Gareth Porter rend compte d’un rapport précédemment censuré que le révélateur des Pentagon Papers, Daniel Ellsberg, a intégralement publié, inquiet de la menace croissante d’une guerre des États-Unis avec la Chine au sujet de Taïwan.
Source : ConsortiumNews
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Un compte–rendu jusqu’alors censuré de la crise du détroit de Taïwan de 1958, commandité par le Pentagone, a été publié dans son intégralité par le divulgateur des Pentagon Papers, Daniel Ellsberg. Le rapport dresse le portrait effrayant d’une direction militaire américaine téméraire qui pressait sans relâche le président Dwight Eisenhower pour obtenir l’autorisation de mener des attaques nucléaires contre la Chine communiste.
Après avoir conservé la version encore classifiée du récit pendant 50 ans, Ellsberg a déclaré qu’il avait décidé de le publier en raison de la menace croissante d’une guerre entre les États-Unis et la Chine au sujet de Taïwan, et du danger qu’un tel conflit puisse dégénérer en un échange nucléaire.
Le régime nationaliste du Kuomintang de Chiang Kai-shek et les chefs d’état-major étaient alliés dans leur volonté d’entraîner les États-Unis dans une guerre avec la Chine.Le secrétaire d’État adjoint Christian Herter craignait que le régime nationaliste ne soit déterminé à entraîner les États-Unis dans un conflit, selon le compte rendu parrainé par le Pentagone. La raison, selon l’auteur du récit, Morton Halperin, était que l’implication des États-Unis dans une guerre avec les communistes chinois « était clairement leur seul espoir de retour sur le continent. »
En mai 1958, les chefs d’état-major interarmées adoptent un nouveau plan (OPS PLAN 25-58), apparemment destiné à la défense des îles du large. En fait, le plan fournit une base pour attaquer la Chine avec des armes atomiques.
Selon le compte rendu de Halperin, le président des chefs d’état-major interarmées, le général Nathan Twining de l’armée de l’Air, a déclaré aux responsables du département d’État, lors d’une réunion en août, que la troisième phase nécessiterait des frappes nucléaires sur des bases chinoises situées au nord de Shanghai.Les chefs d’état-major ont minimisé la menace de pertes civiles que représentent de telles armes atomiques tactiques, soulignant qu’une explosion atomique tactique dans l’air ne produirait que peu de retombées radioactives. Mais le compte rendu indique qu’ils n’ont fourni aucune information concrète sur les pertes civiles attendues.
Étant donné que les emplacements des canons chinois de l’autre côté du détroit de Taïwan et une base aérienne clé desservant les forces militaires chinoises dans tout conflit concernant les îles du large auraient été situés à proximité d’importants centres de population, de telles explosions atomiques auraient certainement causé des pertes civiles à grande échelle.
Les chefs d’état-major n’ont pas reconnu que les bombes qu’ils prévoyaient de faire exploser par voie aérienne auraient eu la même létalité potentielle que la bombe larguée sur Hiroshima. Ils n’ont pas non plus voulu admettre que les cibles de ces bombardements se trouvaient à proximité immédiate de villes chinoises dont la population était à peu près équivalente à celle d’Hiroshima.
Le rapport Halperin raconte que Twining a déclaré aux responsables du Département d’État que le bombardement des cibles visées avec des armes nucléaires tactiques « impliquerait presque certainement des représailles nucléaires contre Taïwan et peut-être contre Okinawa… » Cette hypothèse était fondée sur une estimation spéciale du Renseignement national qui avait été publiée le 22 juillet 1958. L’estimation avait conclu que si les États-Unis « lançaient des frappes nucléaires en profondeur en Chine communiste », les Chinois répondraient « presque certainement » avec des armes nucléaires.
Les chefs d’état-major ont demandé des pouvoirs de guerre
Le plan des chefs d’état-major trahissait l’espoir des chefs militaires de retirer des mains du président le pouvoir de décision en matière de guerre nucléaire. Il stipulait que le plan serait mis en œuvre lorsqu’il serait « dicté par l’autorité américaine appropriée » – ce qui impliquait qu’il ne serait pas nécessairement décidé par le président.
Dans ses propres mémoires, Eisenhower se rappelle avec une certaine amertume comment, pendant la crise de 1958, il a été « continuellement pressé – presque harcelé – par Tchang [le généralissime nationaliste chinois Tchang Kaï-chek] d’une part, et par nos propres militaires d’autre part, pour demander une délégation de pouvoir en vue d’une action immédiate sur Formose [Taïwan] ou sur les îles du large… » Il n’a toutefois pas fait référence aux efforts déployés par les chefs d’état-major pour obtenir l’autorisation préalable d’utiliser des armes nucléaires sur le continent chinois.
Le libellé du plan de l’état-major interarmées a été modifié pour devenir « lorsque le président l’autorise », sur l’insistance d’Eisenhower, afin de prévoir que seuls des moyens conventionnels pourraient être utilisés, du moins dans un premier temps, pour la défense des îles, tout en laissant ouverte la possibilité d’utiliser des armes nucléaires tactiques en cas d’échec.
Lorsque le secrétaire d’État John Foster Dulles a prévenu que le Japon s’opposerait fermement à l’utilisation d’armes nucléaires contre la Chine continentale, et interdirait le lancement d’armes nucléaires depuis son territoire,il suggèra que l’opposition aux armes nucléaires au Japon est « inspirée par les communistes » et que les dirigeants étrangers reconnaîtront bientôt que l’utilisation d’armes nucléaires par les États-Unis « est dans leur intérêt. »
Burke a conclu son argumentation en affirmant que si les États-Unis ne maintenaient pas la menace d’armes nucléaires tactiques dans les conflits, ils « perdraient le monde entier en trois ans. »
Cet argument manifestement absurde suggère que le désir intense des chefs d’état-major d’utiliser des armes nucléaires contre la Chine était moins motivé par une quelconque menace des Chinois communistes que par leurs propres intérêts institutionnels.
Les hauts gradés de la Marine dans le Pacifique avaient préconisé un soutien inconditionnel au régime de Tchang pendant la guerre civile avec les communistes et qualifié de « rosés » les fonctionnaires du département d’État – à commencer par le secrétaire George C. Marshall – qui avaient des doutes sur le leader du Kuomintang.En 1958, l’armée de l’Air était tellement attachée à son rôle de fournisseur exclusif d’armes nucléaires qu’elle insistait pour pouvoir utiliser des armes nucléaires dans toute guerre menée dans la région du Pacifique.
Au-delà du désir des chefs de la Marine et de l’armée de l’Air d’assurer leur présence à long terme et de renforcer l’importance de leurs rôles respectifs dans le Pacifique, les chefs d’état-major interarmées ont toujours aspiré à maximiser leur influence sur la politique américaine dans tout conflit où les États-Unis pourraient utiliser la force militaire.
Il s’est avéré que les Chinois n’ont jamais eu l’intention de déclencher une guerre à grande échelle pour les îles du large. Ils ont plutôt cherché à mettre en place un blocus du réapprovisionnement des îles par le biais de barrages d’artillerie, et lorsque l’armée américaine a fourni des escortes armées pour les navires effectuant le réapprovisionnement, ils ont pris soin d’éviter de frapper les navires américains.
Comme l’a observé le rapport Halperin, une fois que les Chinois ont reconnu qu’un blocus ne pouvait pas empêcher le réapprovisionnement, ils se sont contentés d’attaques d’artillerie symboliques sur Quemoy, qui ont été limitées à un jour sur deux.
C’est l’empressement des chefs d’état-major pour une guerre nucléaire contre la Chine, plutôt que la politique de la Chine communiste, qui a présenté la menace la plus grave pour la sécurité américaine.
Bien que les circonstances entourant le conflit entre les États-Unis et la Chine au sujet de Taïwan aient radicalement changé depuis cette étape de la Guerre froide, la crise de Taïwan de 1958 nous donne une leçon qui donne à réfléchir alors que l’armée américaine se prépare à une nouvelle confrontation militaire avec la Chine.
Gareth Porter est un journaliste d’investigation indépendant qui couvre la politique de sécurité nationale depuis 2005 et a reçu le prix Gellhorn du journalisme en 2012. Son livre le plus récent est The CIA Insider’s Guide to the Iran Crisis (Le guide des initiés de la CIA dans la crise iranienne, NdT), coécrit avec John Kiriakou, qui vient d’être publié en février.
Source : ConsortiumNews – 07-06-2021
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Commentaire recommandé
Ne JAMAIS confier aux militaires (particulièrement les « stratèges » bien planqués dans leurs bunkers loin du front) de prendre la moindre décision concernant une « attaque préventive ».
De même, n’écoutez JAMAIS les barbouzes « bien informées » dont la principale préoccupation consiste à faire monter la mayonnaise pour justifier leur emploi.
Eisenhower, qui avait combattu les nazis sur le front et non pas bien planqué dans un bureau cossu le savait bien et son combat principal (peu mentionné d’ailleurs) a consisté à lutter contre ces « va-t-en guerre » de salon prêts à sacrifier « leur » chair à canon et les civils pour conforter leur propre carrière.
Et quand il a quitté ses fonctions il a pris la précaution d’informer la population US des risques encourus si le lobby militaro-industriel parvenait à prendre le pouvoir.
Pour les ignares qui considèrent que toute critique des USA relève du « complotisme » un document irréfutable : https://www.dailymotion.com/video/x8kimp
17 réactions et commentaires
Incroyable. Un détail troublant toutefois: à cette époque la Chine ne possédait pas de bombes atomiques. La première bombe A chinoise a explosé en 1964 à Lop Nor dans le désert de Gobi
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AlerterL’article dit bien que l’URSS, qui ne s’était pas encore brouillée avec Mao, aurait pu lui en fournir.
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Alerter??? Quel est l’interêt ??? Ça n’a pas eu lieu, n’est ce pas? Et pour moi, c’est ça qu’il faut retenir. C’est ça l’important. Le président, us en l’occurrence, a dit non. Il aurait pu être russe, au hasard. J’y vois une raison d’espérer ou plutôt de ne pas désespérer.
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AlerterOui, très juste. Le bombardement nucléaire n’a pas eu lieu. Mais on voit bien la folie meurtrière des généraux américains
+15
AlerterNe JAMAIS confier aux militaires (particulièrement les « stratèges » bien planqués dans leurs bunkers loin du front) de prendre la moindre décision concernant une « attaque préventive ».
De même, n’écoutez JAMAIS les barbouzes « bien informées » dont la principale préoccupation consiste à faire monter la mayonnaise pour justifier leur emploi.
Eisenhower, qui avait combattu les nazis sur le front et non pas bien planqué dans un bureau cossu le savait bien et son combat principal (peu mentionné d’ailleurs) a consisté à lutter contre ces « va-t-en guerre » de salon prêts à sacrifier « leur » chair à canon et les civils pour conforter leur propre carrière.
Et quand il a quitté ses fonctions il a pris la précaution d’informer la population US des risques encourus si le lobby militaro-industriel parvenait à prendre le pouvoir.
Pour les ignares qui considèrent que toute critique des USA relève du « complotisme » un document irréfutable : https://www.dailymotion.com/video/x8kimp
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Alerterdepuis sa naissance , sur les charniers des amérindiens, les USA sont en guerre contre le monde entier
des faits rien que des faits……………
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AlerterVous savez peut être que les amérindiens faisaient très bien des charniers entre eux?
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Alerter« Vous savez peut être que les amérindiens faisaient très bien des charniers entre eux ? »
Quel est le sens de cette remarque ?
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AlerterJe précise que tiens une longue liste de massacres inter indiens à votre disposition. Mais il est vrai qu’Espagnols et portugais censés être plus sanguinaires ont été si j’ose dire beaucoup moins efficaces dans l’éradication que les gens du Nord de l’Europe et spécialement les protestants de tous poils qui ont genocidé les indiens du Nord.
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Alerter« Je précise que tiens une longue liste de massacres inter indiens à votre disposition. »
J’attends avec impatience votre liste.
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AlerterAvec plaisir. C’est long mais je le fais. Commencez donc par Hurons , Iroquois, Erié, Creek, algonquins, sioux, pueblos. En Amérique centrale et du Sud il faudrait un livre. Ce sera plus succinct. Mais commencez par Aztèques ( des artistes!).L’Inca était pas mal non plus avec ses peuples subjugués.
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AlerterVous avez 100 % raison Monsieur.
Heureusement Eisenhower a gardé la tête froide (à defaut de Guerre froide)
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AlerterSinon, regardez le film de Stanley Kubrick, « Docteur Folamour ».
C’est une comédie noire, mais qui prend des allures de documentaire parfois…
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AlerterLe Film « Dr Folamour » est le relook d’un film très noir et très réaliste où le rôle principal était tenu par Henri Fonda
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AlerterEt Churchill, en 1945, souhaitait une nucléaire contre l’URSS, avec une partie des troupes allemandes recyclée en soutien des anglo-américains. Truman n’a pas suivi, puis Churchill a été écarté des affaires.
Je conclus que l’adversaire véritable des Occidentaux a toujours été le communisme. Et Russes et Chinois sont toujours perçus comme tels : des communistes à éradiquer.
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AlerterLe pire c’est que les mêmes ont recommencé en 1968. Il a fallut que LBJ colle un tampon « NO » sur les projets de l’army de faire un « rolling thunder » pas conventionnel. Au final le Viet-nam a eut la dioxine de l’Agent orange … entre le chimique et le nucléaire , apparemment le seul choix possible du point de vue US consistait à polluer la vie des vietnamiens pendant les quelques siècles à venir.
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Alerterrivalités imperialistes =guerres
l’ Histoire des conflits démontre
que ce sont les concurences/ rivalités…..entre les Etats ….qui aménent les guerres…..
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