Le point de la situation par l’excellent Romaric Godin
L’Eurogroupe se réunit jeudi à 13 heures pour tenter de trouver un nouvel accord. Les logiques entre Grecs et créanciers semblent opposées.
La Grèce est désormais prise entre le marteau et l’enclume. Ce mercredi 24 juin, l’espoir d’un accord aura fait long feu. Le soir, l’Eurogroupe s’est séparé sans rien décider, reportant les discussions à jeudi 13 heures. Les propositions grecques, incluant des mesures de 8 milliards d’euros sur deux ans, ont été rejetées sèchement ce matin. La contre-proposition du FMI a été rejetée à son tour ensuite par Athènes. Ce plan grec était loin d’être parfait, il était même sans doute nocif pour l’économie hellénique. En réalité, il avait une qualité : montrer que le gouvernement d’Alexis Tsipras était prêt à entrer dans la logique des créanciers. Logique que l’on peut juger économiquement absurde, mais qu’il était indispensable, aux yeux du premier ministre grec, d’accepter afin de sortir le pays de la paralysie économique dans laquelle il s’enfonce.
Changement de la part des Grecs
Cette proposition représentait un changement total de stratégie du gouvernement grec et de Syriza. Il s’agissait d’obtenir un « mauvais accord » pour pouvoir appliquer une partie de son programme et bénéficier du soutien de l’Union européenne. C’était clairement une main tendue vers les créanciers. Evidemment, cette main tendue faisait grincer des dents à Athènes, mais elle était proche d’être acceptée. Il suffisait mercredi de regarder les visages des députés Syriza pour se convaincre que l’affaire n’était pas simple. Yannis Balaouras est l’un d’entre eux. « Je ne suis pas très heureux », reconnaissait-il d’emblée mercredi avant le rejet de l’offre grecque à Bruxelles. La hausse de la TVA qui frappera les plus pauvres le gènait, notamment. Mais il admettait que la Grèce doit « reprendre sa respiration » et « les liquidités doivent revenir dans le pays pour faire redémarrer l’économie. » Pour cela, il était prêt à voter un accord sur la base des propositions grecques de lundi 22 juin. Selon lui, ses électeurs qui lui envoient des messages sont d’accord sur ce point : « ils me disent, l’accord est mauvais, mais il faut continuer à lutter. » Ces concessions ne pouvaient cependant pas être acceptées sans contrepartie, notamment sur la dette. Mercredi à Athènes, il n’était pas question de réclamer une restructuration immédiate de la dette. « Nous savons que cela ne se fera pas immédiatement, mais il faut un engagement à trouver une solution », affirmait Yannis Balaouras. Le prix à payer pour les créanciers était donc léger…
Logiques opposées
Mais pour les créanciers, cette contrepartie est impossible. Les Européens (et pas seulement les Allemands, même si leur voix est décisive) refuse d’aborder le sujet de la dette. Et le FMI a intégré dans son approche cette décision. Du coup, en tant que créancier le plus concerné dans l’immédiat (les pays européens commenceront à être remboursés en théorie en 2020), il cherche à garantir les excédents primaires nécessaires au paiement de ses créances. L’institution a donc pris son stylo rouge et a biffé les propositions grecques, principalement sur les retraites. Ramenant ainsi sur la table la baisse des pensions et la suppression dès 2017, sans remplacement, des retraites complémentaires ciblées sur les plus pauvres (le complément EKAS). La question n’est donc pas, comme on l’entend souvent, la division des créanciers, mais bien leur unité. Une unité bâtie sur le refus de toute restructuration de la dette qui suppose alors des coupes dans les dépenses. Les créanciers préfèrent en effet une baisse des dépenses qui offre un montant sûr à des hausses de recettes sujettes à l’évolution de la croissance. Et les principales dépenses grecques, ce sont les retraites.
Voici pourquoi l’accord est impossible entre les deux parties. Les approches sont strictement inversées. La Grèce consent à donner des gages, mais contre un effort sur la dette et sans toucher aux retraites. En face, les créanciers ne veulent pas parler de la dette, et, en conséquence, veulent un plan incluant des baisses de pensions.
Manque de volonté politique
Reste que ce blocage, on le voit, est théoriquement technique. Ce qui manque à ces négociations, c’est une volonté politique de parvenir à un accord. Cette volonté imposerait le changement de logique de la part des créanciers en prenant en compte l’effort politique important réalisé par le gouvernement grec lundi. Cela est impossible dans la configuration actuelle : les Eurogroupes ne discutent que de l’issue des discussions techniques et les sommets que de l’issue des discussions de l’Eurogroupe. Autrement dit, dans ce calendrier, la décision politique arrive en dernier lorsqu’elle devrait arriver en premier lieu. Elle n’a donc pas la capacité à donner une impulsion nouvelle. Pourtant, Angela Merkel ou d’autres dirigeants pourraient décider de donner des instructions aux discussions techniques en leur indiquant un cadre nouveau. Mais la chancelière ne le souhaite pas. Comme à son habitude, elle joue le pourrissement de la situation pour remporter la mise. Comme elle refuse toute discussion sur la dette qui serait difficilement acceptable en Allemagne, elle cherche la capitulation d’Athènes. Cette capitulation entraînera la chute sous une forme ou sous une autre du gouvernement actuel. Un nouveau gouvernement grec plus obéissant viendra se mettre en place et tout continuera comme avant. Le problème grec sera un temps mis de côté, elle pourra conserver la Grèce dans la zone euro – donc ne pas fragiliser cette zone euro – et affirmer à ses électeurs-contribuables qu’elle les a défendus. Elle n’a donc aucune raison de modifier l’ordre des discussions.
Exaspération grecque
En Grèce, cette hypothèse du but politique des créanciers, jadis circonscrites aux cercles proches de Syriza, commence à gagner du terrain dans l’opinion. C’est ce que souligne dans un tweet le journaliste du site Macropolis, Nick Malkoutsis : la question de savoir si les créanciers ne cherchent pas à renverser le gouvernement, indique-t-il, « parcourt maintenant l’esprit de nombreux Grecs, même de ceux qui ont été critiques du gouvernement. »
Les créanciers ont, de surcroît, multiplié les humiliations : faire venir Alexis Tsipras mercredi matin pour lui signifier le refus de son plan, lui remettre une feuille biffée comme une copie d’écolier, faire recevoir par Jean-Claude Juncker le président du petit parti d’opposition To Potami ce mercredi… Les Grecs demeurent encore calmes, mais après cinq ans d’austérité, ils supportent de moins en moins cette humiliation permanente. Surtout, la lassitude commence à gagner du terrain, ouvrant la voie à l’hypothèse d’une rupture. FMI et Européens jouent donc avec le feu en refusant de se donner les moyens de trouver un accord. L’Europe doit donc de toute urgence abandonner ses buts politiques et accepter enfin le résultat de l’élection du 25 janvier. Elle doit aussi respecter sa propre parole, celle qui, le 20 février, affirmait que la Grèce devait décider de ses propres réformes dans le cadre du programme. Sinon, la rupture deviendra inévitable.
Source : Romaric Godin, La Tribune, 25/06/2015
Le courage d’Achille, la ruse d’Ulysse, par Jacques Sapir
Les dernières péripéties dans la négociation entre le gouvernement grec et ses créanciers mettent en lumière les contre-sens de beaucoup des commentateurs. Ils partent du principe que le gouvernement grec « ne peut que céder » ou « va immanquablement céder » et considèrent chaque des concessions tactiques faites par le gouvernement grec comme une « preuve » de sa future capitulation, qu’ils la regrettent ou qu’ils l’appellent de leurs vœux. De ce point de vue, il y a une étrange et malsaine synergie entre les plus réactionnaires des commentateurs et d’autres qui veulent se faire passer pour des « radicaux » et qui oublient sciemment de prendre en compte la complexité de la lutte conduite par le gouvernement grec. Ce dernier se bat avec le courage d’Achille et la ruse d’Ulysse. Disons déjà qu’aujourd’hui tous ceux qui avaient annoncé la « capitulation » du gouvernement grec ont eu tort. Il faut comprendre pourquoi.
Le point de vue du gouvernement grec
En fait, le gouvernement grec bien fait des concessions importantes depuis le mois de février dernier, mais ces concessions sont toutes conditionnelles à un accord général sur la question de la dette. Il faut savoir que c’est le poids des remboursements qui contraint le gouvernement grec à être dans la dépendance de ses créanciers. Le drame de la Grèce est qu’elle a réalisé un effort budgétaire considérable mais uniquement au profit des créanciers. L’investissement, tant matériel qu’immatériel (éducation, sante), a donc été sacrifié sur l’autel des créanciers. Dans ces conditions, on ne peut s’étonner que l’appareil productif de la Grèce se dégrade et qu’elle perde régulièrement de la compétitivité. C’est cette situation que le gouvernement actuel de la Grèce, issu de l’alliance entre SYRIZA et l‘ANEL, cherche à inverser. Le gouvernement grec ne demande pas des sommes supplémentaires à ses créanciers. Il demande que l’argent que la Grèce dégage puisse être utilisé pour investir, tant dans le secteur privé que public, tant dans des investissements matériels qu’immatériels. Et sur ce point, il n’est pas prêt à transiger, du moins jusqu’à maintenant.
Les mauvaises raisons des créanciers
Les créanciers de la Grèce, quant à eux, continuent d’exiger un remboursement intégral –dont ils savent parfaitement qu’il est impossible – uniquement pour maintenir le droit de prélever de l’argent sur la Grèce via les intérêts de la dette. Tout le monde sait qu’aucun Etat n’a remboursé la totalité de sa dette. De ce point de vue les discours qui se parent d’arguments moraux sont parfaitement ridicules. Mais, il convient de maintenir la fiction de l’intangibilité des dettes si l’on veut maintenir la réalité des flux d’argent de la Grèce versles pays créanciers. Quand, ce 24 juin, Alexis TSIPRAS a constaté l’impossibilité d’arriver à un accord, ce qu’il a résumé dans un tweet en deux parties, il a pointé ce problème.
Il insiste sur le fait que le comportement des dirigeants européens montre soit qu’ils n’ont aucun intérêt dans un accord, et la négociation est vaine, ou qu’ils poursuivent des intérêts « spéciaux » qu’ils ne peuvent avouer. L’accusation est grave, même si elle est très réaliste. Et c’est peut-être l’annonce d’une rupture à venir.
En fait, on peut penser que les « créanciers » de la Grèce, et en particulier les pays de l’Eurogroupe, poursuivent deux objectifs dans les négociations actuelles. Ils veulent, tout d’abord, provoquer la capitulation politique de SYRIZA et ainsi, du moins l’espèrent-ils, sauver la politique d’austérité qui est désormais contestée dans de nombreux pays, et en particulier en Espagne comme on l’a vu avec la victoire électorale de PODEMOS. Mais, ces pays veulent aussi maintenir le flux d’argent engendré par les remboursements de la Grèce, car ce flux profite largement aux institutions financières de leurs pays. Tsipras a donc parfaitement raison d’indiquer un « intérêt spécial », qui relève, appelons un chat un chat, de la collusion et de la corruption.
Il est, à l’heure actuelle, impossible de dire si le gouvernement grec, désormais menacé par l’équivalent d’une « révolution de couleur » arrivera à maintenir sa position jusqu’au bout. Mais, jusqu’à présent, il a défendu les intérêts du peuple grec, et au-delà, les intérêts des européens, avec la force d’un lion. Nous n’avons pas le droit d’oublier cela et nous nous en souviendrons quel que soit le résultat final de cette négociation.
Source : Jacques Sapir, 24/06/2015
Commentaire recommandé
Tout cela c’est du néocolonialisme mais à l’intérieur de l’Europe, c’est sans doute ce qui nous choque le plus.
Les européens, plus particulièrement leurs classes dominantes ont toujours été de fieffés colonialistes. Aujourd’hui ce néocolonialisme s’exerce entre pays du nord de l’Europe et pays de l’Europe du sud.
Comment voulez-vous vivre dans une certaine opulence, si vous n’extorquez pas de la richesse de populations dominées ? Cela a été, est toujours vrai, avec les colonies d’outre-mer, mais c’est vrai aujourd’hui à l’intérieur de l’Europe.
Cette Union Européenne, n’est pas une organisation fondée sur la solidarité, mais sur l’exploitation des plus faibles, par les plus forts la « concurrence libre et non faussée ». C’est pour cela qu’elle ne pourra durer, que tôt ou tard elle se désintégrera, comme ce fut le cas de l’ancienne URSS. Les oligarques ont perdu la confiance des peuples, ils se battent bec et ongle pour garder en vie des institutions de plus en plus honnies des peuples, mais ils finiront par perdre. En URSS, c’était la Nomenklatura, qui avait perdu la confiance du peuple…
115 réactions et commentaires - Page 2
Même si je ne discute pas le fond des deux articles ,je n’aime trop pas la façon dont est présenté Syriza, »le courage d’Achille et la ruse d’Ulysse » …C’est idyllique et manichéen …Comme si ce dernier avait une stratégie conduisant volontairement entre autres ,à la sortie de l’euro ,face aux « méchants » .
Plus prosaïquement,je crois qu’il y a la contradiction des faits d’une part , et des illusions d’autre part .
Syriza n’y échappe pas ,pas plus que nos « dirigeants » qui veulent maintenir coûte que coûte la confiance pour ne pas entacher leur petite fausse croissance provisoire .
Faut maintenir la « bête » en vie ,alors qu’elle est déjà morte depuis un moment !
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