mis des mots sur mes maux… Je ne comprenais pas d’où venait mon malaise à la visualisation des séries américaines où la justice sociale est aussi absente que l’athéisme, aux critiques sans cesse renouvellées de notre supposée « arrogance », aux donneurs de leçons des pays « protestants » prônant la charité plutôt que la redistribution et leur acceptation effarante de l’accroissement des inégalités (si tu es riche c’est que Dieu est avec toi..), etc etc
    J’ai retrouvé chez les gilets jaunes l’appel à la République, notre bien commun, les discussions politiques, le débat, la volonté de se faire entendre en tant que citoyen copropriétaire de cette république. La mort des idéologies est une catastrophe. On ne peut plus penser la politique. Reste les interdits, le repli sur des identités fantasmées…
    Merci monsieur Debray.

      +2

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