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10.février.201810.2.2018 // Les Crises

G5-Sahel ou l’art de refiler la patate chaude… Par Guillaume Berlat

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Source : Proche & Moyen-Orient, Guillaume Berlat, 22-01-2018

Notre ami, le philosophe Jean Salem nous a quitté. Il y a un an, c’était Lucien Bitterlin. Nous y reviendrons la semaine prochaine.

La rédaction.

G5-SAHEL OU L’ART DE REFILER LA PATATE CHAUDE…

Manifestement, Emmanuel Macron est un homme pressé qui sait ce qu’il veut dans les domaines régaliens de son action qu’il s’agisse de la Défense (« Le Président de la République est le chef des armées » selon l’article 15 de la constitution du 4 octobre 1958) ou bien des relations internationales (« Le Président de la République accrédite les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires auprès des puissances étrangères ; les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires étrangers sont accrédités auprès de lui » selon l’article 14 de cette même constitution). Dans cette seconde sphère, il entend déterminer la politique étrangère de la France (ce qui est son rôle) et conduire la diplomatie (ce qui serait plus le rôle de son ministre des Affaires étrangères).

Présent sur tous les fronts, il fait de la lutte contre le terrorisme la priorité de la diplomatie française (Cf. ses discours lors de la semaine des ambassadeurs et devant les forces de sécurité pour ne citer que les principaux). S’il entend que la France prenne sa part du fardeau dans cette aventure (Cf. opérations « Chammal » au Moyen-Orient et « Barkhane » dans le Sahel), il souhaite que les principaux États concernés en fassent autant afin de relâcher la pression (militaire et financière) sur notre pays.

En expert des finances publiques qu’il est, il sait que ces aventures extérieures (sans parler de l’opération « Sentinelle » en France qu’il a déjà allégée) sont coûteuses et mettent à mal le budget de la Défense. C’est pourquoi, il vient de décider de réduire la voilure dans « l’Orient compliqué » (l’EIIL ayant été défait sur le terrain) et de transférer, autant que faire se peut, la responsabilité de leur sécurité à la force conjointe antiterroriste de cinq pays (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Tchad) regroupés dans le G5 Sahel. A Niamey, le 23 décembre 2017, il exige des victoires dès 2018 comme si la lutte contre le terrorisme était une science exacte. La dernière réunion de ce groupe s’est tenue le 13 décembre 2017 à la Celle-Saint-Cloud en présence de représentants de l’Union africaine (UA), de l’Union européenne (UE) et de plusieurs chefs de gouvernement ou de ministres (Allemagne, Arabie saoudite, Belgique, Émirats arabes unis, États-Unis, Italie). Afin de mieux appréhender les résultats de l’action du président de la République sur ce dossier, il est indispensable de revenir quelques années en arrière sur le quinquennat de son prédécesseur, François Hollande.

DER FLIEGENDE HOLLÄNDER1 : LA « VISION CORRÉZIENNE DE LA DIPLOMATIE »

Peu après sa prise de fonctions, François Hollande comprend que « le seul vrai principe de gestion des relations internationales, c’est le rapport de force »2. Si sa décision d’intervenir militairement au Mali est nécessaire pour éviter que le pays ne se transforme rapidement en État failli (en plus de la Libye), elle interroge la capacité de la France à jouer le rôle de gendarme de l’Afrique.

Œuvre utile : la pérennité du Mali

On se souvient des conditions dans lesquelles François Hollande fait intervenir nos troupes au Mali. L’opération Serval est une opération militaire menée dans ce pays au bord du chaos par l’armée française. Lancée en janvier 2013, elle s’achevé en juillet 2014. Les forces engagées dans le pays ont depuis intégré un dispositif régional, intitulé opération Barkhane. Elle a pour objectif de soutenir les troupes maliennes cherchant à repousser une offensive des groupes armés islamistes qui ont pris le contrôle de l’Azawad, la partie nord du pays. Les buts de cette intervention, tels qu’exprimés par le président français, François Hollande, le 15 janvier 2013, sont d’arrêter l’avancée en direction de Bamako des forces djihadistes, sécuriser la capitale du Mali et permettre au pays de recouvrer son intégrité territoriale. Souvenons-nous que la chancelière allemande renvoie sèchement dans ses buts son ami François lorsque ce dernier sollicite une aide financière de l’Union européenne, estimant que la France œuvrait pour la sécurité de l’Europe. Mutti lui inflige une leçon de droit européen : seules les opérations extérieures décidées à 28 pouvaient être financées par les 28. Autrement, il ne s’agirait que d’une vulgaire opération de maquillage d’une opération nationale en opération européenne.

On se souvient des déclarations lyriques de François Hollande prononcées moins d’une semaine après la reprise des villes du nord du Mali (Konna, Douentza, Tombouctou et Gao) par les troupes françaises (2 000 hommes, blindés et aviation) et maliennes (pro forma). L’urgentiste au grand cœur, le libérateur de Tombouctou, l’ex-président du P.S. s’enflamme, vraisemblablement en raison de la chaleur naturelle ambiante : « C’est le plus beau jour de ma carrière politique ». Pour leur part, les autochtones ne font pas dans la mesure où ils lui attribuent la nationalité malienne pour services rendus. Les vaillantes troupes françaises ont défait les hordes en guenilles qui avaient terrorisé les populations locales, détruit les monuments classés au patrimoine mondial de l’UNESCO. L’atmosphère est à l’euphorie. Finie la Françafrique ! Finie l’amertume consécutive au discours maladroit de Nicolas Sarkozy à Dakar ! Tout va très bien madame la marquise mais à part ça un petit rien. Militaires et diplomates, surtout ceux qui ne sont pas sortis de l’ENA, et encore moins dans les grands corps comme la prestigieuse Cour des comptes sise rue Cambon, savent d’expérience qu’après avoir gagné la guerre, il faut savoir gagner la paix. Et cela n’est pas toujours chose aisée surtout sur le continent africain. Nous en faisons régulièrement l’amère expérience

Pour nécessaire qu’elle ait été sur le court terme, l’opération Serval/Barkhane – puisqu’il existe un continuum entre les deux – démontre toutes ses insuffisances sur le moyen et le long terme.

Œuvre futile : le gendarme de l’Afrique

L’opération Serval est remplacée par l’opération Barkhane à partir du 1er août 2014. Cette dernière est une opération menée au Sahel par l’armée française, qui vise à lutter contre les groupes armés salafistes djihadistes dans toute la région du Sahel. Lancée le 1er août 2014, elle prend la suite des opérations Serval et Épervier. Elle s’inscrit dans le cadre d’une stratégie de forces prépositionnées dans la région, en partenariat avec les États de la zone mais également avec l’aide de forces spéciales américaines (son existence nous fut révélée par la mort de quatre d’entre elles). Elle mobilise 4 000 hommes agissant sur un territoire aussi vaste que l’Europe, au sein duquel l’ennemi se déplace comme un poisson dans l’eau (Cf. ses fréquentes attaques contre nos forces). Pire encore, nos forces armées utilisent souvent des matériels de plus de trente ans qui nuisent à l’efficacité de leur mission. Il suffit de se rapporter aux déclarations de l’ex-CEMA, Pierre de Villiers dans son récent ouvrage de réflexion sur le rôle de l’armée dans notre monde du début du XXIe siècle pour être édifié3. La traditionnelle distorsion entre les paroles et les actes.

Sans remettre en cause le travail formidable que font nos militaires sur le continent africain – parfois avec des moyens humains et matériels ridicules compte tenu de l’ampleur du défi à relever -, il n’est pas inutile de s’interroger sur les moyens, les objectifs, la tactique et la stratégie mise en œuvre pour parvenir à nos fins. Et, c’est là que le bât blesse. La question doit être appréhendée à deux niveaux complémentaires : le national (le Mali) et le régional (le Sahel). Pour ce qui est du Mali, si la France a évité un effondrement du régime, elle ne s’est pas attaquée aux multiples causes de cette crise structurelle (économiques, sociales, religieuses, ethniques, irrédentisme touareg, trafics en tous genres, corruption endémique des dirigeants…). Lorsque le médecin ne s’attaque pas aux racines du mal, il y a fort à parier que les mêmes causes produisent les mêmes effets. S’agissant du Sahel, lutter contre le terrorisme sur une étendue aussi vaste avec des moyens si réduits revient à chercher une aiguille dans une botte de foin. Il s’agit de mettre un coup de pied dans la fourmilière. Nous n’en dirons pas plus.

Plus généralement encore, cette épopée sert de révélateur à la diplomatie hollandaise. Qui de mieux placé que Jean-Christophe Rufin (il fut ambassadeur au Sénégal) pour nous croquer à grands traits les contours de l’action extérieure de François Hollande et de son ministre des Affaires étrangères et du développement international (MAEDI), Laurent Fabius. Nous reprendrons in extenso quelques-unes de ses formules qui ont le mérite d’élargir le débat pour le replacer dans son contexte plus général dont l’Afrique n’est qu’un point d’application :

« C’est faire beaucoup d’honneur à Hollande de penser qu’il avait une vision «néoconservatrice». Je dirais que sa vision était surtout corrézienne… c’est-à-dire marquée par un manque de connaissance des réalités internationales. Souvenons-nous: en Europe, alliance avec les pays du Sud, pour finalement se ranger derrière l’Allemagne ; au Moyen-Orient, politique brouillonne qui nous a très imprudemment conduits à servir de supplétifs aux États-Unis dans leur guerre contre Daech, au risque de nous désigner comme la cible privilégiée du terrorisme. Avec la Russie, leçons de démocratie qui ont conduit à une quasi-rupture. Hollande a montré que se payer de mots n’a aucun sens, sinon s’exposer au ridicule. Le seul terrain sur lequel Hollande se montrait à l’aise était celui des grands enjeux planétaires comme l’accord de Paris sur le climat. Malheureusement, la diplomatie, c’est aussi défendre ses intérêts propres et pas seulement ceux de l’humanité.

La dimension morale de Hollande était purement déclaratoire. Quand Fabius, dès son arrivée, a dit : « Je donne trois mois à Assad pour quitter le pouvoir », c’était très beau, un magnifique effet de tribune ! Mais, cinq ans après… Assad est toujours là. Cette diplomatie morale a touché ses limites et Hollande a montré que se payer de mots n’a aucun sens, sinon s’exposer au ridicule. Nous revenons donc avec Macron, et c’est heureux, à un fonctionnement beaucoup plus classique. La diplomatie est fondée sur un principe élémentaire: nous reconnaissons des États, pas des gouvernements. Il y a une pérennité des relations entre Etats. On discute avec des gens que l’on n’apprécie pas toujours, c’est le principe de la diplomatie »4.

Il conclut son propos sur Emmanuel Macron en ces termes : « Il y a surtout désormais, à la tête de l’État, quelqu’un qui travaille, qui sait de quoi il parle et qui connaît la politique internationale. En somme, nous n’avons plus honte de celui qui nous représente ».

Qu’en est-il au juste de l’action d’Emmanuel Macron dans la région du Sahel ?

LE DOCTEUR MIRACLE5 : LA VISON JUPITÉRIENNE DE LA DIPLOMATIE

Personne n’est dupe. Emmanuel Macron n’est ni un rêveur, ni un idéaliste. C’est un réaliste doublé d’un volontariste opportuniste. S’agissant de l’Afrique, il entend solder l’héritage de François Hollande et de Nicolas Sarkozy pour pouvoir (ré)inventer l’avenir comme il l’a expliqué le 28 novembre 2017 devant la jeunesse à Ouagadougou.

Solder l’héritage : la sécurité sous-traitée par la France

Dans de multiples domaines, le chef de l’État entend rompre avec la pratique de son prédécesseur qui « croyait qu’en faisant la synthèse il trouverait des soutiens à son inaction »6.

N’oublions pas qu’Emmanuel Macron a une fibre financière prononcée après son passage à Bercy et à la banque Rothschild ! Ceci laisse des traces dans sa pratique de la diplomatie. Les États-Unis font défaut pour contribuer au fonds d’aide aux pays du sud pour opérer leur transition énergétique conformément à l’accord de Paris lors de la COP21 le 12 décembre 20157. Qu’à cela ne tienne, Emmanuel Macron réunit le 12 décembre 2017 à la Celle-Saint-Cloud une conférence pour faire appel aux institutions internationales et financières mais aussi aux investisseurs privés pour passer à la caisse. Les contributions financières font défaut pour rendre viable le G5 Sahel dont les cinq États africains participants ont un besoin vital. Qu’à cela ne tienne, Emmanuel Macron réunit le 13 décembre 2017 à la Celle-Saint-Cloud une conférence pour faire appel aux bonnes volontés. Arabie saoudite (100 millions d’euros) et les Émirats arabes unis (30 millions d’euros) répondent présent à l’appel en mettant la main au portefeuille (cela ne manque pas de sel de la part d’États soupçonnés de financer le terrorisme). La sécurité a un coût. Le ministère de la Défense est bien placé pour le savoir après le psychodrame ayant conduit à la démission de l’ex-CEMA, Pierre de Villiers en juillet 2017.

N’oublions pas qu’Emmanuel Macron vient juste d’avoir quarante ans et qu’il entend ne pas se laisser piéger par les remugles de la Françafrique en adoptant une relation décomplexée avec l’Afrique (Cf. ses récentes déclarations à Ouagadougou et à Alger). Il est bon que le président de la République apporte un air renouvelé dans sa pratique de la diplomatie. Il entre de plain-pied dans le siècle. Il veut un réalisme basé sur des principes. Il entend que les pays africains prennent désormais en charge leur sécurité, et cela, soixante ans après leur indépendance. Il sait que les expéditions militaires (RCA, Mali, Libye…), qui débutent par des succès incontestables, se terminent souvent par un enlisement, faute de déboucher sur des solutions globales combinant sécurité et développement, traitant les causes du problème. Il entend soulager le budget du ministère de la Défense du poids de certaines de ses opérations extérieures (Cf. sa récente annonce d’allègement de l’opération « Chammal » en Irak et en Syrie pour tenir compte de la défaite sur le terrain de l’EIIL).

En bon gestionnaire, il sait que l’intérieur et l’international sont étroitement imbriqués. Pour assurer son succès sur le plan économique et social, il lui appartient de remettre de l’ordre dans notre politique étrangère et dans nos actions militaires extérieures au moment où la commission européenne nous rappelle nos engagements (respect des 3% de déficit). Le gel et le dégel continu des crédits militaires n’est pas de bonne politique. Heureusement, nous sommes pleinement rassurés le 19 janvier 2018 lors des vœux du chef de l’État aux forces armées au cours desquels il promet un « effort inédit et incomparable pour la Défense ». Attendons de voir ce que ces mots signifient !

Sur quelles bases Jupiter entend-il fonder sa nouvelle politique africaine à l’épreuve des faits et de la réalité ?

Réinventer l’avenir : la sécurité traitée par les Africains

Si la mécanique institutionnelle G5 Sahel se perfectionne au cours des mois, elle n’en a connait pas moins certaines limites intrinsèques dont il faut tenir compte.

Lors de son discours de Ouagadougou, Emmanuel Macron considère que les pays du Sahel et l’Union européenne ont un « destin tragique en commun », la lutte contre le terrorisme. Afin de relever ce défi, et au-delà de la présence de la MINUSMA (la force onusienne), la force « Barkhane » contribue à la stabilité de la bande sahélo-saharienne. Lancée en février 2017, le G5 Sahel a pour objectif de confier le soin aux pays concernés (Burkina Faso, Mali, Niger, Mauritanie et Tchad) de prendre en charge leur sécurité et d’enregistrer les premières victoires dans les meilleurs délais. Et cela avec l’aide de l’Union africaine, de l’Union européenne, de l’ONU et des pays concernés par la lutte contre le fléau terroriste (Arabie saoudite, EAU, Pays-Bas…). La réunion de la Celle-Saint-Cloud traduit un saut quantitatif et quantitatif important8.

La force, qui devrait compter 5 000 hommes d’ici mars 2018, dispose d’un état-major multirégional à Sévaré au Mali, d’un commandant malien, d’un budget (250 millions d’euros), d’un appui français et américain. Elle a conduit sa première mission baptisée « Hawbi » dans la région des trois frontières (ses résultats sont pour le moins contrastés, les militaires n’étant pas encore habitués à travailler ensemble)9. Elle entre donc dans une phase opérationnelle incontestable. Le chef de l’État fait preuve de réalisme qui se confond à tort avec le cynisme. Il évite l’erreur occidentale qui prétend se substituer aux autres peuples pour définir leurs intérêts.

Mais, la tâche n’est pas aisée dans la pratique. Pourquoi ? D’abord, le Sahel est une zone de trafics, déstabilisée par la chute de Kadhafi et la crise malienne, contaminée par le péril djihadiste au centre du Mali et dans la région contre lequel une réponse africaine peine à s’organiser10. Ensuite, à l’exception des forces tchadiennes particulièrement opérationnelles et efficaces sur le terrain, les forces armées des quatre autres États existent plus sur le papier que dans la réalité. Nous sommes confrontés à des armées d’opérette dont les principaux cadres sont plus des amis du prince que des soldats professionnels. Le général Pierre de Villiers évalue, pour sa part, à une quinzaine d’années, le temps indispensable pour former véritablement les militaires des pays du G5 Sahel. Par ailleurs, le millefeuille international n’est jamais le gage du succès assuré tant il est difficile de faire cohabiter des cultures militaires différentes liées à des structures différentes dont la coexistence participe à « l’embouteillage sécuritaire ». Relevons que l’Union européenne est absente en tant que telle du Sahel !

Pour intéressante qu’elle soit, la logique de coalition porte en elle les germes de la discorde surtout lorsque Donald Trump refuse de donner son argent à l’ONU directement. Enfin, le succès de cette entreprise ambitieuse suppose la progression du processus de paix au Mali et la pleine et entière coopération de l’Algérie – médiateur des accords de paix au Mali – qui préfère voir les djihadistes agir hors de son territoire. Pour nécessaire qu’elle soit, l’approche sécuritaire (utilisation de drones armés qui peuvent parfois conduire à des bavures sans parler du problème éthique qu’elle soulève11) doit être confortée par une approche globale traitant de toutes les dimensions des crises que traversent ces pays africains12. Si tel n’est pas le cas, le mal ne sera pas traité dans ses causes.

L’on imagine aisément la suite. Les mêmes causes produiront les mêmes effets. Et, l’on n’est pas sorti de l’auberge, ce qui est l’objectif principal de la manœuvre de Jupiter. Pour preuve, l’organisation à Paris le 15 janvier 2018 autour de leur homologue française, Florence Parly, des ministres de la Défense du G5 Sahel. Ces derniers ont assuré vouloir « accélérer » la mise en œuvre de leur force antiterroriste, preuve que l’objectif des 5 000 militaires africains n’était pas encore atteint13. En Afrique, rien n’est simple surtout après l’attaque d’un convoi français dans le nord du Mali à la frontière du Niger qui a fait trois blessés, dont un grave ! Méfions-nous du double langage : celui des communiqués diplomatiques lénifiants et celui de la dure réalité du désert du Sahel.

« Il n’y a que deux puissances au monde : le sabre et l’esprit. À la longue, le sabre est toujours vaincu par l’esprit » déclarait Napoléon. Dans un temps obsédé par l’instantanéité qui, trop souvent, tend à « surestimer les changements à court terme et sous-estimer ceux à long terme » (Thierry de Montbrial), il est trop tôt pour juger de la pertinence, de l’efficacité de la politique africaine d’Emmanuel Macron, et plus particulièrement, de sa déclinaison sahélo-saharienne à travers la dynamisation du G5 Sahel pour lutter contre le développement du terrorisme dans la zone qui doit beaucoup à l’effondrement de la Libye (dont nous portons une responsabilité non négligeable, faut-il le rappeler !).

On doit le louer pour son volontarisme et son dynamisme. Depuis sa prise de fonctions, il s’est rendu cinq fois sur le terrain, la dernière les 22 et 23 décembre 2017 au Niger pour fêter Noël avant l’heure auprès des troupes de la force « Barkhane » et rencontrer le président Mahamadou Issoufou. Lors du sommet Union européenne-Union africaine d’Abidjan, qui a suivi sa visite à Ouagadougou, le président de la République déclare : « ça n’avance pas vite » et « il est indispensable que nous arrivions à gagner cette guerre le plus vite possible ». C’est le moment français contemporain. Enivrante et terrible responsabilité14.

Méfions-nous du choc des réalités qui annonce des déconvenues. On l’aura compris, Emmanuel Macron entend préparer une stratégie de sortie même si son entourage s’en défend. Une des règles d’or en politique intérieure comme en politique internationale est de refiler le mistigri à l’autre. En termes peu diplomatiques, on pourrait dire que la montée en puissance du G5 Sahel relève de l’art de refiler la patate chaude aux Africains.

Guillaume Berlat
22 janvier 2018

1 En français, Le Vaisseau fantôme, opéra de Richard Wagner créé en 1843.
2 Andreï Gratchev, Un nouvel avant-guerre ? Des hyperpuissances à l’hyperpoker, Alma, 2017, p. 245.
3 Pierre de Villiers, Servir, Fayard, 2017.
4 Jean-Christophe Rufin (propos recueillis par Aziliz Le Corre/Vincent Tremolet de Villers), « Nous sortons d’une vision corrézienne de la diplomatie », www.LeFigaro.fr , 15 décembre 2017.
5 Opérette de Georges Bizet créée en 1857 avec son célèbre quatuor de l’omelette.
6 Marin de Viry, Le dompteur et les trois chatons, Revue des Deux Mondes, décembre 2017-janvier 2018, p. 157.
7 Anne Cheyvialle, La finance peut-elle sauver la planète ?, Le Figaro, 12 décembre 2017, p. 17.
8 Charlotte Bozonnet, Macron obtient un soutien accru pour le G5 Sahel, Le Monde, 15 décembre 2017, p. 3.
9 Alain Barluet, Au Sahel, Paris veut faire monter en ligne les armées africaines, Le Figaro, 13 décembre 2017, pp. 12-13.
10 Au Sahel, les guerres interminables, Le Monde, Géopolitique, 17-18 décembre 2017, p. 16.
11 Thomas Hofnung, Les drones de combat vont-ils changer la guerre ?, Marianne, 21 décembre 2017-4 janvier 2018, pp. 18-19-20.
12 Charlotte Bozonnet, Macron au Niger, allié irréprochable, Le Monde, 23 décembre 2017, p. 6.
13 Les ratés de la « force africaine », Le Canard enchainé, 17 janvier 2018, p. 3.
14 Pascal Bruckner, « Le XXIe siècle ne sera pas américain », Le Monde, 15 décembre 2017, p. 21.

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Source : Proche & Moyen-Orient, Guillaume Berlat, 22-01-2018

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Commentaire recommandé

caliban // 10.02.2018 à 07h18

L’aide au Sahel de l’UE est de 606 millions d’€ (page 9 : http://www.eeas.europa.eu/archives/docs/africa/docs/sahel_strategy_en.pdf).

A titre de comparaison :
> la déduction d’impôt accordée à la SG suite à « l’affaire Kerviel » est de 2,2 milliards
> la suppression de l’ISF sur les actions, au minimum 3,2 milliards

Ils ont beau faire semblant de s’intéresser à la misère, ça ne prend pas.

11 réactions et commentaires

  • caliban // 10.02.2018 à 07h18

    L’aide au Sahel de l’UE est de 606 millions d’€ (page 9 : http://www.eeas.europa.eu/archives/docs/africa/docs/sahel_strategy_en.pdf).

    A titre de comparaison :
    > la déduction d’impôt accordée à la SG suite à « l’affaire Kerviel » est de 2,2 milliards
    > la suppression de l’ISF sur les actions, au minimum 3,2 milliards

    Ils ont beau faire semblant de s’intéresser à la misère, ça ne prend pas.

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    • JBB // 11.02.2018 à 14h04

      La Sg fait 5 milliards de bénéfices
      en moins à cause de cette affaire. Donc elle paye 2 milliards en moins d’impôts sur ces benefices. Qu’ il y a t il d’anormal à ça ? A moins d’inventer l’impôt sur les bénéfices non réalisés. ..

        +1

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  • Emmanuel // 10.02.2018 à 07h21

    Un article plutôt favorable à Macron concernant la diplomatie et la politique africaine – qui contraste avec celle de ses deux prédécesseurs. Il n’empêche qu’une réflexion de fond serait nécessaire sur le modèle de développement (et quel devrait être pour la France, le modèle de coopération associé), car, comme le souligne Berlat, on se doit d’aller à la racine du mal…Comme ailleurs, inégalités extrêmes, mais aussi une population très jeune, dont on n’a pas idée dans nos contrées vieillissantes….

      +4

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  • LBSSO // 10.02.2018 à 08h20

    L’Otan ne lui en voudra pas

    On a pu se satisfaire des déclarations d’E Macron sur la responsabilité de la France dans le désastre libyen suite à l’intervention française orchestrée par l’Otan.Rien de surprenant à y réfléchir.
    Cet article permet d’en comprendre une des raisons : il était impossible à EM de relancer et remotiver les différents membres du G5 sans faire cette concession.Le contraire eût été diplomatiquement impensable .
    De même ,il aurait été vain de demander à certains partenaires européens de continuer à faire des efforts en matière d’immigration sans reconnaître l’inconséquence de la France dans cette affaire.Je pense à l’Italie par exemple.
    Par ailleurs, c’est aussi envoyer des messages à des pays stratégiques comme l’Algérie et la Tunisie.
    Enfin , en politique intérieure cela lui permet de souligner l’incompétence de ces prédécesseurs tout en soignant son image de Président qui parle vrai , assume et agit.

      +8

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  • max // 10.02.2018 à 08h52

    La guerre ca coute chère, déjà au Vietnam les USA compensait la moitié du fardeau financier a la France et ca n’a pas suffit.
    En Algérie le cout de la guerre surpassait les bénéfices de la paix mais au moins les objectifs étaient clairs mais inatteignable déjà a l’époque.
    Faire des guerres de gestions de conflits c’est-à-dire de containment (endiguement) c’est perdu d’avance.
    On la vue au Vietnam, en Algérie, en Afghanistan au moyen orient ou malgré de nombreuses guerres par procurations (qui ont fait des centaines de milliers de morts civils) le conflit (qui perdure depuis 70 ans) est maintenant a porté de fusils d’Israël. Et contrairement a ses prétention Israël n’arrive plus à contenir la monté en puissance de la Syrie et de l’Iran qui dorénavant ripostent massivement aux incursions des avions israéliens (F16 abattu). La Syrie est devenue un pays test pour les armes de nombreux pays qui veulent les tester contre l’occident.
    Pour ceux qui refusent les guerres perpétuelles le désengagement est donc une priorité, les USA aussi y passeront car même pour eux le fardeau militaire du maintien de l’empire coute plus chère que les dividendes de la paix.

      +5

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  • christian gedeon // 10.02.2018 à 10h50

    On peut faire toutes les analyses du monde sur sui est responsable de quoi et pourquoi…ce sont des discussions presque oiseuses.parce que la varie vérité est cette partie de l’Afrique est dans une merde noire et nous avec. le territoire est gigantesque et les forces déployées franchement ridicules à l’échelle de ce territoire.On n’échappera pas à un effort militaire énorme,quelle que soit la façon dont on présentera la chose. Pas plus qu’on n’échappera au rétablissement d’un régime autoritaire en Lybie pour colmater cette fuite béante en direction l’Italie,fuite qui génère des profits faramineux issus du trafic d’êtres humains,un moment sur le devant de la scène,et dont on ne parle plus ou presque,sans parler de la pression migratoire devenue incontrôlable.(mais y a t il vraiment une volonté de la contrôler,qu’on se pose la question)!

      +8

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    • javaj // 10.02.2018 à 14h48

      nous ne sommes pas du tout dans la même merde que cette région de l’Afrique, arrêtez de pleurnicher 2 min… Pour le reste j’imagine que la volonté la plus importante se situe au niveau de la défense d’intérêt stratégique, là où il n’y a pas beaucoup de place pour l’humanisme, ou alors seulement pour le plus grand, le plus général, le plus hautain.
      les migrants franchement c’est qu’un petit problème bien utile.

        +0

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      • Christian Gedeon // 11.02.2018 à 12h52

        Pleurnicher? Qu est ce qui vous permet d’employer cette expression? Et si nous sommes dans la merde exactement pareil,pile poil…elle est péut étre a effet retard,mais c’est le meme,parce que nos destins sont liés.

          +0

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  • wuwei // 10.02.2018 à 15h31

    « On doit le louer pour son volontarisme et son dynamisme.  »

    Pour le Jeune Paltoquet Arrogant et sa cour de hobereaux acculturés, brasser du vent, s’agiter dans tous les sens, sautiller sur place seraient synonyme d’agir. Depuis huit mois ses seules actions réelles se résument aux cadeaux fait au grand patronat en récitant les psaumes du livre saint néolibéral et à intensifier une politique intérieure « adémocratique » afin de miner par avance toute volonté de révolte.
    On verra la suite…

      +6

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  • fox 23 // 10.02.2018 à 18h39

    L’Afrique, c’est compliqué depuis la nuit des temps.
    L’armée, c’est la seule assurance vie d’un pays permettant, dans nos temps troublés, de garantir son indépendance.
    L’indépendance africaine des années 60 a permis à une aristocratie locale, bien souvent formée (déformée ?) en France de s’approprier le pouvoir et de vider les caisses de leu nouvelle nation au profit de leurs comptes helvétiques.
    Alors bien sur, leurs armées furent et sont encore d’opérette 60 ans après et notre ex CEMA estime à 15 ans de plus leur formation.
    Je pense que s’il n’y avait pas de matières premières à piller, la messe serait dite depuis bien longtemps.

      +5

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  • clauzip // 16.02.2018 à 17h36

    Tres juste!pour gagner la guerre,epuisons encore plus rapidement les matieres premieres de l’afrique!les ou nos multinationnales se retirerons ,la Paix sera gagnée !,,,

      +0

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