L’assaut brutal d’Israël contre Gaza a provoqué une famine désastreuse dans l’enclave. Mais ce n’est pas la première fois qu’Israël tente d’affamer les Palestiniens de Gaza : des documents du gouvernement israélien suggèrent qu’il s’agissait d’une politique explicite entre 2007 et 2010.
Source : Jacobin, Arvind Dilawar
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
« Le vice-ministre de la défense a approuvé l’entrée dans la bande de Gaza de 106 camions transportant des produits humanitaires de base, afin de permettre un minimum de survie dans la bande de Gaza. »
Cette déclaration pourrait être l’une des innombrables affirmations similaires faites par le gouvernement israélien depuis le début du génocide israélien en cours à Gaza, mais elle est en fait tirée d’une présentation de 2008. La présentation du ministère israélien de la défense intitulée « Food Consumption in the Gaza Strip – Red Lines » (Consommation alimentaire dans la bande de Gaza – Lignes rouges) détaille la quantité de nourriture consommée, produite et distribuée dans l’ensemble de la bande de Gaza. Elle a été préparée pour aider le gouvernement israélien à atteindre son objectif déclaré : limiter l’entrée de nourriture dans la bande de Gaza.
Bien que le ministère israélien de la défense ait affirmé que « Lignes rouges », comme la présentation est souvent appelée, n’était qu’un projet et n’a jamais été « utilisée comme base pour la mise en œuvre de la politique civile à l’égard de la bande de Gaza », il semble qu’elle ait été en vigueur de 2007 à 2010. Lorsque la présentation a été révélée des années plus tard, elle n’a fait que confirmer ce que les Palestiniens de Gaza savaient déjà, à savoir qu’Israël essayait de les affamer.
« La politique consistait à mener une guerre économique »
En 2007, en réponse à la victoire du Hamas aux élections palestiniennes et à la prise de contrôle de Gaza par ses rivaux politiques, le gouvernement israélien a mis en place un blocus permanent de la bande de Gaza. Si l’objectif premier du blocus était de réduire l’approvisionnement en carburant et en électricité à Gaza, ainsi que de restreindre la circulation des personnes à l’intérieur et à l’extérieur de la bande, l’alimentation était également une préoccupation israélienne, comme le montre Red Lines (Lignes rouges). La présentation estime les quantités de diverses denrées alimentaires – farine, légumes, lait, etc. – nécessaires pour nourrir la population de Gaza, par rapport à ce qui était produit dans l’enclave et acheminé pour distribution par la poignée de points de passage de la frontière militarisée construite par Israël autour du territoire.
« L’objectif officiel de cette politique était de mener une guerre économique », déclare Shai Grunberg, porte-parole du Centre juridique Gisha pour la liberté de mouvement, une organisation israélienne de défense des droits de l’homme. Gisha a publié Red Lines en 2012, après une campagne juridique de trois ans contre le ministère israélien de la défense, qui avait tenté d’empêcher la publication de la présentation.
Bien que l’objectif ostensible de Lignes rouges ait été d’identifier la quantité minimale absolue de nourriture à laisser entrer à Gaza pour éviter la malnutrition – 106 camions par jour – l’analyse menée par Gisha révèle que cette ligne a en réalité été le seuil supérieur pendant presque les trois premières années du blocus israélien. Depuis le début du blocus en septembre 2007 jusqu’à son allègement relatif en juillet 2010, le nombre de camions quotidiens autorisés par Israël à entrer dans Gaza n’a atteint la quantité prescrite dans la présentation que pendant un mois environ, en mars 2009. Pendant le reste de la période, le nombre de camions est resté bien en deçà, tombant presque à zéro en novembre 2008.
Malgré la politique israélienne limitant l’entrée de nourriture à Gaza, il n’y a pas eu de famine dans le territoire entre 2007 et 2010. La Gisha attribue l’absence de malnutrition généralisée aux stocks maintenus par les commerçants de Gaza et à la distribution de l’aide par les organisations humanitaires.
Le Hamas a également réussi à briser le blocus en janvier 2008, après des mois d’utilisation secrète de chalumeaux à acétylène pour couper des sections du mur à la frontière avec l’Égypte, avant de les démolir à l’aide d’explosifs. Cette semaine de rupture a permis aux Palestiniens d’accéder à l’Égypte, où ils ont pu acheter et retourner à Gaza avec suffisamment de nourriture pour tenir trois mois, selon l’Associated Press.
Lorsque la présentation a été révélée des années plus tard, elle n’a fait que confirmer ce que les Palestiniens de Gaza savaient déjà, à savoir qu’Israël essayait de les affamer.
En mai 2010, à la suite du raid de la flottille pour Gaza, au cours duquel l’armée israélienne a tué dix activistes lors de l’attaque de six navires civils se rendant de Turquie à Gaza avec de l’aide humanitaire et du matériel de reconstruction, Israël a finalement allégé son blocus de l’enclave. Si l’analyse de Gisha confirme que le nombre de camions autorisés à entrer dans Gaza par Israël a dépassé 106 après juillet 2010, l’organisation prend soin de distinguer l’assouplissement du blocus de sa levée pure et simple.
« Même après avoir cessé de limiter l’entrée des denrées alimentaires, Israël a continué d’imposer des restrictions à la circulation des personnes et des biens, ce qui a entravé le développement de l’économie et des infrastructures civiles de Gaza, a conduit au sous-développement et a considérablement accru la pauvreté dans la bande, compromettant ainsi la sécurité alimentaire par d’autres moyens, explique M. Grunberg. En conséquence, même avant le 7 octobre, plus de 80 % de la population de Gaza dépendait de l’aide humanitaire pour satisfaire ses besoins de base. »
« De nouveaux extrêmes après le 7 octobre »
Si Israël a tenté d’utiliser la nourriture comme arme de guerre économique de 2007 à 2010, il l’a sans aucun doute fait dans le cadre d’une politique de guerre totale depuis le 7 octobre. Le génocide israélien en cours à Gaza – qui a déjà coûté la vie à au moins trente-trois mille Palestiniens, dont plus de treize mille enfants et huit mille quatre cents femmes, selon Al Jazeera – présente de nombreuses caractéristiques du blocus précédent, mais cette fois avec l’intention de créer une famine.
Gisha décrit la litanie des actes d’Israël qui ont répandu la famine dans toute la bande de Gaza : bombardements et opérations terrestres de l’armée israélienne décimant la production et la distribution de nourriture ; limitations sévères des importations, y compris la fermeture de tous les postes-frontières sauf deux et le refus d’accès au personnel humanitaire ; refus de disperser les protestations israéliennes aux postes-frontières restants, tout en ciblant activement les escortes de police palestinienne des convois d’aide humanitaire.
« L’abus par Israël de son contrôle sur les mouvements et l’accès a été poussé à de nouveaux extrêmes après le 7 octobre, déclare Grunberg, notamment en raison de ses décisions de bloquer l’approvisionnement en électricité, de limiter considérablement l’approvisionnement en eau et en carburant, et du fait qu’il continue de restreindre l’entrée et la distribution de l’aide, en particulier sa distribution dans le nord. »
Ces actions du gouvernement israélien ont conduit Gisha et quatre autres organisations israéliennes de défense des droits de l’homme à déposer une requête au début du mois auprès de la Haute Cour d’Israël, accusant le gouvernement d’empêcher la nourriture et d’autres formes d’aide humanitaire d’atteindre Gaza. La pétition demande à la Cour d’ordonner au gouvernement d’autoriser l’accès de l’ensemble de l’aide humanitaire, de l’équipement et du personnel à l’ensemble de la bande de Gaza par d’autres points de passage frontaliers. Elle rejette catégoriquement les affirmations d’Israël selon lesquelles il n’entrave pas l’aide et souligne l’insuffisance des mesures prises par d’autres pays, comme les États-Unis, qui procèdent à des largages aériens ou tentent d’acheminer l’aide par voie maritime. La Haute Cour d’Israël doit examiner la requête le 3 avril.
La situation sur le terrain suggère qu’Israël a recours [entre autres] à la punition collective à un point tel que la famine peut être considérée comme une arme de guerre, peut-on lire dans la pétition. Le fait que des enfants soient morts et continuent de mourir dans le nord de Gaza à cause de la malnutrition aurait dû ébranler les personnes interrogées, le public israélien et le monde entier dans leurs fondements. »
CONTRIBUTEURS
Arvind Dilawar
Arvind Dilawar est écrivain et journaliste dont les travaux ont été publiés dans Newsweek, The Guardian, Al Jazeera et ailleurs.
Source : Jacobin, Arvind Dilawar, 02-04-2024
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Nous vous proposons cet article afin d'élargir votre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s'arrête aux propos que nous reportons ici. [Lire plus]Nous ne sommes nullement engagés par les propos que l'auteur aurait pu tenir par ailleurs - et encore moins par ceux qu'il pourrait tenir dans le futur. Merci cependant de nous signaler par le formulaire de contact toute information concernant l'auteur qui pourrait nuire à sa réputation.
Commentaire recommandé
L’arme massive d’Israël et des pouvoirs occidentaux (USA, Canada, Australie, Allemagne, France, UE, qui le protègent, arment, financent, défendent) est et reste l’accusation d’assemitisme proférée, répétée à n’en plus pouvoir, renouvelée indéfiniment contre tous critiques de cet État colonial et superficiel hier, aujourd’hui, demain, après demain.
Or l’objectivité montre, toutes preuves historiques irréfutables à l’appui, que Israël est et uniquement est un État colonial.
Les Palestiniens luttent depuis près d’un siècle pour leurs droits nationaux, le recouvrement de leur territoire national, leur indépendance politique du colonialisme israélien.
Le jour où la « bien-pensance » US et ses bras occidentaux (Européen, Canadiens, Allemands, Français, etc) voudra bien être objective, impartiale et juste, on pourra reparler.
Pr Nadji Khaoua.
4 réactions et commentaires
C’est ce qu’ont fait les etats unis en Irak .t ils l’ont assumé sans aucuns problèmes .Ça me rappel la prise de pouvoir au Vénézuela de Chavez , et les propriétaires de supermarché qui ont arrêté d’approvisionner les magasins . Comment il disait De Gaulle ? Autonomie alimentaire ?…
+11
AlerterL’arme massive d’Israël et des pouvoirs occidentaux (USA, Canada, Australie, Allemagne, France, UE, qui le protègent, arment, financent, défendent) est et reste l’accusation d’assemitisme proférée, répétée à n’en plus pouvoir, renouvelée indéfiniment contre tous critiques de cet État colonial et superficiel hier, aujourd’hui, demain, après demain.
Or l’objectivité montre, toutes preuves historiques irréfutables à l’appui, que Israël est et uniquement est un État colonial.
Les Palestiniens luttent depuis près d’un siècle pour leurs droits nationaux, le recouvrement de leur territoire national, leur indépendance politique du colonialisme israélien.
Le jour où la « bien-pensance » US et ses bras occidentaux (Européen, Canadiens, Allemands, Français, etc) voudra bien être objective, impartiale et juste, on pourra reparler.
Pr Nadji Khaoua.
+26
AlerterTous les faits du passé qui émergent, et l’observation des faits actuels, démontrent à l’envie que la création d’Israel est bien la mise en oeuvre d’une politique coloniale avec les conséquences bine connues pour les « territoires » et les populations colonisés. A la fin des années 40, les empires coloniaux étaient solidement installés et leur existence semblait « normale ».
Les regards de ces enfants qui s’efforcent de ne pas mourrir de faim….
+17
AlerterIl y a que deux façons de faire une épuration éthinque et que ça se voit pas. Soit la politique du fait accompli à l’Azerie, soit le silence absolu et intéréssé à la Kagamé. On en est loin, mais est-ce que ça nous révolte plus parce qu’on se sent impliqués (souvent à nos corps défendants) ou parce qu’on se sent concernés ?
+1
AlerterLes commentaires sont fermés.