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14.décembre.202414.12.2024 // Les Crises

Guerre en Ukraine : pourquoi Joe Biden a-t-il autorisé les frappes ATACMS sur le territoire russe ?

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S’il voulait entraver le plan de Trump pour mettre fin à la guerre, c’était la meilleure façon de le faire.

Source : Responsible Statecraft, Mark Episkopos
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

On s’attendait largement, et notamment du côté des vainqueurs de l’élection présidentielle de 2024, à ce que le gouvernement Biden redouble d’efforts jusqu’à la fin de l’année pour compliquer au maximum la tâche d’une nouvelle administration qui voudrait changer de cap concernant l’Ukraine, et pour que le coût en soit aussi élevé que possible.

Les responsables américains ont récemment qualifié cette initiative de « protection anti-Trump », et la décision de la Maison Blanche consistant à autoriser les frappes ATACMS ukrainiennes sur le territoire russe montre jusqu’où l’administration Biden est prête à aller pour entraver le président élu Donald Trump quant à sa politique vis-à-vis de l’Ukraine.

Cette annonce a été tempérée par une certaine prudence, des responsables ayant déclaré au Washington Post que les premières frappes de missiles « se concentreront sur et autour » de la région de Koursk, à la frontière sud-est de la Russie, mais qu’elles « pourraient avoir une portée plus large » à l’avenir.

Cette décision a été précédée par des semaines de déclarations publiques du porte-parole de la Maison Blanche, John Kirby, et d’autres, affirmant que les frappes ATACMS à l’intérieur de la Russie ne présentaient qu’un intérêt opérationnel limité et étaient limitées par l’insuffisance des stocks. Ce genre d’argutie et de revirement politique radical n’est pas atypique dans la démarche de l’administration Biden, des histoires de ce type s’étant déroulées ces dernières années à propos de la fourniture par les États-Unis de systèmes de missiles Patriot et de missiles HIMARS à l’Ukraine.

La logique militaire en vertu de laquelle ces interdictions sont imposées et ensuite levées a toujours été pour le moins discutable, alors même que les enjeux et le risque d’escalade n’ont cessé de croître.

L’administration a mentionné les déploiements présumés de troupes nord-coréennes à Koursk comme étant l’une des principales raisons de la levée de l’interdiction. L’objectif est apparemment de dissuader Pyongyang d’accroître son implication en Ukraine. Ce raisonnement laisse perplexe. Le fait que des brigades nord-coréennes autonomes se battent à Koursk est un fait incontestable. Mais leur implication n’est pas un facteur déterminant pour l’issue finale de la guerre.

En outre, les forces armées ukrainiennes peuvent difficilement se permettre d’épuiser leurs minuscules stocks d’ATACMS pour atteindre les effectifs dérisoires des forces de la RPDC plutôt que les infrastructures militaires russes cruciales : bases aériennes, centres de commandement et de contrôle (C2), cibles logistiques et de ravitaillement, etc. dont ils auraient dû faire une priorité avec ou sans la présence nord-coréenne à Koursk.

Il y a ensuite le fait que, comme l’ont reconnu les responsables américains, les Russes de leur côté ont disposé de plusieurs mois pour se préparer à cette décision et ont redéployé leurs moyens critiques hors de portée des ATACMS ukrainiens tout en renforçant leurs défenses aériennes locales. Ces attaques ne sont pas seulement dangereuses sur le plan opérationnel, elles sont aussi une faillite sur le plan stratégique. En effet, un ATACMS utilisé pour prolonger le contrôle insoutenable de l’Ukraine sur une parcelle du territoire russe est un ATACMS de moins qui pourrait endiguer les avancées significatives de la Russie dans les régions de Kharkiv et de Donetsk, à l’est du pays.

La communauté du renseignement a précédemment estimé que les frappes ATACMS à l’intérieur de la Russie impliquaient de sérieux risques, pouvant inciter Poutine à rétablir la dissuasion par une riposte majeure contre l’Occident. Les responsables de l’administration Biden, tentant de justifier leur volte-face, affirment à présent que ces risques ont « diminué avec le temps ». Pourtant, ni les principales dynamiques de cette guerre ni la logique sous-jacente des lignes rouges de la Russie n’ont évolué depuis deux semaines, si ce n’est que les lignes de front ukrainiennes cèdent à un rythme accéléré.

La seule différence notable, qui n’échappe certainement ni à Moscou ni à Kiev, est la transition imminente vers une administration Trump qui prévoit de faire d’un règlement négocié en Ukraine l’une de ses premières priorités en matière de politique étrangère.

Cette décision soulève également le danger corollaire de revirements similaires de la part de la Grande-Bretagne, qui pourrait accorder à l’Ukraine l’autorisation d’utiliser des missiles Storm Shadow à longue portée, ainsi que les feux verts correspondants de la part de la France et de l’Allemagne. Alors que la Russie peut être encline à l’indulgence vis à vis des États-Unis en raison de la transition présidentielle et du rôle prépondérant joué par Washington dans la recherche d’une conclusion négociée de la guerre, ces réserves sont absentes de la réflexion russe quand il s’agit des partenaires européens de l’Ukraine, et le seuil de tolérance avant des représailles de Moscou à leur encontre pourrait donc être plus bas.

Dans ce contexte, le Kremlin se voit fortement dissuadé de prendre des mesures de rétorsion contre l’OTAN, lesquelles mettraient en péril les pourparlers de paix imminents. Pourtant, cette surenchère superflue a rapproché la Russie et l’OTAN d’une confrontation directe. La marge de manœuvre pour éviter une erreur de calcul catastrophique est désormais beaucoup plus étroite.

En outre, elle crée un nouveau point de friction inutile entre la nouvelle administration et Kiev alors que le processus de pré-négociation était déjà très compliqué. Elle constitue, en raison de sa confusion stratégique et de sa myopie tactique, le dernier soubresaut tragique d’une politique américaine qui en Ukraine a toujours donné la priorité à « l’action » à court et à moyen terme plutôt qu’à la recherche d’une finalité crédible.

*

Mark Episkopos est chercheur sur l’Eurasie au Quincy Institute for Responsible Statecraft. Il est également professeur adjoint d’histoire à l’université Marymount. Mark Episkopos est titulaire d’un doctorat en histoire de l’American University et d’une maîtrise en affaires internationales de l’Université de Boston.

Les opinions exprimées par les auteurs sur Responsible Statecraft ne reflètent pas nécessairement celles du Quincy Institute ou de ses associés.

Source : Responsible Statecraft, Mark Episkopos, 18-11-2024

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Commentaire recommandé

Fox // 14.12.2024 à 10h01

Je confirme le bobard des nord-coréens sur le terrain, bobard repris par tous nos médias bienveillants sans la moindre preuve. Il faut quand même se rappeler qu’ils pourraient même trouver des photos, la population de la Russie, pays le plus vaste du monde a, dans sa partie orientale des ethnies à faciès asiatique.
Pas trop compliqué de faire passer un soldat russe asiatique pour un nord coréen sous uniforme russe !

11 réactions et commentaires

  • Fritz // 14.12.2024 à 08h31

    Bien sûr, il s’agit de savonner la planche de Trump avant le 20 janvier, au risque d’une guerre directe avec la Russie. Ce Biden est dangereux et mérite d’être inculpé pour crimes contre la paix.

    En avril 2014, il s’était rendu à Kiev pour relancer l’offensive « antiterroriste » à l’est de L’Ukraine. La première tentative avait échoué car les soldats ukrainiens n’étaient pas motivés, devant la réaction courageuse des habitants de Kramatorsk qui étaient descendus dans la rue pour arrêter leurs tanks.

    Avec cette histoire d’autoriser les tirs de missiles « dans la profondeur du territoire russe », il est clair que pour les USA et l’OTAN, l’Ukraine n’est qu’une base militaire avancée contre la Russie.

    Que diraient les Américains si les Russes avaient transformé le Mexique en base militaire avancée contre les USA ?

  • josé // 14.12.2024 à 09h44

     » Le fait que des brigades nord-coréennes autonomes se battent à Koursk est un fait incontestable. »
    C’est bien que Mark Episkopos soit chercheur sur l’Eurasie, du coup, il va nous rapporter des preuves de cette vérité énoncée.
    Plus globalement , y a t-il sur ce site quelqu’un aurait ces preuves? J’en été resté à cet acteur de terrain (Koursk) à qui l’on demandait s’il avait vu des soldats nord Coréens; il aurait répondu : c’est dur d’en voir, surtout quand il n’y en a pas. Mais je me doute bien que mes infos sont limitées….

  • Fox // 14.12.2024 à 10h01

    Je confirme le bobard des nord-coréens sur le terrain, bobard repris par tous nos médias bienveillants sans la moindre preuve. Il faut quand même se rappeler qu’ils pourraient même trouver des photos, la population de la Russie, pays le plus vaste du monde a, dans sa partie orientale des ethnies à faciès asiatique.
    Pas trop compliqué de faire passer un soldat russe asiatique pour un nord coréen sous uniforme russe !

    • Myrkur34 // 15.12.2024 à 07h23

      Confondre un bouriate et un coréen du nord, quand même..
      Bon allez, on va dire qu’ils sont issus de la petite partie de frontière commune entre la Russie et la Cdn.
      D’ailleurs..19 kilomètres. Ils pensaient être tranquilles..

      https://fr.wikipedia.org/wiki/Fronti%C3%A8re_entre_la_Cor%C3%A9e_du_Nord_et_la_Russie

      Pour les uniformes, c’est la version bodybag avec les clips sur les cotés.

    • RGT // 15.12.2024 à 10h34

      Il ne faut jamais oublier le passé qui est fort instructif et nous rappelle à chaque instant les perversions de la propagande.

      Souvenez-vous simplement de la « libération » de la Libye…

      Avec Kadhafi qui avait lâché sur les « pauvres défenseurs de la Liberté » des hordes de « mercenaires » africains noirs qui commettaient des massacres de « civils innocents défendant la Démocratie »…

      En fait, ces mercenaires étaient simplement des libyens du sud qui défendaient LEUR pays contre des salafistes racistes qui voulaient simplement pratiquer une « épuration ethnique » et « religieuse » pour imposer leur « loi » et se débarrasser des « bougnoules » et de tous ceux qui ne partageaient pas leurs opinions (la majorité de la population qui vivait en paix) afin de foutre le bordel pour satisfaire leurs maîtres (wahhabites alliés aux anglo-saxons) afin de faire tomber le régime libyen qui les « piquait » en permanence en agissant pour faire tomber l’hégémonie occidentale sur le continent africain.

      Vis à vis de ses opposants Kadhafi n’était pas un enfant de cœur mais il faut se rappeler que ses « opposants » étaient largement pires et que les libyens ne voulaient pas goûter la la « bienveillance » de la « libération » de leurs pays par les « forces démocratiques » soutenues par la « communauté internationale ».

      La suite leur a donné totalement raison et désormais le pays a sombré dans le chaos et ce pays qui avait le niveau de vie le plus élevé d’Afrique a sombré dans la préhistoire…

      Concernant les troupes nord-coréennes, non seulement leur nombre est largement sur-évalué par l’occident mais de plus leur déploiement sur le front ukrainien serait totalement contre-productif car les méthodes militaires de ces troupes sont totalement inadaptées à la stratégie militaire russe sans compter la barrière linguistique qui est un handicap insurmontable…

      Pour que ces troupes soient un tant soit peu efficaces il faudrait d’abord leur enseigner la langue russes puis leur enseigner la stratégie militaire russe, ce qui prendrait beaucoup de temps…

      Bref, comme depuis bien longtemps, la propagande de guerre cherche toutes les raisons pour traîner « l’ennemi » dans la boue (souvenez-vous des soldats allemands qui organisaient des viols collectifs d’adolescentes pendant la première guerre mondiale)…

      Comme disait le regretté Pierre Desproges, « L’ennemi est con, il croit que c’est nous l’ennemi, alors que c’est lui »…

      Si l’occident pouvait simplement foutre la paix aux autres peuples l’humanité vivrait sans aucun doute largement plus en paix.

  • Hiro Masamune // 14.12.2024 à 10h16

    J’aurais trois points à corriger.
    Primo Trump n’a aucunement envie d’arrêter ce conflit mais simplement d’en désengager les USA et de refiler le baton merdeux aux Européens. La « solution coréenne » avec un partage entre la Russie et l’OTAN est ce qui est recherché depuis le sommet de l’OTAN de Vilnius. Un cessez-le-feu n’est pas un armistice.
    Secundo il y a autant de Nord Coréens sur place que de F16 : une quantité échantillionnaire principalement dédiée à valider l’usage de systèmes d’armes en conditions réelles. L’opération de com sur « les hordes de soldats de Kim » (que personne n’a vu) était pensée comme un moyen d’inciter les Coréens du Sud à ouvrir leur stocks d’armes et de munitions. Le parlement local a dit non ; ils ont essayé de dissoudre le parlement : ça a tellement bien foiré que les coréens commencent à regarder leurs bases américaines d’un mauvais oeuil.
    Tertio c’était une incitation à l’escalade avec pour objectif d’obtenir soit une frappe sur une base de l’OTAN soit une frappe nucléaire tactique. Ils ont juste oublié que niveau missiles, les Russes sont pas dénués et la réponse a été un Oreshnik sur Diepropetrovsk et la reprise des frappes de « désenergisation » avec des nuées de drones et de missiles. (Mais il parait qu’ils en ont bientôt plus … depuis 2022.)
    Bref : au final le résultat est piteux. Les Russes ont géré l’escalade, empêché le désengagement des US et l’engagement de la Corée du Sud. En Bonus on a un IRBM inarrêtable qui peut aller taper ce qu’il veut en Europe ou au Moyen-orient.

    • Brigitte // 15.12.2024 à 19h59

      Désengager les USA du conflit revient à l’arrêter. A part les anglais et les polonais russophobes, les autres pays d’Europe n’ont aucun intérêt à prolonger ce conflit, sinon par mimétisme. Dans la cours de récré, si le grand sort du jeu, les petits ne tardent pas à le suivre.
      L’OTAN, c’est avant tout la protection américaine, avec leurs bases militaires. Le commandement intégré est américain. Donc pas de transformation possible en défense européenne.
      L’UE est un nain sur les épaules des américains. Sa force d’attraction est uniquement financière aux yeux des prétendants. Sur le plan culturel, elle est perçue comme une copie des USA.
      Quels chefs d’état à la cérémonie de réouverture de Notre Dame? En dehors des européens, Zelenski et Trump, avec Musk pour faire du business. La photo de famille avec le prétendant .

  • Zaza // 14.12.2024 à 12h04

    Qui est le systeme Quicy Institute ? Neo-qqchose via Trum ?
    Merci beaucoup. Les coréens dans Kursk, c’est tres QI

    • Fritz // 14.12.2024 à 14h18

      C’est même plus près du Q que du I.

  • Hervé de Montigny (78) // 15.12.2024 à 01h39

    Le problème c’est que sur notre territoire, nous avons un trublion incontrôlable qui agite les bras en permanence pour se faire voir et se faire valoir.
    Ultra européiste à l’extrême, plus royaliste que le roi, il est capable de prendre l’affaire en main et d’envoyer la bombinette plus loin que son imagination ne peut le concevoir, et d’entrainer avec lui tous les demeurés occidentaux, et leurs peuples qui n’en peuvent mais.
    Le bâton merdeux, Macron est capable de le prendre en pleines mains pour sauver nos valeurs, notre existence, la démocratie, la planète.

    • Fritz // 15.12.2024 à 05h59

      Ah, si notre parlement pouvait le destituer… Comme l’autre agité en Corée du Sud.

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