Le rapporteur spécial estime que les procédures « établissent une privation structurelle et un non-respect des droits nécessaires à une existence humaine et digne. »
Source : Responsible Statecraft, Blaise Malley
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Plus de vingt ans après l’ouverture de la prison de Guantanamo Bay, les 30 détenus restants sont toujours soumis à des « traitements cruels, inhumains et dégradants », selon un nouveau rapport de la rapporteuse spéciale (RS) des Nations unies sur la lutte contre le terrorisme et les droits humains, Fionnuala Ni Aolain.
Ce document, qui a été rendu public lundi, est le résultat d’une visite du centre au début de l’année. Il s’agit de la première visite de ce type effectuée par un fonctionnaire des Nations unies depuis l’ouverture du centre en 2002. Sa conclusion est claire : le gouvernement américain doit « envisager des voies immédiates pour la fermeture » du centre de détention.
La visite de Ni Aolain, qui a eu lieu en février, comprenait une série de réunions avec les avocats et les familles des prisonniers, ainsi qu’avec d’anciens prisonniers et certains des 34 détenus de l’époque.
Ni Aolain s’est également entretenue avec des familles de victimes des attentats du 11 septembre 2001. « Elle reconnaît l’existence de divergences de vues au sein de la communauté des victimes sur la légitimité des commissions militaires, l’application de la peine de mort et le fonctionnement du centre de détention de Guantánamo. Mais, selon elle, l’utilisation de la torture par les États-Unis représente aujourd’hui l’obstacle le plus important à la réalisation des droits des victimes à la justice et à l’obligation de rendre des comptes .»
« L’obligation de rendre compte des actes de torture est également une obligation de rendre compte des droits humains des victimes et des survivants », écrit-elle.
Dans son rapport, Ni Aolain remercie l’administration Biden d’avoir facilité sa visite, mais critique le gouvernement américain pour les violations constantes du droit international. « Plusieurs procédures du gouvernement américain établissent une privation structurelle et un non-respect des droits nécessaires à une existence humaine et digne. Elles constituent au minimum un traitement cruel, inhumain et dégradant dans toutes les pratiques de détention à Guantánamo Bay », écrit-elle.
Le rapport se concentre sur le droit des détenus à la santé, l’accès à la famille, l’accès à la justice et à un procès équitable, ainsi que sur les effets physiques et psychologiques à long terme de la torture. Dans chaque cas, le rapporteur spécial a trouvé d’importantes raisons de s’inquiéter.
Par exemple, le rapporteur spécial « conclut que les conditions susmentionnées constituent une violation du droit à des soins de santé disponibles, adéquats et acceptables – dans le cadre de l’obligation de l’État de garantir les droits à la vie, à la protection contre la torture et les mauvais traitements, à un traitement humain des prisonniers et à un recours effectif […] le fait que le gouvernement des États-Unis ne fournisse pas de réadaptation aux victimes de la torture est en contradiction flagrante avec les obligations qui lui incombent en vertu de la Convention contre la torture. »
En termes de droits légaux, le rapport constate que « les États-Unis n’ont pas réussi à promouvoir et à protéger les garanties fondamentales d’un procès équitable et ont gravement entravé l’accès des détenus à la justice ». Un détenu a déclaré à Ni Aolain que si certaines conditions matérielles de la prison se sont améliorées au fil du temps, les conditions juridiques sont aujourd’hui pires que jamais.
Le rapport s’est également penché sur le rapatriement et la réinstallation des personnes libérées de Guantanamo et a constaté qu’elles avaient connu des fortunes diverses, mais que la « grande majorité » continuait d’être victime de violations des droits humains. « Pour de nombreux anciens détenus, leur expérience actuelle dans leur pays d’origine ou dans un pays tiers n’est qu’une extension de la détention arbitraire à Guantanamo, certains exprimant même le souhait d’y retourner », écrit Ni Aolain. « Le rapporteur spécial s’est entretenu avec d’anciens détenus et des familles de détenus qui, lors de leur transfert, ont été victimes de disparitions forcées et de détentions arbitraires ; ils ont été inscrits dans des programmes supposés de réhabilitation et de réintégration mais ont en fait été soumis à la détention au secret, à la torture et aux mauvais traitements, » etc.
Michèle Taylor, l’ambassadrice des États-Unis auprès du Conseil des droits humains des Nations unies, a publié une réponse au rapport, remerciant Ni Aolain mais désapprouvant de nombreuses conclusions de son rapport. « Les États-Unis ne sont pas d’accord sur de nombreux points avec les affirmations factuelles et juridiques de la rapporteure spéciale », a écrit Taylor. « Les détenus vivent en communauté et préparent leurs repas ensemble ; ils reçoivent des soins médicaux et psychiatriques spécialisés ; ils ont pleinement accès à un avocat et communiquent régulièrement avec les membres de leur famille. »
Sous le mandat de Biden, 10 des 40 détenus qui se trouvaient là lorsqu’il a pris ses fonctions ont quitté la prison, et 16 autres ont été autorisés à partir mais restent à Guantanamo.
Les avocats , les groupes de défense des droits et les anciens détenus ont accueilli favorablement le rapport et ont demandé à Biden d’atteindre l’objectif qu’il s’est fixé, à savoir fermer la prison, et au gouvernement d’accorder des réparations aux prisonniers.
« J’ai été victime de la torture pratiquée par la CIA aux États-Unis. J’ai survécu, j’ai pardonné à mes tortionnaires et je poursuis ma vie au Belize. Mais j’attends toujours des excuses, des soins médicaux et d’autres compensations », a déclaré Majid Khan, un ancien détenu qui a été libéré en février 2023. « J’apprécie tout le soutien que le Belize m’a apporté, mais la responsabilité incombe aux États-Unis. »
« Il est temps de fermer Guantanamo », a ajouté Khan.
« L’administration Biden doit arrêter de s’opposer à la fermeture de Guantanamo », a déclaré Wells Dixon, avocat principal au Centre pour les droits constitutionnels, qui a été l’avocat de plusieurs détenus de Guantanamo. « Cela n’a aucun sens, ni sur le plan juridique ni sur le plan politique, que le gouvernement continue à se battre devant les tribunaux, à détenir des hommes qu’il ne veut plus détenir, dans une prison qu’il a déclaré devoir être fermée, dans le cadre d’une guerre qui a pris fin. »
Source : Responsible Statecraft, Blaise Malley, 28-06-2023
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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Ah! le choix des mots ; « Centre de détention » ; on dirait presque un centre UCPA. Employons plutôt un mot qui corresponde à la réalité : goulag ; où sont enfermés et torturés des gens kidnappés, y compris des mineurs, un peu partout sur la planète par un régime ennemi de la France.
5 réactions et commentaires
Ah! le choix des mots ; « Centre de détention » ; on dirait presque un centre UCPA. Employons plutôt un mot qui corresponde à la réalité : goulag ; où sont enfermés et torturés des gens kidnappés, y compris des mineurs, un peu partout sur la planète par un régime ennemi de la France.
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Alerter« régime ennemi de la France »? S’il s’agit bien des USA, le mot semble un peu fort. A cette échelle terminologique la France compterait beaucoup d’ennemis et peu d’amis!
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Alerter« Etre un ennemi des usa est dangereux, en être un allié peut-être mortel. » (Kissinger)
« La France ne le sait pas, mais nous sommes en guerre avec l’Amérique. Oui, une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre économique, une guerre sans mort apparemment. Oui, ils sont très durs les Américains, ils sont voraces, ils veulent un pouvoir sans partage sur le monde. C’est une guerre inconnue, une guerre permanente, sans mort apparemment et pourtant une guerre à mort. » Mitterrand propos rapportés par Georges-Marc Benamou
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AlerterSi vous ne savez pas distinguer parmi vos « amis » celui qui se sert de vous, qui vous manipule et vous impose ses vues, qui sabote vos positions pour vous rendre dépendant de lui, je vous plains…
Du reste, « les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts » (de Gaulle, et d’autres avant lui) – et la France ferait bien de chercher où sont les siens.
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AlerterLes empires n’ont pas bcp d’amis par définition
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