Les libéraux se réjouissent du retour de la croissance irlandaise, et ce malgré la politique d’austérité budgétaire. Mais les grands aggrégats macroéconomiques confirment-ils la réalité du pays ? Rien n’est moins sûr.
Les derniers chiffres du PIB irlandais sont encourageant. Notamment tirée par une hausse de l’excédent commercial de 8% (un record), la croissance du pays a atteint 1,3% au premier trimestre 2011. Une bonne nouvelle pour le pays, qui a besoin d’atteindre son objectif de 2% de croissance en 2011 si elle veut espérer rembourser sa colossale dette de 148 milliards d’euros 95% du PIB) et ainsi se sortir progressivement de la tenaille du FMI et de l’Union Européenne.
Les marchés ont salué ces chiffres, offrant une détente des taux de la dette souveraine qui se stabilisent aujourd’hui aux alentours de 8% après avoir atteints des pics vertigineux à 14% voire 22%, selon les échéances de remboursement. Certains analystes s’enthousiasment de cette performance, qui attesterait selon eux d’une “victoire de la rigueur contre le keynésiannisme”.
Qu’en est-il vraiment ? A y regarder de plus près, l’ex Tigre celtique est loin d’être tiré d’affaire.
L’Irlande est le moins pire des PIIGS
A la différence des autres PIIGS, ce joli surnom pour désigner les pays méditerranéens, l’Irlande était un pays en forte croissance et en excédent budgétaire avant que la bulle immobilière n’éclate en 2008. Ce dynamisme économique lui avait même valu le surnom de “Tigre celtique”, et son modèle était admiré en Europe. De ce fait, l’Irlande est certes tombée de haut avec la crise, mais les fondamentaux économiques de l’île demeurent plutôt solides.
En effet, grâce à sa politique fiscale avantageuse, l’Irlande est un pays attractif pour les grandes multinationales comme Google, Microsoft, et l’industrie pharmaceutique. Ces entreprises, qui réalisent l’essentiel de leur chiffre d’affaire à l’international sont assez peu affectées par la rigueur budgétaire, et maintiennent ainsi un certain niveau d’activité et d’emploi dans le pays.
De plus, contrairement à l’Italie ou à la Grèce, le pays n’est pas en proie à une corruption latente. Les mesures d’austérité n’en sont que plus efficaces.
Enfin, autre facteur qui favorise le succès relatif de la rigueur : la docilité du peuple irlandais, qui est davantage connu pour ses querelles religieuses que son anticapitalisme. De fait, les mouvements de protestation ont été beaucoup plus disparates à Dublin que ceux que l’on a vu à Athènes ou Madrid. A vrai dire, les irlandais sont davantage dépités qu’indignés.
Les banques, toujours elles…
Mais on ne peut évaluer la situation de l’Irlande sans porter une grande attention à son secteur bancaire. En effet, la crise irlandaise n’est en fait qu’une conséquence directe des multiples nationalisations des banques du pays pour éponger les pertes subies dans la bulle immobilière.
Le coût du renflouement du secteur bancaire est gigantesque : 65 milliards d’euros, soit plus de 30% du PIB. De plus, ce que la plupart des gens ignorent, c’est que le gouvernement n’a pas encore déboursé la totalité des garanties émises aux banques : il devra encore payer près de 4,2 milliards d’euros durant les 14 années à venir.
Or, malgré les garanties du gouvernement et le plan de sauvetage de 67 milliards d’euros de l’Union Européenne et du FMI, le secteur bancaire est toujours en proie à une grave fuite des dépôts, preuve que la confiance n’est pas restaurée auprès des investisseurs étrangers.
Rendez-vous compte : pas moins de 180 milliards d’euros ont quitté les banques irlandaises entre novembre 2010 et juillet 2011.
Ce n’est que parce que les banques irlandaises bénéficient des faveurs de la BCE et de la banque centrale d’Irlande, qu’elles ne sont pas déjà en faillite.
Depuis septembre 2010, les banques irlandaises ne sont pas seulement dépendantes des opérations de refinancement de la BCE, mais également de leur propre banque centrale nationale, qui a du activer les “emergency liquidity assistance”, un instrument monétaire de dernier ressort qui permet à une banque centrale nationale d’octroyer des liquidités aux banques sans exigence particulière si ce n’est la garantie… du gouvernement irlandais.
Bien que très opaques, on sait, en analysant le bilan de la Banque centrale d’Irlande, que ces opérations s’élevaient en août à environ 56 milliards d’euros, tandis que 97 milliards d’euros étaient octroyés au banques dans le cadre des opérations classiques de la BCE.
Le problème est que le gouvernement irlandais précédent, en émettant des garanties aux banques privées, a créé une relation étroite entre la dette des banques et la dette publique. En résumé, si les banques faisaient faillite, ce serait le gouvernement qui en subiraient théoriquement les pertes : soit en aidant à nouveau les banques comme il l’a fait jusqu’à présent, soit en recapitalisant sa banque centrale (dont il est actionnaire). Mais avec quel argent ? Mystère.
Le nouveau gouvernement élu en mars dernier fait tout ce qu’il peut pour alléger la dette des banques, notamment en tentant de faire subir des pertes sur les détenteurs d’obligations “senior” de la banque Anglo aujourd’hui en liquidation. Mais la BCE et son président Jean-Claude Trichet, font la sourde oreille : « Pour parler franchement, je ne comprends très bien pourquoi ce sujet revient tout le temps sur la table. ».
La crise immobilière n’est pas finie
Autre serpent de mer en Irlande, la gestion des prêts immobiliers non performants et la liquidation des actifs pourris acquis par la “bad bank” du gouvernement, la NAMA (National Asset Management Agency) pour consolider le bilan des banques commerciales
La liquidation de ces actifs est très douloureuse pour les finances du pays, qui est contraint de vendre à perte des actifs immobiliers acquis pour un total de 70 milliards d’euros.
Et le problème pourrait s’aggraver encore plus. Sur son blog, l’économiste irlando-russe Constantin Gurdgiev note une augmentation significative des emprunts immobiliers à risque ou déjà en situation de défaut au second trimestre 2011. Selon ses calculs, un prêt sur neuf sont menacés de non-remboursement, soit une augmentation de 10,8% par rapport au trimestre précédent. Les prêts non performants représenteraient près de 17,4 milliards d’euros.
La crise immobilière n’est donc pas encore qu’un mauvais souvenir pour le pays. Bien au contraire, elle pourrait être sur le point de revenir de plus belle…
L’industrie pharmaceutique tire les exportations, mais jusqu’à quand ?
Autre menace pour l’économie irlandaise, la composition trop peu diversifiée de ses exportations. En effet, l’industrie pharmaceutique contribuait à près de 86% des exportations irlandaises sur les 5 premiers mois de 2011. Or, Gurdgiev remarque :
Il faut rappeler ici qu’une échéance assez effrayante nous attend en 2012, lorsque le brevet du viagra expirera, suivi par de nombreux autres brevets pharmaceutiques que l’industrie mondiale est sur le point de perdre dans les années à venir.
Voilà le genre de statistiques qu’il est important de garder à l’esprit lorsque l’on parle du potentiel de croissance de l’Irlande…
Une reprise en trompe-l’oeil
A bien des égards, la reprise irlandaise est loin d’être acquise. Car au delà des chiffres macroéconomique se trouve une réalité bien moins ravissante : un chômage de plus de 14%, une émigration toujours importante, de nombreuses incertitudes financières.
De plus, avant de tirer les grandes leçons du succès de l’austérité irlandaise, il faudrait garder à l’esprit que le modèle irlandais (de même que le modèle allemand) n’est pas réplicable dans toute l’Europe. En effet, tous les pays ne peuvent pas être en excédent commercial ou faire du dumping fiscal en même temps…
Par ailleurs, le contexte international constitue une menace pour le pays. Les pressions pour une harmonisation fiscale plus poussée de l’Union Européenne pourraient inciter les multinationales installée à Dublin à quitter le pays. Sans compter la récession mondiale qui nuirait à l’économie très ouverte de l’île.
Autant de précisions qui pourraient bien renvoyer le Tigre celtique derrière son dolmen avant même qu’il ne puisse rugir de nouveau.
Stanislas Jourdan
2 réactions et commentaires
« L’industrie pharmaceutique tire les exportations ». Sa part dans les exportations monte, Formidable ! Et après ? ça peut grimper à 100% si toutes les autres exportations s’arrêtent.
Il faudrait surtout savoir si ces exportations pharmaceutiques augmentent en valeur actuellement.
+0
AlerterUn éditorial de l’Irish Independant:
http://www.presseurop.eu/fr/content/article/1049831-la-troika-et-ses-villages-potemkine
+0
AlerterLes commentaires sont fermés.