L’ancien dirigeant a passé des années à voler, escroquer, trafiquer de la drogue et pire encore. Quand il n’a plus été utile, les États-Unis l’ont inculpé.
Source : Responsible Statecraft, Brian Saady
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
L’ancien président du Honduras, Juan Orlando Hernandez, ou JOH, a été arrêté la semaine dernière et fera probablement bientôt l’objet d’une inculpation par le ministère américain de la Justice (DOJ) pour un trafic présumé d’environ 500 000 kilos de cocaïne. Un titre d’Associated Press l’a qualifiée de « chute stupéfiante », mais le gouvernement américain lui a apporté un soutien important malgré les nombreuses preuves le reliant au trafic de drogue.
Outre ses liens avec les stupéfiants, Hernandez a été impliqué dans plusieurs scandales, notamment le détournement de fonds du système de sécurité sociale du Honduras, le vol de programmes de développement de la Banque mondiale, des allégations de fraude crédibles lors de sa réélection en 2017, et des violations généralisées des droits humains par la police et l’armée. Dans des conversations privées, Hernandez se vantait de siphonner l’aide américaine via des ONG bidons.
Le DOJ a refusé de porter plainte jusqu’à ce qu’il quitte son poste le mois dernier. JOH a été désigné comme CC-4, ou co-conspirateur 4, dans l’affaire de trafic de drogue de son frère, ainsi que dans d’autres affaires du district sud de New York. Néanmoins, ce dirigeant de droite, qui a constamment soutenu les intérêts économiques, militaires et d’immigration des États-Unis, a bénéficié de huit années de relations cordiales avec la Maison Blanche.
Les diplomates américains ont détourné le regard alors que le Honduras se transformait en un narco-État. Pour ajouter à cette hypocrisie, les États-Unis ont fourni des millions de dollars d’aide à la lutte contre les stupéfiants qui ont formé/équipé une police et une bureaucratie militaire criblées de corruption. En retour, les forces de sécurité honduriennes ont agi de manière vicieuse contre les protestations pacifiques.
Le frère de l’ancien président, Tony Hernandez, a été arrêté à Miami en novembre 2018 pour trafic de drogue. Les procureurs ont allégué qu’il a transporté une énorme quantité de cocaïne (185 tonnes) aux États-Unis. Le jury a entendu de barons de la drogue que JOH les a extorqués pour de l’argent lié à la protection.
L’un de ces témoins était le partenaire de Tony Hernandez, Amilcar Alexander Ardón Soriano, un trafiquant condamné et un ancien maire du Honduras. Juan Orlando Hernandez a sollicité 1,6 million de dollars auprès d’Ardón Soriano pour sa course à la présidence en 2017. Ardón Soriano a également témoigné qu’il avait organisé une réunion au cours de laquelle El Chapo (Joaquín Guzmán, Baron de la drogue mexicain, NdT) a remis à l’ancien président 1 million de dollars en espèces en échange de la protection de ses expéditions au Honduras.
Les laboratoires de cocaïne de Tony Hernandez en Colombie et au Honduras marquaient son produit d’un logo « TH » pour que les forces de l’ordre sachent ce qu’il ne fallait pas toucher. En outre, il a gonflé ses profits en s’associant à plusieurs cartels pour acheter un soutien logistique et une protection aux autorités honduriennes, allant jusqu’à louer ses hélicoptères personnels pour que leurs représentants puissent vérifier que les cargaisons n’étaient pas interceptées. Tony Hernandez a également ordonné l’assassinat de trafiquants rivaux et de mouchards potentiels. Ces révélations ont conduit à la condamnation de Tony Hernandez en octobre 2019 et à une peine de prison à vie.
Juan Orlando Hernandez connaîtra probablement un sort similaire, mais on peut se demander pourquoi le DOJ a tardé à agir pendant si longtemps. Poursuivre un chef d’État étranger pose des défis juridictionnels, entre autres. Cependant, le ministère de la Justice n’a pas fait preuve de la même déférence à l’égard du président vénézuélien Nicolás Maduro. Ce dernier, ainsi que 14 autres responsables vénézuéliens, a été inculpé en mars 2020. Le programme de récompenses en rapport avec les narcotiques du ministère de la Justice offre même une prime de 15 millions de dollars pour toute information menant à l’arrestation ou à la condamnation de Maduro.
La réticence à poursuivre JOH était liée à la politique internationale, et non à des formalités juridiques. Un exemple concret : George H. W. Bush a lancé l’opération Just Cause en 1989 pour capturer le dictateur panaméen, Manuel Noriega. Comme dans le cas de JOH, le gouvernement américain était parfaitement au courant des liens de Noriega avec le trafic de drogue – il était à la solde de la CIA depuis des décennies.
JOH n’était pas un atout pour les services de renseignement, mais il offrait une relation servile. C’était un changement par rapport au président de centre-gauche Manuel Zelaya qui a été élu en 2006. Zelaya voulait des réformes économiques modérées, mais il a adopté une politique plus à gauche après son entrée en fonction. Ce changement a été en partie provoqué par les tactiques musclées des diplomates américains.
L’ambassadeur américain Charles Ford a fourni à Zelaya une liste de candidats potentiels à des postes ministériels que les États-Unis jugeaient acceptables. De tels agissements, entre autres, se sont avérés contre-productifs, car Zelaya a entretenu des relations avec Hugo Chavez et Fidel Castro, et a laissé entendre qu’il pourrait demander un amendement constitutionnel qui lui permettrait de briguer un second mandat. Ces rapprochements ont permis à des néoconservateurs, comme Otto Reich et Elliott Abrams, et à des législateurs américains de droite, notamment les sénateurs Jim DeMint (Parti républicain, Caroline du sud) et Ileana Ros-Lehtinen (Parti républicain, Floride), à défendre le coup d’État militaire de 2009 en qualifiant Zelaya « d’autocrate déterminé à transformer le Honduras en un État hostile et non démocratique. »
Le président Obama a publiquement critiqué le coup d’État, le qualifiant « d’illégal », et a brièvement suspendu l’aide étrangère, avant de la rétablir en grande partie en mars 2010, après une élection controversée pour laquelle la plupart des groupes de surveillance internationaux, dont l’Organisation des États américains et l’Union européenne, ont refusé d’envoyer des missions d’observations. Le vainqueur, Porfirio « Pepe » Lobo, a ironiquement fait en sorte que les avertissements de Reich concernant Zelaya prennent effet. Le parti de droite de Lobo, le Parti National (le parti de JOH), a commencé à consolider son contrôle sur le Honduras de l’après-coup, qui sera de plus en plus caractérisé par la kleptocratie, la corruption, la violence des gangs et les violations des droits humains, rappelant le passé du pays en tant que « république bananière. »
Plusieurs responsables de la lutte contre la corruption, tels que le responsable de la lutte contre la drogue et le procureur chargé de la lutte contre le blanchiment d’argent, ainsi que des militants de la société civile, ont été assassinés pendant les quatre années du mandat de Lobo, tandis que le trafic de drogue était plus florissant que jamais. Fait remarquable, le propre fils de Pepe Lobo, Fabio, a été inculpé et poursuivi par le ministère de la Justice des États-Unis pour avoir transporté des milliers de kilos de cocaïne (à partir de 2009) en partenariat avec le cartel hondurien des Cachiros, dont le chef a témoigné que Fabio agissait au nom de son père. Alors que Fabio purge actuellement une peine de 24 ans de prison, le ministère de la Justice n’a pas encore engagé de poursuites contre l’ancien président. Le département d’État a ajouté Lobo et son épouse à sa liste « d’acteurs corrompus et antidémocratiques », ce qui les empêche d’entrer légalement aux États-Unis. Toutefois, le ministère de la Justice n’a pas procédé à la confiscation des biens immobiliers du couple en Floride.
La corruption sous JOH, qui a été président du Congrès national sous Lobo jusqu’à sa propre élection à la présidence en 2013, était encore plus évidente. Après seulement quatre jours au pouvoir, la police a fait la toute première découverte d’une opération de culture d’opium au sein du Honduras. Ils ont arrêté deux ressortissants colombiens, confisqué des armes et 1.800 plants de pavot à opium et 800 plants de cannabis. Cependant, Tony Hernandez est intervenu et a contribué à faire libérer les deux Colombiens de leur garde à vue. L’officier qui a dirigé le raid, Leandro Osorio, a été démis de ses fonctions et a rapidement fui le pays en raison de menaces de mort.
L’ancien chef de la police nationale, Ramon Sabillon, a également fui le pays. Il a apparemment trop bien fait son travail et a été licencié par JOH après avoir procédé à des arrestations très médiatisées de trafiquants de drogue, dont les chefs du cartel de Valle. De multiples dénonciateurs ont révélé la criminalité de la famille Hernandez, mais ces informations ont été largement ignorées par les grands médias américains.
Cette omission contrastait avec l’attention médiatique – en particulier après que le candidat de l’époque, Donald Trump, ait cherché en 2016 à utiliser le sentiment anti-immigration croissant comme socle de sa campagne présidentielle – consacrée à des niveaux d’émigration sans précédent de Honduriens dont la vie quotidienne était de plus en plus dominée par l’aggravation de la pauvreté et la guerre des gangs. Une fois Trump élu à la Maison Blanche, l’immigration a supplanté le trafic de drogue ou les préoccupations géopolitiques en tant que principale priorité politique de Washington vis-à-vis de l’Amérique centrale. Lorsque JOH a accepté de coopérer pleinement avec les politiques anti-immigration de Trump – allant même jusqu’à signer un accord permettant à Washington d’expulser les demandeurs d’asile potentiels vers le Honduras – Washington a effectivement fermé les yeux sur les méfaits du président hondurien.
Ainsi, lorsque JOH a utilisé les membres de la Cour suprême du pays qu’il avait triés sur le volet pour lui permettre de briguer un second mandat en 2017, l’administration Trump, ainsi que les néoconservateurs américains et les législateurs de droite qui avaient si agressivement dénoncé Zelaya comme un tyran pour avoir suggéré la tenue d’un référendum sur la modification de la constitution, ont simplement détourné le regard. Pire encore, malgré les dénonciations généralisées de l’élection elle-même comme étant truquée – l’Organisation des États Américains, par exemple, a trouvé tellement d’irrégularités qu’elle a appelé à un nouveau scrutin – l’ambassadeur américain a néanmoins salué la crédibilité du processus électoral.
Et même après la condamnation de son frère en 2019 par un tribunal fédéral américain, le département d’État a continué à faire publiquement l’éloge des efforts de JOH dans la lutte contre la drogue.
Au terme de son mandat, cependant, l’ancien président a perdu son utilité. Une réformiste modérée, Xiomara Castro, épouse de l’ancien président Zelaya, a battu à plate couture le candidat du Parti National il y a deux mois.
Avant de quitter le pouvoir, cependant, Hernandez semble avoir cherché à obtenir une certaine garantie qu’il pourrait éviter les poursuites. Dans les derniers jours de son mandat, il a transféré l’ambassade du Honduras en Israël de Tel Aviv à Jérusalem, où il aurait reçu des garanties de responsables israéliens – dont certains ont des liens étroits avec les néoconservateurs de Washington qui ont défendu le coup d’État de 2009 ayant porté le Parti National au pouvoir – qu’ils useraient de leur influence pour empêcher son extradition vers les États-Unis. Quoiqu’il en soit, au bout du compte, leurs efforts se sont avérés insuffisants.
Comme dans le cas de Noriega, cependant, la relation de JOH avec les États-Unis illustre bien la politique étrangère américaine. Que ce soit le trafic de drogue, l’immigration ou pour contrer l’influence d’ennemis géopolitiques ou idéologiques qui constituent la priorité du jour, le sort de petits pays comme le Honduras dépendra de manière disproportionnée de l’agenda politique intérieur de Washington plutôt que des besoins et aspirations réels de la population locale.
Source : Responsible Statecraft, Brian Saady, 01-03-2022
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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Commentaire recommandé
C’est là où l’on voit que la notion de liberté et de capitalisme répandu dans le monde par les USA ressemble furieusement à un système mafieux qui ne cherche même pas à sauver les formes, on le remarque dans les sanctions appliquées ou le amendes qui ressemblent souvent à du racket qui épargne souvent les entreprises américaines un petit rappel sur l’affaire Alstom avec l’emprisonnement d’un responsable pour faire pression sur l’entreprise et le gouvernement :
https://youtu.be/dejeVuL9-7c
5 réactions et commentaires
C’est là où l’on voit que la notion de liberté et de capitalisme répandu dans le monde par les USA ressemble furieusement à un système mafieux qui ne cherche même pas à sauver les formes, on le remarque dans les sanctions appliquées ou le amendes qui ressemblent souvent à du racket qui épargne souvent les entreprises américaines un petit rappel sur l’affaire Alstom avec l’emprisonnement d’un responsable pour faire pression sur l’entreprise et le gouvernement :
https://youtu.be/dejeVuL9-7c
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Alerterun autre exemple : Somoza
Le président américain de l’époque avait déclaré : » Somoza est une ordure mais c’est notre ordure »
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AlerterVotre article mentionne la drogue et le Venezuela. Carlos Tablante, député du MAS, a écrit un livre intitulé « l’état délinquant » sur le sujet. Ses autres livres, et les articles parus sur son blog, devraient vous intéresser aussi.
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Alerter« L’ambassadeur américain Charles Ford a fourni à Zelaya une liste de candidats potentiels à des postes ministériels que les États-Unis jugeaient acceptables. »
Dans le même temps, les occidentaux en général et les Américains en particulier poussent des cris d’orfraie quand les russes tentent de manipuler les réseaux sociaux avec leurs fermes à trolls à l’efficacité réelle très limitée. Influencer les choix stratégiques des autres pays, qu’ils soient partenaires ou adversaires, est vieux comme le monde, et à ce jeu les Américains restent les « meilleurs » et de loin.
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Alerterlegalisation des drogues =
fin des mafias =
fin des corruptions =
= decriminalisation des personnes addictes
= meilleur accés aux soins
etre pour la prohibition
c’ est implicitement soutenir les profits des mafias et leurs violences
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