Source : Glenn Greenwald
Le Congrès intensifie la pression sur les géants de la technologie pour qu’ils censurent davantage, ce qui constitue une menace pour le Premier amendement
[« Le Congrès n’adoptera aucune loi relative à l’établissement d’une religion, ou à l’interdiction de son libre exercice ; ou pour limiter la liberté d’expression, de la presse ou le droit des citoyens de se réunir pacifiquement ou d’adresser au Gouvernement des pétitions pour obtenir réparations des torts subis. », NdT]
Dans leur zèle à contrôler les discours en ligne, les Démocrates de la Chambre se rapprochent de plus en plus de la limite constitutionnelle, s’ils ne l’ont pas déjà franchie.
Pour la troisième fois en moins de cinq mois, le Congrès américain a cité les Directeurs généraux de sociétés de médias sociaux à comparaître devant lui, dans l’intention explicite de faire pression et de les contraindre à censurer davantage de contenu sur leurs plateformes. Le 25 mars, la commission de l’énergie et du commerce de la Chambre des représentants interrogera Jack Dorsey de Twitter, Mark Zuckerberg de Facebook et Sundar Pichai de Google lors d’une audition qui, selon la commission, portera sur « les informations erronées et la désinformation qui sévissent sur les plateformes en ligne. »
Le président de la commission, le député Frank Pallone, Jr. (Démocrate-New Jersey), et les deux présidents des sous-commissions qui organisent les auditions, Mike Doyle (Démocrate-Pennsylvanie) et Jan Schakowsky (Démocrate-Illinois), ont évoqué, dans une déclaration commune, que l’impulsion avait été donnée par « de fausses déclarations à propos des vaccins de la COVID-19 et des allégations de fraude électorale finalement démenties. »
Ils ont affirmé que « ces plateformes en ligne ont permis à des informations erronées de se répandre, intensifiant les crises au niveau national avec des lourdes conséquences réelles pour la santé et la sécurité publiques », ajoutant : « Cette audition permettra de poursuivre le travail de la Commission qui consiste à tenir les plateformes en ligne responsables de la croissance du nombre d’informations erronées et de la désinformation. »
Les démocrates de la Chambre n’ont pas caché le but ultime recherché avec cette audition : exercer un contrôle sur le contenu de ces plateformes en ligne. « L’autorégulation de l’industrie a échoué », ont-ils déclaré, « nous devons donc commencer à modifier les incitations qui poussent les entreprises de médias sociaux à permettre et même à promouvoir les informations erronées et la désinformation. » En d’autres termes, ils ont l’intention d’utiliser le pouvoir de l’État pour influencer et contraindre ces entreprises à choisir les contenus qu’elles autorisent ou non à être publiés.
Ces dernières années, j’ai longuement écrit et parlé des dangers de confier à l’État ou aux monopoles technologiques le pouvoir de déterminer ce qui est vrai et ce qui est faux, ou ce qui constitue une opinion autorisée et ce qui ne l’est pas. Je ne répéterai pas ces points ici.
Au contraire, le point essentiel soulevé par ces dernières menaces des démocrates de la Chambre des représentants est un point souvent négligé : si le Premier amendement ne s’applique pas aux choix volontaires faits par une entreprise privée sur les discours à autoriser ou à interdire, il interdit au gouvernement américain de contraindre ou de menacer ces entreprises de censure. En d’autres termes, le Congrès viole le Premier amendement lorsqu’il tente d’exiger des entreprises privées qu’elles imposent des restrictions sur des discours basés sur des points de vue, que le gouvernement lui-même serait constitutionnellement empêché d’imposer.
Il n’est peut-être pas facile de tracer une ligne précise – de savoir exactement quand le Congrès est passé de la simple expression de préoccupations à une réglementation anticonstitutionnelle des discours en usant de son influence sur les entreprises privées – mais il ne fait aucun doute que le Premier amendement n’autorise pas la censure indirecte par le biais de menaces réglementaires et juridiques.
Ben Wizner, directeur du projet Speech, Privacy, and Technology de l’ACLU [NdT: Union américaine pour les libertés civiles] m’a dit que si une analyse constitutionnelle dépendait de divers facteurs, notamment des types de menaces émises et du degré de coercition accumulé, il est bien établi que le Premier amendement régit les tentatives du Congrès de faire pression sur les entreprises privées pour qu’elles censurent :
Pour les mêmes raisons qui font que la Constitution interdit au gouvernement de dicter les informations que nous pouvons voir et lire (en dehors de limites étroites), elle interdit également au gouvernement d’utiliser son immense autorité pour contraindre des acteurs privés à censurer en son nom.
Dans une tribune d’opinion parue en janvier dans le Wall Street Journal, l’entrepreneur Vivek Ramaswamy et Jed Rubenfeld, spécialiste des questions constitutionnelles à la faculté de droit de Yale, ont averti que le Congrès se rapproche rapidement de cette limite constitutionnelle s’il ne l’a pas déjà franchie. « En utilisant une combinaison d’incitations légales et de menaces réglementaires, écrit le duo, le Congrès a coopté la Silicon Valley pour faire par derrière ce que le gouvernement ne peut pas accomplir directement en vertu de la Constitution. »
Cet article n’a compilé qu’un petit échantillon de la jurisprudence indiquant clairement que les efforts visant à contraindre les acteurs privés à censurer les discours impliquent les garanties fondamentales du Premier amendement en matière de liberté d’expression.
Dans l’affaire Norwood v. Harrison (1973), par exemple, la Cour a déclaré qu’il était « axiomatique » – un principe juridique de base – que le Congrès « ne peut inciter, encourager ou promouvoir des personnes privées à accomplir ce qu’il est constitutionnellement interdit d’accomplir. » Ils ont ajouté : « Pendant plus d’un demi-siècle, les tribunaux ont estimé que les menaces gouvernementales peuvent transformer un comportement privé en une action de l’État. »
En 2018, l’ACLU a défendu avec succès la National Rifle Association (NRA [Association de défense de la détention et du port d’armes à feu, NdT]) en poursuivant le gouverneur Andrew Cuomo et l’État de New York au motif que les tentatives des agents de l’État de contraindre les entreprises privées à cesser de faire des affaires avec la NRA en utilisant des menaces implicites – motivées par le mépris de Cuomo pour les opinions politiques de la NRA – constituaient une violation du Premier amendement.
Parce que, selon l’ACLU, les communications des collaborateurs de Cuomo aux banques et aux compagnies d’assurance « pouvaient raisonnablement être interprétées comme une menace de représailles contre les entreprises qui ne rompent pas les liens avec les groupes de promotion des armes », cette conduite allait à l’encontre du principe bien établi selon lequel « le gouvernement peut violer le Premier amendement par une « action qui ne respecte pas une interdiction directe de s’exprimer », y compris par des représailles ou des menaces de représailles contre les orateurs ». En résumé, le groupe des libertés civiles a soutenu, dans un raisonnement accepté par la cour :
Les tribunaux n’ont jamais exigé des plaignants qu’ils démontrent que le gouvernement avait directement tenté de supprimer leur expression protégée afin d’établir des sanctions au titre du Premier amendement, et ils ont souvent confirmé les demandes de sanctions au titre du Premier amendement impliquant une action économique défavorable destinée à réprimer indirectement la prise de parole.
En expliquant son raisonnement pour défendre la NRA, l’ACLU a décrit la facilité avec laquelle ces mêmes pouvoirs étatiques pouvaient être outrepassés par un gouverneur Républicain contre des groupes d’activistes libéraux – par exemple, en menaçant les banques en leur demandant de cesser de fournir des services au Planning Familial ou aux groupes de défense des LGBT. Lorsque le juge a rejeté la requête de Cuomo visant à renvoyer le procès de la NRA, Reuters a expliqué la principale leçon dans son titre .
L’arrêt le plus pertinent à propos des controverses actuelles a peut-être été rendu en 1963 par la Cour suprême dans l’affaire Bantam Books contre Sullivan. Au nom de la lutte contre « l’obscène, l’indécent et l’impur », le législateur de Rhode Island a institué une commission chargée d’informer les librairies lorsqu’elle jugeait un livre ou un magazine « choquant », et leur a demandé de « coopérer » en le retirant et en refusant de le vendre plus longtemps.
Quatre éditeurs et distributeurs de livres ont intenté des poursuites, cherchant à obtenir une déclaration selon laquelle cette pratique constituait une violation du Premier amendement, même s’ils n’ont jamais été techniquement contraints à la censure. Au lieu de cela, ils ont cessé de vendre les livres signalés « volontairement » par crainte des menaces implicites dans les avis « consultatifs » reçus de l’État.
Dans une déclaration que les démocrates de la Chambre et leurs défenseurs pourront certainement invoquer pour justifier ce qu’ils font avec la Silicon Valley, les responsables de Rhode Island ont insisté sur le fait qu’ils n’exerçaient pas une censure anticonstitutionnelle parce que leur approche « ne réglemente ni ne supprime l’obscénité, mais se contente de conseiller les libraires et de les informer de leurs droits légaux ».
En rejetant cette affirmation fallacieuse, la Cour suprême a admis qu’ « il est vrai que les livres [des plaignants] n’ont pas été saisis ou interdits par l’État, et que personne n’a été poursuivi pour leur possession ou leur vente ».
Néanmoins, la Cour a souligné que la Législature de Rhode Island – tout comme ces démocrates de la Chambre des représentants qui ont convoqué les dirigeants des entreprises technologiques – avait clairement indiqué que leur objectif était la suppression des discours qu’ils n’aimaient pas : « la Commission a délibérément entrepris de supprimer les publications jugées « choquantes » et a atteint son objectif. » Et la Cour a souligné que l’objectif à peine déguisé de l’État était d’intimider ces éditeurs de livres et leurs distributeurs privés pour les pousser à la censure en émettant des menaces implicites de sanction en cas de non-respect :
Il est vrai, comme l’a noté la Cour suprême de Rhode Island, que [le distributeur de livres] était « libre » d’ignorer les avis de la Commission, en ce sens que son refus de « coopérer » n’aurait violé aucune loi. Mais il a été constaté – et cette constatation, amplement étayée par le dossier, nous engage – que le respect des directives de la Commission par [le distributeur de livres] n’était pas volontaire.
Les gens ne prennent pas à la légère les menaces à peine voilées des agents publics d’engager des poursuites pénales contre eux s’ils ne se manifestent pas, et la réaction [du distributeur], selon un témoignage non contesté, n’a pas fait exception à cette règle générale.
Les avis de la Commission, formulés pratiquement comme des ordres, raisonnablement compris comme tels par le distributeur, invariablement suivis de visites de police, ont en fait arrêté la circulation des publications énumérées ex proprio vigore [par ses propres forces]. Il serait naïf de croire que l’État affirme que ces listes noires sont de simples conseils juridiques alors qu’elles servent clairement d’instruments de régulation.
En résumé, le jugement sur le cas de [l’éditeur] Bantam Books a conclu : « leur fonctionnement était en fait un schéma de censure de l’État, effectué par des sanctions extra-légales ; ils ont agi comme une agence non pas pour conseiller mais pour supprimer. »
Peu d’efforts sont nécessaires pour voir que les démocrates, qui contrôlent maintenant le Congrès et la Maison Blanche, sont engagés dans un schéma de contrôle des discours pratiquement indissociable de ceux qui ont été longtemps jugés inconstitutionnels par des décennies de jurisprudence du Premier amendement. Le fait que les démocrates cherchent à utiliser leur contrôle du pouvoir de l’État pour contraindre et intimider les entreprises technologiques privées afin de les censurer – et qu’ils y soient déjà parvenus – n’est guère sujet à un débat raisonnable. Ils disent explicitement que c’est ce qu’ils font.
Parce que « les grandes entreprises technologiques n’ont pas reconnu le rôle qu’elles ont joué en fomentant et en diffusant des informations manifestement fausses à leur public en ligne », ont déclaré les présidents des commissions en convoquant à nouveau les sociétés de médias sociaux, « nous devons commencer à modifier les incitations qui poussent les sociétés de médias sociaux à permettre et même à promouvoir les informations erronées et la désinformation ».
Le Washington Post, en rendant compte de cette dernière audition, a déclaré que la commission a l’intention de « viser à nouveau les géants de la technologie qui n’ont pas réussi à réprimer les mensonges politiques dangereux et la désinformation sur le coronavirus ». Et derrière ces appels à plus de contrôle des discours se cachent des procédures en cours qui pourraient entraîner des sanctions graves pour ces entreprises, y compris d’éventuelles actions antitrust et l’annulation de l’immunité de responsabilité dans le cadre de la section 230.
Cette dynamique est devenue si courante que les démocrates font désormais ouvertement pression sur les entreprises de la Silicon Valley pour qu’elles censurent les contenus qu’ils n’aiment pas. Au lendemain de l’émeute du Capitole du 6 janvier, lorsqu’il a été faussement affirmé que l’application Parler était le principal site en ligne pour la planification de l’émeute – Facebook, YouTube de Google et Instagram de Facebook étaient tous plus importants – deux des membres les plus éminents de la Chambre des démocrates, la députée Alexandria Ocasio-Cortez (Démocrate-New York) et la députée Ro Khanna (Démocrate-Californie), ont utilisé leurs grandes plateformes dans les médias sociaux pour inciter les monopoles de la Silicon Valley à retirer Parler de leurs magasins d’applications et de leurs services d’hébergement :
En vingt-quatre heures, les trois entreprises de la Silicon Valley se sont conformées à ces « demandes » et ont pris la mesure extraordinaire de retirer effectivement l’application Parler – à l’époque l’application la plus téléchargée sur l’Apple Store – d’Internet. Nous ne saurons probablement jamais quel rôle précis ces tweets et autres pressions des politiciens libéraux et des journalistes ont joué dans leurs décisions, mais ce qui est clair, c’est que les Démocrates sont plus que disposés à utiliser leur pouvoir et leurs plateformes pour donner des instructions à la Silicon Valley sur ce qu’ils doivent et ne doivent pas permettre d’être entendu.
Des militants libéraux de premier plan et certains hommes politiques démocrates puissants, comme Kamala Harris, alors candidate à la présidence, avaient depuis longtemps exigé que l’ancien président Donald Trump soit retiré des médias sociaux. Après la victoire des Démocrates à la Maison Blanche – en effet, le lendemain après que les Démocrates ont obtenu le contrôle des deux chambres du Congrès avec deux victoires au second tour du Sénat de Géorgie – Twitter, Facebook et d’autres plateformes en ligne ont interdit Trump, en citant l’émeute du Capitole comme prétexte.
Alors que les Démocrates se réjouissaient, de nombreux dirigeants du monde entier, dont beaucoup n’avaient aucune affection pour Trump, ont mis en garde contre le danger de cette décision. Jennifer Palmieri, proche collaboratrice de longue date des Clinton, a publié un tweet viral reconnaissant franchement – et fêtant clairement – les raisons de cette censure.
Les Démocrates contrôlant désormais les comités du Congrès et les agences du pouvoir exécutif qui réglementent la Silicon Valley, ces entreprises ont conclu qu’il était dans leur intérêt de censurer l’internet conformément aux ordres et aux souhaits du parti qui détient désormais le pouvoir à Washington :
Il ne m’a pas échappé que le jour où les sociétés de médias sociaux ont décidé qu’elles pouvaient en fait, faire davantage pour contrôler le comportement destructeur de Trump, était ce même jour où elles ont appris que les Démocrates présideraient toutes les commissions du Congrès qui les supervisent.
La dernière fois que les Directeurs généraux des plateformes de médias sociaux ont été convoqués pour témoigner devant le Congrès, le sénateur Ed Markey (Démocrate-Massachusets) leur a explicitement dit que ce que les Démocrates voulaient, c’était plus de censure – plus de retrait des contenus qui, selon eux, constituent de la « désinformation » et des « discours de haine ». Il n’a même pas pris la peine de cacher ses exigences : « Le problème n’est pas que les entreprises qui sont devant nous aujourd’hui suppriment trop de contributions ; le problème est qu’elles laissent trop de contributions dangereuses en place » :
Lorsqu’il s’agit de censurer des contenus politiquement défavorables, il arrive que des demandes de censure explicites soient inutiles. Lorsqu’un climat de censure prévaut, les entreprises anticipent ce que les détenteurs du pouvoir veulent qu’elles fassent en s’autocensurant par anticipation pour éviter les représailles officielles. Les discours sont affadis sans qu’il soit nécessaire de recourir à des ordres de censure directe.
C’est clairement ce qu’ii s’est passé après que les Démocrates ont passé quatre ans à insister avec énervement sur le fait qu’ils avaient perdu les élections de 2016, non pas parce qu’ils avaient choisi une candidate profondément détestée ou parce que leur idéologie néolibérale avait causé tant de misère et de destruction, mais plutôt, disaient-ils, parce que Facebook et Twitter avaient permis la circulation sans entrave de documents incriminants, piratés par la Russie.
Anticipant que les Démocrates avaient de fortes chances de gagner en 2020, les deux entreprises technologiques ont décidé dans les semaines précédant les élections – dans ce que je considère comme l’acte de censure le plus menaçant de la dernière décennie – de supprimer ou d’interdire purement et simplement les reportages du New York Post sur les documents provenant de l’ordinateur portable de Hunter Biden qui soulevaient de sérieuses questions sur l’éthique du candidat démocrate à la présidence. C’est un cas classique d’autocensure pour faire plaisir aux fonctionnaires de l’État qui exercent un pouvoir sur vous.
Tout cela soulève la question vitale de savoir où réside réellement le pouvoir lorsqu’il s’agit de contrôler la parole en ligne. En janvier, le commentateur d’extrême droite Curtis Yarvin, dont les analyses ont beaucoup d’influence dans un certain secteur de la Silicon Valley, a écrit un essai provocateur sous le titre Les grandes entreprises de technologie n’ont aucun pouvoir.
En substance, écrit-il, Facebook en tant que plateforme est extrêmement puissante, mais d’autres institutions – en particulier la presse institutionnelle/oligarchique et le gouvernement – ont pris ce pouvoir à Zuckerberg, et l’ont réorienté pour leurs propres intérêts, de sorte que Facebook devient leur serviteur plutôt que leur maître :
Cependant, si Zuck est soumis à une sorte de pouvoir oligarchique, il se trouve exactement dans la même position que ses propres modérateurs. Il exerce le pouvoir, mais ce n’est pas son pouvoir, car ce n’est pas sa volonté. Le pouvoir ne découle pas de lui, il passe par lui. C’est pourquoi nous pouvons dire honnêtement et sérieusement qu’il n’a pas de pouvoir. Ce n’est pas le sien, mais celui de quelqu’un d’autre.
Pourquoi Zuck interdit-il les fouteurs de merde ? Le créateur de « Facemash » est-il passionnément attaché à la justice sociale ? Peut-être bien. Il n’a peut-être pas de pouvoir, mais c’est quand même un gros calibre. Les gros calibres deviennent souvent croyants plus tard dans leur vie, surtout quand tout le monde autour d’eux l’est devenu. Mais a-t-il le choix ? S’il n’a pas le choix, il n’a pas de pouvoir.
Pour des raisons qui ne sont pas tout à fait pertinentes ici, je ne suis pas tout à fait d’accord avec ce paradigme. Les monopoles technologiques ont un pouvoir énorme, parfois plus grand que les États-nations eux-mêmes. Nous venons de le voir dans les batailles de Google et de Facebook avec tout un pays, l’Australie.
Et ils entrent souvent en guerre contre les efforts des Etats pour les réguler. Mais il est incontestablement vrai que ces entreprises de médias sociaux – qui ont commencé en grande partie pour des raisons d’intérêt personnel et secondairement en raison d’une idéologie de l’Internet libre pour offrir une plateforme neutre en termes de contenu – se sont vues imposer une obligation de censure par une combinaison de médias institutionnels et de puissants politiciens.
On pourrait considérer les entreprises technologiques, les médias institutionnels, la politique de sécurité nationale et les Démocrates comme une union – une fusion des pouvoirs – plutôt que comme des factions séparées et en guerre.
Mais quel que soit le cadre que vous préférez, il est clair que le pouvoir des sociétés de médias sociaux de contrôler l’internet est entre les mains du gouvernement et de ses alliés des médias institutionnels, au moins autant qu’il est entre les mains des cadres techniques qui gèrent formellement ces plateformes.
Et c’est précisément cette réalité qui présente de graves menaces au titre du Premier amendement. Comme le montre la jurisprudence de la Cour suprême évoquée ci-dessus, cette forme de censure étatique indirecte et implicite n’est pas nouvelle.
En 2010, le faucon de guerre Joe Lieberman a abusé de sa position de président de la commission sénatoriale des forces armées pour « suggérer » que les services financiers et les sociétés d’hébergement Internet telles que Visa, MasterCard, Paypal, Amazon et Bank of America mettent fin à leur relation avec WikiLeaks au motif que ce groupe, qui était fermement opposé à l’impérialisme et au militarisme de Lieberman, représentait une menace pour la sécurité nationale. Lieberman a laissé entendre qu’elles pourraient être légalement responsables si elles continuaient à traiter des paiements pour WikiLeaks.
Sans surprise, ces entreprises ont rapidement obéi au décret de Lieberman, empêchant le groupe de collecter des dons. Lorsque j’ai fait un rapport sur ces événements pour Salon, j’ai noté :
Que Joe Lieberman abuse de sa position de président de la sécurité intérieure pour maladroitement dicter à des sociétés privées quels sites web elles doivent ou ne doivent pas héberger – et, plus important encore, ce que vous pouvez ou ne pouvez pas lire sur Internet – est l’un des actes les plus pernicieux commis par un sénateur américain depuis un certain temps. Josh Marshall a écrit hier : « Quand j’ai appris qu’Amazon avait accepté d’héberger Wikileaks, j’ai été franchement surpris, étant donné tous les sujets qu’une grande entreprise comme Amazon doit traiter avec le gouvernement fédéral. »
C’est vrai pour toutes les grandes entreprises qui possèdent des médias – toutes – et c’est une des raisons majeures pour lesquelles elles sont si serviles envers les intérêts du gouvernement américain et si facilement manipulables par ceux qui détiennent le pouvoir politique. C’est précisément la dynamique que Lieberman a exploitée avec son petit appel téléphonique menaçant à Amazon (en substance : Bonjour, ici la Commission de la sécurité intérieure du Sénat, vous allez mettre fin à ce site WikiLeaks immédiatement, n’est-ce pas ?) Amazon, bien sûr, a fait ce qu’on lui a dit.
(Avec Daniel Ellsberg, Laura Poitras et d’autres, j’ai cofondé la Fondation pour la liberté de la presse en partie pour recueillir des dons au nom de WikiLeaks afin de garantir que le gouvernement ne puisse plus jamais fermer les groupes de presse qu’il n’aimait pas par le biais de telles campagnes de pression et de menaces implicites, précisément parce qu’il était tellement évident que ce moyen indirect d’attaquer la liberté de la presse était dangereux et inconstitutionnel).
Ce qui a rendu les menaces implicites de Lieberman au nom de la « sécurité nationale » si despotiques, c’est qu’elles visaient clairement à punir et à faire taire un groupe travaillant contre son programme politique. Et c’est précisément ce qui motive ces Démocrates de la Chambre des représentants à exiger une plus grande censure au nom de la lutte contre les « informations erronées » et les « discours de haine » : leurs exigences reviennent presque toujours, sinon toujours, à faire taire ceux qui sont opposés à leur idéologie et à leur programme politique.
Pour ne citer qu’un exemple : on est parfaitement libre d’affirmer en ligne, comme le font de nombreux Démocrates, que les élections présidentielles de 2000, 2004 et 2016 (remportées par des Républicains) ont été le fruit d’une fraude électorale, mais le fait d’affirmer la même chose à propos de l’élection de 2020 (remportée par un Démocrate) entraînera une interdiction immédiate.
Le pouvoir de contrôler les flux d’informations et les limites des discours autorisés est une caractéristique d’un régime autoritaire. C’est un pouvoir aussi enivrant que menaçant. En ce qui concerne l’internet, notre principal moyen de communication, ce pouvoir repose théoriquement entre les mains de sociétés privées de la Silicon Valley.
Mais de plus en plus, le gouvernement contrôlé par les Démocrates et leurs alliés dans les médias institutionnels se rendent compte qu’ils peuvent indirectement, et par la coercition, s’emparer de ce pouvoir et l’exercer pour eux-mêmes. Le Premier amendement se retrouve tout autant à l’épreuve par ces actions coercitives que si le Congrès promulguait des lois imposant explicitement la censure de leurs opposants politiques.
Source : Glenn Greenwald, 20-02-2021
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Commentaire recommandé
Oui c’est toujours le problème de vouloir bipolariser le monde en deux camps le bien et le mal pas de milieu
Je ne plaindrais pas les conservateurs qui fonctionnent depuis longtemps à fond dedans avec le fameux « vous êtes avec nous ou contre nous » lors de la seconde guerre du golfe contre l’Irak.
Mais le problème c’est que cela se généralise à toute critique, camps politique opposé, remise en cause de la version diffusée par la pensée unique.
Les murs se dressent physiquement, numériquement et mentalement on veut ignorer l’autre qui a forcément tord et si il l’affirme il faut le faire taire. 😩😓
14 réactions et commentaires
Un grand Monsieur de défense de la liberté d’expression, de la liberté tout cours. Il a préféré quitter Intercept qui c’est vautré dans la collaboration anti-citoyenne.
+7
AlerterAu moins ce n’est pas en France que ce genre de choses arriverait , ici on sait ce qu’est la liberté d’expression
+12
AlerterTrès bon de rire comme ça de grand matin. Merci 🙂
+9
AlerterOui c’est toujours le problème de vouloir bipolariser le monde en deux camps le bien et le mal pas de milieu
Je ne plaindrais pas les conservateurs qui fonctionnent depuis longtemps à fond dedans avec le fameux « vous êtes avec nous ou contre nous » lors de la seconde guerre du golfe contre l’Irak.
Mais le problème c’est que cela se généralise à toute critique, camps politique opposé, remise en cause de la version diffusée par la pensée unique.
Les murs se dressent physiquement, numériquement et mentalement on veut ignorer l’autre qui a forcément tord et si il l’affirme il faut le faire taire. 😩😓
+14
AlerterLa liberté d’expression, c’est de la géométrie variable. Greenwald donne des exemples où le gouvernement US contourne le droit de dire quelque chose en sanctionnant des entreprises ou associations qui permet des mots non appréciés par le gouvernement, parce que le gouvernement lui-même n’a pas le droit de le faire directement.
Ce qui n’empêche que ce même gouvernement sanctionne directement des mots qui font mal au gouvernement US : Snowden, Manning, Assange, et pas mal d’autres personnes.
Pareil en France. Je ne sais pas si la liberté d’expression fait partie du droit français, mais je sais qu’elle n’est pas respectée ici. Je me souviens qu’en 2015 certains était condamnés parce qu’ils ont publiquement soutenu le BDS, Boycott, Désinvestissement, Sanctions, mouvement non-violent d’origine palestinien. Je suis certain qu’il existe plein d’autres exemples.
+9
AlerterBien sûr, mais ce faisant, on peut constater que les gouvernements US ou français ne semblent pas réellement gagner du terrain, mais ne font qu’exacerber une tension. La conviction d’un public de plus en plus large s’éloigne de ce que le gouvernement préférerait, et les canaux d’information dissidents, malgré les tentatives de marginalisation, ne cessent de se consolider et d’apparaître. Dans le net francophone, ne cessent d’éclore des nouveaux médias, des bons et des moins bons, se prévalant de liberté de parole et d’indépendance. Les officines de fact-checking officiel ou déléguées ne réussissent pas à se débarrasser d’une suspicion de soutien aux propagandes gouvernementales. Finalement, ce qui apparaît de plus en plus est un énorme vide, un appel d’une voix qui manque, qui toujours été bafouée, et qu’on va peut-être finir par entendre un petit peu.
+8
AlerterCertes, il y a des alternatives marginales au Spectacle et c’est heureux.
Mais est-ce suffisant pour virer ces a-démocrates pour un régime démocratique.
Ou dit autrement, allons-nous vers un monde qui nous pourrit moins la vie ?
Non. la fabrique de la haine marche à plein.
et on en sait les buts…
+2
AlerterSi j’ai bien compris, afin de ne pas être censuré par le gouvernement US (et donc tous les « gouvernements amis ») il suffit simplement de se déclarer comme « association cultuelle » et se planquer derrière un quelconque discours religieux pour ne pas être importuné.
Je conseille donc vivement à Olivier Berruyer de renommer l’association en « Diacrisis Divinae » et le site en « Les crises célestes » pour ne plus risquer la censure et l’opprobre des « vérificateurs de fèces niouzes » qui n’oseront pas déplaire au « Dessin Divin ».
Et pour conserver leur liberté d’expression je conseille aussi vivement à tous les lecteurs de ce blog de se définir comme « crisariens », mouvement spirituel d’inspiration divine qui porte la parole de Saint Olivier afin de ramener les mécréants dans le chemin divin.
Autant utiliser les armes de l’adversaire si c’est pour la bonne cause.
Ce qui donne entièrement raison à Malraux quand il avait prédit que « Le XXIè siècle sera spirituel ou ne sera pas »…
+9
AlerterC’est logique.
Internet est un lieu, pas un média.
Or n’importe quel lieu a un règlement intérieur. Centre Commercial, marché communal, cinéma, gare, discothèque, bar, restaurant, salle de sport et j’en passe.
Le problème, c’est que ce sont les opposants au système qui ont offert trop d’importance aux GAFA en leur confiant l’essentiel de leur communication.
C’est aussi absurde qu’une guérilla qui, du fait d’une tolérance initiale, s’armerait exclusivement … dans les arsenaux de l’armée qu’elle combat et qui crierait au scandale quand cette armée lui fermerait les portes.
Il était tellement évident que était un piége.
Même les Crises demande à être suivie sur fb et Twitter…
Et quoi si demain le blog en est banni.
Il est impératif d’ignorer ces bétaillères à neuneu que sont les gafas, de les laisser uniquement au divertissement et de se créer ses propres réseaux de diffusion.
FB et Twitter. Tant qu’on y est, pourquoi pas installer des podium dans les centres commerciaux, stades et discothèques et brailler ce qu’on a à dire.
Pour moi, c’est aussi incongru.
Les GAFA pour les sites d’opinion sont des facilités sans avenir.
+12
Alerteraujourd’hui, ça supprime à tour de bras.
comme ici en France, et qui sont les premiers à ne pas respecter la constitution ?
ex : La liberté d’expression à géométrie variable. le « droit » de manifester..
l’état de droit n’existe plus. et les premiers à le contourner, le gouvernement, le parlement, les exemples ne manquent pas. La RGPD, la plus grande fumisterie qui existe.
Mais de partout, ça contre. Mais le problème c’est que ça ne touche pas les masses, les masses restent captées par l’un ou l’autre mais n’auront jamais une vision d’ensemble. C’est le plus moche
+6
AlerterUne fois de plus les indignations outrées de certains commentaires me font bien marrer. A l’époque de la cancel culture et des réunions racisees et racistes, la censure est partout et bien souvent chez ceux qui hurlent avec les loups. Les censeurs en chef veulent censurer ceux qui ne sont pas soumis à leur censure à eux etc… quand je vous disais que la discussion » fine » sur le « blasphème » nous mènerait à la catastrophe. Nous y sommes. Qui a tué Roger Rabbit?
+6
AlerterPour le dire en langage 1984 : « La censure c’est la liberté d’expression. »
Et après ça va venir jouer les pleureuses genre « pourquoi les gens ils ne croient plus en rien ? ».
Ha ben quand un enfant prend conscience que ses parents lui mentent pas toujours pour son bien, il a une saine tendance à tout remettre en question. C’est très sain , ça permet l’émancipation.
En gros , ça sert à rien de s’indigner, il faut grandir…
+3
AlerterHeu !
et si la censure empêche la démocratie, la liberté d’expression comme on l’a vu souvent dans notre histoire ? On grandit comment ?
Quand nos dirigeants désignent les méchants et les bons (décodeurs et autres) c’est le début du fascisme.
C’est toujours comme ça que cela se passe…
On grandit comment ?
En prison ?
Certes l’indignation ne suffit pas …
j’ai une idée la dessus.
+1
AlerterParceque vous croyez vraiment que Yandex télégramme et cie sont hors la vue! 😂 bon j’en reste là . Rien n’est hors la vue. Alors le mieux finalement c’est de faire comme moi. Pseudo? Nein danke !
+0
AlerterLes commentaires sont fermés.